Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de cette semaine de contrôle, le groupe communiste a eu la bonne idée de nous proposer un débat sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE.

Cette initiative correspond tout à fait à l’actualité, puisque nous disposons depuis quelques jours du premier bilan de ce dispositif, vingt mois après son entrée en vigueur, ce qui nous permet de procéder à une première évaluation. Parallèlement, je tiens à mentionner le travail très intéressant de nos collègues députés, réalisé dans le cadre d’une mission d’information présidée par notre collègue Olivier Carré.

Bien entendu, je gage que nos collègues communistes, pour des raisons qui nous séparent profondément, ont choisi d’aborder ce sujet sous l’angle de la distribution des dividendes et des profits détournés, quand ils n’évoquent pas des questions de personne… Disons qu’ils vont bien au-delà des dispositions de la législation relative au CICE.

Certes, on constate que quelques grandes entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire, par exemple La Poste ou la SNCF, bénéficient ou ont bénéficié largement du CICE, alors qu’elles ont une politique de distribution de dividendes généreuse, voire un faible niveau d’embauche, il faut le reconnaître.

Cependant, en y regardant de plus près, les trois quarts du CICE bénéficient, à ce jour, à des PME ou à des entreprises de taille intermédiaire, qui effectuent l’essentiel de leur activité en France, contrairement aux grandes entreprises cotées, dont nous sommes également très fiers.

Permettez-moi de citer à cette tribune certains éléments de réflexion datant de juin 2013 et émanant de M. Christian Eckert, élu comme moi du département de Meurthe-et-Moselle. « Rapporteur de la commission des finances, je ne devrais sans doute pas écrire les lignes qui suivent. Quoique... Ce qui me frappe, depuis un an presque jour pour jour que je travaille avec le Gouvernement sur les questions budgétaires, c’est le nombre de contradictions auxquelles nous devons faire face ». En ce qui concerne le CICE, il évoquait les « effets d’aubaines garantis, mais aussi [les] effets pervers assurés ! » « Les artisans sans salariés regarderont passer le train, ajoutait-il, alors que les grosses entreprises du BTP verront leur impôt diminuer. » A-t-il vu juste ? Toujours est-il que le secteur du BTP souffre aujourd’hui terriblement.

Toutefois, l’enjeu du CICE est ailleurs assurément, et le débat sur son utilisation relève pour nous d’une approche qui doit embrasser un horizon plus large.

Le CICE est une mesure à la disposition des entreprises. Il doit être utilisé en fonction de leurs besoins, de la conjoncture et de leurs perspectives économiques. Il doit créer une dynamique qui sert l’entreprise, contribue à la restauration de ses marges et favorise l’emploi, même si, là encore, on a pu constater un énième revirement de la part du Gouvernement, avec le rétropédalage – exercice devenu habituel, mais ô combien périlleux ! –, de M. Michel Sapin. Celui-ci a déclaré, au début de ce mois, que l’objectif premier du CICE était non de créer des impôts, mais d’aider les entreprises à « retrouver les marges qu’elles avaient perdues. » Or nous sommes en 2014, moins de deux ans après l’annonce de la création du CICE !

Il faut donc accepter de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés, même si, avouons-le, la confusion règne largement et s’il serait utile d’avoir une politique économique d’encouragement aux entreprises. Une politique de l’offre serait un bon objectif, mais, assurément et malheureusement, le Gouvernement a toutes les difficultés à la mettre en œuvre.

À ce titre, permettez-moi, mes chers collègues, un petit rappel historique, car je ne compte plus les bricolages ni les improvisations gouvernementales, que ce soit en matière de fiscalité, de cotisations sociales ou de compétitivité.

À son arrivée au pouvoir, la majorité de gauche – votre majorité – s’était empressée, par pure idéologie, j’oserai même dire par dogme, de supprimer la TVA compétitivité – cela a d’ailleurs été rappelé par M. Vincent Delahaye. Ce dispositif avait pourtant le mérite de la simplicité et de l’efficacité : il s’agissait d’augmenter la TVA pour compenser les baisses directes de charges sociales.

Vous avez ensuite décidé et mis en œuvre une politique d’augmentation massive des impôts, à contretemps de nos partenaires européens, ce qui a immanquablement et profondément déstabilisé et pénalisé nos entreprises.

Dois-je rappeler le pic historique atteint cette année, avec un taux des prélèvements obligatoires qui dépasse désormais 56,5 % du produit intérieur brut ?

Cependant, contraints et forcés par ce que le ministre, issu de vos rangs, M. Pierre Moscovici, avait alors qualifié de « ras-le-bol fiscal », vous avez pris conscience des limites de cette politique économique et fiscale. En effet, elle n’a, finalement, au-delà de la crise, fait qu’aggraver la situation de notre économie et de nos entreprises.

Nous le savons tous, nos entreprises souffrent d’un handicap de compétitivité. C’est d’ailleurs ce qui légitime une politique de l’offre. Sur ce point, je citerai – une fois n’est pas coutume – une personne dont la compétence est reconnue de tous, M. Thomas Piketty : « Il n’est ni juste ni efficace de faire reposer l’excès de financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé ».

Madame la secrétaire d’État, même si l’analyse ne fait pas l’unanimité dans votre majorité – cela a été rappelé par notre collègue Marie-France Beaufils à l’ouverture du débat – sachez que, avec nos collègues de l’UMP et bien d’autres, d’ailleurs, je partage les considérants de ce diagnostic.

Ainsi, après avoir perdu plus d’une année, vous avez décidé la mise en place d’un ersatz de TVA compétitivité : le CICE. Je parle d’ersatz car il s’agit non pas d’une baisse directe des charges sociales, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Gallois, mais d’une forme de crédit d’impôt qui est, en fait, un tour de passe-passe budgétaire, puisque l’État crédite les entreprises avec une année de décalage.

À ce stade, permettez-moi de faire deux observations. Premièrement, le CICE est un soutien aux entreprises dont la valeur correspond aux augmentations d’impôts qu’elles ont subies. Deuxièmement, vous baissez les charges sociales par un crédit d’impôt imputé sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu. Avouez que, en termes de simplicité, vous auriez pu faire mieux ! Les entrepreneurs nous le disent et nous le répètent. Ainsi, le patron de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, de mon département et de la Lorraine déclare que « le système est compliqué, il coûte cher en gestion et il n’a pas l’effet qu’aurait pu avoir une simple baisse des charges sociales. »

Aucun cap, une série d’improvisations, une complexité accrue... Ne sommes-nous pas là face à une nouvelle usine à gaz bien éloignée du choc de simplification ?

Examinons maintenant le premier bilan du CICE. Il nous conduit à dresser le constat d’une situation que je qualifierai de mitigée. La montée en charge du dispositif est lente et le décalage avec vos prévisions – oserais-je dire avec vos espoirs ? – est surprenant quand on en fait la mesure objective.

La prévision initiale pour 2013 était de 13 milliards d’euros, et nous devions passer à 20 milliards en 2014. Or, au début du mois de septembre dernier, la consommation constatée était à peine supérieure à 5 milliards d’euros.

Certes, il manque des déclarations d’entreprises en exercice fiscal différé, mais ces dernières sont le plus souvent de petite taille. Le CICE pouvant être utilisé sur trois ans, il faut aussi tenir compte de ce décalage. Cependant, comment expliquer une telle frilosité ? Vous nous dites que le dispositif est – ou serait – encore mal connu. Je veux bien vous accorder encore à cet instant le bénéfice du doute, mais, sachez-le, je ne me fais aucune illusion !

En effet, en écoutant les chefs d’entreprises, on constate qu’ils sont en fait partagés sur la pertinence du CICE et que sa première utilité est de compenser, autant que faire se peut, je le répète, une partie des hausses d’impôts supplémentaires qu’ils ont subies.

C’est aussi une compensation d’autres mesures que vous avez prises et qui ont contribué à augmenter le coût du travail : la réforme des retraites, les hausses de salaires, notamment du SMIC, la suppression des exonérations d’heures supplémentaires, le compte pénibilité...

Surtout, ce dispositif apparaît complexe et le coût de son préfinancement élevé, en particulier pour les très petites entreprises.

Madame la secrétaire d'État, dois-je enfin vous signaler que les chefs d’entreprises craignent, d’une certaine manière, la recrudescence des contrôles fiscaux ou sociaux, comme c’est le cas pour le crédit impôt recherche ?

Si certains entrepreneurs voient, malgré tout, dans le CICE une forme de « bouffée d’oxygène » pour leur trésorerie, on peut d’ores et déjà constater que les objectifs que vous avez assignés au CICE ne sont pas tous atteints, de quelque point de vue que l’on se place : malgré ce dispositif, les marges des entreprises continuent de se détériorer.

M. Jean-François Husson. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les marges sont maintenant passées sensiblement en dessous de 30 % : 29,4 % en 2014, 29,8 % en 2013. C’est, sinon une descente aux enfers, du moins une baisse inexorable !

L’investissement des entreprises ne s’est pas non plus amélioré : il a reculé de 0,6 % et 0,7 % aux deux premiers trimestres de 2014.

Enfin, l’emploi – le « E » du CICE – ne s’améliore pas non plus. Oserais-je rappeler que vous aviez annoncé, en 2012, la création de 300 000 emplois en deux ans grâce à ce dispositif ? L’inversion de la courbe du chômage nous avait été promise pour la fin de 2013 par le président Hollande… Ce n’est même plus une plaisanterie – la parole du chef de l’État a été discréditée et la situation est trop grave pour pouvoir en sourire –, mais il faut la rappeler pour rendre à chacun ses responsabilités.

M. Michel Savin. Et rappeler certaines incompétences !

M. Jean-François Husson. La présidente du MEDEF de mon département, la Meurthe-et-Moselle, s’interroge. Certes, une entreprise peut espérer toucher en moyenne 1 000 euros par salarié, soit 10 000 euros pour dix collaborateurs. Toutefois, pour embaucher quelqu’un, il faut au strict minimum 20 000 euros ! Comment peut-on faire dans la situation actuelle pour embaucher autant de personnels ?

Je souhaite simplement rappeler une évidence : c’est d’abord et avant tout le carnet de commandes qui fait l’emploi dans notre économie.

Enfin, à terme, le financement de ce dispositif n’est pas assuré. Vous avez d’abord annoncé qu’il serait neutre pour le budget de l’État. Cela a été rappelé, cette dépense devait, en effet, initialement être financée par la hausse de la TVA, l’introduction d’une taxe environnementale et une baisse de la dépense publique. Vous avez donc annulé la hausse de la TVA, pour mieux la remettre en vigueur au 1er janvier 2014. Belle cohérence ! La fiscalité environnementale – est-ce dû au passage des cinq ministres du quinquennat qui, à ce jour, ont eu la charge de l’environnement ? – s’est perdue dans les limbes ! Reste la baisse de la dépense publique, qui demeure, à notre avis, hypothétique, et ce pour plusieurs raisons :

Tout d'abord, nous estimons que la réduction de 50 milliards d’euros que vous envisagez en trois ans, notamment pour financer la baisse des charges et l’équilibre des dépenses publiques, n’est pas réalisable. En effet, elle ne répond pas aux objectifs que vous vous êtes fixés et nous avons un véritable doute sur votre capacité à la réaliser !

Vous allez donc très probablement être confrontés à un effet de ciseaux : la montée en charge du CICE, alors que, dans le même temps, la dépense ne baissera pas à due concurrence. De notre point de vue, tant que les dépenses publiques ne seront pas réduites substantiellement, nous ne pourrons pas financer une politique favorable à l’investissement, ce qui est regrettable.

Aujourd’hui, les chefs d’entreprises nous le demandent : l’État doit d’abord se réformer courageusement et réaliser effectivement un important programme d’économies. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau lors de l’examen de la prochaine loi de finances.

En fait, en dressant ce premier bilan du CICE, force est de constater que, s’agissant de la politique de l’offre, vous êtes, en quelque sorte, restés au milieu du gué. Le CICE sera, au mieux, un ballon d’oxygène, mais il ne constituera pas un élément fort d’une politique de compétitivité. Sa montée en charge est lente. Sa possible consommation sur trois exercices en fonction des résultats des entreprises ne répond pas à la situation d’urgence de nos entreprises. Nous aurions préféré une mesure générale, simple et à effet rapide.

Priorité doit donc être donnée à la logique économique : restauration des marges, politique d’investissement et politique de créations d’emplois. Si j’osais, je dirais qu’il ne suffit pas de déclarer : « J’aime l’entreprise ». Mieux vaut aujourd’hui en apporter des preuves concrètes !

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jean-François Husson. C’est sur ce sujet que nous serons collectivement jugés.

Que n’avez-vous, d’ailleurs, suivi les préconisations du rapport Gallois préconisant, quant à lui, une baisse des charges sociales directe et massive ! A contrario, nous allons, en 2015, nous retrouver avec trois dispositifs : les exonérations sur les bas salaires, le CICE et les mesures du pacte de responsabilité. Est-ce lisible pour les entreprises ? Non ! Est-ce cohérent ? Non ! Est-ce efficace ?

M. Jean-François Husson. J’en doute fortement !

Votre CICE demeure donc ainsi une mesure isolée. Restera-t-il, comme certains le disent – je cite de nouveau Thomas Piketty –, « le symbole de l’échec du quinquennat ? Une verrue incarnant jusqu’à la caricature l’incapacité du pouvoir en place à engager une réforme ambitieuse de notre modèle fiscal et social, qui se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop ».

M. Roland Courteau. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Jean-François Husson. Parfois, il est douloureux d’entendre certains des siens témoigner, cher collègue !

Le CICE ne permet pas la constitution d’un écosystème favorable à l’entreprise sur le long terme. Il n’est pas, de notre point de vue, à la hauteur pour recréer un climat de confiance avec le monde de l’entreprise.

Dans cette perspective, d’autres mesures nous paraissent indispensables, et j’en citerai six pour conclure mon intervention.

Premièrement, une simplification de la vie des entreprises et la fin des contrôles intempestifs, des normes diverses et des formalités inutiles.

Deuxièmement, des accords offensifs pour l’emploi au niveau des branches et des entreprises.

Troisièmement, la relance d’une politique active et audacieuse de l’actionnariat salarié.

Quatrièmement, une politique fiscale qui favorise l’investissement. Je me permettrai d'ailleurs de rappeler que, tous prélèvements confondus, les entreprises de taille intermédiaire et les PME françaises paient 60 % de plus d’impôts que leurs homologues allemandes ! Le Lorrain que je suis, frontalier de ce pays, souhaite rappeler ces différences, qui portent préjudice dans nos territoires à la compétitivité des entreprises entre les pays.

Cinquièmement, et c’est un élément important, abordé dans certaines lois récentes, la flexisécurité sur le marché du travail.

Sixièmement, et enfin, une véritable réforme de l’État.

Ce sont ces mesures, madame la secrétaire d’État, que nous appelons de nos vœux au-delà du seul CICE. En effet, il est temps aujourd’hui de redonner confiance à nos entrepreneurs et de créer, d’abord et avant tout, une dynamique favorable à l’investissement et à l’emploi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Germain.

M. Jean Germain. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, peut-être émettrai-je un avis d’une tonalité plus favorable sur ce dispositif...

M. Roland Courteau. C’est certain !

M. Jean-François Husson. Cela va être difficile ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Germain. Dans le rapport Gallois, présenté le 5 novembre 2012, était préconisé un « pacte pour la compétitivité de l’industrie française », largement accepté dans notre pays, à la fois par les entrepreneurs et par tous ceux qui travaillent sur ce sujet.

Ce rapport décrivait, notamment, la situation d’urgence que connaît notre pays, son manque de compétitivité, sa perte de « muscle économique ». Y était donc proposé le transfert d’une partie des charges sociales pour faire baisser le coût du travail, donc pour faire vendre moins cher et pour restaurer la marge des entreprises, qui est trop faible, en vue de permettre la réalisation de meilleurs investissements.

Quelques jours plus tard, à la suite d’un séminaire gouvernemental consacré au Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, le Premier ministre annonçait un allégement de 20 milliards d’euros du coût du travail, étalé sur trois ans et portant sur les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC, ce qui représenterait, à terme, une baisse de 6 % de ce coût. Cette réforme prenait la forme d’un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour les entreprises, financé à parts égales par des économies supplémentaires dans les dépenses publiques, et par des modulations de la TVA et de la fiscalité écologique.

Le premier constat qui peut être dressé à la suite du rapport Gallois et du séminaire gouvernemental, constat sur lequel tout le monde n’est pas d’accord, mais que nous partageons pour notre part, est que le poids des cotisations patronales pesant sur les salaires est excessif en France ; il est donc urgent de les alléger, non pas pour faire un cadeau aux patrons, mais parce qu’il n’est ni juste ni efficace de faire reposer à l’excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean Germain. De fait, lorsque l’on compare la France aux pays disposant d’un secteur social d’ampleur comparable, notre principale particularité est le poids de nos cotisations patronales : le taux global est supérieur à 40 %. Pour verser 100 euros de salaire brut, l’employeur paie plus de 140 euros en salaire « superbrut », dont une moitié pour les cotisations retraite et chômage et l’autre pour les cotisations maladie, famille, construction, formation, etc. Ces deux moitiés aux objectifs très différents pèsent sur le coût du travail. Les faits sont têtus ! Il faudra donc bien continuer à travailler sur cette question.

Deux rapports viennent d’être remis, dressant un bilan d’étape du CICE : le premier établi par le comité de suivi du CICE, institué par la loi et présidé par Jean Pisani-Ferry, et le second à l’issue d’une mission parlementaire présidée par Yves Blein.

La mission parlementaire dresse « un premier constat positif » : la communication autour du dispositif a permis une appropriation rapide par les entreprises, le montant de la créance est « globalement conforme » aux prévisions, le préfinancement fonctionne, l’utilisation est « conforme aux objectifs » et permet notamment de « stabiliser le coût du travail », ainsi que de « contribuer au redressement du taux de marge des entreprises ».

Le rapport de l’Assemblée nationale, aux pages 95 et suivantes, indique que toutes les personnes consultées, parmi lesquelles les représentants des entreprises, sont globalement satisfaites par ce dispositif, même si celui-ci, comme tous les dispositifs, peut encore être amélioré.

Le rapport du comité de suivi permet par ailleurs d’écarter certaines incertitudes qui ont pu être soulevées au cours des dernières semaines, notamment concernant l’impact sur les finances publiques et l’utilisation que font les entreprises de cette ressource.

Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, le montant du CICE acquis au titre de 2013 est fixé à 10,8 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2015. Ce montant, il est vrai, se révèle inférieur aux dernières prévisions réalisées par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, sur la base de la masse salariale de 2013, lesquelles estimaient le montant pour 2013 à 12,3 milliards d’euros.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart : imprécision des prévisions initiales fondées sur des données sociales et non fiscales, non-recours si le montant de CICE paraît insignifiant, rejet par certains entrepreneurs des formalités administratives. L’effet de nouveauté a pu jouer aussi, conduisant certaines entreprises à oublier de remplir la déclaration du CICE. Elles ont, dans ce cas, trois ans pour réclamer leur dû. La nouvelle convention de comptabilité nationale impose cependant d’enregistrer la totalité de la créance en dépense, et non plus en moindre recette, pour l’année de sa formation.

Concernant l’utilisation que font les entreprises du CICE, l’analyse fondée sur les enquêtes de conjoncture de l’INSEE montre qu’elles comptent utiliser cette ressource, d’abord, pour l’investissement et, ensuite, pour l’emploi. Il convient toutefois d’avoir une lecture prudente de ces chiffres : la question posée par l’INSEE tendait à savoir si le CICE contribuait à augmenter le résultat d’exploitation et si ces sommes seraient affectées majoritairement à l’investissement. Entre 52 % et 58 % des entreprises ont répondu par l’affirmative.

Le CICE peut tout aussi bien favoriser l’amélioration des conditions de travail, des dépenses de formation ou la prospection commerciale, ce que ne teste pas l’INSEE, mais ce que laissent penser d’autres enquêtes plus restreintes, lesquelles confirment la priorité donnée à l’investissement.

En ce qui concerne l’effet sur l’emploi, le rapport du comité de suivi indique qu’il s’agit souvent de préserver des emplois, plutôt que de recruter de nouveaux salariés. Toutefois, l’investissement a également un impact indirect sur l’emploi, non pris en compte dans ces enquêtes.

S’agissant des bénéficiaires du CICE, il apparaît que les PME et les TPE bénéficient pleinement du dispositif : les rémunérations moyennes étant plus faibles dans les petites entreprises, celles-ci ont une part plus importante de leur masse salariale inférieure à 2,5 SMIC. On observe donc bien que, plus l’entreprise est petite, plus la part de l’assiette CICE par rapport à la masse salariale brute totale est importante. (M. Roland Courteau opine.)

En tout, les entreprises de moins de 50 salariés recueillent environ 39 % de la créance totale du CICE, soit légèrement davantage que celles de plus de 500 salariés.

Par ailleurs, le commerce et l’industrie manufacturière sont les deux secteurs bénéficiant le plus du CICE en proportion du montant total versé, et cette part est légèrement supérieure à leur poids économique en termes de masse salariale : ces secteurs étant potentiellement les plus exposés à la concurrence internationale, le dispositif semble être en mesure d’améliorer la compétitivité de la France.

Enfin, le préfinancement mis en place pour permettre aux entreprises de bénéficier immédiatement de l’apport en trésorerie se met en place progressivement. Bpifrance réalise l’essentiel du préfinancement des PME et des ETI, notamment grâce à la gratuité des frais de dossier sur les demandes de faible montant.

Plus des deux tiers des entreprises concernées par le préfinancement font état d’une solvabilité faible : le dispositif a donc bien trouvé sa cible. C’est en particulier le cas du secteur de la construction, qui concentre près de 10 % des bénéficiaires du préfinancement par Bpifrance. Une plus grande implication des banques commerciales pourrait toutefois être recherchée avec la montée en puissance du dispositif.

La mission parlementaire formule des propositions pour améliorer le CICE selon trois axes : le renforcement de la communication autour du dispositif, le perfectionnement du mécanisme de suivi et des propositions d’évolution.

Les deux premiers axes comportent des propositions bienvenues pour améliorer la compréhension et l’utilisation de l’outil, notamment pour mieux atteindre l’objectif politique d’affichage des contreparties au CICE, et plus généralement au pacte de responsabilité : renforcer la communication auprès des TPE et PME ; mieux appliquer les dispositions relatives au suivi de l’utilisation du CICE dans les comptes annuels des entreprises ; encourager le dialogue social sur l’utilisation du CICE.

Il apparaît par ailleurs urgent d’installer les comités de suivi régionaux du CICE, qui sont notamment « indispensables à la pleine mise en œuvre des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi ». Ces comités devraient se mettre en place rapidement.

Trois évolutions de court terme sont également proposées : permettre l’imputation du CICE sur les acomptes d’impôt des sociétés afin d’éviter des mouvements de trésorerie dans les entreprises ; autoriser les redevables non imposés au réel à revenir sur cette option normalement valable dix ans, afin d’être soumis à un régime réel donnant droit au CICE ; étudier la possibilité d’accorder au secteur non lucratif un avantage fiscal similaire au CICE de manière à égaliser les conditions d’accès aux marchés publics.

Enfin, la mission propose, à terme, de transférer le CICE sur un allégement de cotisations sociales. Il convient d’être prudent sur cette évolution, mais nul doute que nous en reparlerons lors d’un prochain débat.

Le CICE est l’un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement. Cette dernière repose sur trois éléments : réduire le déficit public et assainir nos comptes publics ; restaurer la compétitivité de l’économie, et ainsi renouer avec plus de croissance et d’emplois de manière durable ; réformer notre économie, comme nous le faisons depuis deux ans, en amplifiant encore nos efforts. Enfin, des propositions sont formulées sur l’évolution du dispositif à moyen terme.

Les patrons de PME tiennent au CICE, et ils l’ont indiqué. D’après le baromètre KPMG-CGPME, ils sont 66 % à craindre une remise en question prochaine de ce dispositif.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean Germain. « La mesure est aujourd’hui plébiscitée par les dirigeants, qui commencent à mesurer les premiers bénéfices financiers. Ils craignent d’autant plus sa remise en cause que le degré d’inquiétude face à la situation économique atteint un niveau record depuis 2009 », souligne le baromètre.

Pour un dispositif qui vient de se mettre en place et qui monte en puissance, je pense, mes chers collègues, que le CICE a atteint une grande part des objectifs qui lui étaient fixés.

Les entreprises ont besoin d’un message de stabilité, et il convient de ne pas les inquiéter. Les entrepreneurs rencontrés sur le terrain s’interrogent souvent sur la pérennité du CICE. Nous devons les rassurer en leur expliquant l’importance de notre politique destinée à soutenir la compétitivité. Enfin, toute évolution doit être compatible avec notre engagement à réduire le déficit public.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, je suis de ceux qui considèrent que le CICE est positif. Nous ne devons donc pas inquiéter les entreprises en évoquant sa possible suppression. Il faut simplement dire qu’il sera amélioré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)