M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame la présidente Éliane Assassi, vous avez évoqué plusieurs principes législatifs généraux qui régissent l’activité de nos assemblées, sur lesquels vous avez fait un certain nombre de commentaires, à l’instar d’ailleurs de l’une de vos collègues du groupe écologiste, même si c’était dans un sens quelque peu différent. Je comprends tout à fait le sens vos remarques, mais elles dépassent la stricte nature de notre débat, même si elles sont importantes dans votre démarche.

Comme d’autres de vos collègues, vous avez abordé la question des études d’impact, peut-être, justement, avec un sens de l’impact lié à la conjoncture… (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Pas seulement !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. J’aimerais tout de même que vous soyez d’accord avec moi pour reconnaître la ténacité de la commission, qui a fait largement progresser le travail parlementaire.

Mme Éliane Assassi. Je l’ai dit !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Vous l’avez en effet noté, et je vous en remercie.

Madame Nathalie Goulet, vous m’avez interrogé sur plusieurs points, notamment les lanceurs d’alerte, sur lesquels je suis déjà intervenu, et sur l’action de groupe. Sur cette dernière question, nous partageons votre préoccupation : c’est un sujet essentiel, et je sais à quel point le Sénat a été précurseur en la matière. Je suis donc heureux de pouvoir vous annoncer que le décret sera publié au début du mois d’octobre prochain. Par conséquent, nous avançons.

Monsieur Kaltenbach, au nom du groupe socialiste, vous avez souligné que le renvoi à des mesures réglementaires était parfois, pour le législateur, un « écran de fumée » qui, dans les faits, retardait la mise en application des lois. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Nous gagnerions du temps si nous limitions effectivement les renvois à des textes réglementaires et, a fortiori, à des décrets en Conseil d’État ! Sachez que M. Serge Lasvignes, le secrétaire général du Gouvernement, va tout à fait dans votre sens et qu’il fait tout ce qu’il peut lors de l’examen des avant-projets de loi pour écarter ce type de tentations.

Madame Corinne Bouchoux, représentante du groupe écologiste, vous avez soulevé une interrogation très radicale sur le fonctionnement du Parlement et, plus largement, des institutions de la République. Il ne m’appartient pas de répondre aujourd’hui à une telle question, même si c’est évidemment ce type d’interrogations qui peut nous conduire, les uns et les autres, à poser de façon nouvelle un certain nombre de questions politiques.

Prenons garde toutefois, dans le contexte actuel, à ne pas trop insister sur l’idée que nous serions impuissants. Même si je comprends vos préoccupations, cela pourrait induire chez nos concitoyens le sentiment que nous ne servons pas à grand-chose, ce qui n’est pas forcément très bon et ce qui est sans doute quelque peu exagéré.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Enfin, monsieur Christophe-André Frassa, vous avez évoqué un sujet particulier : la publication tardive du décret portant réforme de l’AFE, l’Assemblée des Français de l’étranger.

Je déplore, comme vous, que ce décret n’ait été publié que le 4 mars dernier, c’est-à-dire très peu de jours avant le scrutin. Néanmoins, je vous rappelle que ce décret avait un périmètre extrêmement large, puisqu’il contenait l’ensemble des règles spécifiques pour l’élection des conseillers consulaires. Comme vous vous en doutez, ce type de décret demande un travail technique très minutieux et de très nombreuses concertations ; il était donc impossible de rédiger un tel texte en quelques semaines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai pas répondu à toutes vos questions. Néanmoins, après le travail en commission, je crois que nous avons pu avoir cet après-midi un bon débat. Vous savez que je suis à votre disposition tout au long de l’année pour compléter mon propos. Je vous remercie, en souhaitant bonne chance à l’équipe de France de football ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan annuel de l’application des lois.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente. Vous avez donc tout le loisir d’aller regarder la retransmission du match de football qui oppose la France au Nigeria ! (Sourires.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Débat sur la Corse et la réforme territoriale

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la Corse et la réforme territoriale, organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Nicolas Alfonsi, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Nicolas Alfonsi, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir, comme l’ensemble de la communauté nationale, de ce nouveau succès de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde. J’y vois l’expression d’une solidarité que nous souhaiterions voir s’étendre à de nombreux autres domaines !

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre d’avoir accepté ce débat, même si je me demande s’il est encore d’actualité. Vous devez savoir, mes chers collègues, que nous étions convenus de l’organiser à la fin du mois de mai, mais que nous avons été obligés de le repousser pour ne pas déflorer les propos que devait tenir M. le ministre lors de son voyage en Corse.

Durant ce voyage, monsieur le ministre, vous avez apporté un certain nombre de clarifications nécessaires sur la situation de l’île, mais vous avez, en même temps, laissé quelques zones d’ombre. Il sera donc peut-être nécessaire que vous précisiez votre pensée.

Notre débat d’aujourd'hui porte sur l’organisation territoriale de la Corse, alors que, dans notre esprit, il devait permettre d’évoquer tous les problèmes de l’île, ce que je ne pourrai finalement faire que de manière extrêmement cursive.

Pour bien comprendre le débat, il faut avoir à l’esprit deux éléments qui sont, à mon avis, fondamentaux.

Premier élément, il existe une revendication permanente de « légitimité » de la part de l’Assemblée de Corse et de ses élus. C'est bien entendu une pseudo-légitimité : la revendication permanente de droits qui ne relèvent pas des compétences de l’institution, comme celui de voter des motions, rend le débat extrêmement difficile.

Le second élément est ce sentiment permanent que, en Corse, nous sommes différents. Si je caricaturais, je dirais qu’il suffirait que la République devienne un État fédéral pour que nous nous sentions obligés de demander, au nom de cette différence, l’indépendance de la Corse !

Tant que l’État ne « s’imprègne » pas de cette propension à revendiquer en permanence et une légitimité et une différence, il est évident que le dialogue devient très problématique.

Si l’on regarde en arrière, on constate qu’il y a en quelque sorte une fatalité décennale de la réforme : 1982, puis 1992, puis 2002 et enfin 2012. Il se trouve que l’Assemblée de Corse a été élue, à gauche, en 2010 ; depuis cette date, il ne s’écoule pas un mois sans qu’on remette en chantier la réforme « institutionnelle » ou « constitutionnelle » – ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Ce débat récurrent vient de s’achever par les trois délibérations qu’a adoptées l’Assemblée de Corse et que vous connaissez, monsieur le ministre.

La première porte sur la co-officialité, que j’évacuerai d’un trait : vous avez dit à Ajaccio ce que nous attendions ; n’en parlons plus ! Pour ce qui me concerne, je serai toujours partisan d’une révision constitutionnelle – c'est le fameux engagement 56 du candidat Hollande – qui concernerait toutes les régions. En revanche, j’ai toujours manifesté mon opposition totale, comme vous d’ailleurs, à des dispositions qui seraient spécifiques à la société corse, sans qu’existe aucun dispositif semblable ailleurs sur le territoire de la République.

Je vous lis un extrait de la délibération : « Le corse et le français, en tant que langues officielles sur le territoire administré par la collectivité territoriale de Corse, peuvent être employés indistinctement par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités privées ou publiques. » N’en parlons plus ! Vous avez dit sur le sujet ce qu’il fallait dire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’y revenir.

La deuxième délibération porte sur le statut de résident.

Je le rappelle, ne pourront acheter en Corse que des personnes totalisant cinq années de résidence, que ce soit des personnes physiques ou – vous avez à juste titre insisté sur ce point – morales. On sait ce qui risque de se passer avec les personnes morales !

J’ajoute que, dans les contorsions auxquelles on s’est livré sans relâche pour tenter de trouver une place à ce qu’on appelle la « diaspora », a été inventé un dispositif qui devrait vous réjouir, monsieur le ministre : finalement, vous pourriez acheter un petit coin de ce village corse de votre enfance ! En effet, le texte ouvre la possibilité d’acheter à toute personne pouvant justifier que le « centre [de ses] intérêts moraux et matériels » est en Corse. Vous imaginez l’imbroglio juridique que pourrait provoquer cette situation surréaliste que l’on tente de nous imposer ! Mais j’ai trop de respect pour les élus pour leur dire que ce ne sont là que des sottises…

Quoi qu'il en soit, ce texte a été voté. Toutefois, j’observe qu’il le fut à une majorité que je qualifierai de « descendante », puisqu’il n’y a eu que 29 voix pour.

J’en viens au troisième problème, qui me paraît le plus fondamental, à savoir la réforme constitutionnelle. Sur ce point, je dois dire que je n’ai pas réussi à décrypter vos propos, même si, dans le discours que vous avez lu, chaque mot était évidemment pesé.

Une délibération visant à solliciter l’introduction dans la Constitution d’un article 72-5 sur la Corse a été adoptée par l’Assemblée de Corse. Ce n’est pas du fétichisme, mais je note que cette délibération a été votée aussi bien par la droite que par la gauche. C’est l’auberge espagnole ! En effet, pour les nationalistes et une partie de la gauche, il s’agit d’introduire dans la Constitution le statut de résident ; pour la droite, le droit de chasse et le droit de pêche ! Tout cela ne peut pas prospérer, et ce à cause du FLNC.

À lire le texte de la délibération, on voit que l’Assemblée de Corse demande que soit engagée une discussion approfondie avec les élus de la Corse sur la proposition de création d’un article 72-5.

Quant au FLNC, simple question de sémantique, il reprend l’idée de la discussion approfondie entre les élus de la Corse et l’État. En effet, je relève que, dans sa dernière déclaration – je vous rassure tout de suite, mes chers collègues, je ne m’échinerai pas, et je ne l’ai d’ailleurs jamais fait, à commenter les propos de l’organisation clandestine ni à discuter avec elle –, le FLNC demande aux élus insulaires « l’instauration d’un nouveau statut négocié avec l’État français ». Tout est dit !

D’un côté, on a une délibération de l’Assemblée de Corse qui demande l’ouverture d’une discussion avec l’État sur la réforme constitutionnelle et, de l’autre, le FLNC qui veut exactement la même chose ! Pourquoi ? Parce que, depuis dix ans, la question a simplement porté sur la préoccupation des nationalistes – modérés ou non, je n’entre pas dans ce genre de distinction, qui me dépasse – de discuter sur un pied d’égalité avec l’État. L’idée est d’établir un parallèle avec la Nouvelle-Calédonie.

Cependant, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’article 77 de la Constitution approuve les accords de Nouméa et de Matignon et énumère toutes les compétences transférées : il n’y a donc plus de problème constitutionnel ! En Corse, le rapport de force étant ce qu’il est, on ne peut pas aller très loin. Mais il faut prendre acte, monsieur le ministre, du fait qu’il existe une volonté souterraine et constante d’établir des rapports d’égalité – voilà la fameuse légitimité dont je parlais au début de mon propos ! – entre les élus de la Corse et l’État.

Vous avez évoqué l’histoire de la Corse et son insularité. Vous estimez que « l’histoire de la Corse, son insularité, son identité peuvent naturellement justifier cette aspiration à la singularité institutionnelle ». Institutionnelle ou constitutionnelle, monsieur le ministre ? C’est tout le débat !

J’attends encore qu’on nous apporte une réponse. Pendant quatre ans, on a évoqué ce problème en permanence ; il serait peut-être temps, au lieu de toujours invoquer l’absence d’une majorité au Congrès pour différer une réforme constitutionnelle, que, à un moment donné, le Président de la République se forge lui-même une opinion sur le fond et qu’il nous dise s’il est pour ou contre.

Voici ce que j’ai notamment pu lire : « Cette aspiration à la singularité institutionnelle… », « Le Gouvernement sera attentif aux propositions dont vous le saisirez… », « J’observe que le dialogue est engagé dans cette perspective… », « Ces discussions sont sans tabou… », « Notre Constitution admet le droit à l’expérimentation des territoires de la République… » Certes, mais quels territoires ? L’article 72 de la Constitution permet bien que les collectivités territoriales prennent des initiatives pour sortir du cadre général, mais elles ne peuvent le faire que dans un cadre restreint et strictement défini ! J’évoque ici non plus la possibilité d’une expérimentation, mais bien le cadre constitutionnel. Soyons clairs, il s’agit là du seul vrai débat qui subsiste entre nous.

Il serait peut-être nécessaire que toute la lumière soit faite sur ce point : envisagez-vous, oui ou non, que le titre XII de la Constitution puisse être modifié à la demande des élus de la Corse, qui seraient placés sur un pied d’égalité avec l’État ? Un article 72-5 ne changerait strictement rien au principe d’égalité devant la loi, du préambule de la Constitution ou encore des principes fondamentaux invoqués régulièrement par le Conseil constitutionnel. Mais, sur le long terme, l’adoption d’un tel article pourrait poser une difficulté : il nous placerait dans une situation inextricable, car il impliquerait d’autres révisions constitutionnelles qui nous éloigneraient encore un peu plus de la République.

Ce problème nous interpelle. Au bout de quatre ans de palabres et d’échanges mensuels sur ce thème – comme si nous n’avions rien d’autre à faire en Corse ! –, après avoir fait travailler d’éminents juristes, tel Guy Carcassonne, après avoir réuni moult comités et payé de nombreuses études, bref, maintenant que nous arrivons au bout du chemin, il faudrait peut-être clarifier la situation !

Contrairement à Victor Hugo, qui, dans un discours sur l’enseignement, avait commencé par dire ce qu’il voulait, j’ai commencé par dire ce que je ne voulais pas. Maintenant, je peux dire ce que je veux ou, à tout le moins, ce que je souhaite…

Je souhaite que, dans le cadre de la réforme territoriale, nous engagions ensemble le débat sur l’adaptation institutionnelle du statut de la Corse, une adaptation à laquelle je ne me suis jamais opposé. Je sais bien que l’Assemblée de Corse a inspiré des amendements au texte présenté par Mme Lebranchu – à l’article 13, me semble-t-il. Mais ces amendements, discutés en commission, n’apportent que des modifications marginales. Ce qui importe véritablement, c’est que nous nous interrogions sur un certain nombre de problèmes de fond.

Je veux maintenant faire deux ou trois observations qui me paraissent importantes, étant entendu que je suis prêt à apporter mon concours sur les différents points que je soulève.

Les textes qui nous régissent actuellement me semblent devoir être modifiés sur certains aspects.

Premièrement, je veux évoquer le régime électoral.

Je me suis épuisé à obtenir du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel visant à consacrer le concept de « statut particulier ». Chose rare, le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, avait bien voulu, à Versailles, entendre ma préoccupation… Au demeurant, ce dispositif « fait des petits », puisque le Grand Lyon s’accroche maintenant à ce statut particulier.

J’avais obtenu du Sénat – et je lui en sais gré – une seconde réforme : l’augmentation de la prime accordée à la liste qui arrive en tête. Néanmoins, j’ai joué « petits bras », si j’ose m’exprimer ainsi, puisque cette réforme était trop étriquée. D’ailleurs, une des causes du désordre actuel des esprits me paraît résider dans l’absence de majorité.

Actuellement, cette prime à la majorité a été portée à neuf sièges, soit 17 % du nombre total de sièges, contre 25 % dans le régime national. Sur ce point, les Corses ne sont pas traités comme les autres : eux aussi devraient avoir droit à une prime qui leur permette de gouverner ! L’absence d’un tel dispositif rend la constitution de majorités extrêmement difficile. Vous savez mieux que moi que les accords passés ne sont généralement pas respectés !

Deuxièmement, je veux évoquer la disparition des départements.

Si j’ai toujours été fermement attaché au département, je finis par m’interroger… J’ai toujours pensé qu’il fallait éviter la recentralisation dans une collectivité comme la Corse, qui dispose actuellement, au total, d’un budget de 1 milliard d’euros ou un peu plus, ce qui est considérable. J’estimais aussi que les bêtises commises du fait d’une gestion départementale médiocre pouvaient être compensées par la vertu d’élus d’autres collectivités…

Selon la formule célèbre, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Je pensais, moi aussi, qu’il fallait diviser le pouvoir… Toutefois, avec l’expérience, plus rien ne me semble évident, sinon qu’une réflexion devrait aujourd'hui être menée sur ce point.

Pour terminer, une seule question vaut la peine d’être posée : le nouveau statut de la Corse doit-il être fait « à chaud » – pendant quatre ans, on a débattu de problèmes fictifs, qui ne correspondaient pas à des demandes fortes de l’opinion – et se précipiter pour s’insérer dans la réforme territoriale qui est engagée aujourd'hui ? Ou bien doit-on se donner le temps d’y réfléchir plus longuement, la Corse n’étant pas concernée par la réforme de la carte des territoires ?

Monsieur le ministre, voilà ce que je voulais vous dire avant la venue de Marylise Lebranchu en Corse, ce vendredi.

Cela étant, je pourrais parler encore longtemps…

Je pourrais parler des impôts. La situation fiscale de la Corse me fait un peu penser à celle de ces Napolitains qui meurent de faim, mais n’en sont pas moins saisis d’angoisse à la moindre fumerolle qui s’échappe du Vésuve !

Je pourrais parler de la loi Littoral. C’est bien connu : en Corse, chacun s’emploie à protéger un patrimoine qu’il ne possède pas ! Avec la loi Littoral, les élus sont en permanence sous la pression des associations. Je préside le Conseil des rivages de la Corse et suis le premier vice-président du Conservatoire du littoral depuis quarante ans – j’en suis la mémoire ! Nous avons acheté 200 kilomètres de côtes. Pourtant, dès qu’un élu veut élaborer un plan local d’urbanisme, les associations partent bille en tête ! Mais M. le préfet connaît la question mieux que moi ; il aura l’occasion de vous en parler.

Je pourrais m’interroger sur le programme exceptionnel d’investissements, qui, après avoir été prolongé de deux ans, arrive à échéance dans un an. Que fera-t-on quand il n’y aura plus d’argent ? Quelle sera la situation économique de la Corse quand les travaux publics seront amputés de 30 % de leur activité ?

Autant de questions que l’on pourrait soulever et dont on pourrait parler pendant des heures…

En conclusion, monsieur le ministre, j’attends des réponses. Je ne doute pas que ces réponses seront aussi claires que celles que vous avez livrées à Ajaccio lors de votre récent déplacement. Elles nous permettront de prendre acte de la position du Gouvernement au moment où s’engage la grande réforme territoriale.

Demeure une interrogation : les institutions dont l’île s’est dotée depuis trente ans lui ont-elles permis d’entrer dans la modernité, de provoquer son propre auto-développement ? Si les concours financiers massifs de l’État ont pu donner l’illusion que notre retard social, économique, culturel par rapport à la Nation était comblé, trop de connivences, trop de complicités, trop de non-dits, trop de refus d’assumer n’ont pas permis à la société corse de se libérer d’elle-même. Tous les progrès réalisés, dans quelque domaine que ce soit, tous les changements de comportement auront été accomplis par la société civile – à travers, notamment, la révolution informatique – plus que par les autorités publiques.

Au moment où s’engage une grande réforme territoriale, j’exprime le vœu qu’elle ne soit pas une occasion manquée pour la Corse, qui, vous le savez, monsieur le ministre, mérite sans doute mieux que la mauvaise réputation dont on l’affuble généralement. (Mmes Anne-Marie Escoffier et Colette Giudicelli applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Giraud.

Mme Éliane Giraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir porte sur « la Corse et la réforme territoriale ». Il a été inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe Rassemblement démocratique et social européen, plus particulièrement à votre demande, monsieur Alfonsi.

Le groupe socialiste et apparentés, au nom duquel j’interviens, se félicite qu’un débat consacré spécifiquement à la Corse ait lieu dans notre assemblée et vous remercie, mon cher collègue, de nous donner ainsi l’occasion de débattre de la réforme territoriale en Corse, même si j’ai bien compris que c’était évidemment la réponse du ministre qui vous importait.

Élue de la montagne, parlementaire de l’Isère et vice-présidente de la région Rhône-Alpes, je suis particulièrement sensible à la beauté et au charme de cette montagne posée sur la mer qu’est la Corse.

Vice-présidente de la Fédération des parcs naturels régionaux de France, j’admire la richesse des paysages et des territoires de la Corse, notamment ceux du merveilleux parc naturel régional, qui comporte d’extraordinaires réserves naturelles – je pense notamment à la réserve de biosphère de la vallée du Fango et à la réserve marine et terrestre de Scandola –, qui sont aussi de formidables réservoirs de biodiversité.

La Corse, sentinelle avancée en Méditerranée, mérite le soutien et l’investissement de la France en reconnaissance de ce qu’elle nous a apporté tout au long de notre histoire, mais aussi pour l’importance stratégique en Méditerranée qu’elle eut hier, qu’elle a aujourd’hui et qu’elle aura demain. La Corse nous concerne tous.

Ce débat s’inscrit dans une actualité parlementaire riche, avec la réforme territoriale et ses deux projets de loi : d'une part, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, d'autre part, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté au nom du Premier ministre, M. Manuel Valls, par la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu et le secrétaire d’État à la réforme territoriale, M. André Vallini, que j’ai l’honneur de remplacer au Sénat depuis sa nomination au Gouvernement.

Même si ma présence au Sénat est récente, je sais, monsieur Alfonsi, quels ont été votre engagement et votre travail continus dans la vie publique. Je tiens à rendre hommage à votre conviction et à votre ouvrage, défendant, dans le même temps, l’unicité de la République et la reconnaissance de la spécificité et des singularités de la Corse. Avec ce débat, en ce moment précis où notre pays engage une nécessaire réorganisation territoriale, vous montrez votre implication de responsable politique soucieux de l’avenir de la Corse, en apportant votre vision pour les années à venir.

Le Gouvernement de Manuel Valls, comme, hier, celui de Jean-Marc Ayrault, est particulièrement à l’écoute de la Corse et de ses habitants.

À la suite de l’adoption, le 27 septembre 2013, par l’Assemblée de Corse, d’une délibération comprenant plusieurs points – une proposition de modification de la Constitution, la mise en place d’une gouvernance propre à la collectivité territoriale de Corse, l’amélioration des procédures d’adaptation de la législation à la Corse, des modifications du statut particulier de la Corse –, les ministres Manuel Valls et Marylise Lebranchu ont rencontré, à Paris, le 22 novembre 2013, une délégation de quatorze élus de Corse. Il s’agissait de les entendre et de lancer avec eux un travail commun sur l’amélioration du fonctionnement des institutions.

Le 3 février dernier, Marylise Lebranchu, à Ajaccio, a installé un comité de travail sur l’organisation territoriale de l’île, composé des membres du comité stratégique de la collectivité territoriale et de représentants de l’État.

Le 14 avril dernier, une seconde réunion a permis d’échanger avec les membres du groupe de travail sur l’apprentissage de la langue corse – s'agissant du soutien apporté à la création d’un établissement public territorial –, sur les problèmes du foncier – concernant la création par la loi ALUR, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, d’un établissement public foncier régional qui permettra d’agir efficacement pour augmenter l’offre de logement – ou encore sur la création d’une taxe ou redevance au mouillage dans les réserves naturelles et les parcs marins.

Le 12 juin dernier, monsieur le ministre de l’intérieur, vous vous êtes rendu dans l’Île de Beauté pour poursuivre le travail engagé et élaborer des solutions efficaces, respectueuses du cadre constitutionnel et conformes aux attentes de nos concitoyens corses et des élus.

Ce travail, conduit en partenariat étroit avec les acteurs concernés, illustre bien la volonté du Gouvernement de donner toute leur place aux élus de Corse dans le travail d’élaboration en cours et de prendre la problématique corse à bras-le-corps.

Durant ces quarante dernières années, le statut juridique de la Corse a fait l’objet de nombreuses réflexions et connu des évolutions qui y ont renforcé la montée en puissance des responsabilités locales. Ainsi, avec la loi du 30 juillet 1982, la Corse devient une collectivité territoriale de plein exercice ; avec la loi du 13 mai 1991, de nouvelles compétences et ressources lui sont transférées ; la loi du 22 janvier 2002 amplifie le mouvement de transfert, la collectivité se voyant dotée de nouvelles responsabilités et d’agents appelés à exercer les missions considérées, et traite aussi de la question du patrimoine.

Une double priorité s'impose depuis 2002 : faciliter le développement de la Corse et renforcer ses infrastructures. Cela a notamment été permis par les engagements pris au titre du programme exceptionnel d’investissement mis en œuvre par Lionel Jospin, programme qui représente 2 milliards d’euros, à quoi s'ajoutent 450 millions d’euros au titre des financements européens ayant été mobilisés.

Grâce à ces investissements importants, la vie quotidienne des citoyens a connu de nombreuses améliorations : dans leurs déplacements, au niveau de la qualité de l’eau et de l’accès à celle-ci, pour la gestion et le traitement des déchets et pour les équipements publics. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, dans votre discours prononcé le 12 juin dernier, la Corse est la région française ayant connu la plus forte croissance économique au cours de ces dernières années.

Dans ce contexte, il est important que les efforts collectifs se poursuivent et qu’ils soient soutenus par le Gouvernement et le Parlement.

Les réflexions de Pierre Chaubon, le travail des élus corses et les réformes institutionnelles votées par l’Assemblée de Corse s’inscrivent dans une dynamique positive, faisant apparaître de nouvelles, et nombreuses, volontés.

Le travail doit donc se poursuivre pour parvenir à conforter l’évolution de la Corse et la volonté de ses habitants dans le respect des valeurs de la République, tout en sachant prendre en compte les singularités de ce territoire.

Si le regroupement des régions ne concerne pas la Corse, le calendrier électoral, lui, la concerne. La première élection générale des conseillers départementaux et des membres de l’Assemblée de Corse suivant la publication de la loi relative à ce regroupement se tiendra au mois de décembre 2015.

Donnant suite au rapport préparé par la commission des compétences législatives et réglementaires présidée par M. Pierre Chaubon, le projet de loi relatif à l’organisation territoriale de la République présenté le 18 juin dernier en conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat reprend plusieurs de ses propositions de nature à améliorer le fonctionnement des institutions en poursuivant le processus de renforcement des responsabilités déjà reconnues à la collectivité territoriale de Corse – CTC.

Ce faisant, le Gouvernement a fait le choix d’une réforme ciblée du statut législatif de la CTC sur la base des recommandations de l’Assemblée de Corse afin d’apporter une réponse immédiate aux attentes des acteurs locaux.

Parmi ces mesures, je mentionnerai d’abord la précision suivant laquelle le droit commun applicable aux régions s’applique à la Corse, afin qu’il ne soit plus nécessaire de mentionner spécifiquement celle-ci dans les lois et règlements applicables aux régions ; cela répond avant tout à un souci de simplification.

Je citerai ensuite : la possibilité donnée à l’Assemblée de Corse de faciliter les délégations de compétences à la commission permanente, afin d’introduire plus de souplesse dans son fonctionnement et dans ses relations avec le conseil exécutif ; la possibilité de faire inscrire une question à l’ordre du jour de l’Assemblée de Corse à la demande d’un cinquième de ses membres, de manière à renforcer la démocratie et le pluralisme ; la modification des règles de fonctionnement du conseil exécutif de Corse, selon les préconisations du rapport précité de la commission des compétences législatives et réglementaires de septembre 2013.

Enfin, je rappelle que, la programmation du plan exceptionnel d’investissement ayant pris du retard, il est proposé d’en prolonger de deux ans la mise en œuvre, en accord avec les partenaires locaux de la convention-cadre.

Le plan exceptionnel d’investissement, qui résulte d’une proposition du Gouvernement aux représentants élus de la Corse formulée au cours de l’été 2000, a été consacré par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse. Il prévoit une programmation sur quinze ans d’investissements publics destinés à combler les retards d’équipement dont souffrait la Corse dans plusieurs secteurs.

Ces thèmes ne manqueront pas d’être abordés par les membres du comité stratégique sur l'organisation territoriale de la Corse qui doit se tenir à la fin de la semaine, le 4 juillet, en présence de la ministre Marylise Lebranchu.

Comme vous aimez à le répéter, cher Nicolas Alfonsi, en reprenant des propos de Mendès France – votre seule référence, dites-vous, dans la vie publique –, un responsable ne se détermine jamais dans ses décisions par les conséquences, bonnes ou mauvaises, qu’elles pourraient avoir pour lui, mais en fonction de l’intérêt général.

Je crois que c'est ce que nous faisons, que c'est ce que fait le Gouvernement, et c'est cette même logique qui doit toujours prévaloir dans les rapports entre la France et la Corse. (Mmes Michèle André et Anne-Marie Escoffier applaudissent.)