Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Gaouyer.

Mme Marie-Françoise Gaouyer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi en discussion depuis plus de deux ans maintenant a été largement débattu.

Face aux difficultés de gestion et de concertation des deux EPIC actuels, face à la nécessité de préparer l’ouverture à l’Europe, face au poids insoutenable de la dette, nous le savons, cette réforme est nécessaire.

Les deux EPIC actuels, Réseau ferré de France et la Société nationale des chemins de fers français, composée de SNCF Infra et de la Direction des circulations ferroviaires, la DCF, devraient être remplacés par un groupe public ferroviaire composé de deux EPIC « filles » avec, d’un côté, le gestionnaire d’infrastructure unifié, SNCF Réseau, composé de RFF, de SNCF Infra et de la DCF, et, de l’autre, l’exploitant, SNCF Mobilités.

Les deux nouveaux EPIC seront chapeautés par un EPIC « mère », SNCF, chargé de la stratégie globale. Cet EPIC de tête, loin d’être le symptôme d’un éclatement ou d’un plus grand éparpillement de l’activité, jouera le rôle de garant de l’unité du groupe.

Les voix qui se sont élevées, comme les prises de parole que nous avions réclamées, ont eu le mérite de souligner les nombreux écueils à éviter. Nous pourrons les prendre en compte dans les débats.

Pour ce qui me concerne, je profite de cette intervention pour vous livrer mes propres recommandations.

La Fédération nationale des associations d’usagers des transports nous a alertés, à plusieurs reprises, sur les menaces pesant sur les lignes ferroviaires les plus fragiles, celles qui n’auraient pas suffisamment de « clients » pour justifier de nouveaux investissements. Je ne crois pas au sacrifice de ces lignes au nom de l’intérêt général. Je crois, au contraire, que notre intérêt est de soutenir le développement rural : quand la figure du client se substitue à celle de l’usager, c’est notre conception du service public qui est menacée !

Les rumeurs qui circulent quant à la prévision de fermeture, par RFF, de la ligne Abancourt - Le Tréport m’appellent à affirmer fermement ma position. Les chantiers TGV ne doivent pas se faire aux dépens de la modernisation de petites lignes indispensables à nos régions ! Ces lignes jouent un rôle primordial dans le dynamisme de nos territoires.

La ligne de train Abancourt-Le Tréport, en permettant le transport de la silice nécessaire à la fabrication du verre, a d’abord offert un débouché à la main-d’œuvre locale compétente. Ainsi, elle a largement participé à l’industrialisation de la vallée de la Bresle, devenue aujourd’hui un pôle mondial du flaconnage de luxe et un acteur majeur de la fabrication de moules métalliques et surnommée « Glass Valley ». Cette ligne est ensuite devenue celle des congés payés. Aujourd'hui, elle reste la seule ligne de Normandie qui rejoint Paris non par la gare Saint-Lazare, mais par la gare du Nord, créant un véritable lien entre la Picardie et la Haute-Normandie.

J’en profite pour saluer les efforts et la volonté de ces régions, qui, par l’intermédiaire de leurs présidents, ont affirmé, le 10 mars 2014, leur engagement pour la ligne Abancourt-Le Tréport et ont d’ores et déjà inscrit dans leur budget 2014 leur part des crédits prévus pour le financement du chantier, qu’elles demandent à l’État et à RFF de programmer.

La ligne Abancourt-Le Tréport présente également une caractéristique : elle mène à l’un des 50 ports décentralisés de métropole et à l’un des 26 ports ayant un trafic annuel supérieur à 100 000 tonnes.

Dans un rapport récent, notre collègue Odette Herviaux souligne la proximité particulière qu’entretiennent les ports décentralisés avec leur ville-siège et le poids de ces activités portuaires, notamment sur l’emploi. À cet égard, maintenir les lignes ferroviaires d’accès aux ports, c’est leur permettre de mener des politiques de développement ambitieuses. C’est permettre aux ports décentralisés de se projeter, selon la recommandation d’Odette Herviaux, « en dehors de leur territoire ». C’est leur permettre de jouer leur rôle dans le développement de l’arrière-pays. Enfin, il s’agit de faire preuve d’optimisme et de laisser à tous les ports la chance de participer au développement du fret et d’y conforter leur place.

Le train à grande vitesse est régulièrement présenté comme le symbole de la modernité de notre réseau. Or, d’une part, il ne répond pas toujours aux besoins et aux exigences des utilisateurs, pour qui « la qualité du service, la régularité, la fiabilité des transports notamment du quotidien sont aussi importantes sinon plus que les gains de vitesse », ainsi que l’a signalé la commission Mobilité 21. D’autre part, c’est l’affirmation d’alternatives à la route, la participation de « la mobilité » « à la transition énergétique et écologique » qui constituent véritablement une ambition moderne.

J’ajoute encore que le remplacement de l’écotaxe et ses implications en termes de ressources libérées pour les infrastructures ferroviaires ne doit remettre en cause ni les principes écologiques ni le projet de financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, qui l’avait inspirée.

Pour finir, souvenons-nous que le territoire national s’est construit à partir du développement de réseaux : ce furent, d’abord, nos chemins vicinaux et, ensuite, nos chemins de fer. Le chemin de fer français est notre bien national ! Souvenons-nous que le réseau ferroviaire constitue un facteur primordial d’intégration du territoire et un vecteur d’égalité territoriale en France. C’est notre force ; ne l’affaiblissons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m’essayer à l’exercice complexe qui consiste à intervenir à la fin de la discussion générale, après les différents orateurs.

Avant de vous apporter quelques précisions indispensables, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, bien sûr, adresser mes remerciements à M. le rapporteur pour son travail – je le ferai tout au long des débats, qui seront, n’en doutons pas, riches et passionnants – et à l’ensemble des intervenants qui viennent d’exprimer très clairement leur soutien à la réforme, à savoir Anne-Marie Escoffier, Ronan Dantec, Jean-Jacques Filleul, Roland Ries, Delphine Bataille et Marie-Françoise Gaouyer. Tous en ont affirmé les enjeux et ont évoqué les perspectives qui la rendent nécessaire.

L’enjeu de calendrier a été très justement rappelé : nous devons infléchir les discussions européennes qui précèdent la définition des éléments du quatrième paquet ferroviaire – de la même manière que nous l’avions fait lors des négociations précédentes – et ainsi faire mentir certaines prédictions malheureuses en mettant tout en œuvre pour que la réalité des situations et les volontés soient bien prises en compte.

Je n’irai pas jusqu’à considérer les interventions de M. Capo-Canellas et de M. Grignon comme une forme d’encouragement (M. Vincent Capo-Canellas s’exclame.), sinon un encouragement à faire en sorte que le projet de loi sorte amélioré de nos travaux ! (Sourires.)

J’ai entendu vos propos, monsieur Capo-Canellas. Certes, vous n’avez pas été d’une grande indulgence ni pour le texte ni pour son auteur… Mais peut-être réussirons-nous à répondre à un certain nombre de vos interrogations, à replacer le texte dans son contexte et, bien entendu, à préciser pourquoi les voies de la discussion parlementaire sont précisément celles de la réussite – avec, à la clé, un certain nombre d’améliorations dont vous serez peut-être l’auteur.

Il est certain que le texte a déjà beaucoup évolué. D’abord, par le dialogue social : Mme Schurch sait combien j’y suis attaché. Nous avons eu l’occasion, avec les syndicats, que j’ai reçus, de préciser un certain nombre d'amendements qui pouvaient être soumis au Parlement. Cette discussion-là, qui n’est pas récente, a duré dix-huit mois, et elle a impliqué toutes les organisations syndicales représentatives.

Le texte a également évolué en intégrant les contraintes européennes – autre point sur lequel je reviendrai.

Sans voir non plus une forme d’encouragement dans les propos tenus par M. Nègre, Mme Schurch ou M. Karoutchi – je les cite tour à tour, même s'ils ne siègent pas du même côté de l’hémicycle –,…

M. Daniel Raoul. Pas encore… (Sourires.)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. … j’ai tout de même senti une sorte d’inconfort,…

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. … une certaine difficulté à reconnaître que plusieurs volets de ce texte étaient intéressants, qu’ils pouvaient permettre d'aborder la modernisation du ferroviaire. Mais un certain nombre de contraintes – de contingences, dirons-nous – vous empêchent, mesdames, messieurs les sénateurs, de franchir le Rubicon ! (M. Roger Karoutchi s'esclaffe.)

Vous avez eu, les uns et les autres, des formules que je m'emploierai à réutiliser durant nos longues séances de discussion, et qui ne manqueront pas de faire sens à l’issue de nos débats – un sens que vous avez qualifié finalement par la négative, monsieur Karoutchi, en disant que la réforme n’allait pas dans le mauvais sens. J’ai presque cru que vous alliez conclure en disant que ce texte méritait l’abstention de votre groupe !

M. Roger Karoutchi. Vous l’espériez !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Peut-être cela se produira-t-il ! (Sourires.)

De nombreuses questions ont été posées, mais je ne pourrai pas répondre à toutes, mesdames, messieurs les sénateurs.

Concernant la dette, la méthode retenue – M. Dantec en connaît l’importance – consiste à stabiliser le système et à faire en sorte que le poids de la dette ne pèse pas sur le contribuable. Nous devons donc réformer en profondeur le fonctionnement du système ferroviaire, ce qui est bien l’enjeu de ce texte.

Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’INSEE vient de considérer que, sur 37 milliards d’euros de dette de RFF, 10 milliards pouvaient être considérés comme une dette publique au sens des critères de Maastricht. Or il est évident que l’État ne pourra pas, à court terme, prendre en charge cette dette de 10 milliards d’euros. Pour autant, il est important qu’une réflexion soit lancée sur le devenir de ces 10 milliards d’euros, et que les voies de l’association du Parlement à cette réflexion soient tracées, et même précisées.

Certains d’entre vous m'ont interrogé sur la concurrence. Anne-Marie Escoffier, en particulier, m'a questionné sur le planning et la façon de nous y préparer.

Précisons-le d’emblée, l’ouverture à la concurrence n’est pas la priorité de ce texte – certains ont même regretté qu’elle n’y soit pas précisément mentionnée… Je dois donc m'attarder un peu sur le sujet pour apporter les précisions qui s'imposent.

Faut-il, aujourd'hui, nier l’évolution future du système ferroviaire ? Non !

Ainsi, Roland Ries s'est référé à l’évolution du transport urbain, même si, comme il l’a indiqué, ce type de transport n’est pas directement comparable au transport ferroviaire, du fait de la présence d’un gestionnaire d’infrastructure et dans la mesure où l’on est confronté à la complexité des métiers, qui doivent cependant se retrouver dans un même ensemble.

La concurrence future figure dans les textes, elle est inéluctable. La véritable question est donc de savoir comment nous nous y préparons. Ici, je me tourne particulièrement vers le côté gauche de l’hémicycle.

Souvenez-vous, en d’autres temps, certains ont même souhaité que cette concurrence soit anticipée ! Cela figure dans le rapport que j’ai reçu, en juillet 2012, du Conseil économique, social et environnemental. Il me semble que, à l'époque, ce rapport avait été adopté par toutes les organisations syndicales, y compris par celle qui, aujourd'hui, n’a pas de mots assez durs pour qualifier ma personne et ma politique – dans un port situé au sud de ce pays, on a des qualificatifs que je trouve particulièrement injustes…

Quoi qu'il en soit, et vous comprendrez pourquoi j’insiste sur l’identité de l’un des deux auteurs du rapport, M. Le Paon, qui devait devenir par la suite secrétaire général de la CGT, écrivait ceci à propos de l’ouverture à la concurrence des services régionaux : « Une concertation devrait être […] engagée avec l’Association des régions de France […] pour définir le calendrier et les modalités d’ouverture à la concurrence des TER » et – j’attire votre attention sur ce qui suit – pour « lancer assez rapidement les premières expérimentations, qui devraient […] pouvoir débuter début 2015 ». (M. Jacky Le Menn acquiesce.) On parle bien d’ouverture à la concurrence…

Cet avis a donc été signé par M. Le Paon, et il a été voté par la CGT. C'est dire si la question de l’ouverture à la concurrence ne date pas d’hier. Nous en discuterons, certes, mais cette évolution sera nécessaire.

Quant à la question du calendrier, j’ai souhaité, en janvier 2012, ne pas anticiper le mouvement, car nous avions pu constater qu’une libéralisation du fret non préparée par un volet social – volet qui figure dans ce texte, monsieur Karoutchi – était problématique. Pour autant, il ne s'agit pas de s'en tenir au statu quo, au motif qu’il serait impossible de faire bouger les lignes.

Simplement, nous allons faire en sorte qu’un certain nombre d’acteurs s'adaptent à un nouvel environnement ferroviaire – la loi prévoit des conventions de branche, des discussions d’entreprises, un décret-socle –, ce que précisément d’autres n’avaient pas fait pour la libéralisation du fret. Regardez ce que donne une libéralisation mal préparée et voyez les conséquences quand on ne se préoccupe pas, madame Escoffier, de préparer le service public à l’enjeu d’une mise en concurrence… (Mme Anne-Marie Escoffier acquiesce.)

Au niveau européen, la discussion sera extrêmement importante – je l’ai dit à mon collègue Maurizio Lupi, qui préside le conseil des ministres des transports européens pendant les six prochains mois –, et nous ne pouvons pas envisager la gouvernance du ferroviaire sans préciser dans le même temps le périmètre de ce que nous appelons, nous, les « obligations de service public ».

Ces questions sont intimement liées, car nous ne pouvons pas avoir une privatisation des profits et une nationalisation des pertes. Il nous faut donc une vision qui permette de donner du corps et du contenu à la notion même de service public, et de faire connaître nos exigences à cet égard.

Cela n’avait pas été fait pour le fret. Le résultat, vous le voyez : non seulement l’ouverture à la concurrence a entraîné la multiplication des opérateurs, qui sont dix ou douze sur le fret, mais, de surcroît, faute de règles communes, le fret ferroviaire s’est effondré, incapable de répondre aux enjeux des différents plans de relance ni aux objectifs du Grenelle de l'environnement, objectifs ensuite réaffirmés.

Il est certain – M. Grignon l’a opportunément souligné – que le fret SNCF a souffert de la disparité des règles. (M. Christian Poncelet acquiesce.) Or je propose précisément d’harmoniser ces règles pour préparer un paysage nouveau.

C'est pourquoi il importe que le rôle des régions dans les organes décisionnaires soit réaffirmé. (Mme Anne-Marie Escoffier acquiesce.) D’où la nécessité de nous doter du Haut comité du ferroviaire, de telle sorte que toutes les parties prenantes puissent s'inscrire dans une stratégie définie.

Nous sommes donc à un moment crucial : il s'agit de faire preuve de méthode tout en étant exigeants afin de ne pas dissocier une discussion qui est nationale d’un enjeu européen, et de faire en sorte que la concurrence à tout crin ne soit pas notre référence. Nous devons au contraire préciser le paysage de notre service public et faire en sorte que les règles de la concurrence puissent fonctionner, mais en nous fondant par la suite, pourquoi pas, sur des délégations de service public, cher Roland Ries.

Dans ce cadre, les régions, dont l’action devra s'affirmer, renforceront peut-être le rôle de l’opérateur historique, comme l’ont dit MM. Karoutchi et Capo-Canellas.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne faut pas fuir, il faut nous préparer aux enjeux, à cet environnement nouveau qui surviendra à une date aujourd'hui encore indéterminée – on me parlait de 2019, puis l’on m'a annoncé 2022, mais ce serait plutôt 2023… C'est dire combien j'ai eu raison de ne pas entendre ceux qui tentaient de me dissuader de préparer une réforme ferroviaire au prétexte qu’elle serait immanquablement euro-incompatible dès lors que les paquets ferroviaires européens n’étaient pas encore écrits. Cette résignation à une certaine vision européenne, sans chercher à l’infléchir ni à lui donner du sens, nous l’avons trop souvent subie…

Pour notre part, nous avons au contraire revendiqué la place du chemin de fer, la vision du rail et l’importance du patrimoine ferroviaire tels qu’ils ont façonné notre grande et belle nation, et fait en sorte, avec nos amis allemands – nous avons renoué le dialogue avec eux – de convaincre , pour user d’un vocable prudent, le commissaire européen Siim Kallas du bien-fondé de notre approche et du fait que nous n’avions pas à adopter un modèle unique qui viendrait se plaquer sur notre organisation sans prendre en compte la réalité et la spécificité de notre réseau.

Monsieur Capo-Canellas, vous avez un point commun avec Mme Schurch quand vous dites que trois structures, c'est peut-être beaucoup ! Voyez, j’essaye de trouver des points communs entre vous… (Sourires.) Et je ne reprendrai pas les propos de M. Nègre, qui a dressé l’inventaire de toutes les structures, allant jusqu’à en inventer pour expliquer à quel point tout cela était compliqué !

M. Louis Nègre. Je n’ai rien inventé, je me suis contenté de lire !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Vous avez cité pêle-mêle l’ARAF, le Haut comité, et vous êtes allé jusqu’à l’EPSF…

M. Louis Nègre. Sans EPSF, cela ne fonctionne pas !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Je vois jusqu’où vous pouvez aller pour tenter de brouiller les cartes et démontrer l’indémontrable ! (Sourires.) J’ai pourtant essayé de vous suivre,…

M. Louis Nègre. Mais vous avez résisté !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. … mais le chemin tortueux de votre démonstration m'a quelque peu donné le tournis ! (M. Roger Karoutchi s'exclame.)

Il faudra que vous travailliez encore à cette démonstration pour convaincre la majorité de vos collègues, mais je crains que vous n’y parveniez pas, car l’EPSF et l’ARAF ont une mission bien précise, tandis que le comité des opérateurs, c'est autre chose… Mais nous avons des jours et des nuits de discussion devant nous ! (Sourires.)

Alors, non, monsieur Capo-Canellas, tout cela n’est pas complexe. Un groupe public est formé, et un groupe public unifié, si bien que l’on ne se retrouve pas avec trois structures éparses. Je sais, madame Schurch, combien il est difficile d’abandonner des slogans qui marchent bien, trop bien sans doute…

À cet égard, je me demande comment les syndicalistes de la CGT qui m’ont traité de « menteur liquidateur » à Marseille oseront jamais m’adresser la parole à nouveau, alors que je n’ai jamais parlé de liquidation à propos de la SNCM, mais bien de redressement, donc une chance pour la compagnie maritime.

Alors, dire « trois EPIC, c’est pire que deux », cela revient au même : le slogan est sans doute facile à retenir, mais ce n’est qu’un slogan, et il est contraire à la réalité ! S’il s’agit bien de trois EPIC, nous parlons avant tout d’un groupe ! Et tant mieux si ces différentes structures ont le statut d’établissement public : il aurait été plus simple, pour rendre ce dispositif eurocompatible, d’en faire des sociétés anonymes, mais telle n’a pas été la volonté du Gouvernement. Je tenais à le souligner.

Nous avons souhaité bâtir un groupe qui s’appuie sur ses deux structures, ses deux métiers – pour faire simple : l’opérateur ferroviaire et le gestionnaire de réseau –, mais il s’agit bien d’un groupe unifié avec un « établissement casquette ». Ce faisant, nous avons accompagné le travail des députés qui ont souhaité faire remonter autant que possible un certain nombre de sujets à l’EPIC de tête, afin de bien souligner le caractère intégré de cette structure.

Je tenais à apporter ces précisions, car je ne comprends pas pourquoi ce serait simple lorsqu’il s’agit de la DB et compliqué lorsqu’il s’agit d’un grand projet ferroviaire visant à constituer un groupe public unifié, intégré, rassemblant, d’une part, un gestionnaire d’infrastructure – SNCF Réseau – et, d’autre part, un opérateur ferroviaire – SNCF Mobilités.

Un certain nombre d’entre vous – Mme Escoffier, MM. Dantec, Karoutchi, Capo-Canellas, ainsi que M. Roland Ries et d’autres – ont souhaité souligner l’importance des relations avec les régions.

Ce que je viens d’indiquer sur l’environnement évolutif auquel notre structure et notre organisation ferroviaires pourront s’adapter – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – montre combien nous anticipons l’importance à venir du rôle des régions.

Nous en tirons les conséquences en affirmant leur place dans la gouvernance du système à travers les deux postes qui leur sont accordées au sein du Haut comité du système de transport ferroviaire. Vous en souhaiteriez d’autres ? Pourtant, si des amendements visant à accorder davantage de postes aux régions étaient défendus, je n’aurais d’autre choix que de m’y opposer, car leur adoption reviendrait à diminuer proportionnellement la représentation du Sénat et de l’Assemblée nationale au sein du conseil de surveillance…

La loi prévoit que les représentants de l’État doivent disposer de la majorité des sièges et les représentants des salariés, de mémoire, d’un tiers. Dès lors, la marge de manœuvre est étroite. Nous avons malgré tout souhaité que les régions, le STIF, puissent être pleinement intégrés et représentés au sein non seulement du conseil de surveillance, mais aussi du conseil d’administration de SNCF Réseau.

Nous avons renforcé les compétences et les prérogatives des régions. Je pense notamment à la liberté tarifaire pour les trains régionaux ou à la réaffirmation de la place des régions dans la problématique des gares, laquelle pose la question de la domanialité. Sur ce dernier point, la clé de répartition entre feu RFF, c’est-à-dire SNCF Réseau, et SNCF Mobilités sera importante.

De même, il est primordial de confier aux régions le rôle de chef de file pour l’aménagement des gares d’intérêt régional, de faire en sorte de mieux les associer, chère Delphine Bataille, aux décisions d’investissements, qui doivent être prises en concertation, et de conclure avec elles des conventions sur les projets d’investissements.

Dans la loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, l’adoption d’un amendement parlementaire permet aux régions d’accéder plus précisément à la comptabilité par ligne. Ce dispositif étant entré en vigueur, il n’y a aucune raison pour que ce projet de loi n’aille pas dans le même sens. Je me rappelle d’ailleurs avoir pris date, à l’époque, dans la perspective de la future réforme ferroviaire.

Je vous ferai part, au cours de la discussion des articles, des avancées dont profitent les régions en termes de reconnaissance, tout en conservant le souci – oui, madame Schurch, le souci – de préserver ce qui est au cœur de notre réforme : la mise en place d’une stratégie nationale, à travers des opérateurs nationaux et la réaffirmation du rôle de l’État, qui a été trop absent, sans méconnaître la diversité des autorités organisatrices de transport. C’est dire combien ce projet de loi est complet.

Un certain nombre d’entre vous ont évoqué le drame de Brétigny-sur-Orge. À mon tour, je voudrais m’exprimer, et même de manière un peu solennelle.

Aussitôt après l’accident, j’avais demandé au bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, le BEA-TT, de mobiliser ses moyens et ses connaissances pour la recherche des causes de ce drame.

À quelques jours de ce triste anniversaire – samedi prochain – il est important que nous soyons aux côtés des familles. Le coordinateur national pour l’aide aux victimes, M. Cèbe, que j’avais nommé, a effectué un travail remarquable, dont il a rendu compte dans son point d’étape. Il était primordial d’éviter que les familles des victimes et les victimes elles-mêmes ne souffrent d’un manque d’accompagnement – c’est malheureusement trop souvent le cas –, alors que médiatisation et sentiment d’abandon entraînent souvent des blessures supplémentaires d’ordre psychologique.

J’ai donc rencontré tant M. Cèbe que les représentants des associations de victimes, notamment la Fédération nationale des victimes – la FENVAC –, présidée par M. Gicquel, et je pense pouvoir dire que nous avons pris toutes les mesures qui s’imposaient en termes d’accompagnement. Nous avons été exemplaires, mais cette triste mission n’est pas achevée.

La SNCF et RFF avaient très vite reconnu leur responsabilité. Cette question, redevenue d’actualité après les conférences de presse du procureur à quelques jours de ce malheureux anniversaire, n’a jamais eu lieu de se poser. Lors de chacune de leurs interventions, les présidents respectifs de RFF et de la SNCF ont toujours fait de la reconnaissance de leur responsabilité un postulat de départ.

Avant ce drame, monsieur Karoutchi, nous avions déjà constaté – c’est encore plus vrai avec le recul – combien certains investissements avaient été fléchés au détriment, peut-être, de l’entretien, de la mise à niveau et du maintien du réseau. C’est la raison pour laquelle certaines des dispositions de ce texte prévoient que SNCF Réseau ne pourra financer de nouveaux investissements qu’à condition d’être en mesure de financer l’entretien et la modernisation du réseau existant. Il s’agit d’un préalable, et il est essentiel.

Si les régions ou l’État estiment que tel ou tel investissement nouveau est d’intérêt régional ou national, et que l’opérateur SNCF Réseau n’a pas la possibilité de le financer, il faut, pour que cesse cette véritable cavalerie budgétaire, que celui qui passe la commande finance.

Nous avions lancé, d’abord avec M. Dumesnil puis avec M. Rapoport, avant le drame de Brétigny-sur-Orge, un grand plan de modernisation du réseau, de 2,5 milliards d’euros, afin d’essayer de rattraper le retard pris dans la prise en compte du vieillissement des infrastructures. Ce plan faisait suite au rapport de l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

Vous avez raison de souligner la situation en Île-de-France. Vous avez déjà eu l’occasion de m’interroger, et moi, d’essayer sinon de vous rassurer, tout du moins de vous répondre. La réalité, c’est que l’origine des 1,3 milliard d’euros de charges financières que RFF assume chaque année au titre de sa dette est à trouver dans le choix de construire concomitamment quatre nouvelles lignes à grande vitesse sans financement : quatre lignes quand seul le lancement d’une ligne tous les six ans est économiquement soutenable ! On fait payer à RFF ce que RFF ne peut plus payer aujourd’hui.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’être contre l’industrie de la grande vitesse, vitrine technologique de la France, mais il faut faire preuve de mesure. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’opérateurs publics que l’on peut s’affranchir des exigences de l’économiquement raisonnable !

Nous avons donc souhaité réorienter nos priorités. Cet engagement du Premier ministre Jean-Marc Ayrault a été confirmé et repris par le Premier ministre Manuel Valls.

La priorité des priorités, c’est le transport du quotidien. Je compte sur le soutien de la Haute Assemblée pour obtenir les modalités de financement les plus exemplaires en matière d’infrastructures de transport. Je pense bien sûr à l’AFITF.

Nous avions lancé – cette fois, après Brétigny-sur-Orge – le plan Vigirail, doté de 410 millions d’euros d’investissements sur la période 2014-2017. Le rapport d’étape du BEA-TT avait dégagé trois orientations préventives : améliorer la maîtrise des assemblages boulonnés des appareils de voie, détecter et corriger les défaillances de la boulonnerie et adapter davantage les plannings de maintenance à la sollicitation de l’installation. J’ai demandé à la SNCF et à RFF de mettre en œuvre ces préconisations du BEA-TT dans un délai de trois mois, sous le contrôle de l’établissement public de sécurité ferroviaire, l’EPSF.

J’ai été interpellé sur l’inquiétude des élus et un certain nombre de communes ont été citées. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que tous les boulonnages, tous les cœurs de voie, tous les aiguillages ont été vérifiés. Ce sont 5 000 cœurs de voie, des centaines de milliers de boulonnages qui ont été ainsi examinés. Je m’en remets donc à la SNCF et à RFF pour apporter tous les éclaircissements aux élus qui en feront la demande.

Telles sont les quelques précisions que je voulais d'ores et déjà vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs. Certaines de vos questions méritent une réponse plus détaillée, je pense notamment au financement des régions, évoqué par M. Dantec.

Il est vrai que la part des régions dans le financement est importante, notamment en ce qui concerne le matériel roulant, les TER, par exemple, étant de leur responsabilité. Nous saurons en tirer toutes les conséquences au cours de la discussion du projet de loi.

En ce qui concerne maintenant le financement du réseau, il faut bien comprendre par qui sont versés les 5,4 milliards d’euros perçus par RFF au titre de ses péages : 2 milliards par l’État pour les TET et les TER, 2,1 milliards par les entreprises ferroviaires, mais 1,3 milliard par les autorités organisatrices régionales, notamment le STIF… On a parlé d’un financement des deux tiers par les régions, mais, vous le voyez, la réalité est beaucoup plus nuancée !

Par ailleurs, le financement des services est assuré à hauteur de 10 milliards d’euros par les voyageurs et les chargeurs et à concurrence de 5 milliards d’euros par la puissance publique, régions et État confondus.

Il ne s’agit nullement de méconnaître l’importance de l’intervention des régions en la matière. L’objectif est d’anticiper, de faire en sorte que les régions gagnent en compétitivité et puissent optimiser, grâce à une meilleure organisation et à une plus étroite coordination entre elles, l’investissement public dans le ferroviaire. C’est une nécessité, que la réforme territoriale viendra peut-être accentuer, mais je ne m’aventurerai pas dans un domaine qui ne relève pas de mes compétences ! (Sourires.) En tout état de cause, une meilleure coopération interrégionale permettra d’optimiser à hauteur de 15 % à 20 % l’utilisation du matériel roulant. Il y a là des possibilités d’économies certaines pour les collectivités territoriales.

Madame la présidente, j’ai été beaucoup trop long.