M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Merci !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le secrétaire d’État, que de courage ! Car il fallait beaucoup de courage pour entreprendre une réforme que beaucoup de Français attendaient, mais sans aucun moyen, qui plus est dans un climat social et politique difficile – à gauche comme à droite –, et dans un contexte national et international compliqué.

Cela veut dire que votre réforme n’est probablement pas la révolution des transports que chacun pouvait attendre. Je ne prétends pas que la droite l’ait fait. La droite comme la gauche, depuis vingt-cinq ans, n’ont jamais voulu prendre les vraies décisions ni faire les vrais choix en matière de transports publics.

On a laissé un temps la SNCF concurrencer à l’époque Air Inter, quitte à développer à tout prix les TGV comme atout essentiel pour le financement de la SNCF dans cette compétition avec le transport aérien. Résultat : on a endetté la SNCF, on a réduit la capacité d’Air Inter, qui a disparu depuis, et on a rendu difficile la vie d’Air France. Parfait !

On n’a pas fait les vrais choix en matière autoroutière et routière. Et aujourd’hui, on parle encore et encore de réforme des transports publics en ne faisant pas, en réalité, les choix qui s’imposent

Mon collègue Louis Nègre a excellemment détaillé les raisons pour lesquelles nous allons voter contre ce projet de loi. Il est évident que vous n’avez pas pu, monsieur le secrétaire d’État entrer plus avant dans la concurrence, même si, de vous-même, vous auriez souhaité aller plus loin. Il y avait ces réglementations européennes qui allaient s’imposer alors que, finalement, ce n’est aujourd’hui pas le cas. Mais le quatrième paquet ferroviaire va bien finir, d’une manière ou d’une autre, par arriver et, si l’on commence par dire que nous ne voulons pas nous y préparer, cela fera comme pour le fret, ce sera brutal, difficile, et extrêmement ravageur pour l’ensemble du système.

Et, après tout, pourquoi ne pas regrouper les deux entités ? Peut-être le texte de 1997 n’était-il pas si pertinent que cela. Peut-être faut-il les regrouper d’ailleurs plus du fait des mauvaises relations constantes ces dernières années entre RFF et la SNCF que du fait de l’échec de l’une ou de l’autre dans l’exercice de leurs missions respectives.

En réalité, je ne vois pas pourquoi SNCF Réseau, qui n’a, dans le fond, pas plus de ressources que n’en avait RFF, parviendrait à un meilleur équilibre, à une meilleure situation que RFF en son temps, sinon par des concours de la maison mère. Mais, sincèrement, je doute que celle-ci en ait les moyens. Par conséquent, les difficultés financières persisteront.

Certains ont dit – et pas seulement dans mon camp – que, si cette réforme était intervenue à un moment où la situation financière du pays avait été meilleure, il aurait fallu que l’État reprenne une partie de la dette pour alléger la charge et permettre les investissements. Ce n’est pas le cas. Mais, en l’état actuel de nos finances, il est certain que la réforme se fait a minima, étant donné que vous ne vous donnez pas de moyens nouveaux, monsieur le secrétaire d’État.

Vous ne faites pas non plus le choix d’une vraie régionalisation et, comme le soulignait le rapporteur pour avis de la commission des finances, vous n’allez pas au bout de la logique, car il faudrait alors donner aux régions le pouvoir en matière de tarification.

Je passe sur ce que disait Louis Nègre sur le matériel. On n’a pas donné la capacité aux régions de tenter un peu d’expérimentation, d’ouvrir le système à un peu de concurrence.

Nous en restons donc à un système très contraint, très réglementé, et sans moyens supplémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, moi, je soutiens, avec difficulté parfois – y compris dans mon propre camp – que le service public doit être défendu, modernisé, adapté. Le vrai souci, le vrai débat est de savoir si la défense du service public interdit de modifier le statut et les règles ou d’alléger les contraintes permanentes au nom de ce que vous appelez le « patrimoine », c'est-à-dire ce que représente en effet le rail pour la Nation.

Moi, j’ai été formé, comme beaucoup ici, par les parcours en train, avec tout le respect dû à une SNCF qui était, voilà encore quelques décennies, en Europe et dans le monde, le modèle de la régularité, du confort et de la modernité. Mais ce n’est plus le cas, et ce n’est pas de votre fait, monsieur le secrétaire d’État. On peut se dire, et se le répéter comme une incantation, que, par respect pour le passé, il ne faut pas trop toucher au système, mais, en réalité, la situation n’est plus la même aujourd’hui.

Jugez-en : pas de vraie ouverture à la concurrence, pas de pouvoir suffisant donné à l’ARAF, pas de véritables ressources supplémentaires pour SNCF Réseau, pas de transfert d’une partie de la dette, pas de modification du statut des personnels, pas de remise en cause de la relation entre SNCF Mobilité et SNCF Réseau. Bref, l’affaire est entendue ! (M. le secrétaire d'État proteste.)

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai tout de même le droit d’avoir un avis !

Vous avez pris les choses en main. Je reconnais bien volontiers que vous avez, à Bruxelles, plutôt bien négocié. Mais vous êtes dans un système très contraint, étant donné que l’État n’a pas d’argent, pas de moyens financiers, et que le climat social actuel est difficile. Comment le Gouvernement pourra-t-il, dans ces conditions, faire bouger les lignes ? Je ne dis pas que cette réforme va dans le mauvais sens, mais je pense, comme Louis Nègre, qu’elle est tellement contrainte que l’on est en droit de se demander s’il était judicieux de la faire maintenant, de cette façon et dans ces conditions.

Cela étant, monsieur le secrétaire d’État, je ne voudrais pas vous laisser sur votre faim et aborderai maintenant la question de l’Île-de-France…

L’Île-de-France représente, bien modestement, 60 % du trafic voyageurs ! J’entends bien la question qui est posée : comment trouver des moyens pour les régions ? Par le VT interstitiel ? Permettez-moi de vous dire que, si les régions parviennent à moderniser le réseau par le VT interstitiel, cela voudra dire que les élus régionaux auront fait des miracles !

Mais, en Île-de-France, sincèrement, on n’en peut plus, monsieur le secrétaire d’État !

J’ai écouté vos commentaires, après les conclusions de l’enquête sur le drame de Brétigny-sur-Orge. J’ai beaucoup d’estime pour le président Guillaume Pepy. Je dois avouer qu’il y a une dizaine d’années, lors des réunions du Syndicat des transports d’Île-de-France, je hurlais déjà sur le précédent président de la SNCF en lui reprochant de se moquer de nous : il faut dire qu’aucun investissement n’était réalisé en Île-de-France et même l’amortissement du matériel roulant de l’Île-de-France était transféré sur les TGV !

Cela signifie que nous n’avions, nous, plus rien, sinon les fameux « petits gris »,…

Mme Nicole Bricq. Il y en a encore !

M. Roger Karoutchi. … qui existent encore sur certaines lignes, en effet. Le réseau francilien transporte 60 % de l’ensemble des usagers à bord de trains tellement improbables,…

Mme Nicole Bricq. Quand il y en a !

M. Roger Karoutchi. … dans des conditions tellement inhumaines et avec une irrégularité telle que, oui, cela en devient insupportable !

Vous n’y êtes pour rien, monsieur le secrétaire d’État, mais il est vrai que les présidents de la SNCF qui se sont succédé, sous divers gouvernements de gauche et de droite pendant vingt ans, n’ont pas investi en Île-de-France, préférant financer le TGV.

Résultat des courses : lorsque M. Pepy veut rassurer tout le monde sur l’état réel du réseau en Île-de-France, je trouve qu’il prend un risque considérable. Certes, il n’est pour rien dans la situation ; il a décidé, lui, depuis cinq ans, des investissements qui n’existaient pas il y a quinze, vingt ou vingt-cinq ans. Mais, ce qui est vrai, c’est que nous avons pris un retard considérable et que si, aujourd’hui, on ne change rien dans le système francilien, un nouveau drame risque de se produire.

Monsieur le secrétaire d’État, je le répète – en sachant bien que je prêche un peu dans le désert, y compris au sein de mon propre camp, je vous rassure –, si vous ne faites rien pour rapprocher la RATP de la SNCF, pour unifier la gestion des RER, qui pourrait être confiée à la RATP en laissant l’ensemble du Transilien à la SNCF, nous aurons encore et toujours des problèmes, des incidents, des retards, voire – je ne le souhaite pas – des accidents comme celui de Brétigny-sur-Orge. Il faut vraiment que les choses bougent !

C’est à regret que je ne voterai pas ce texte. Je reconnais bien volontiers votre tentative de rationalisation. Je déplore cependant que l’absence de moyens financiers et un climat social compliqué – qui expliquent que nous ne puissions aller jusqu’au bout –….

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Abstention ?

M. Roger Karoutchi. … vous empêchent de faire cette réforme, qui va dans le bon sens. Il faudra, après 2017, mon cher Louis Nègre, que nous la reprenions afin de la parfaire, grâce, peut-être, à d’autres moyens financiers… (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à écouter M. Karoutchi, on est sur la bonne voie et nos collègues de la droite vont continuer, après 2017, avec de l’argent qui viendra de je ne sais où… (Rires sur les travées de l'UMP.) Nous verrons, le moment venu et en temps opportun !

Mes chers collègues, ce projet de loi sur la gouvernance du ferroviaire va enfin pouvoir être discuté dans notre assemblée, directement concernée par ce sujet, puisqu’elle représente les collectivités locales, donc les régions, compétentes, comme vous le savez, en matière de transport ferroviaire régional.

Je dis « enfin », car nous parlons de la nécessité de ce texte depuis de nombreuses années, au-delà des deux années et demie qui viennent de s’écouler, et nous n’avons pas pu, jusqu’à maintenant, en discuter vraiment au niveau parlementaire ; je me réjouis donc que ce projet de loi vienne en discussion au Sénat.

Jean-Louis Bianco et Jacques Auxiette ont remis leurs rapports voilà déjà plus d’un an, en avril 2013. De plus, l’actualité sur les suites de l’accident de Brétigny-sur-Orge montre, à l’évidence, l’urgence de cette réforme.

Enfin, et peut-être surtout, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la présidence italienne de l’Union européenne souhaite accélérer les négociations du quatrième paquet ferroviaire, qui comporte une date « couperet » au-delà de laquelle nous ne pourrions plus réformer notre système ferroviaire, notre système de gouvernance comme nous le souhaitons aujourd'hui, j’y reviendrai.

Le statu quo ante, la situation telle que nous la connaissons, n’est pas durable, n’est plus possible. La distinction radicale, cette « muraille de Chine », entre RFF et SNCF est génératrice de surcoûts, d’insuffisances dans la gestion, tous les orateurs l’ont relevé.

Le texte qui nous est proposé vise à régler la question de la gouvernance. C’était un élément de consensus qui a été mis en évidence lors des Assises du ferroviaire. Tout le monde s’accorde à reconnaître la nécessité de réunifier les fonctions de gestionnaire d’infrastructure au sein d’une structure unique. Ce texte le prévoit.

Le projet de loi prévoit en ce sens la création d’un groupe public ferroviaire, « verticalement intégré », comme on dit en patois bruxellois, constitué de trois EPIC.

L’EPIC de tête, SNCF, assure l’unité du groupe – c’est très important ! –, la mutualisation de certaines fonctions et la consolidation financière de l’ensemble. L’EPIC dit « SNCF Réseau » regroupe les métiers de l’infrastructure et l’EPIC dit « SNCF Mobilités » exploite les services ferroviaires.

Lors de la récente grève de certains syndicats à la SNCF, nous avons bien compris que la crainte exprimée était qu’à terme l’EPIC de tête, seul garant de l’unité de la structure verticalement intégrée, c'est-à-dire de la holding, soit à l’avenir purement et simplement supprimé, par exemple en cas d’alternance politique. Ce chiffon rouge a été largement agité avec, en arrière-plan, la peur d’ouvrir la porte à une concurrence sauvage et dérégulée.

Or, d’une part, la concurrence ne figure pas telle quelle dans le projet de loi et, d’autre part, je suis convaincu que, si mise en concurrence des opérateurs ferroviaires il doit y avoir – et tel sera le cas en 2019 ou en 2022 –, celle-ci ne peut se concevoir que strictement encadrée et régulée, je le dis clairement.

De mon point de vue, et c’est plutôt le président du GART qui s’exprime ici, on n’a pas suffisamment exploré la voie qui a fait ses preuves pour ce qui est des transports urbains. Depuis la LOTI, la loi d’orientation des transports intérieurs, le transport urbain fonctionne sur la base d’une concurrence régulée : il existe une distinction claire entre autorités organisatrices, en général les intercommunalités,…

M. Roland Ries. … et opérateurs de transport. L’autorité organisatrice de transport a d’ailleurs la possibilité de choisir le système de régie – c'est le cas pour une vingtaine d’adhérents du GART. À mes yeux, cette concurrence régulée de l’urbain fonctionne bien. Elle n’est pas transposable telle quelle au ferroviaire, mais mutatis mutandis, comme on disait à l’époque où l’on faisait de la rhétorique, c’est-à-dire en changeant ce qui doit être changé, elle peut être utile pour la gouvernance future du système ferroviaire français.

Le projet de loi s’attaque ensuite à la question de la dette.

Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez tout comme nous, il n’y a pas de solution miracle en ce domaine : dire qu’en 2017 on trouvera les ressources nécessaires pour absorber cette dette considérable, de 44 milliards d’euros environ, ne me paraît pas très réaliste eu égard à la situation que nous connaissons aujourd’hui ! Une telle somme n’est en effet pas facile à amortir. Mais, la première chose à faire, c’est d’éviter des dérives supplémentaires, c’est-à-dire de mettre en œuvre la règle d’or qui est prévue dans le texte.

Cette règle, quelle est-elle ? Elle consiste à ne pas décider d’investissements supplémentaires d’extension du réseau, comme un TGV, qui ne seraient pas adossés à des recettes prévisionnelles. Si des recettes sont envisagées, que ce soit sur dix, quinze ou vingt ans, il est possible d’amortir l’investissement ; si tel n’est pas le cas, on ne ferait évidemment qu’aggraver le déficit et la dette.

Je le redis, la première mesure à prendre, c’est celle qui figure dans ce projet de loi : ne plus décider d’investissements qui ne soient pas adossés à cette règle prudentielle relative aux investissements de développement de la SNCF. Je me réjouis que cette disposition ait été introduite à l’Assemblée nationale.

Enfin, la question sociale n’est pas éludée. Elle est évidemment centrale et très importante pour les personnels de la SNCF.

Le projet de loi pose en effet les bases d’un cadre social uniforme pour l’ensemble des cheminots, sans remettre en cause leur statut. L’article 6 prévoit, d’une part, un décret dit « décret-socle », qui fixera les règles relatives à la durée du travail communes aux trois EPIC, mais aussi aux entreprises dont l’activité principale est le transport ferroviaire, garantissant ainsi un haut niveau de sécurité, et, d’autre part, une convention collective de branche pour les activités de transport, de gestion et de maintenance d’infrastructures ferroviaires.

Cette définition des normes sociales propres à ce secteur permettra d’éviter ce qu’il faut évidemment craindre dans la perspective d’une mise en concurrence, à savoir le dumping social, en termes non seulement de salaires mais aussi de conditions de travail des salariés, comme c’est hélas ! le cas dans le transport routier aujourd’hui.

Mes chers collègues, il y a urgence ! Je le disais en introduction, la présidence italienne souhaite accélérer le dossier et faire adopter rapidement le quatrième paquet ferroviaire. Si nous n’adoptons pas le présent projet de loi, nous risquons de ne plus pouvoir instituer une holding, cette structure verticalement intégrée qui constitue la base même de la nouvelle gouvernance.

Je le rappelle, le quatrième paquet ferroviaire prévoit que les structures verticalement intégrées existantes peuvent être maintenues, mais qu’il ne sera pas possible d’en créer de nouvelles. Voilà pourquoi il y a urgence.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, soit à voter ce projet de loi, comme je le ferai avec conviction et enthousiasme, soit au moins à vous abstenir, afin que ce projet de loi ainsi que le projet de loi organique puissent être adoptés. Ainsi, nous pourrons changer la donne et faire un premier pas dans la bonne direction ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la première question que je me suis posée avant même de prendre connaissance de ce projet de loi sur la réforme ferroviaire était de savoir si la SNCF, après l’application de cette loi, resterait un champion du ferroviaire. Pour ma part, j’y tiens beaucoup, car j’estime que cette entreprise, de par son histoire, suscite une véritable affection partagée par beaucoup.

Néanmoins, le champion va devoir dorénavant évoluer dans un environnement concurrentiel, car je n’imagine pas un cordon sanitaire économique autour de la France. Son principal concurrent sera la Deutsche Bahn, avec laquelle il faudra toujours composer pour influencer durablement les règles de gestion du système ferroviaire en Europe.

Pour rester un champion dans un tel contexte libéral, il faut, à mon sens, viser trois objectifs : l’efficacité, la compétitivité et l’équité. Je ne parle pas de la sécurité, qui fait consensus et reste le fil rouge s’imposant à tous, quels que soient les modèles économiques mis en œuvre. Le terrible accident de Brétigny-sur-Orge a été évoqué par tous ceux qui m’ont précédé à cette tribune.

Commençons par l’objectif le plus simple, l’équité. Nous disposons, avec le fret, d’une expérience : on a permis la concurrence sans forcément répondre à cet objectif. En effet, pour les nouveaux entrants, l’ARAF a été créée par la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires, mais après la décision d’autoriser la concurrence, laissant la porte ouverte à des entraves éventuelles. Par ailleurs, les règles du jeu, en particulier relatives au temps de travail, ont été négociées au désavantage de la SNCF, qui ne pouvait pas, du jour au lendemain, s’adapter aux règles du secteur privé.

Le projet de loi répond-il à cet objectif d’équité ? Après rectification à l’Assemblée nationale et moyennant quelques aménagements, l’ARAF a maintenant, me semble-t-il, des prérogatives claires qui devraient lui permettre d’être efficace.

Pour ce qui est du temps de travail, il est envisagé qu’il soit le même pour tous. J’espère que les négociateurs de la convention collective auront à cœur de ne pas pénaliser davantage le fret ferroviaire par rapport au fret routier, et qu’ils trouveront un juste équilibre entre sécurité et efficacité.

Toujours dans la logique d’équité, et bien que cela ne figure pas dans le projet de loi, j’espère aussi que, s’agissant du fret, le Gouvernement maintiendra le financement de 40 % des péages pour tous après 2015. À défaut, c'est le routier qui remportera la mise !

Enfin, pour les voyageurs, le problème des gares n’est pas résolu. Pourtant, si celles-ci doivent servir à plusieurs opérateurs dans un proche avenir, il faudra bien s’en occuper, et rapidement.

J’en viens à l’objectif d’efficacité du système ferroviaire. Il comprend, selon moi, deux sujets centraux : la gouvernance et l’organisation, d'une part, le temps de travail, d’autre part.

Sur la gouvernance, j’ai voté sans états d’âme la loi de 1997, qui a permis la création de RFF. J’ai bien observé la suite des événements.

Avec le recul, je pense qu’il n’est pas raisonnable d’avoir laissé RFF sous-traiter à longueur d’année des milliers de petits marchés de travaux à la SNCF qui dispose, elle, des compétences et des moyens.

Il n’était pas plus raisonnable de partager les fonctions d’étude et de dévolution des sillons entre la direction de la circulation ferroviaire de la SNCF et la petite cellule de RFF, alors même que, par le passé, les systèmes informatiques n’étaient, paraît-il, pas compatibles. De plus, cette organisation demande beaucoup de compréhension entre les entités, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Je trouve donc très positive la réunification de la gouvernance envisagée dans ce texte de loi, même si elle n’est pas parfaite. Je me réjouis en particulier que nous ne soyons pas pénalisés par les distorsions avec la gouvernance en holding de la Deutsche Bahn, car nous serons très rapidement concurrents sur le territoire français pour le transport des voyageurs.

À ce sujet, je rappelle que la directive Gouvernance du quatrième paquet ferroviaire, amendée seulement par le Parlement européen, permet pour le moment à l’Allemagne de garder son organisation en holding. J’espère que notre organisation en EPIC sera acceptée, car cette même directive, qui a été adoptée en première lecture par le Parlement européen en février 2014, prévoit l’ouverture à la concurrence en libre accès en 2019 pour le transport de tous les voyageurs, et pas seulement pour les TGV, avec une exigence de réciprocité dans la concurrence et un système d’information et de billetterie interopérable.

Toujours dans cet objectif d’efficacité, il faut évoquer l’organisation du temps de travail. Je me félicite que l’article 13 abolisse l’article 1er de la loi de 1940. C’était une condition sine qua non pour permettre une évolution. Ce sera désormais une commission mixte paritaire composée de représentants du personnel et des entreprises ferroviaires qui définira les modalités de la convention collective pour 2016.

Un accord semble avoir été trouvé sur la méthode. J’espère qu’une solution raisonnable sera trouvée sur le fond, afin d’éviter le « nivellement par le haut » auquel on assiste souvent.

Pour les TER, l’usager paie, toutes dépenses confondues, en moyenne 30 % du coût du trajet et le contribuable, 70 %. La part du contribuable doit être réduite pour essayer de stabiliser les finances. Une action efficace de tous doit y contribuer, en particulier par la gestion du temps de travail.

Une fois améliorée l’efficacité au travers de la gouvernance et de l’organisation du temps de travail, on pourra envisager d’atteindre l’objectif de compétitivité. Sur ce thème, il y a deux sujets fondamentaux que je n’évoquerai pas plus longuement, faute de temps, et qui sont simplement évoqués dans le projet de loi : la dette, à l’article 2 ter, et le statut.

Pour mémoire, je rappelle que la dette de la Deutsche Bahn, dont le chiffre d’affaires est supérieur à celui de la SNCF, est de 17 milliards d’euros pour l’ensemble du groupe. Vous le voyez, nous avons encore des marges de progression !

Le statut, qui est évoqué aux alinéas 42 à 44 de l’article 1er, mériterait à lui seul un débat. Il serait peut-être préférable de conserver le statu quo, mais uniquement pour les employés à statut. C’est mon point de vue, mais je n’ai pas le temps de l’exposer plus avant aujourd’hui.

En conclusion, je considère que ce projet de loi ne réforme pas tout ce qui devrait être réformé pour préparer notre champion à un environnement concurrentiel ; il amorce cependant la mue en rendant possible cette mise en concurrence. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je m’abstiendrai lors du vote final. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les conclusions du rapport d’expertise sur l’accident de Brétigny-sur-Orge démontrent l’urgence de la réforme qui nous est présentée. Elles soulignent les limites de l’organisation actuelle de notre système ferroviaire, qui suscite des difficultés pour planifier et coordonner efficacement les travaux comme les circulations et qui ne permet aucune synergie.

Le constat est unanimement partagé : c’est la séparation, opérée par la loi de 1997, de l’exploitation et de l’infrastructure du système ferroviaire français en deux établissements distincts, la Société nationale des chemins de fer français et Réseau ferré de France, qui a conduit à une impasse.

L’ambiguïté créée dès le départ par un principe de double responsabilité n’a fait que s’aggraver durant dix-sept années, entraînant de multiples dysfonctionnements, caractérisés notamment par des difficultés opérationnelles, des problèmes d’anticipation et un endettement qui n’a cessé de s’alourdir, atteignant aujourd'hui 44 milliards d’euros.

Ce mauvais fonctionnement et les déséquilibres financiers ont encore été accentués par la recherche, par chacune de ces deux structures, d’une optimisation financière au détriment de l’autre.

Les usagers se sont aperçus, depuis longtemps déjà, de la dégradation de la qualité du service, particulièrement en termes de régularité des trains et d’allongement des temps de parcours.

Quant aux collectivités, largement sollicitées financièrement, elles ont dû subir des réorganisations de créneaux horaires ou des suppressions de dessertes, sans aucune concertation, sans information ni consultation préalable des élus locaux ou des usagers.

Pourtant, depuis la régionalisation des transports express, les régions se sont largement investies pour améliorer le transport ferroviaire sur leur territoire. Elles ont ainsi contribué de façon décisive à la relance du chemin de fer local : aujourd’hui, 80 % des rames qui circulent sont régionales. La contribution des territoires au financement du système ferroviaire représente, en 2012, un total de 4,3 milliards d’euros, soit plus de 14 % de l’ensemble des dépenses des régions.

Toutefois, les contreparties que constituent la dotation générale de décentralisation, allouée par l’État, ou la part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques sont notoirement insuffisantes pour financer cette régionalisation ferroviaire.

La région Nord - Pas-de-Calais, que vous connaissez parfaitement, monsieur le secrétaire d'État, possède le réseau de trains régionaux le plus dense, après celui de l’Île-de-France. En 2012, elle a consacré à ce réseau 218 millions d’euros, dont 60 millions d’euros en investissements pour les infrastructures.

Consciente de l’importance de la mobilité des biens et des personnes pour le développement du territoire, cette région a été la première à conventionner l’ensemble de ses dessertes et l’une des premières à candidater pour devenir autorité organisatrice de transports. Aujourd’hui, elle est frappée de plein fouet par un certain nombre de décisions arbitraires de la SNCF, notamment la suppression de dessertes TGV, laquelle va non seulement entraîner un surcoût de 800 000 euros, en raison de la nécessité d’organiser de nouvelles correspondances TER, mais aussi accentuer les difficultés de mobilité des familles, tout en freinant le développement régional.

Compte tenu de son engagement et de l’enjeu que constitue le transport ferroviaire pour l’aménagement des territoires, le Nord - Pas-de-Calais, comme les autres régions, a souhaité jouer un rôle plus important dans l’organisation du système ferroviaire.

Grâce au travail très dense de notre rapporteur, Michel Teston, que je tiens à remercier pour son implication, le texte dont nous allons débattre, qui a également été enrichi par les députés et par les membres de la commission du développement durable, répond à cette demande et devrait contribuer à une meilleure reconnaissance du statut d’autorité organisatrice du transport ferroviaire des régions. Le rôle de ces dernières pourra être encore renforcé si les amendements qui vous seront présentés concernant les compétences sur le matériel roulant et le chef de filat pour l’aménagement des gares sont adoptés.

Ces mesures vont bien dans le sens de la modernisation de notre système ferroviaire et de l’intérêt de ses usagers comme de ses salariés.

C’est aussi le cas de la nouvelle architecture prévue dans le texte, à savoir le regroupement des deux structures actuelles en un groupe public industriel verticalement intégré, composé d’un EPIC « mère », la SNCF, et de deux EPIC « filles » interconnectées, SNCF Réseau et SNCF Mobilités.

Cette gouvernance, qui garantit un haut niveau de service public, impose un pilotage stratégique unique pour une cohérence opérationnelle accrue et un contrôle de l’État renforcé. Elle associe davantage les usagers, les élus, les organisations syndicales et les entreprises. Elle assure également la valorisation et la modernisation du réseau interrégional.

Le projet de loi permet également de maîtriser l’endettement, grâce à un pilotage de l’État stratège ; je ne m’étendrai pas sur ce point.

La question sociale constitue un autre point central du texte, qui maintient le statut des cheminots et pose un cadre social commun à tous les travailleurs de la branche ferroviaire, prévenant ainsi tout risque de concurrence déloyale et de dumping social.

Je veux saluer, monsieur le secrétaire d'État, la qualité de votre travail et de la concertation que vous avez menée avec les acteurs du ferroviaire, les élus et les instances européennes.

Ce texte eurocompatible constitue une étape importante, qui conforte notre outil ferroviaire et préserve son avenir industriel. Il contribue à redonner de la fierté au groupe public et au monde cheminot français, dont l’histoire, la spécificité et l’excellence sont aujourd'hui partout reconnues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)