M. Ronan Dantec. … ont certes donné lieu à une innovation, avec le fléchage, sur les bulletins de vote, des élus municipaux appelés à siéger dans les intercommunalités. Mais les citoyens ont-ils réellement élu en pleine conscience leurs conseillers communautaires ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Mais oui !

M. Jean-François Husson. Vous croyez qu’ils ne sont pas assez intelligents pour ça ?

M. Ronan Dantec. Permettez-moi d’en douter, eu égard aux débats ayant animé les campagnes des dernières élections municipales, toujours axés sur la commune, et non sur le projet de l’intercommunalité. Cela était notamment très clair dans les petites communes. Autant, dans les villes-centres – je suis un élu d’une ville-centre ! (MM. Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard rient.) –, le débat portait à la fois sur la commune et sur l’intercommunalité, autant, dans les petites communes, il ne concernait que la commune, les électeurs ayant le sentiment de ne pas pouvoir influer sur les décisions prises par l’intercommunalité.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. À cet égard, la Haute Assemblée pourrait faire œuvre utile en dressant un bilan démocratique de cette première expérience de fléchage. Il convient d’essayer de comprendre comment s’est construit le débat public lors des élections municipales avec ce mode de scrutin. Nous pourrions avoir quelques surprises…

Mais, que l’on ne s’y méprenne pas, les écologistes ne veulent pas la fin des communes ! (Exclamations amusées et applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. Alain Richard. Ils ne la veulent pas consciemment ! (Sourires.)

M. Ronan Dantec. Bien au contraire – c’est l’une des raisons pour lesquelles l’accord local de représentation est utile –, les communes doivent être correctement représentées dans les intercommunalités. Si, demain, on met en place une élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct,…

M. Alain Richard. Il existe déjà !

M. Ronan Dantec. Non, pas tout à fait !

M. Alain Richard. Vous voulez un suffrage supra-communal !

M. Ronan Dantec. Si demain, dis-je, on met en place une élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, peut-être faudra-t-il réfléchir à nouveau à cette question, qui recoupe celle de la représentation des départements au sein des conseils régionaux, dont nous avons débattu hier. À cet égard, je rejoins le point de vue de M. Mézard : la représentation d’un département au sein d’un conseil régional ne peut être minorée. La logique est la même que celle que nous suivons à propos de l’intercommunalité.

L’attachement de nos concitoyens à leur commune est très fort, et celle-ci reste une institution politique qui leur semble proche et accessible. Les communes et leurs élus ont un rôle majeur à jouer en termes de relation directe aux citoyens, de proximité. Les élus communaux ont une responsabilité et une capacité particulières quand il s’agit de redonner confiance aux citoyens et d’assurer des échanges de qualité avec l’ensemble des pouvoirs publics. Guichet de services publics, nouvelle forme de débat public et de démocratie participative, attention particulière à la cohésion sociale de proximité, lutte contre l’isolement : ces actions des élus communaux sont précieuses et doivent être valorisées, y compris par le biais du renforcement du statut de l’élu communal, question sur laquelle nous devons encore avancer.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Il y a à faire !

M. Ronan Dantec. Donner une légitimité démocratique aux intercommunalités ne signe donc pas l’arrêt de mort des communes. Toutefois, le temps est venu de réadapter la situation aux réalités. Chacun connaît son maire, voire les adjoints de celui-ci, mais pas ses conseillers communautaires, alors même que les responsabilités des intercommunalités ne cessent de croître !

Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman, M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. C’est tout de même paradoxal !

Cela étant, je ne m’étendrai pas outre mesure sur ce sujet, car nous en débattrons prochainement, lors de l’examen du projet de loi défendu par Mme Lebranchu, dont l’exposé des motifs ouvre timidement quelques perspectives, en énonçant que les intercommunalités seront « des structures de proximité incontournables dans l’aménagement et la conduite de l’action publique locale. Il faudra ainsi leur donner le moment venu toute leur légitimité démocratique. » Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui prévoit de relever le seuil minimal de population des EPCI à 20 000 habitants, entraînera des fusions d’intercommunalités.

Mme Cécile Cukierman. Il n’est pas encore adopté !

M. Ronan Dantec. Sécuriser les accords de représentation des communes en cherchant à rassurer est une bonne chose. Voilà pourquoi le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi, les auteurs du texte et Mme la rapporteur l’ayant déjà fait. Permettez-moi plutôt de rappeler quelques faits.

Cette proposition de loi fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 consécutive à l’adoption, en décembre 2012, d’une proposition de loi qui faisait elle-même suite à la loi de décembre 2010, plus particulièrement à l’article 3 de celle-ci, relatif aux modalités de répartition des délégués communautaires. Cette loi prévoyait également l’élargissement forcé des intercommunalités.

S’il ne s’agissait pas de la démocratie locale, on pourrait presque en sourire, en se disant que débute la saison 3 d’une série à grand succès intitulée : comment respecter la représentation de toutes les communes au sein d’une intercommunalité alors que la loi de 2010 adoptée par la droite ne s’inscrivait pas dans cette logique ?

Les sénateurs des groupes de gauche, et même au-delà, ont rejeté la réforme de décembre 2010 dans son ensemble, même s’ils ont porté des appréciations diverses sur les différents articles du texte, y compris ceux qui étaient relatifs à l’intercommunalité.

Pour ce qui concerne le groupe CRC, nous nous étions farouchement opposés aux fusions intercommunales à marche forcée. En effet, comment parler encore de coopération intercommunale si coopération il n’y a pas et si l’obligation est la règle ?

Le projet de loi qui devrait être débattu au Parlement en décembre et en janvier prochains ne laisse d’ailleurs pas de nous inquiéter. En effet, dans sa rédaction actuelle, il vise à amplifier la tendance à l’œuvre, qui nous semble être contraire au développement d’une démocratie locale efficace, au service des femmes et des hommes vivant dans les différents territoires.

En 2010, nous avions souligné que l’autoritarisme transpirait du texte finalement adopté. Si nous avions jugé plutôt positif l’assouplissement proposé par la Haute Assemblée concernant l’article 3 afin de maintenir les accords locaux amiables conclus à la majorité qualifiée, nous avions aussi fortement rejeté le principe de réduire le nombre de conseillers communautaires.

En 2012, la proposition de loi de M. Richard visait, dans le cadre de l’élargissement des périmètres des intercommunalités, à éviter une réduction verticale du nombre de représentants par commune. À l’époque, nous nous étions abstenus sur ce texte qui tendait à améliorer, sous certains aspects, la loi de décembre 2010, tout en en préservant la substantifique moelle. Nous nous inquiétions déjà du fait que ces modifications n’aient pour seul objet que de faciliter la création d’intercommunalités contraintes, jusqu’alors refusée par certaines communes en raison, notamment, de la faiblesse de leur représentation au sein des futurs conseils communautaires.

Malheureusement, pendant trois ans, la gauche sénatoriale n’a pu s’entendre pour revenir sur cet article et, plus largement, redonner du souffle et de la modernité à une véritable politique de décentralisation. Pis encore, la mise en place des gouvernements Valls I puis Valls II a même mis fin à tout espoir, avec la substitution d’un secrétariat d’État à la réforme territoriale à un ministère de la décentralisation. De décentralisation il n’est alors plus question dans les « éléments de langage » ! Cependant, ne restons pas tournés vers le passé.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, sachez d’ores et déjà que nous serons au rendez-vous pour poursuivre le débat concernant la place et la représentation des communes, petites ou grandes, lors de la discussion du projet de loi dit « NOTRe » portant nouvelle organisation territoriale de la République, même si celui-ci est loin, en l’état, d’être nôtre…

Pour en revenir à la discussion qui nous réunit aujourd’hui, force est de constater que la décision du Conseil constitutionnel a mis un coup d’arrêt à tout ce que nous qualifions d’« aménagement positif » à ce fameux article 3 de la loi de décembre 2010. Nous ne pouvons donc pas nous en satisfaire, bien au contraire.

Sans en rajouter sur les difficultés rencontrées au sein des nouvelles intercommunalités, je voudrais néanmoins les souligner : pour être élue d’un département où de nombreuses équipes municipales sont allées jusqu’à la démission il y a un an, je puis vous dire que les plaies restent vives, que le travail est encore compliqué, et je dis cela sans faire référence au changement de majorité politique intervenu lors du scrutin de mars dernier. L’adhésion forcée de certaines communes à de grandes intercommunalités rend les choses complexes au quotidien.

Devant cette situation, les sénateurs du groupe CRC ont toujours souhaité être constructifs, et ils le demeurent. À ce titre, nous ne pouvons pas nous opposer à une proposition de loi visant à réintroduire la faculté de composer l’organe délibérant des communautés d’agglomération ou de communes par accord entre les communes membres, dans des limites compatibles avec la jurisprudence constitutionnelle.

Toutefois, nous regrettons que cette proposition de loi prévoie la réintroduction de la faculté d’un accord in fine plus strictement contraint, conformément à la décision du Conseil constitutionnel. La place de la démocratie locale, c’est-à-dire la place de la décision prise par les représentants élus au suffrage universel pour mettre en œuvre les choix politiques opérés sur un périmètre donné, en ressort donc encore un peu plus réduite.

À cet égard, permettez-moi de rappeler la déclaration de l’Association des maires ruraux de France : « La commune, quelle qu’en soit la taille, fait l’objet d’une perte progressive de liberté d’action, qui remet en cause ce premier pilier de la démocratie. » La commune ne doit pas s’évaporer dans l’intercommunalité.

Dans tous les cas, les élus, qui ont recueilli la majorité des suffrages exprimés, doivent mettre en œuvre les politiques dans les intercommunalités auxquelles ils appartiennent aujourd'hui. Le groupe CRC votera ce texte, non parce qu’il accepte les choix dont découle la situation présente, mais pour éviter de corseter un peu plus encore la démocratie locale dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme la rapporteur et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand les élus locaux ont la sagesse de construire des intercommunalités dans la concertation, suivie d’accords amiables, montrant ainsi leur capacité à surmonter les différences de sensibilités dans l’intérêt général, on ne peut que regretter la décision du Conseil constitutionnel et remercier les auteurs de la proposition de loi de leur initiative rapide et judicieuse.

Nous avons à statuer sur un problème important, qui le sera de plus en plus à l’avenir. À l’heure où nombre d’entre nous souhaitent, comme le Gouvernement, développer l’intercommunalité, favoriser la création de grandes structures intercommunales réunissant de très nombreuses communes, cette question devient de plus en plus cruciale.

Mme Éliane Assassi. Absolument !

M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Avoir des gardiens des tables de la loi est indispensable. Mais lorsque ces gardiens deviennent de fait inspirateurs de l’œuvre de la loi, avec des visions de fond parfois très personnelles (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.), cela n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons de la République. Aussi conviendra-t-il de s’interroger rapidement sur l’articulation entre le Parlement, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, ainsi que sur l’évolution de la notion de séparation des pouvoirs. Cette question sera d’ailleurs l’objet d’une prochaine mission d’information, créée dans le cadre du droit de tirage du groupe RDSE.

M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, lors de l’examen de la loi du 16 décembre 2010, nous avions longuement débattu, au sein même de cet hémicycle, de la question de la représentation des communes au sein des EPCI. La rédaction alors retenue faisait perdurer la possibilité d’un accord local de représentation, lui-même modulé selon le critère démographique. Nous avions alors trouvé, me semble-t-il, un compromis équilibré.

En invalidant cette disposition le 20 juin dernier, le Conseil constitutionnel en a toutefois décidé autrement. Alors que 90 % des intercommunalités usent de ce dispositif et que la réforme territoriale présentée par le Gouvernement tend à confier aux intercommunalités de nouvelles compétences, il nous faut souligner que la décision du Conseil constitutionnel, qui censure la réforme territoriale adoptée par le législateur, est dommageable au renforcement de l’intercommunalité. Elle porte atteinte à la représentation des petites communes, à un équilibre géopolitique indispensable au bon fonctionnement de nos EPCI, qui sont non pas des collectivités, mais des instruments de coopération intercommunale (Mme la rapporteur acquiesce.) ayant montré leur pertinence et leur efficience.

S’agit-il d’un durcissement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au regard de l’interprétation du critère démographique ? En effet, le principe selon lequel les écarts de représentation doivent rester compris entre moins 20 % et plus 20 % par rapport à l’application du barème proportionnel à la population ressortit bien à la seule jurisprudence du Conseil constitutionnel ; il ne figure ni dans la Constitution ni dans la loi.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. S’il s’agit bien d’un tel durcissement, peut-être faudrait-il alors que la Haute Assemblée envisage une révision constitutionnelle. En effet, cette interprétation ne serait pas tenable, compte tenu de l’évolution actuelle non seulement des institutions, mais aussi de la démographie ; en réalité, elle irait à l’encontre de l’esprit même de la Constitution. On pourrait parler de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy, mais il existe aussi, monsieur Kaltenbach, des îles de l’intérieur ! Or on supprime tous les bateaux qui permettent de les desservir…

L’intercommunalité est un outil, une coopérative de communes fondée par et pour ces mêmes communes. Une communauté d’agglomération ou de communes a pour objet de réunir des communes aux identités et aux sensibilités diverses, soudées par des intérêts locaux. C’est par conséquent un devoir pour son exécutif de rechercher, autant que faire se peut, un équilibre global et respectueux.

Par la disposition votée en 2010, le législateur encourageait les petites communes à intégrer les EPCI en répondant à leur crainte, parfois légitime, d’être absorbées par de grands ensembles et à leur désir de garder leur identité. À cet égard, la position du Conseil constitutionnel remet en cause un équilibre ancien et risque d’entraîner – il faut le dire – une politisation accrue des conseils communautaires : en effet, elle pourrait faire émerger des coalitions, elles-mêmes sources d’instabilité.

En outre, la décision du 20 juin 2014 ne prend pas en compte le poids du travail reposant sur les maires lorsqu’ils sont les seuls représentants de leur commune au conseil communautaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. A contrario, un accord local de représentation permettait une telle prise en compte. Le problème deviendra plus aigu encore avec l’extension des intercommunalités.

M. Alain Marc. Tout à fait exact !

M. Jacques Mézard. Depuis treize ans que je préside une communauté d’agglomération, je vis ces réalités. Je puis témoigner, comme nombre de mes collègues, que la conclusion d’un accord prévoyant la sous-représentation de la ville-centre est le moyen de rassurer les autres communes et de permettre une meilleure collaboration. (M. Gilbert Barbier acquiesce.) C’est un conseiller municipal de ville-centre qui le dit ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !

M. Jacques Mézard. Qu’il s’agisse des communautés urbaines, des métropoles ou d’autres types d’intercommunalités, un constat, déjà évident en 2010, devient encore plus frappant aujourd’hui, au moment où le Gouvernement entend renforcer l’intercommunalité, objectif que nous soutenons : il faut moduler les règles et, surtout, ne pas prendre prétexte de leur taille pour marginaliser les petites communes ! Les enjeux touchent à la représentation démocratique des citoyens et à l’expression pluraliste des opinions, ainsi qu’à la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique.

L’ironie, dans cette affaire, est que la censure du Conseil constitutionnel soit intervenue après qu’une ville-centre, mise en minorité par un accord local, eut contesté devant la justice administrative la possibilité d’un accord de répartition des sièges au conseil communautaire…

Finalement, si l’on suit jusqu’au bout la logique du Conseil constitutionnel, le conseil communautaire ne sera plus que la réunion des maires ruraux et du conseil municipal de la ville-centre dans son intégralité. Cette logique méconnaît la conception que se fait le législateur des tenants et aboutissants de l’intercommunalité et la volonté exprimée par l’auteur de la loi du 12 juillet 1999, Jean-Pierre Chevènement : notre ancien collègue, à qui je tiens à rendre ici hommage, nous a souvent rappelé quelle avait été à l’époque son intention.

Au regard du constat que je dresse, certes sévère mais incontournable, d’une quasi-réforme territoriale amorcée par le Conseil constitutionnel lui-même, la proposition de loi soumise à notre examen représente une initiative bienvenue, dont je me félicite. La totalité du groupe RDSE votera avec conviction cet excellent texte ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a marqué une étape dans la construction de la France décentralisée d’aujourd’hui, en répondant aux objectifs premiers de la décentralisation affirmés dès 1982. Elle a renforcé la démocratie locale, notamment en prévoyant l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires des intercommunalités, en même temps que celle des conseillers municipaux. Elle a aussi permis d’accroître l’efficacité de l’action publique au plus près du citoyen.

Cette loi, complétée par la loi du 31 décembre 2012 relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération, a conduit à la rédaction actuelle de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, portant sur les modalités de répartition des sièges d’élu communautaire dans les communautés de communes.

La composition de la très grande majorité des conseils communautaires résulte d’accords locaux obtenus à la majorité qualifiée, s’écartant plus ou moins de l’application du barème purement démographique. La répartition négociée des sièges s’effectue selon un régime de liberté encadrée, sur la base d’une sorte de contrat social. Grâce à ce système, il était possible, jusqu’à présent, de tempérer le poids de la ville-centre, sans que la répartition des sièges puisse aller à l’encontre de la répartition de la population ou en faire totalement abstraction.

Le Conseil constitutionnel vient de remettre en cause cet équilibre en répondant, le 20 juin dernier, à une question prioritaire de constitutionnalité posée par la commune de Salbris, relative aux modalités de composition des conseils communautaires.

Pour dire les choses simplement, deux modalités existaient jusqu’ici : la conclusion d’une entente préalable entre les communes, ratifiée par les conseils municipaux à la majorité qualifiée et respectant quelques règles ; un calcul automatique reposant sur la représentation proportionnelle des populations de chaque commune.

Le Conseil constitutionnel a considéré que la composition reposant sur un accord préalable des communes était contraire à la Constitution, faute de respecter suffisamment le critère de la démographie.

Les conseils des communautés de communes ne sont pas tous remis en cause : seuls le sont ceux qui étaient en litige devant le juge administratif, pour lesquels le calcul automatique s’appliquera. À l’avenir, lors de leur renouvellement, tous les conseils devront naturellement prendre en compte cette décision.

L’émoi que cette dernière a suscité, notamment dans les communes rurales, montre l’importance que les élus attachent à la conclusion d’un accord local, marque d’une solidarité réelle entre les collectivités territoriales.

Pour ma part, je suis très dubitatif sur le bien-fondé d’une décision qui prive les élus municipaux de la possibilité, encadrée, de définir les modalités de la représentation communale au conseil communautaire. En effet, cette liberté permet bien souvent de prendre en considération l’histoire partagée d’une construction intercommunale sur un territoire.

Alors que le Gouvernement entend obliger à la constitution de grandes communautés de communes – le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République prévoit un seuil minimal de population de 20 000 habitants, dont nous aurons l’occasion de débattre abondamment –, il est à craindre que les petites communes de nos territoires ruraux ne se trouvent, une fois de plus, représentées a minima, simplement parce qu’elles connaissent ce que j’appellerai une pauvreté démographique. Cela contribuerait à nourrir le sentiment d’exclusion et de fracture territoriale qu’elles peuvent éprouver.

Il nous faut un cap lisible. À cet égard, nous sommes confrontés à une urgence : assurer la stabilité de la composition de nos conseils communautaires, fragilisée par la décision du Conseil constitutionnel. Il convient d’apporter sans tarder une réponse à ce problème.

C’est pourquoi je remercie de leur initiative les auteurs de la présente proposition de loi, qui vise à rendre de nouveau possibles les accords entre communes sur la composition des conseils des communautés de communes ou d’agglomération, bien que l’amendement voté en commission me laisse un peu perplexe en ce qui concerne la possibilité de mettre en œuvre la volonté initiale de MM. Richard et Sueur.

L’idée est bien d’autoriser les élus locaux à prendre en compte la réalité et à ne pas se cantonner à un simple calcul arithmétique. Tenons-nous-en aux limites fixées dès 1995 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel autorisant un écart limité et encadré.

Si notre pays connaît la révolution tranquille de l’intercommunalité à laquelle nous assistons depuis une quinzaine d’années, c’est bien parce que nous avons fait confiance à la liberté des communes et des intercommunalités.

Vous avez parfaitement compris à quel point il était essentiel de privilégier le système des accords locaux, qui fonctionne bien quel que soit le nombre d’élus, l’objectif étant de travailler en commun.

L’accord constitue le fondement même du mode de fonctionnement d’une communauté de communes. Il est en effet important de privilégier le consensus en matière de répartition des sièges au sein des territoires, car ceux-ci sont constitués d’un réseau de communes de tailles très différentes, dont les unes sont urbaines, les autres périurbaines, d’autres encore très rurales.

Il n’y a là rien de compliqué. L’accord permet simplement de prendre en compte le fait que la démocratie locale, ce n’est pas uniquement des chiffres, mais bien des hommes et des femmes qui choisissent de vivre ensemble et de s’organiser au mieux pour cela.

Avec le groupe UDI-UC, je propose donc d’adopter cette proposition de loi, car la décision du Conseil constitutionnel pose des problèmes importants sur le terrain.

Au-delà, il y aura lieu de réfléchir à l’élaboration d’une proposition de loi constitutionnelle (M. Jacques Mézard acquiesce.) pour sortir de la seule vision démographique retenue par le Conseil constitutionnel. Le groupe UDI-UC va s’y atteler. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

M. Alain Richard. Bon courage !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.

M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un vent de panique qui a soufflé sur le monde des élus locaux du pays de Grasse, dans les Alpes-Maritimes, le 20 juin 2014, à l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel de censurer pour non-respect du principe d’égalité devant le suffrage le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, lequel permettait aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération de déroger à la règle de la stricte représentation proportionnelle à la population des communes au sein des conseils communautaires, en adoptant un accord local.

Comme dans 90 % des intercommunalités, l’accord négocié avait été l’option choisie par la communauté d’agglomération du Pays de Grasse, issue de la fusion, au 1er janvier 2014, de trois communautés existantes et voisines autour de la ville-centre, Grasse, dont j’ai été le maire pendant dix-neuf ans, jusqu'au mois de mars dernier.

C’est en ma qualité de maire de la plus grande commune et de président de l’une de ces trois communautés que j’ai été amené à coordonner les complexes procédures de fusion, tout au long de l’année 2013.

Composée de vingt-trois communes liées par une histoire locale forte, la communauté d’agglomération du Pays de Grasse, peuplée d’un peu plus de 100 000 habitants, a ainsi été installée le 1er janvier 2014, après un travail approfondi des maires concernés au cours de l’année 2013. Entre autres résultats, ce travail avait abouti à l’adoption à l’unanimité des communes d’un accord local tendant à introduire plus de justice dans la représentation des communes intermédiaires au sein du conseil de communauté.

Cet accord put se conclure dès lors que la commune-centre, Grasse, dont j’étais alors le maire, avait accepté de céder un certain nombre de sièges à des communes plus petites qui craignaient une surreprésentation de la commune la plus peuplée. L’objectif était de rassurer ainsi ces communes en répondant aux exigences, légitimes et compréhensibles, de maires craignant une prépondérance de la plus grande commune de la communauté. De telles réactions ont d’ailleurs été constatées dans 90 % des communautés de communes ou d’agglomération de France, y conduisant à la conclusion de ce type d’accords locaux.

Pourquoi un tel vent de panique ? Parce que dix jours plus tôt, le 11 juin 2014, le tribunal administratif avait annulé l’élection du conseil municipal de la commune de Cabris, membre de la communauté d’agglomération du Pays de Grasse, et que, si le Conseil constitutionnel a laissé, dans son arrêt, la possibilité de poursuivre l’application des accords locaux jusqu’aux prochaines élections municipales, il indiquait cependant que, dans le cas d’un renouvellement partiel ou total du conseil municipal de l’une des communes membres, la censure évoquée plus haut s'appliquerait immédiatement et que, lors des élections partielles à venir – celle de Cabris s’est déroulée le 5 octobre dernier –, la représentation des communes s'effectuerait obligatoirement selon les nouvelles modalités.

Comment faire, dès lors, pour se remettre en conformité avec la loi, vidée de son article dérogatoire ?

Cette interrogation nous avait amenés, mon collègue Alain Milon et moi-même, à poser, par la voix du doyen Gélard, une question d’actualité au Gouvernement au cours de la séance du 17 juillet dernier.

Les réponses peu satisfaisantes obtenues ont conduit les mêmes collègues à déposer le 3 septembre dernier, avec l’ensemble des membres du groupe UMP, une proposition de loi rédigée dans les mêmes termes que celle que nous examinons aujourd'hui.

Durant l’été, le vent de panique sembla d’ailleurs atteindre les services préfectoraux, dont les solutions envisagées pour remédier à la situation étaient plus inextricables les unes que les autres…

La ville de Grasse avait volontairement réduit de vingt-neuf sur soixante-deux à vingt-quatre sur soixante-dix – en faisant jouer la possibilité prévue dans l’accord local de majorer la composition du conseil de communauté – le nombre de ses sièges par rapport à ce que le tableau inscrit dans la loi lui accordait a priori, pour les redistribuer aux communes médianes, qui, en ce qui les concerne, ont donc bénéficié de sièges supplémentaires par rapport à ce que prévoit ledit tableau. La ville-centre passait ainsi d’une représentation de 47 % au sein du conseil communautaire à une représentation de 34 %, ce qui avait nourri le sentiment de confiance des maires des autres communes au cours du processus de fusion.

La négociation de cet accord avait été, dans le courant de l’année 2013, au cœur des discussions entre les élus locaux et constitué un élément majeur et déterminant de l’acceptation par les communes de la fusion des trois communautés initiales. Remettre en cause cet accord revenait donc à altérer l’esprit communautaire qui avait présidé au travail préparatoire à la fusion des trois communautés.

La réaction des maires et des élus communautaires, qui se sont sentis floués par l’arrêt du Conseil constitutionnel, fut vive, comme en témoignent ces quelques coupures de presse, où il est notamment question d’une « agglo en plein imbroglio ». (L’orateur brandit ces documents.)

Il allait donc falloir renoncer à cet accord et revenir au dispositif de représentation strictement proportionnelle à la démographie, les questions corollaires suivantes se posant.

D’abord, comment faire pour « désélire » des conseillers communautaires ayant tout de même été désignés par le suffrage universel lors des élections municipales de mars dernier ? Le conseil municipal est-il bien habilité à le faire ?

Ensuite, comment faire pour doter la plus grande commune d’élus communautaires supplémentaires alors que, lors de l’élection municipale, un nombre insuffisant de délégués avaient été élus au suffrage universel ? Le conseil municipal est-il bien habilité à désigner, seul, ces délégués supplémentaires manquants ?

Enfin, allait-on faire siéger ensemble, au sein des conseils communautaires, des élus n’ayant pas été désignés par le même mode de scrutin ?

Bien d’autres questions se posaient encore, en particulier sur la validité constitutionnelle des solutions proposées pour résoudre – c’est un comble – le problème posé par le Conseil constitutionnel lui-même !

Pendant tout l’été, les échanges entre les élus locaux et les services préfectoraux ont été denses et, s’ils ont été loin d’apporter des réponses satisfaisantes à toutes ces questions, ils ont conduit le conseil communautaire à s’orienter – de façon peut-être un peu prématurée – vers une remise en cause de la représentation des communes en son sein qui avait été arrêtée et une application stricte de la représentation proportionnelle.

Cela n’a pas empêché un grand nombre de maires d’exercer des recours contre cette évolution imposée. À cet égard, il serait d’ailleurs extrêmement intéressant d’observer comment ces recours pourraient prospérer. Un maire n’a pas hésité à refuser de faire délibérer son conseil municipal, déclarant qu’il « refuse d’éliminer les élus du peuple ». Et je n’entre pas dans le détail des inquiétudes exprimées quant aux formalités à venir pour réélire le président, le bureau, la commission d’appels d’offres, les commissions et toutes les instances de gouvernance de la communauté… De là à devoir reprendre les plus de 300 délibérations votées depuis l’installation du conseil de communauté, voire à devoir procéder à de nouvelles élections municipales dans les vingt-trois communes membres avec le nouveau fléchage des candidats au conseil communautaire, il n’y avait qu’un pas !

Quand je reprends l’exposé des motifs de la loi de 2010 de réforme des collectivités territoriales et que j’y lis que « cette loi a pour objectif de renforcer la démocratie locale par l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel en même temps que les conseillers municipaux et d’accroître l’efficacité de l’action publique au plus près du citoyen », je suis d’abord tenté de sourire, avant de m’inquiéter quant à notre capacité à légiférer pour simplifier les choses !

Bref, la meilleure solution – c'est d’ailleurs sans doute la seule – réside dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, tendant à réintroduire la possibilité de conclure un accord local ; je salue cette initiative.

Cela étant dit, réfléchissant à d’autres conséquences de la doctrine constitutionnelle sur le primat de la démographie dans les critères de représentation au sein du conseil communautaire, je me suis posé deux questions, l’une iconoclaste, l’autre beaucoup plus grave.

La question iconoclaste a trait à l’avis que donnerait le Conseil constitutionnel s’il était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la représentation proportionnelle de la population dans le cadre des élections municipales dans les communes de plus de 30 000 habitants. (Mme la rapporteur approuve.) Dans ces communes, on le sait, 51 % de la population – et même moins dans le cas d’une élection triangulaire – peut être représentée au conseil municipal par 75 % des élus, les 49 % restants n’étant alors représentés que par 25 % des élus. Qu’en est-il, alors, du sacro-saint principe de proportionnalité et de celui de l’égalité des suffrages des citoyens ?

La seconde question me paraît plus grave. Au fil de l’application de la doctrine constitutionnelle accordant un poids de plus en plus exorbitant au critère démographique, l’organisation territoriale et politique de la France tend à se cristalliser toujours davantage autour d’une France urbaine, au détriment de la France rurale.