Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que je n’aurai pas le même talent que mon ami Nicolas Alfonsi, car, même si j'ai quelques racines corses, je n’ai pas les mêmes « fondamentaux ».

Insularité, marginalité : voilà comment j'ai entendu certains Corses me présenter la Corse à l’occasion d’un déplacement, il y a de cela près de vingt ans. Depuis, on ne peut que se réjouir des changements intervenus…

La Corse est toujours aussi belle et les Corses toujours aussi « hors-norme » ; à nous de mieux les comprendre, de mieux entendre ce qu’ils sont, ce que leur culture et leur histoire leur ont donné d’irremplaçable, de spécifique.

Le déplacement que je viens d’évoquer précédait la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, qui faisait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier entrant dans le champ de l’article 72, premier alinéa, de la Constitution.

Depuis, la Corse et les Corses ont trouvé progressivement un mode de fonctionnement spécifique tout en respectant le droit commun applicable aux régions chaque fois que n’existe pas de dérogation à ce droit.

Ils ont expérimenté une large responsabilité en matière de compétences de leur collectivité, beaucoup plus larges que les compétences transférées aux autres régions du continent. Ils ont connu, avec l’Assemblée de Corse et le conseil exécutif, un mode de fonctionnement nouveau, qui a nécessité de leur part une véritable capacité d’adaptation.

Un peu plus de vingt ans après cette révolution – au sens premier du mot –, après cette réflexion – toujours au sens premier du mot – et cette réorganisation, il n’était pas illégitime que la Corse s'interrogeât sur son fonctionnement. Elle le fait en profitant de la réflexion globale sur la réforme territoriale qui s'impose à notre pays.

La Corse est soumise aux mêmes constats et aux mêmes contraintes que nos autres régions, départements et territoires : le redressement de notre pays, le développement de notre économie, le travail des jeunes et des moins jeunes, le besoin absolu de sécurité.

Mais, il faut bien l’admettre, toutes ces attentes sont formulées dans un contexte qui est compliqué par les problématiques liées à l’insularité. Les déplacements, leur coût, les délais, les approvisionnements, le tourisme, le respect de l’environnement et l’agriculture sont autant d’exemples qui, développés, montreraient bien la spécificité de l’île. Je n’évoquerai que deux problématiques : la réforme territoriale et la sécurité.

Je veux saluer la disponibilité et l’écoute de l’actuel et du précédent gouvernement, qui sont allés à la rencontre des élus de Corse pour entendre leurs besoins et leur apporter une réponse – pour m'être déplacée en compagnie de M. le préfet il n’y a pas très longtemps, je crois pouvoir en témoigner. Je sais fort bien que ni Marylise Lebranchu, ni Manuel Valls – alors ministre de l’intérieur –, ni vous-même, monsieur le ministre, n’avez ménagé votre peine.

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République consacre son article 13 à la Corse. Chers collègues, il nous reviendra d’examiner ce texte à l’automne et, je n’en disconviens pas, d’y apporter des améliorations, comme on le fait ici régulièrement…

Je veux néanmoins souligner que ce texte est le fruit de nombreux débats et rencontres – notre collègue Mme Giraud les a rappelées à l’instant – nées des propositions du rapport établi par la commission des compétences législatives et réglementaires sur les institutions particulières de la Corse, rapport présenté à la session de l’Assemblée de Corse de la fin septembre 2013.

Chacun s'était alors accordé à reconnaître la nécessité de remédier à des défauts susceptibles d’entraver le bon fonctionnement de l’Assemblée de Corse. À ce titre, le projet de texte prévoit quatre mesures principales, qui ont été énoncées tout à l’heure et que je rappelle très rapidement.

Première mesure : l’affirmation de l’applicabilité à la Corse de toutes les dispositions législatives qui concernent les régions et ne sont pas contraires à celles qui sont spécifiques à la collectivité territoriale de Corse – cette mesure n’a d’autre objectif qu’une simplification.

Deuxième mesure : la possibilité, pour l’Assemblée de Corse, de modifier la liste des compétences déléguées à sa commission permanente en cours de mandat. C'est une flexibilité opportunément reconnue aux membres de l’Assemblée qui en ont émis le vœu, pour remédier à quelques embarras que l’on a connus.

Troisième mesure : l’autorisation et l’organisation du retour à l’Assemblée de Corse de l’ensemble des membres du conseil exécutif, y compris son président, en cas de démission collective ou de vote d’une motion de défiance, celle-ci relevant d’un mécanisme original de responsabilité politique de l’exécutif devant l’Assemblée de Corse.

Quatrième et dernière mesure : le prolongement de deux ans du programme exceptionnel d’investissement pour la Corse, dont la durée avait été initialement fixée à quinze ans. Ce programme, dont il faut se féliciter, personne ne le remettra en cause. Il avait été simplement retardé et interrompu, d’où la nécessité de le prolonger, et je ne peux, avec Nicolas Alfonsi, que m'inquiéter de ce qu’il adviendra à l’issue de ces deux années, une fois le programme terminé…

Monsieur le ministre, pour avoir lu votre discours, je sais que vous donnez votre accord de principe au texte qui va nous être proposé dans quelques mois. Je sais votre volonté d’aller plus loin, s'il le faut, pour obtenir un consensus fort et durable – cela fait partie intégrante de votre vision et de votre manière de procéder, que l’on ne peut que saluer.

Mais il s'agit d’un consensus qui n’a pas besoin, selon moi, d’une révision de la Constitution. Ce consensus doit être respectueux de notre droit national et européen ; cela a d'ailleurs été dit à propos de certaines dispositions souhaitées par quelques élus corses.

Ce consensus doit également être respectueux du triple principe, que nous connaissons bien, d’unité de la République, de diversité et de spécificité des territoires – ce qui s'impose tout particulièrement en Corse –, et de subsidiarité. Ce triple principe, nous avons choisi de l’appliquer au reste du territoire, notamment dans le cadre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Monsieur le ministre, au-delà de cette réforme territoriale qui sera appliquée à la Corse avec, je le crois, la juste mesure qui convient, je voudrais ajouter un mot concernant la problématique sécuritaire, qui concerne aussi bien l’organisation de la police et de la gendarmerie que celle des sapeurs-pompiers. Dans les deux cas, il s'agit de la protection des personnes et des biens.

Je tiens à saluer, ainsi que vous l’avez fait lors de votre déplacement en Corse le 12 juin dernier, le dévouement, la disponibilité, le courage de nos forces de sécurité, qui travaillent tous les jours côte à côte, au risque de leur vie, et qui n’hésitent pas à s’exposer, simplement pour faire leur devoir, parce que ce devoir s’impose à elles.

Comme beaucoup d’entre nous, monsieur le ministre, je ne peux ici que former le vœu de voir l’engagement d’apaisement formulé par certaines factions se concrétiser, vite et en totalité : que de drames alors évités, que de tensions apaisées ! Que la Corse sera belle d’une harmonie retrouvée ! (MM. Nicolas Alfonsi et Jacques Gautier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. Nicolas Alfonsi et le groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur l’avenir de la Corse.

Vue à travers les chroniques de faits divers, la Corse apparaît généralement comme un territoire à problèmes, une terre de violence atavique, mais aussi l’un des symboles des impuissances de l’État.

Je ne partage évidemment pas ce point de vue. Je considère que, par bien des aspects, la Corse peut même devenir un laboratoire d’excellence pour construire de nouvelles modernités territoriales, à condition de se dégager des conservatismes et des dogmes idéologiques : la Corse mérite mieux que d’être un terrain d’affrontement entre nationalismes, entre droit à l’autodétermination et républicanisme sourcilleux, affrontement sans fin qui empêche de forger des réponses réelles à des questions concrètes liées aux difficultés de la vie quotidienne.

Il est dans la nature des écologistes de tourner le dos à ces exacerbations, qui cachent souvent des intérêts particuliers, pour s’attaquer aux enjeux réels. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je voudrais en décliner trois.

L’enjeu environnemental, tout d’abord. Dans un bassin méditerranéen dont le littoral a été sacrifié au tourisme de masse, la société corse – et il faut ici lui rendre hommage – a mieux préservé ses paysages que tout autre territoire, de la Sardaigne au Languedoc-Roussillon.

Nous devons l’en remercier et la soutenir dans l’adoption d’un plan d’aménagement et de développement durable de la Corse – le PADDUC – ambitieux qui devra préserver une part de cette beauté du monde, d’un patrimoine participant de l’enchantement collectif, ce qui signifie aussi répondre à un certain nombre d’enjeux sociaux ; nous y reviendrons.

Dans le domaine environnemental toujours, je considère que la Corse peut être l’une des vitrines territoriales de la transition énergétique : elle a les atouts de la révolution des énergies renouvelables : l’eau, le soleil, le vent, la biomasse… Avec le projet d’Areva, par exemple, la Corse accueille déjà des expérimentations prometteuses en matière de stockage d’énergie. Mais il manque encore la volonté politique de franchir un cap.

Il faut un pilotage fin, par les nouvelles technologies des réseaux intelligents, de ce potentiel considérable en énergies renouvelables pour en gérer la variabilité ; il faut des investissements résolus et cohérents... Il convient d’arrêter de tergiverser, monsieur le ministre, et il est de la responsabilité de l’État d’imposer à son opérateur historique de ne plus considérer la Corse comme un territoire juste bon à brûler des fiouls lourds dont plus personne ne veut.

Dans le domaine de la langue, la Corse est aussi en avance puisqu’elle a réussi à mieux préserver sa langue que bien d’autres territoires en France et en Europe. La volonté de reconquête linguistique portée par l’Assemblée de Corse doit donc être soutenue, tant la France, chantre dans les conférences internationales d’une diversité culturelle parfois limitée à la défense de la francophonie, est ici fragilisée dans sa crédibilité internationale par son incapacité à faire vivre sur son sol sa propre diversité linguistique.

Au-delà des vieilles lunes jacobines d’une France menacée par ses propres territoires, le projet de co-officialité de la langue corse est au contraire une véritable opportunité à saisir pour nous recrédibiliser dans le monde alors que la France n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, malgré les engagements de campagne de François Hollande.

Après votre visite en Corse, monsieur le ministre, ma question sera extrêmement précise et simple : quels sont donc, du point de vue de l’État, au-delà des postures idéologiques, les éléments de la proposition de co-officialité adoptée par l’Assemblée de Corse qui nécessiteraient d’être amendés pour permettre à l’État de la soutenir ?

J’en viens au troisième point que je souhaitais aborder : le débat sur le statut de résident, dont a également parlé Nicolas Alfonsi. Les instances locales d’Europe Écologie Les Verts en Corse l’ont clairement dit : il ne s’agit pas d’une bonne réponse à un vrai problème, celui de la difficulté des habitants de l’île à se loger en raison de la pression touristique sur le prix du logement.

Nous considérons que nous devons sortir la Corse de sa spécialisation dans une mono-industrie touristique qui la déstabilise, produit des emplois précaires et peu qualifiés, et entraîne une pression insoutenable sur le foncier et le littoral. Les deux facteurs se combinent pour une crise du logement engendrée par l’écart entre ce revenu moyen faible des résidents permanents et le prix de l’immobilier conditionné, lui, par des acheteurs « extérieurs », souvent plus fortunés.

Nous devons donc agir, et d’abord par le soutien à de nouveaux secteurs économiques : la transition énergétique en Corse, par exemple, pourrait constituer une opportunité de créer des emplois durables et qualifiés, notamment dans le secteur solaire.

Ensuite, il faut absolument trouver des réponses pour stopper la spéculation immobilière et garantir l’accès au logement. Les écologistes ont fait plusieurs propositions en ce sens. Étendre la loi Duflot pour encadrer les loyers dans certaines zones touristiques, plafonner le taux de résidences secondaires : voilà des propositions concrètes et faciles à mettre en œuvre.

Monsieur le ministre, là aussi, ma question sera simple : au-delà du caractère très probablement anticonstitutionnel du statut de résident, votre gouvernement serait-il favorable à la mise en œuvre de ces propositions pour faciliter l’accès des habitants de l’île à un logement à coût maîtrisé ? C’est une question centrale pour l’avenir de la Corse.

Un statut de résident qui se fonderait sur un droit du sang, tel que le débat actuel le laisse entrevoir, n’entre pas dans les valeurs de l’écologie politique. Si nous ne sommes pas favorables au statut tel qu’il est aujourd’hui présenté, lié à la question de l’accès à la propriété, nous sommes en revanche favorables à une citoyenneté de résidence.

Ce sont aussi ces questions qui sont posées dans le débat corse. Approfondir l’idée d’une citoyenneté corse de résidence serait promouvoir cette notion de communauté de destin, s’éloigner d’un système clientéliste qui instrumentalise le vote des propriétaires de résidences secondaires, et affirmer ainsi les droits des résidents permanents, dont les étrangers habitant et travaillant en Corse.

À travers ce débat, aujourd’hui, il ne s’agit donc pas de se lamenter ou de craindre que des réponses corses ne détricotent la République ; il s’agit au contraire de soutenir en Corse des propositions et des réponses adaptées aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, d’accompagner résolument des politiques publiques modernes au service d’un territoire qui fut parfois en avance sur son temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, Mme Lebranchu, ministre chargée de la décentralisation, installait à Ajaccio un groupe de travail sur la réforme institutionnelle en Corse. Elle parlait alors de réformer l’organisation de l’île à trois niveaux : réglementaire, législatif et même constitutionnel. Sur ce point, elle indiquait en effet aux élus corses que « la porte n’[était] pas fermée ».

En avril, lors d’une deuxième réunion du groupe de travail, elle confirmait sa « volonté d’avancer sur ce chantier de la réforme institutionnelle », allant même jusqu’à donner « au nom du Gouvernement, un avis favorable sur la plupart des demandes faites par l’Assemblée de Corse ».

Ces déclarations ont fait réagir, pour des raisons contraires, bien sûr, les partisans d’une scission nationaliste comme les élus républicains que nous sommes. Car, derrière la demande d’une « place spécifique à la Corse dans la Constitution de la République », soutenue par la majorité de l’Assemblée de Corse, certains sont allés jusqu’à évoquer la co-officialité de la langue, la création d’un statut de résident ou l’autonomie de gestion en matière fiscale. Autant de pistes qui ont créé un débat parmi les élus corses et la société civile, débat qui se poursuit encore aujourd’hui.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle, deux mois seulement après les déclarations de Mme Lebranchu, vous avez décidé, monsieur le ministre, de fermer la porte à toute évolution institutionnelle en Corse. Vous l’avez justifié le 12 juin dernier, lors de votre première visite sur place, en ces termes : « le souci de préserver une spécificité ne doit pas s’inscrire dans une démarche de rupture ». Nous sommes d’accord avec vous.

Personne ne peut s’offusquer que l’on rappelle le sacro-saint principe de notre République, une et indivisible, qui est d’apporter le même sens de justice, d’égalité, de liberté et de fraternité à l’ensemble de nos concitoyens. Pour autant, il nous semble que votre annonce ne saurait suffire.

Elle ne saurait suffire, car elle referme brutalement le livre du processus de réflexion et de dialogue engagé jusqu’ici par les élus corses aux côtés de la population, comme si tout allait bien. Il suffit de regarder les indicateurs économiques, sans parler des actes de violence que les médias n’évoquent que trop, pour savoir que tel n’est pas le cas, malheureusement.

Plus inquiétant encore, et nous le regrettons, votre annonce crée de la désillusion, qui est le terreau du ressentiment. En rayant d’un mot les discussions engagées jusqu’ici comme si elles n’avaient eu aucun intérêt, vous décevez peut-être une population corse attachée à la parole donnée. Vous reprenez cette parole et la déception est à la mesure de l’espoir suscité, espoir dont la Corse a pourtant besoin, au même titre que tous nos compatriotes. On repense alors à la mise en garde du député Laurent Marcangeli, qui déclarait : « Nous devons cesser de susciter de faux espoirs pour ne travailler que sur du possible. »

Il y a donc un monde, monsieur le ministre, entre la rupture que vous redoutez à raison et la fin de non-recevoir que vous opposez, nous semble-t-il à tort. C’est une belle occasion manquée de montrer à la Corse comme à toutes nos régions que la France est capable d’évoluer, de se réinventer en restant le pays qu’elle a toujours été, riche de ses particularités régionales et de ses cultures entremêlées depuis l’Antiquité.

Ironie de l’histoire, cette Corse qu’il faut que vous entendiez fut justement souvent la première en Europe à l’écoute de la démocratie : de sa constitution de 1755, adoptant la séparation des pouvoirs, le suffrage universel et le droit de vote aux femmes – il a fallu attendre 189 ans pour que, grâce au général de Gaulle, nous soit accordé, en 1944, le même cadeau ! – aux dispositions statutaires particulières, avec la bidépartementalisation et la naissance de l’Assemblée de Corse… L’île a toujours pris sa part dans la concertation, comme en 2003, où, sous l’impulsion du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, souhaitant déjà intégrer la « reconnaissance institutionnelle de sa spécificité », la population corse a été consultée, rappelant à cette occasion que la Corse, c’est la France.

Raison de plus pour l’écouter aujourd’hui ! Ainsi que l’a si bien dit Camille de Rocca Serra, « notre rôle n’est pas de freiner toute évolution qui pourrait être bénéfique à la Corse, mais bien de promouvoir une démarche qui soit utile pour l’île, dans le respect de notre appartenance et de notre attachement à la République ».

Plus que jamais, nos territoires ont besoin que l’on sauvegarde leur identité, leur patrimoine et que l’on respecte la richesse de leur diversité. Plus que jamais, ils ont le droit d’exister, de transmettre leur histoire et leur culture aux jeunes générations, toujours dans la « maison France », car chacun grandit auprès de l’autre : ces territoires ont apporté à la France comme la France leur a apporté.

Refuser de regarder l’histoire en face, c’est souvent refuser de se tourner vers l’avenir. C’est plus vrai encore dans le cas de la Corse, puisqu’elle va subir parallèlement, monsieur le ministre, comme beaucoup d’autres régions, la réforme territoriale. Celle-ci pourrait même lui être fatale parce que, en raison de ses spécificités insulaires, la Corse ne bénéficiera pas des leviers de mutualisation dont disposeront les grandes régions. Avec la disparition programmée des départements, elle ne gardera pas non plus l’opportunité de ses arbitrages financiers relatifs à la péréquation, qui sont si importants pour l’activité économique de l’île.

À une époque où l’on supprime les départements, où l’on affaiblit les cantons ruraux, ce nouvel épisode concernant la Corse est important à double titre. Il est important pour les Corses eux-mêmes, bien sûr, pour la défense de leur héritage et de leurs particularités. Il est aussi et surtout crucial pour notre pays. La Corse dans la France est un symbole : celui de la préservation de notre identité millénaire, indivisible, mais plurielle.

Aussi, pour vous permettre de nous expliquer plus en détail votre déclaration du 12 juin dernier en Corse, terre de vos ancêtres, j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez, si vous le pouvez, la position réelle du Gouvernement sur la question institutionnelle de la Corse, au-delà de la réforme territoriale que vous devez nous présenter.

Je voudrais enfin, à mon tour, remercier M. Alfonsi d’avoir pris l’initiative de ce débat intéressant, car nous aimons tous beaucoup la Corse. (M. Jacques Gautier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Alfonsi et son groupe d’avoir proposé ce débat dont l’intérêt, au regard des réformes territoriales qui se préparent et de l’histoire particulière de la Corse, semble plus qu’évident.

Ce débat suscite également mon intérêt en ce qu’il peut être rapproché, à certains égards, de celui sur la collectivité basque, qui m’est chère. Tout aussi particulières, tout aussi sujettes à discussion quant à leurs compétences et leur mode de gouvernance : les points communs entre les deux collectivités sont nombreux.

Malheureusement, au Pays basque, ce débat, comparé à celui qui a lieu en Corse, n’en est qu’au stade embryonnaire, et il est bien difficile de lui faire prendre forme tant les obstacles sont nombreux. Le Gouvernement ne me contredira pas sur ce point.

Dans la perspective d’une évolution future de l’organisation de nos territoires, qui reste à décider, il convient de nous concerter, d’entendre les arguments des uns et des autres, sans conservatisme primaire ni réformisme béat.

La Corse est aujourd’hui un territoire particulier, notamment de par son histoire. Elle a d’abord appartenu à la République de Gênes, avant de s’autoproclamer indépendante en 1735 et d’être enfin rattachée à la France. L’histoire est toujours nécessaire pour rappeler qu’il existe des liens singuliers entre la République et la Corse, lesquels ont justifié la création d’un statut spécial.

En effet, la Corse est la seule collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72, alinéa 1, de notre Constitution. Les revendications vers plus d’autonomie ou vers plus d’indépendance de l’île ont assurément contribué à cette singularité.

La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse a créé l’Assemblée de Corse, qui dispose de larges compétences. Ce statut avant-gardiste perdra ce temps d’avance du fait, d’une part, de l’alignement des autres régions sur un fonctionnement semblable à celui de la Corse et, d’autre part, de la réintégration de l’île dans le droit commun électoral avec l’abandon de la proportionnelle pour l’élection des membres de l’Assemblée de Corse.

C’est néanmoins la loi du 13 mai 1991 qui crée la collectivité territoriale de Corse et fait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier. Il s’agit d’un modèle unique, d’une structure juridique et administrative sur mesure.

Ce n’était pourtant que la première étape : la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse – cela a été dit – va être source de nouveautés institutionnelles, parmi lesquelles le transfert de nouvelles compétences, la création d’une partie du statut fiscal et l’introduction des dispositions sur la langue corse.

Aujourd’hui, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation de la République consacre un chapitre à la Corse. Deux enjeux majeurs sont à prendre à compte.

Le premier est d’assurer le développement de la Corse en tenant compte de sa culture et de son insularité. Vous l’avez compris, nous sommes, et moi le premier, très attachés à la reconnaissance de la spécificité culturelle des territoires.

Le deuxième est de garantir une certaine cohérence économique. En effet, l’esprit de la réforme est de fusionner des régions pour permettre l’émergence d’une logique de développement économique mutuel. Si je ne peux que partager cette volonté, le découpage proposé risque néanmoins de créer des régions à deux vitesses. Face à de grandes régions fortes économiquement, il est nécessaire que l’île dispose enfin des moyens nécessaires à son développement.

Dans le projet de loi figurent des mesures dont l’objectif est d’améliorer le fonctionnement institutionnel de la collectivité, parmi lesquelles l’application à la Corse de toutes les dispositions législatives relatives aux régions, dès lors qu’elles ne sont pas contraires à celles régissant la collectivité territoriale de Corse, ou encore la prorogation du programme exceptionnel d’investissements pour la Corse.

Par ce dernier, près de 2 milliards d’euros ont été mobilisés en dix ans pour assurer la pérennité économique de l’île. Ces investissements ont produit des résultats exceptionnels, dont une forte croissance économique de près de 2,5 % par an, qui dépasse celle de beaucoup d’autres régions.

Je le disais, la singularité de la Corse doit être reconnue et s’inscrire dans la loi : la loi de la République doit s’adapter aux singularités territoriales.

L’Assemblée de Corse, dans une délibération de septembre 2013, a formulé des souhaits pour le futur institutionnel de l’île. Elle a ainsi demandé l’inscription de la Corse dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, la co-officialité de la langue corse et l’instauration d’un statut de résident. À cet égard, je partage certaines des analyses qui viennent d’être évoquées.

La mise en place de ces mesures rencontre bien entendu des difficultés, tant au niveau du droit interne que du droit européen. D’une portée symbolique, elles méritent toutes d’être étudiées.

Les questions qui nous sont posées doivent être entendues et traitées.

Première question : peut-on rendre compatibles les revendications régionalistes et les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés ? Ne craignons pas de répondre par l’affirmative. L’histoire démontre que la surdité des États aux demandes spécifiques, sous couvert de respect des principes républicains, conforte trop souvent les revendications nationalistes dans leurs excès.

Notre devoir est certes d’affirmer les principes républicains, mais également d’aménager la loi chaque fois que cela possible. Dans les domaines de la langue, de la culture, du développement économique ou de l’aménagement territorial, les spécificités doivent pouvoir se retrouver dans les modes de gouvernance.

Deuxième question : quelle attitude adopter face à la violence ? Une règle devrait être de mise : ne jamais rejeter les perspectives de dialogue. Nous devons certes réaffirmer les obligations républicaines, mais en manifestant, dans le respect, la volonté de dialoguer.

Troisième question : le débat qui va s’engager sur la réforme territoriale laissera-t-il suffisamment de place aux expressions régionalistes ? Monsieur le ministre, égalité ne veut pas forcément dire uniformité. Les discours sur l’égalité sont malheureusement trop souvent simplificateurs, parfois afin d’éviter les questions complexes.

Personne ne conteste l’égalité devant les droits fondamentaux et j’espère que le débat sur la réforme territoriale nous permettra de poser la question des spécificités régionales, qu’il s’agisse des Basques, des Bretons ou des Corses.

J’espère également qu’il nous offrira l’opportunité d’être suffisamment créatifs pour traiter, au cas par cas, des modèles de gouvernance adaptés et responsabilisants.

Nous espérons, enfin, que ce débat fera de nous les artisans de l’apaisement, et ce, tout d’abord, par l’écoute et le traitement de tous les dossiers préoccupants avec l’ensemble des partenaires. (M. Ronan Dantec applaudit.)