Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer ici le travail accompli cette année par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Je tiens également à féliciter son président, David Assouline, qui s’est investi avec force et rigueur dans cette instance depuis sa création. Je veux, enfin, remercier tous les membres de la commission qui œuvrent pour la faire vivre et rendre des rapports qui, je le crois, contribuent à une meilleure application de nos lois.

Le Sénat ne peut considérer son rôle achevé une fois la loi votée. Il doit veiller à la réelle application de la loi, et ensuite, le cas échéant, vérifier les conditions d’application de celle-ci. Nous pouvons tous être d’accord sur ces principes.

Dès 1971, le Sénat s’est doté d’un outil informatique – la base « APLEG » –, qui permet aux commissions permanentes de recenser, au fur et à mesure de leur parution, les décrets et les rapports d’application des lois dont elles ont assuré la préparation.

En 2011, le Sénat a décidé d’aller encore plus loin en mettant en place cette commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, entièrement dédiée à sa mission.

Je tiens d’ailleurs à souligner que nous faisons figure d’exception en Europe, avec le Royaume-Uni, qui a lui aussi mis en place une commission ad hoc commune aux deux chambres. En règle générale, le contrôle de l’application des lois est réalisé par les commissions permanentes, l’administration ou encore le Gouvernement.

Mesurons donc la portée symbolique et institutionnelle de la création en France de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Nous pouvons en être collectivement fiers. D’ailleurs, j’espère – j’en suis même certain – que cette commission perdurera après le renouvellement de septembre prochain.

Mme Nathalie Goulet. Inch'Allah !

M. Philippe Kaltenbach. J’ai compris que Mme Goulet y était opposée, mais elle devrait assez être isolée sur ce point.

Pourtant, je tiens à le rappeler ici, lorsque cette commission a été créée, nombreux étaient les sceptiques. Aujourd’hui, son utilité ne fait plus aucun doute et son action est reconnue. La commission entend contribuer à l’émergence au Sénat d’une véritable « culture du contrôle et de l’évaluation ».

Les sénateurs socialistes considèrent que la bonne mise en application des lois est essentielle pour notre démocratie, afin de redonner à nos concitoyens confiance dans l’activité législative du Parlement et dans notre système politique.

La loi représente la première condition de l’égalité républicaine. De fait, si elle n’est pas appliquée, faute de décrets, faute de moyens, alors le lien qui unit les Français se délite et le discrédit à l’égard de la politique croît. C’est pour cela que le Sénat ne peut plus se contenter de voter la loi : il doit exercer un contrôle sur la manière dont les lois sont appliquées.

Le rapport annuel qui nous a été présenté montre une évolution positive si l’on se fonde sur l’analyse quantitative. En effet, le taux de mise en application des mesures législatives de la session atteint 65 %. À titre indicatif, les taux observés jusqu’en 2009-2010 étaient très faibles : entre 10 % et 35 %.

La progression est donc significative, et les premières statistiques disponibles confirment cette orientation positive pour l’actuelle XIVe législature, dont 88 % des lois font déjà l’objet d’une mise en application partielle ou totale.

La mise en application des lois est une priorité forte du Gouvernement depuis le début du quinquennat. Dès son entrée en fonction, Jean-Marc Ayrault avait confirmé à l’époque l’objectif fixé de faire paraître les décrets d’application de toutes les lois nouvelles dans un délai maximum de six mois. Cet engagement a été repris par le nouveau Premier ministre.

Il faut le rappeler, telle ne fut pas le cas sous la précédente majorité. Je prendrai un seul exemple, celui de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Les premiers décrets d’application sont intervenus un an après l’adoption du texte par le Parlement et se sont par la suite échelonnés sur toute la durée de la fin du quinquennat. Ils n’avaient pas tous été pris en 2012.

La garde des sceaux, Christiane Taubira, qui était présente dans cet hémicycle jeudi dernier, rappelait à cette occasion que, en mai 2012, deux décrets de cette loi n’avaient toujours pas été pris. Comme l’avait d’ailleurs souligné le rapport de notre collègue Jean-René Lecerf, l’insuffisance de moyens, l’inertie administrative, le manque de volonté politique ont été autant de raisons pour lesquelles cette loi n’a pas été à la mesure des espoirs qu’elle avait pu soulever. Il a donc fallu attendre un nouveau garde des sceaux, Mme Taubira, pour que tous les décrets puissent enfin être pris.

Cet exemple n’est malheureusement pas unique. À partir de juin 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a dû mettre en application un certain nombre de lois héritées de la majorité précédente. J’ai donc été très heureux que notre actuel secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, réitère l’engagement du Gouvernement quant à la bonne application des lois, lors de son audition par la commission sénatoriale.

Je profite d’ailleurs de cette occasion pour répondre à une attaque que je qualifierai de quelque peu sournoise : certains voudraient nous faire croire que la multiplication des amendements votés en séance, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, entraînerait une avalanche de demandes de textes réglementaires, et que ce sont les amendements votés par les parlementaires qui seraient responsables de l’allongement des délais pour la prise des décrets.

Il ne faut pas chercher de mauvaises excuses, me semble-t-il. Le pouvoir d’amender fait partie des droits et prérogatives des parlementaires. C’est indispensable, d’autant que nous n’avons pas beaucoup de possibilités, il faut bien le dire, de faire évoluer les lois. Nous utilisons donc cette faculté d’amender, qui nécessite parfois des décrets, mais je crois que c’est au Gouvernement de tenir compte de ce que vote le Parlement et de prendre les décrets dans les délais qui s’imposent.

J’ai noté, dans le rapport présenté par David Assouline, deux données sur lesquelles il convient de mettre un accent particulier.

Je citerai tout d’abord les taux et délais de mise en application des textes issus de l’initiative parlementaire qui, cela a été dit à plusieurs reprises à cette tribune, sont pour le moins nettement inférieurs à ceux des textes issus du Gouvernement, bien que la réforme constitutionnelle de 2008 ait permis de saines évolutions.

Par ailleurs, et je le note aussi avec beaucoup de regret, le fait que les textes issus du Sénat soient traités de manière moins favorable que ceux qui sont issus de l’Assemblée nationale n’est pas acceptable. Y aurait-il une discrimination à l’encontre du Sénat ? Je ne veux pas le croire, bien sûr.

D’ailleurs, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, lors de l’audition précitée, nous a rassurés, car il a jugé qu’une telle différence était inacceptable. Néanmoins, même si nous avons l’appui du Gouvernement, c’est à nous, sénateurs, de demeurer extrêmement vigilants.

Contrôler l’application des lois, ce n’est pas simplement une affaire de comptabilité, même si cette dernière est indispensable : il faut en effet tenir le décompte des décrets pris et de ceux qui font défaut. Toutefois, le plus important, c’est l’évaluation.

M. Philippe Kaltenbach. Le travail réalisé par la commission que préside David Assouline est à cet égard remarquable, puisqu’un nombre important de rapports est rendu régulièrement, ces rapports étant confiés chaque fois à un binôme de rapporteurs de sensibilités politiques différentes. Le point de vue adopté est donc élargi et confère plus d’impartialité à ces rapports.

L’objectif est de préparer et de faciliter le travail législatif du Sénat, en lui fournissant des bilans sur l’application de législations en vigueur, notamment celle que le Gouvernement se propose de modifier. J’ai ainsi été rapporteur, avec ma collègue Muguette Dini, sur l’application des dispositions de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie relative à la création de l’auto-entrepreneur. D’ailleurs, le rapport que nous avons rendu a permis, je le crois, une évolution du texte de Mme Pinel : à l’origine défavorable à l’auto-entrepreneur, il a évolué dans un sens plus équilibré.

Actuellement, je travaille avec Jacqueline Gourault sur l’évaluation des dispositions législatives récentes sur la lutte contre la précarité dans la fonction publique et l’intégration des contractuels. Ces rapports ont pour objet de faire le point sur les évolutions législatives et de proposer des recommandations.

Vous le constatez, la commission a adopté une approche résolument qualitative. En effet, l’inapplication de la loi peut aussi résulter de dispositifs mal adaptés, trop ambitieux ou dont les effets n’avaient pas été convenablement anticipés au moment de leur élaboration.

De nombreuses questions se posent. Les moyens nécessaires ont-ils été déployés ? La loi a-t-elle répondu aux attentes qui justifiaient son adoption ? Faut-il aujourd’hui l’abroger, la modifier, et si tel est le cas, dans quelle direction ? Le nombre de ces interrogations est tel que l’enjeu du « mieux légiférer » fait aujourd’hui l’objet d’une prise de conscience croissante de la part de l’ensemble des sénateurs, et je l’espère au-delà.

À ce propos, je me félicite de constater que cette prise de conscience est aussi valable en ce qui concerne l’amélioration des normes des collectivités territoriales. En effet, le 17 octobre dernier, un Conseil national en charge de l’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements a été créé, sur l’initiative du Sénat.

Je tiens à saluer le travail de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault, qui avaient déjà déposé une proposition de loi en ce sens en décembre 2012. C’est une très bonne nouvelle, pour résoudre le problème de l’excès de normes, du point de vue aussi bien du volume que de leur complexité, et elle était particulièrement attendue par les maires et les élus locaux.

Pour conclure, je souhaiterais vous dire, mes chers collègues, qu’il est aujourd’hui indispensable de développer des bases de données ouvertes, ce que l’on appelle des open data, pour que l’information soit accessible à tous. Cette évolution va dans le sens souhaité par la commission : permettre à tous, citoyens, associations, de suivre les travaux parlementaires et gouvernementaux.

Nous le savons, aujourd’hui, certains sites recensent notre activité et sont régulièrement consultés. Il ne serait pas illogique que la publication des textes d’application fasse l’objet de la même vigilance citoyenne. Cette innovation pourrait compléter efficacement le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

L’ouverture de l’accès à ces données améliorerait la transparence, renforcerait le contrôle exercé par nos concitoyens et favoriserait leur mobilisation. J’encourage donc le Gouvernement à s’inscrire dans cette dynamique le plus rapidement possible.

Monsieur le secrétaire d’État, pour paraphraser Montesquieu, « les décrets oubliés affaiblissent les lois nécessaires ». Nous comptons sur vous et sur l’ensemble de vos collègues du Gouvernement pour garantir que les lois adoptées par le Parlement entrent bien en application, puis pour tenir compte de l’évaluation législative assurée par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les présidents de commission, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, les chiffres essentiels ont tous été cités, les remarques pertinentes ont toutes été formulées.

Aussi, je consacrerai les minutes qui me sont imparties à quelques remarques que d’aucuns jugeront peut-être quelque peu iconoclastes. Mon propos viendra appuyer ce que Mme Blandin a dit précédemment sur « le miroir de notre impuissance ».

Nous travaillons énormément : cumulées, nos heures de travail représentent un volume tout à fait colossal. Nous votons nombre de lois et d’amendements. Toutefois, ce constat a été rappelé, seuls 24 % des amendements d’origine sénatoriale sont suivis d’effet. Qu’est-ce que cela signifie ? Que seul un quart de nos amendements a une portée effective !

Prenons l’exemple d’un rapport récemment publié par la commission pour le contrôle de l’application des lois, au sujet de la loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Ce document a été suivi d’effet, puisque la loi de programmation militaire a permis de corriger un aspect de ce texte, qui semblait particulièrement contre-productif. Or, six mois après la modification législative censée améliorer la situation, qui fait doublement écho au travail sénatorial, il ne s’est toujours rien passé ! Les associations de victimes désespèrent de voir un jour une évolution se dessiner.

Au reste, un membre très compétent du cabinet du ministre de la défense me l’a dit en toute franchise : « Nous avons modifié la loi, mais il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore. » Cette réflexion résume assez bien le travail réalisé par le Sénat !

Mes chers collègues, la question n’est pas : « Les lois que nous votons sont-elles efficaces ou non ? », mais tout simplement : « Le travail accompli par la Haute Assemblée est-il utile ou non ? »

À cet égard, je tiens à signaler que les rapports rédigés par notre commission pour le contrôle de l’application des lois sont invoqués de manière extrêmement intéressante par les universités : un certain nombre d’universitaires en déduisent que notre institution ne sert plus à rien. Cette vision mérite, à mes yeux, d’être prise en compte ! (Exclamations.)

En lisant le rapport de cette année, on constate que, dans la moitié des cas, notre travail reste inutile, et que, dans l’autre moitié, une fois sur deux les textes législatifs ne sont pas complétés des décrets d’application nécessaires.

Regardons en face la réalité de notre pays, aujourd’hui : le chômage peine à baisser ; les Français sont les champions du monde pour la consommation des antidépresseurs ; et, en cette fin d’après-midi, tout le monde n’a qu’une hâte, dans cet hémicycle, c’est d’aller regarder le match de football, avec l’espoir que la France gagnera et qu’un miracle s’ensuivra, permettant de remonter le moral des uns et des autres ! (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Notre collègue n’aime donc pas le football ? (Sourires.)

Mme Corinne Bouchoux. Le travail de cette commission est utile, dans la mesure où il permet de réunir des sénateurs appartenant aux diverses commissions permanentes. Le Sénat travaille en silo. Les commissions agissent chacune de leur côté. Ce travail en commun nous permet de constater combien les problèmes sont complexes, combien la transversalité est essentielle.

Je tiens également à saluer l’énergie avec laquelle M. Assouline conduit les travaux de cette commission, qui, je le répète, est intéressante par ses méthodes de travail. Elle repose sur l’échange des expériences, elle traduit les interrogations sur l’utilité et sur le sens de notre action.

Néanmoins, lorsqu’on regarde l’année écoulée avec des lunettes écologistes, on ne peut qu’être désappointé, pour ne pas dire très déçu, par les textes appliqués.

La lenteur avec laquelle les textes sur les lanceurs d’alerte sont entrés en vigueur a été, pour nous, une déception extrême. Les décrets d’application viennent tout juste d’être publiés !

Bref, le bilan de l’année est à tout le moins en demi-teinte. Malgré tout, nous aimerions y voir une promesse pour l’avenir. Nous espérons que les points de vue que nous avons défendus, les idéaux auxquels nous croyons et l’ensemble de nos initiatives seront un peu mieux pris en compte.

Nous en sommes persuadés, le travail de cette commission sénatoriale est tout à fait représentatif de la crise que traverse actuellement notre régime politique. Le Parlement peine à se faire entendre. Sauf à se rouler par terre et à menacer de ne pas voter le budget, les parlementaires n’existent pas !

Mme Corinne Bouchoux. Le sort réservé à ces travaux, de grande qualité, illustre les limites du système actuel. Aussi appelons-nous de nos vœux une réflexion collective quant à l’évolution de la Ve République. Nous espérons que les conclusions formulées par les divers présidents de commission seront entendues. Que l’on passe de l’impuissance à l’efficacité : c’est tout ce que nous attendons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre mission d’évaluation des politiques publiques est indispensable. Évaluer le pouvoir exécutif, c’est le contrôler. Il s’agit d’assurer le respect d’un principe fondateur de notre République démocratique : la séparation équilibrée des pouvoirs.

Ainsi, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, je ne peux que me réjouir du travail que vous avez mené. Je reconnais son utilité, même si plus d’objectivité et de neutralité eussent été appréciables. (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste son étonnement.)

Quoi qu’il en soit, vos travaux visent à atteindre l’objectif d’amélioration de nos institutions, en mettant en exergue les dysfonctionnements qu’il convient de corriger. Cet objectif est atteint !

Votre rapport pointe plusieurs obstructions gouvernementales ayant pour effet de restreindre les prérogatives parlementaires, d’affaiblir la qualité du travail législatif et de porter atteinte aux droits de nos concitoyens.

Nous ne pouvons tolérer de telles entraves. Nous devons, ensemble, contraindre le Gouvernement à respecter ses obligations constitutionnelles. Nous devons en particulier disposer du temps suffisant pour analyser les textes qui nous sont soumis et les conséquences qu’ils emportent, en bénéficiant de l’ensemble des données existantes, afin que le travail législatif soit respecté.

Pour ma part, j’ai relevé trois catégories de problèmes qu’il faut résoudre de toute urgence, que l’on appartienne ou non à l’opposition d'ailleurs, afin de rétablir l’équilibre de nos institutions démocratiques.

Premièrement, nos droits et nos devoirs de parlementaires sont trop souvent limités. Ce n’est pas tolérable.

Chers collègues de la majorité, vous dénonciez, sous la précédente législature, l’usage excessif de la procédure accélérée. Nous constatons que, sitôt au pouvoir, vous poussez plus loin encore dans cette voie, malgré vos critiques d’autrefois !

De plus, les auteurs du rapport précisent que cette procédure est trop souvent actionnée à mauvais escient. En effet, si le Gouvernement invoque fréquemment l’urgence, il semble que cet impératif disparaisse sitôt le vote passé : on déplore un retard considérable dans la parution des décrets d’application.

J’ai pointé cette incohérence au sujet de la loi du 22 juillet 2013, relative à la représentation des Français établis hors de France. Les décrets d’application de ce texte sont parus huit mois après son adoption, et, surtout – c’est là le plus grave –, six jours avant le délai limite du dépôt des candidatures pour les élections consulaires découlant de cette réforme.

De surcroît, les atteintes portées par le Gouvernement au travail parlementaire se traduisent par la médiocrité des documents qui sont mis à notre disposition.

Certes, le Parlement demande sans doute un trop grand nombre de rapports, mais la qualité de ces documents ne doit pas pour autant en être affectée ! Il en va de même des études d’impact, qui conditionnent le déroulement de nos travaux. À cet égard, je citerai un autre exemple frappant : l’étude d’impact de la prochaine réforme territoriale, dont le contenu est insignifiant et qui n’apporte aucune donnée concrète quant aux effets réels du projet gouvernemental…

Dans ces conditions, comment pouvons-nous prendre position ? Comment pouvons-nous juger du bien-fondé d’une telle réforme, aux objectifs emblématiques, lorsque ses conséquences, faute d’être évaluées, restent inconnues ? Surtout, monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement lui-même peut-il être convaincu de son effectivité ? Ce flou complet nous prive des moyens de construire un cadre légal solide et cohérent. Notre droit d’évaluer l’action du Gouvernement s’en trouve entravé.

L’atteinte manifeste aux pouvoirs du législateur se fait également jour via la publication des circulaires ministérielles. Ces textes sont censés se borner à l'interprétation stricte de la loi, mais le pouvoir exécutif en détourne l’esprit. Dès lors, il néglige la hiérarchie des normes, principe qui définit pourtant l’État de droit.

Deuxièmement, le Gouvernement traite les parlementaires de manière inégale, alors même qu’ils sont tous les représentants de la nation.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. C’était pis avant !

M. Christophe-André Frassa. D’une part, cette inégalité s’observe pour la parution des décrets d’application des lois, laquelle est curieusement plus rapide lorsqu’il s’agit de réformes procédant de l’initiative gouvernementale. De fait, le Gouvernement donne la priorité aux lois qu’il soutient par rapport aux autres.

D’autre part, le Gouvernement exprime une préférence entre les lois votées sur l’initiative de l’Assemblée nationale et les lois votées sur l’initiative du Sénat. Ces dernières sont reléguées au second plan. Pourquoi ? Est-ce au nom d’un bicamérisme inégalitaire ?

Troisièmement, le rapport indique que le choc de simplification annoncé s’est transformé en un choc de complexification. Non seulement l’inflation normative se confirme, mais les projets de loi deviennent de plus en plus technocratiques, ambigus et incompréhensibles.

Cette complexité peut s’expliquer par les multiples amendements parlementaires déposés. Néanmoins, ne peut-on considérer que la nécessité de défendre des amendements résulte du fait que, bien souvent, le projet de loi initial manque de fond, qu’il n’est pas assez ambitieux ou qu’il n’atteint pas les objectifs fixés ? La précipitation avec laquelle nous sommes contraints de travailler ne nous permet pas de consacrer une réflexion sereine à la loi.

En conclusion, mes chers collègues, nous aurions fort à faire pour contrôler davantage l’action gouvernementale. Que nous y parvenions : tel est le vœu que je forme pour les prochains mois ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Karoutchi, je note en préambule que nous étions tous émus, et vous le premier, en entendant subrepticement, il y a quelques instants, les accents de La Marseillaise !

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, qui étaient d’une très grande richesse et d’une très grande diversité. Le temps nous est compté, et je ne pourrai répondre de manière exhaustive à chacune et à chacun d’entre vous. Toutefois, vous le savez, je suis à votre disposition pour poursuivre nos discussions quand vous le souhaitez.

Dans un premier temps, je tiens à rappeler quelques constats d’ensemble.

Tout d’abord, je salue le bilan de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en rendant hommage à son président : depuis sa création, cette commission a rédigé quatorze rapports et organisé onze débats en séance publique. Ces chiffres prouvent qu’il s’agit d’une institution vivante au sein de la Haute Assemblée !

Certes, cette commission souligne le faible taux des rapports rendus par le Gouvernement, mais elle met l’accent sur l’explosion des demandes. Pour la XIIIe législature, le nombre de ces documents s’est élevé à 900 ! De tels volumes sont intenables pour le Gouvernement. Ces demandes devront être mieux circonscrites à l’avenir, faute de quoi les rapports les plus éclairants continueront de passer inaperçus, d’être éclipsés par d’autres études parfois moins bien ciblées.

Je souhaite répondre, à présent, aux divers orateurs qui se sont exprimés.

M. Dilain s’est prononcé au nom de la commission des affaires économiques. Je reviendrai, en écho, sur deux textes de loi qu’il a cités.

Premièrement, il a évoqué la loi du 8 décembre 2011 relative au certificat d’obtention végétale. Ce texte résulte d’une proposition de loi sénatoriale. C’est vrai, le Gouvernement a pris du retard à ce sujet, notamment du fait de l’adoption de la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon. Toutefois, un premier décret a été adopté le 27 juin dernier, en vue de remplacer le Comité pour la protection des obtentions végétales par l’instance nationale définie via ladite loi. Trois autres décrets sont en voie d’achèvement. Ils seront prochainement transmis au Conseil d’État.

Deuxièmement, M. Dilain a évoqué la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR ». La commission des affaires économiques a relevé que ce texte impliquait un très grand nombre de mesures d’application – 177 pour être exact ! Comment voulez-vous que l’exécutif puisse adopter simultanément toutes les dispositions nécessaires ? Il faut bien sûr établir des priorités. Il est certain que les administrations ne pourront pas rédiger tant de décrets en six mois. Il apparaît clairement que, sur ce plan, le travail parlementaire aurait dû mieux hiérarchiser les enjeux.

M. Daniel Reiner a insisté sur les difficultés d’application de la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. J’indique à son intention qu’un projet de décret fait actuellement l’objet de concertations interministérielles. Ce document a déjà été examiné par la direction générale de la gendarmerie nationale et par le comité technique de la police nationale. Il sera, dès le mois de juillet prochain, proposé au comité technique ministériel et devrait être publié dans la foulée.

Mme Catherine Génisson a relevé, au nom de la commission des affaires sociales, que les lois d’origine parlementaire étaient moins bien traitées, au stade de leur application, que les textes d’origine gouvernementale.

Je l’ai déjà dit devant cette commission : il n’est pas acceptable que certaines lois n’aient fait l’objet d’aucune mesure d’application, alors même qu’elles sont adoptées depuis plusieurs mois. Je tiens à rassurer la Haute Assemblée quant à deux textes relevant, notamment, du champ des affaires sociales.

Pour la loi sur les soins psychiatriques, un sujet sur lequel m’a interrogé Mme Catherine Génisson, un premier décret fixant la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention a été transmis au Conseil d’État le 17 juin dernier ; un second décret relatif aux droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques est actuellement examiné par la Haute Autorité de santé, qui rendra son avis en juillet prochain.

Enfin, pour la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, les derniers décrets sont en cours de finalisation, et la loi sera effectivement applicable à l’automne prochain.

Marie-Christine Blandin, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, a évoqué deux grandes lois adoptées à l’été de 2013 : la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi ESR ».

Je concentrerai ma réponse sur la loi ESR, qui cristallise, je le sais, de nombreuses interrogations, et sur laquelle je reviendrai. Dix mesures doivent encore être prises pour garantir la mise en application complète de cette loi ; plusieurs d’entre elles entreront en vigueur avant la rentrée universitaire de 2014, nous pouvons nous y engager. Sept projets de décrets sont actuellement soumis à l’avis de certains organismes pour les consultations obligatoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fournirai évidemment la liste complète de ces textes, comme vous le souhaitez.

J’en viens aux remarques formulées par Michel Teston au nom de la commission du développement durable.

Je lui donnerai une information qui sera également appréciée, j’en suis sûr, par la présidente de la commission de la culture : la loi d’avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte devrait bientôt être intégralement applicable. Deux projets de décrets qui portent sur les modalités de tenue du « registre des alertes », d’une part, et sur la composition et le fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, d’autre part, seront publiés très prochainement.

J’en viens maintenant à l’intervention de M. Marini, qui a tout particulièrement insisté sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. J’ai noté l’approbation que suscitaient, sur différentes travées, les questions non seulement techniques, mais aussi politiques, qu’il posait.

Le Gouvernement est conscient des points que vous avez soulevés, monsieur Marini, et il faudra donc bien que, de ce point de vue, il progresse dans sa réflexion. Vous avez eu raison de souligner l'importance de ce sujet, sur lequel nous avons pris du retard. Je peux toutefois vous rassurer : sur la quinzaine de décrets au moins qui doivent être publiés, dix le seront avant la fin de l’année, et ils sont aujourd’hui soit devant des instances consultatives, soit devant le Conseil d’État, soit dans le circuit des contreseings.

Malgré ce chiffre encourageant, je vous accorde que le Gouvernement doit encore faire des efforts pour favoriser l’application de ce texte. Votre bilan, monsieur Marini, était donc un peu trop sévère, mais il méritait d’être dressé.