compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaire :

M. Philippe Adnot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du 6 novembre a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les demandes de constitution de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion : d’une part, du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives ; et, d’autre part, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

3

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 7 novembre 2014, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la capacité juridique des associations ayant leur siège social à l’étranger (n° 2014-424 QPC).

4

Décision du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat une décision en date du 7 novembre 2014, prise en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, sur le droit de la propriété intellectuelle en Polynésie française (n° 2014-6 LOM).

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015
Discussion générale (suite)

Financement de la sécurité sociale pour 2015

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2015 (projet n° 78, rapport n° 83, avis n° 84).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale est un moment important, parce qu’il est l’occasion de rappeler que les Français sont attachés à leur modèle de protection sociale. Ils nous le disent : ils tiennent à ce modèle, dont la force est de s’adresser à tous, de la naissance à la fin de la vie. Ils savent que la sécurité sociale sera là pour eux, face à la maladie, au terme de leur carrière professionnelle, ou encore pour les aider dans l’éducation de leurs enfants.

Les Français sont attachés à ce que les principes qui fondent notre système de sécurité sociale soient garantis et que son fonctionnement soit assuré, et c’est pour protéger ce qui est au cœur du consensus républicain que nous faisons le choix résolu de la réforme.

En effet, nous ne pouvons accepter ni la régression ni le statu quo, qui seraient l’un et l’autre dangereux pour notre modèle social. Au contraire, nous devons sans cesse chercher à ce que celui-ci tienne mieux ses promesses de justice, qu’il s’adapte aux évolutions de notre société tout en étant soutenable financièrement.

Depuis deux ans, nous nous employons à réformer, à ramener notre système de protection sociale à l’équilibre. Ces efforts portent leurs fruits puisque, malgré la conjoncture économique, nous stabilisons en 2014 le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV. Nous améliorons le déficit de 800 millions d’euros pour le régime général et pour l’ensemble des régimes obligatoires de base. Entre 2011 et 2014, ce déficit du régime général aura été réduit d’un tiers.

Pour que ces efforts ne soient pas vains, il faut préserver les ressources de la protection sociale. C’est pourquoi, conformément à l’engagement pris au cours de l’examen de la loi de financement rectificative, l’intégralité des pertes de recettes engendrées par les exonérations prévues dans le pacte de responsabilité et de solidarité est compensée.

Nous revendiquons le choix de la réforme, mais de la réforme juste. Contrairement à ce qu’elle était pour la majorité précédente, pour nous, la réforme n’équivaut pas au recul social. Réformer, ce n’est pas remettre en cause les droits sociaux, ce n’est pas dérembourser, c’est transformer et aller de l’avant, faire des choix qui s’inscrivent dans le progrès, pour plus d’efficacité et de justice.

Le choix de la réforme juste, nous l’avons fait en matière de retraites dans le cadre de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites votée en janvier dernier. Cette réforme est efficace, puisqu’elle permet d’envisager le retour à l’équilibre de la Caisse nationale d’assurance vieillesse en 2017. Elle est juste, puisqu’elle consacre des droits nouveaux, comme la prise en compte de la pénibilité, dont je regrette que le Sénat ait jugé utile de la supprimer. Elle nous permet de renforcer les solidarités, avec la revalorisation à 800 euros, intervenue au 1er octobre dernier, de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et avec le versement d’une prime exceptionnelle de 40 euros aux retraités qui perçoivent moins de 1 200 euros de pension globale.

En matière d’assurance maladie, nous engageons des réformes en profondeur tout en renforçant les droits. Tel est le sens du plan d’économies que j’ai présenté dès avril dernier et du projet de loi relatif à la santé qui a été présenté le 15 octobre en conseil des ministres.

En effet, efficacité et justice ne sont pas dissociables, en matière d’assurance maladie comme ailleurs : nous allons chercher les économies non pas dans l’abaissement de la qualité des soins ou dans la dégradation des conditions de prise en charge, mais dans les réformes structurantes dont notre système de santé a besoin. C’est en le transformant qu’il répondra mieux aux besoins de nos concitoyens et aux attentes des professionnels de santé, et qu’il permettra à tous de continuer à avoir accès à des soins de qualité et à l’innovation, tout en assurant la maîtrise de nos dépenses.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale met ainsi en œuvre à la fois les orientations de la stratégie nationale de santé et celles du plan d’économies, selon quatre orientations.

La première est l’amélioration de la pertinence des soins pour éviter les actes inutiles.

C’est un enjeu d’économies comme de santé publique. Ce projet de loi comporte des mesures en ce sens, visant notamment à donner aux agences régionales de santé toute une série d’outils pour agir sur le comportement des établissements qui auront été ciblés en raison de problèmes significatifs de non-pertinence dans leurs pratiques et prescriptions.

La deuxième orientation est l’amélioration de l’efficience de la dépense hospitalière.

Avec les groupements hospitaliers de territoire, le projet de loi relatif à la santé fournira des outils nouveaux aux hôpitaux pour qu’ils puissent mutualiser leurs achats et leurs fonctions supports. Nous nous engageons dans la transformation de l’organisation territoriale des soins hospitaliers pour permettre aux hôpitaux de mieux répondre à ces exigences. Nous définissons donc un mode de financement adapté aux hôpitaux de proximité, qui doit leur permettre de jouer leur rôle de coordination entre ville, hôpital et secteur médico-social.

La troisième orientation consiste en la mise en place du virage ambulatoire de notre système de soins pour améliorer la qualité de la prise en charge de proximité tout en maîtrisant les dépenses.

Le renforcement des soins primaires de premier recours se traduit dans le choix de fixer, pour la deuxième année consécutive, un taux de progression de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – l’ONDAM – « soins de ville » à 2,2 %, soit un taux plus élevé que l’ONDAM des établissements de santé, qui progressera de 2 %. J’ai demandé aux directeurs généraux des agences régionales de santé d’être mobilisés pour organiser et favoriser ce virage ambulatoire dans les territoires. À ce titre, 19 millions d’euros d’aides sont prévus dans le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés pour accompagner ces derniers dans leurs projets de développement de la chirurgie ambulatoire.

Avec le soutien du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à créer un cadre d’expérimentation pour les hôtels hospitaliers, afin d’accompagner à la fois les établissements et les patients lors du moment sensible qu’est la sortie d’hôpital.

Parce que le virage ambulatoire suppose des soins en ville structurés, nous poursuivons la démarche engagée avec le pacte territoire-santé, qui prévoit des mesures incitatives à l’installation des médecins en zones sous-denses. En 2013, nous avons créé une prise en charge du congé maternité pour les médecins généralistes qui s’engagent à s’installer de manière durable dans ces zones. Ce dispositif incitatif donnant de bons résultats, nous allons l’étendre à d’autres médecins, spécialistes cette fois. Nous créons également une aide pour tenir compte des difficultés spécifiques de l’activité des médecins en zones isolées, notamment en montagne.

J’en viens enfin à la quatrième orientation de la stratégie nationale de santé et du plan d’économies : l’action sur les prix des médicaments et le développement des génériques.

Nous ferons baisser les prix des médicaments qui ne présentent pas d’amélioration du service médical rendu pour les patients, tout en continuant à soutenir l’innovation. Les médecins, en ville comme à l’hôpital, seront incités à prescrire des génériques. Je présenterai prochainement un plan d’action sur les génériques qui détaillera les actions que j’entends mener dans ce domaine.

Par ailleurs, de manière spécifique, face à la progression exponentielle des dépenses de traitement de l’hépatite C, nous proposons d’adopter des mesures très fortes de refonte de la régulation des dépenses de produits de santé.

Je veux avant tout rappeler que ces traitements représentent une excellente nouvelle en matière de santé publique, car ils apportent à un grand nombre de malades une amélioration réelle de leur état de santé. (M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales acquiesce.)

Notre système de santé garantit un large accès des patients à l’innovation thérapeutique, et nous en sommes fiers. Nous devons préserver cette situation. Aussi, pour répondre à l’enjeu spécifique du traitement de l’hépatite C, je propose la création dès 2014 d’un mécanisme de régulation pour les seuls médicaments destinés au traitement de cette affection. Ce mécanisme permettra de faire supporter aux laboratoires concernés un éventuel dépassement de l’enveloppe affectée à ces traitements.

Les économies que nous réalisons nous permettront d’investir dans le renforcement de la qualité de notre système de soins.

Nous investirons ainsi 34 millions d’euros, dès 2015, dans l’incitation financière à l’amélioration de la qualité des soins dans les établissements de santé. Nous vous proposons également de faciliter la prise en charge des actes innovants et des actes issus d’expérimentations.

En outre, 15 millions d’euros iront au déploiement des équipements d’imagerie médicale, afin de réduire les délais d’attente. De même, nous financerons le déploiement de la télémédecine.

Ces économies permettent également de poursuivre l’effort en direction des personnes âgées et handicapées. Avec Ségolène Neuville, nous continuons à soutenir les créations de places dans les établissements et services pour personnes handicapées et nous investissons dans la création d’unités de consultation en ville. Cela garantit aux personnes handicapées l’accès aux soins courants dans un cadre adapté, avec des locaux mis en accessibilité et des professionnels formés.

Laurence Rossignol et moi nous attachons à soutenir le renforcement du niveau d’encadrement en soins des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, avec 100 millions d’euros consacrés à leur médicalisation. Nous investirons 20 millions d’euros dans les parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie – une expérimentation que j’ai lancée voilà quelques semaines en région Centre, dans le département d’Indre-et-Loire.

Vous débattrez, au premier semestre de 2015, du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que l’Assemblée nationale a examiné en première lecture il y a deux mois. Il s’agit d’une réforme de progrès, qui améliorera concrètement la vie quotidienne de très nombreuses personnes et de leurs familles. La contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, destinée à financer cette réforme, sera bien affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. La part de ces ressources non consommée en 2015 servira à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, en finançant un plan pluriannuel d’aide à l’investissement sur la période 2015-2017.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne se limite pas à la structuration des économies qui sont annoncées ; il contribue aussi à ces priorités de la stratégie nationale de santé que sont l’accès aux soins et la prévention.

L’investissement en faveur de la prévention est soutenu : les crédits de prévention du régime général progresseront entre 2015 et 2017. Nous aidons les centres de vaccination à développer leur activité de vaccination gratuite. Nous réformons le dispositif de dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles, en posant les bases d’un dispositif unique de dépistage, plus performant et plus accessible aux publics qui en ont le plus besoin.

Nous renforcerons l’accès aux soins par la mise en place du tiers payant. Il s’agit d’une réforme qui changera, à terme, le quotidien de tous les Français, et dont le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale engage la première étape dès 2015 pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé.

L’accès aux soins est notre priorité et, je le dis avec force, je ne crois pas à l’idée erronée d’une « responsabilisation » des patients, qui revient à considérer que les malades se soignent par plaisir. Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise. Les résultats sont là : la part des dépenses de soins à la charge des ménages a reculé de 2011 à 2013, passant de 9,2 % des dépenses de soins à 8,8 %, alors que le chemin inverse avait été parcouru au cours du quinquennat précédent.

Avec ce projet de loi, nous poursuivons la reconquête de la prise en charge par l’assurance maladie. J’ai ainsi déposé, à l’Assemblée nationale, un amendement qui vise à supprimer les franchises médicales pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, soit plus d’un million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Nous mettons fin, de cette manière, à l’un des éléments les plus iniques de l’héritage des dix années au pouvoir de la majorité précédente, qui consistait à faire payer des personnes pauvres pour accéder aux soins. C’est une mesure exemplaire de la réforme juste, qui prouve que nous savons, dans un contexte inédit de contraintes et d’économies, réaliser une véritable reconquête sociale.

Mesdames, messieurs les sénateurs de la nouvelle majorité sénatoriale, j’ai pris connaissance avec grand intérêt de vos amendements et contre-propositions d’économies sur l’assurance maladie. Pour vous, le Gouvernement n’en fait pas assez en matière d’économies de santé, puisque vous proposez de réaliser 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires, au-delà des objectifs que nous nous fixons. Le comité d’alerte de l’ONDAM a pourtant considéré que les objectifs du programme d’économies proposé par le Gouvernement étaient plus exigeants que ceux qui avaient été présentés au cours des dernières années et que leur réalisation nécessiterait un pilotage serré.

Vous prétendez faire davantage en matière de substitution de génériques : c’est fort intéressant et fort louable, mais la seule mesure que vous proposez dans ce domaine consiste à supprimer un amendement de l’Assemblée nationale qui permet d’étendre les possibilités de substitution aux sprays, ce qui prouve bien le manque de cohérence de vos propositions.

Vous voulez renforcer les conditions de prise en charge des médicaments par l’assurance maladie, mais vous proposez la suppression du mécanisme permettant de limiter les dépenses au titre du traitement de l’hépatite C, le Sovaldi, qui est une garantie d’accès à l’innovation et de prise en charge des patients.

Vous prétendez faire davantage en matière de pertinence des prescriptions, mais vos seules propositions consistent à faire ce qui existe déjà, à savoir étendre les actions de pertinence aux soins de ville. De même, vous voulez supprimer ou vider de sa portée l’article 44, qui tend à inciter les établissements de santé à être plus vigilants quant à la pertinence de la prescription.

En résumé, vous avancez des économies de posture, dont nous aurons sans aucun doute l’occasion de débattre au cours des jours prochains, et vous reculez au contraire lorsqu’il s’agit de prendre de véritables mesures qui heurtent des intérêts particuliers. Ce n’est que lorsqu’il s’agit de réduire les droits sociaux que vous êtes prêts à proposer des mesures d’économies. C’est ainsi que, après avoir supprimé le compte de prévention de la pénibilité, vous souhaitez reporter à 64 ans l’âge légal de la retraite.

En privilégiant la réduction des droits, l’opposition montre qu’elle n’est pas prête à faire des choix structurants tels que ceux que nous défendons, animés d’une volonté d’agir avec à la fois efficacité et justice.

C’est ce même double objectif qui nous guide dans la réforme de la politique familiale.

Parce que la famille est le premier cercle de socialisation et de solidarité, il est nécessaire que la cellule familiale joue son rôle pour que les enfants progressent vers l’autonomie et deviennent des adultes investis dans la société. Si les familles sont fortes et soutenues, alors leurs enfants peuvent être égaux dans leurs destinées, vivre ensemble et se respecter. Voilà pourquoi la politique familiale est l’un des socles du pacte républicain auquel nous sommes attachés.

Mais la politique familiale doit être adaptée pour répondre aux évolutions de la société et promouvoir une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale. C’est pour cette raison que nous avons lancé un plan ambitieux permettant l’accueil des enfants de moins de 3 ans, avec la création de 100 000 places de crèche supplémentaires au cours des années à venir – 40 000 l’ont déjà été –, la création de postes d’assistante maternelle ou l’ouverture de 75 000 places d’accueil à l’école pour les enfants de moins de 3 ans. En effet, on ne peut pas réduire la politique familiale à des prestations.

Pour ce qui est des prestations, en faisant le choix de la modulation des allocations familiales, le Gouvernement a fait celui d’une réforme forte en matière de justice et de responsabilité.

Cette proposition a donné lieu à l’expression de nombreuses contrevérités au cours des dernières semaines.

L’universalité, ce n’est pas l’uniformité ; cela ne l’a jamais été. Par exemple, si l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, est une prestation universelle, son montant varie. La solidarité nationale, en termes d’universalité, est assurée, puisque toutes les familles qui ont droit aujourd’hui à des allocations familiales continueront à en toucher, même si, dans certains cas, leur montant sera diminué.

La modulation des allocations familiales ne remet pas davantage en cause les fondements de la sécurité sociale et la politique familiale n’est pas comparable à l’assurance maladie. C’est une réforme de justice, que les Français soutiennent car ils savent qu’elle ne demandera un effort qu’aux 11 % des familles les plus aisées et ne concernera pas les classes moyennes. En effet, seules les familles qui, avec deux enfants, ont un revenu supérieur à 6 000 euros par mois seront concernées. En deçà de 6 000 euros par mois de revenu net, les familles continueront à toucher le même montant d’allocations. Au-delà de 6 000 euros, les allocations familiales seront réduites de moitié et, au-delà de 8 000 euros, leur montant sera divisé par quatre.

Les Français sont attachés à leur modèle social, mesdames, messieurs les sénateurs, et rien ne met plus en danger la protection sociale que l’immobilisme. C’est pourquoi le Gouvernement engage des réformes structurantes pour notre protection sociale, laquelle doit permettre de mieux protéger et de mieux accompagner les familles et l’ensemble de nos concitoyens.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale dont nous entamons la discussion est un texte qui renforce la solidarité, dans un contexte où nous devons mieux répondre aux exigences d’une société qui évolue. Il s’agit, là encore, de faire preuve à la fois d’efficacité et de justice, les deux principes qui guident l’action du Gouvernement en matière sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, après que Mme la ministre vous a présenté les mesures les plus importantes de ce PLFSS, il me semble nécessaire, de mon côté, de rappeler les orientations du Gouvernement sur le plan économique et financier, ainsi que ses engagements budgétaires.

Dans un premier temps, je souhaite rappeler que le PLFSS pour 2015 s’inscrit dans une stratégie qui conjugue, d’une part, le redressement des comptes publics, avec des efforts d’économies, et, d’autre part, la création d’emplois et d’activité, avec la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité. Ce sont les deux piliers du redressement, budgétaire et économique.

Notre stratégie consiste d’abord à rétablir l’équilibre structurel de nos comptes selon un rythme adapté à la conjoncture, ce qui implique de réaliser des économies. Cet objectif est constant depuis notre arrivée aux responsabilités : atteindre l’équilibre structurel de nos comptes publics.

Cet effort est nécessaire, incontournable pour l’avenir de la protection sociale elle-même, afin que nous dépensions moins pour le service de la dette et que nous soyons capables de faire face à nos besoins sociaux. Notre volonté de maîtrise des déficits est la même aujourd’hui qu’en 2014. Elle n’a pas changé, en dépit du contexte économique défavorable, et malgré les difficultés pour réaliser les économies nécessaires, qu’il ne faut pas minimiser.

Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des finances et moi-même l’avons dit à plusieurs reprises : toutes les économies prévues doivent être réalisées pour atteindre notre objectif de 50 milliards d’euros d’économies sur l’ensemble des administrations publiques, dont 21 milliards d’euros dès l’année prochaine. Nous maintenons cet objectif sans le durcir, afin de permettre un rythme d’assainissement de nos comptes qui soit compatible avec le retour progressif de la croissance.

Sur l’État et ses agences, 19 milliards d’euros seront économisés en trois ans, dont 7,7 milliards d’euros dès 2015. Les dépenses des ministères diminueront de 1,8 milliard d’euros par rapport à leur niveau dans le budget initial de 2014.

Sur les collectivités locales, ce sont 3,7 milliards d’euros d’économies par an qui sont prévues, pour un total de 11 milliards d’euros en trois ans.

Pour l’ensemble de la protection sociale, incluant la sécurité sociale, l’assurance chômage et les retraites complémentaires obligatoires, cela signifie environ 20 milliards d’euros d’économies sur trois ans, à mettre en regard des 450 milliards d’euros de dépenses pour les seuls régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Cet effort représente 40 % du total visé au titre du plan de 50 milliards d’euros d’économies. C’est une proportion proche de la part que représentent les dépenses sociales dans l’ensemble des dépenses publiques.

Les mesures prévues par le PLFSS poursuivent cet effort, de manière juste et mesurée, mais avec détermination. Certains nous reprochent de ne pas faire de « vraies » économies, car les dépenses continuent à augmenter. C’est faux. Comme je l’ai rappelé, il est légitime que certaines dépenses augmentent en valeur, avec le vieillissement de la population et l’arrivée de traitements efficaces, notamment celui contre l’hépatite C qu’a évoqué Marisol Touraine. Faire en sorte que les dépenses augmentent moins qu’elles ne le feraient spontanément, cela implique de réaliser des efforts, de prendre des mesures, et donc de faire de vraies économies.

Certains responsables de l’opposition proposent de faire 110 milliards, voire 150 milliards d’euros d’économies. Comment peuvent-ils y croire eux-mêmes, alors qu’ils n’ont pas pris de mesures entre 2002 et 2012 ?

M. Gilbert Barbier. C’est l’éternelle question !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Quand j’entends proposer une hausse de TVA de 3,5 points, qui aboutirait à prélever 20 milliards d’euros supplémentaires sur les ménages, notamment sur les plus modestes d’entre eux, et réclamer la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, je constate qu’il n’y a pas là l’ombre d’une économie. Je constate aussi que, décidément, nous n’avons pas le même objectif.

M. Francis Delattre. Vous caricaturez !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Où réaliser ces économies ? Où retrouver des marges de manœuvre ? En réalité, il est nécessaire, pour que l’effort soit équilibré et supportable, de réaliser des économies dans plusieurs domaines.

Vous le savez, nous prévoyons 9,6 milliards d’euros d’économies sur la sphère sociale pour 2015. Sur ce total, 4 milliards d'euros proviennent des réformes passées.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il s’agit notamment des mesures relatives à la branche famille – 600 millions d'euros –, des économies sur les retraites de base – 1,5 milliard d'euros –, avec principalement le décalage de la date de revalorisation des retraites d’avril à octobre, qui n’a pas produit d’économies en 2014 mais en produira en 2015. Enfin, les régimes gérés par les partenaires sociaux sont associés à l’effort : en particulier, les régimes de retraite complémentaires et l’UNEDIC y contribuent respectivement pour 850 millions et pour 1 milliard d'euros, à travers notamment la nouvelle convention d’assurance chômage.

Les mesures nouvelles représentent 5,6 milliards d'euros d’économies. Une partie de ces mesures sont inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, tandis que les autres débordent du champ de ce dernier, qui, rappelons-le, ne concerne que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.

Les mesures inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ont été détaillées lors de la commission des comptes. En particulier, près de 3,2 milliards d’euros d’économies sont réalisés sur les dépenses d’assurance maladie ; c’est un tiers de plus que l’année dernière. Marisol Touraine vous en a longuement parlé, en détaillant les grands axes de la stratégie nationale de santé.

À ces 3,2 milliards d'euros s’ajoutent environ 200 millions d'euros au titre de la réforme du capital décès et quelque 700 millions d’euros d’économies réalisées dans le cadre de la réforme des prestations familiales en 2015. Marisol Touraine a longuement exposé la modulation des allocations familiales en fonction des ressources. Cette mesure, issue des discussions entre les députés et le Gouvernement, permettra à terme de réaliser environ 800 millions d'euros d’économies sur les dépenses de la branche famille, qui, je le rappelle, est déficitaire de plus de 2,9 milliards d’euros cette année.

Je tiens en parallèle à souligner l’importance de l’effort financier qui continue à être réalisé en faveur des familles, notamment en matière d’aides à la garde des jeunes enfants, lesquelles représentent aujourd’hui plus de 9 milliards d’euros, soit un investissement considérable.

En outre, les organismes de protection sociale, notamment ceux du régime général, se sont fixé des objectifs ambitieux en matière d’efficacité et de productivité : près de 500 millions d’euros seront économisés au travers de la diminution des coûts de gestion, grâce en particulier aux évolutions prévues par les conventions d’objectifs et de gestion, qui viennent d’être renégociées.

Outre ces mesures inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, des économies seront réalisées dans les autres secteurs de la protection sociale. Ainsi, les coûts de gestion de l’UNEDIC seront réduits d’un montant de 200 millions d'euros. Il faut également tenir compte des effets, en 2015, du calendrier législatif d’adoption de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

Par ailleurs, les prévisions de consommation des crédits d’intervention des fonds d’action sanitaire et sociale des caisses de sécurité sociale, cohérentes avec la consommation observée en 2014, conduisent à prévoir de moindres dépenses.

Enfin, d’autres mesures de moindre importance contribuent aux économies ; je pense par exemple à la lutte contre la fraude, ou encore à certaines mesures relatives aux aides au logement.

Comme vous le savez, ces économies s’accompagnent de la mise en œuvre d’engagements forts du Gouvernement et du Président de la République : poursuite des revalorisations exceptionnelles de prestations sociales dans le cadre du plan pauvreté, mesures de justice dans le domaine des retraites pour les femmes, les jeunes, les carrières longues et les carrières heurtées, absence de déremboursement ou de transfert de prise en charge aux complémentaires en matière de santé.

La commission des affaires sociales du Sénat s’est demandé si les montants d’économies anticipés par le Gouvernement pour les régimes paritaires de retraite et d’assurance chômage constituaient une feuille de route fixée aux partenaires sociaux. En réalité, les partenaires sociaux se sont eux-mêmes fixé une feuille de route, contenant des montants d’économies précis, et, malgré les difficultés qu’ils rencontrent pour les réaliser, ils n’ont pas revu leurs objectifs à la baisse. Ils savent en effet, comme le Gouvernement, la nécessité de rétablir les comptes des régimes.

Au-delà de ces économies, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 permet de préserver le financement de la sécurité sociale par la compensation du pacte de responsabilité et de solidarité, sans mesure de recette supplémentaire pesant sur les ménages et les entreprises.

Le Gouvernement avait pris des engagements très clairs à l’occasion des débats sur le pacte de responsabilité et de solidarité, qui a été voté cet été. Ces engagements sont respectés.

Tout d’abord, les allégements de cotisations seront bien mis en œuvre au 1er janvier 2015. Les décrets relatifs à la mise en place du dispositif « zéro charge au SMIC » seront bientôt publiés, dans le délai prévu.

Ensuite, les allégements en faveur des indépendants seront pris en compte dans les appels de cotisations de 2015. La réduction de cotisations, d’un montant de 1 milliard d’euros, sera donc appliquée dès le début de 2015. S’y ajoute 1 milliard d’euros de baisse de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, ciblée d’abord sur les petites et moyennes entreprises, puisque les deux tiers des redevables seront totalement exonérés de cette contribution dès 2015. Les conséquences de cette baisse des recettes de C3S sur les affectataires – dont le régime social des indépendants, le RSI – sont neutralisées par des ressources équivalentes. Comme cela avait été clairement dit lors des débats, l’opération n’affecte en rien l’indépendance de ce régime ; Marisol Touraine et moi-même l’avons officiellement confirmé à ses responsables.

Enfin, comme le Gouvernement s’y était engagé et comme la loi de financement rectificative en avait instauré le principe, les lois financières prévoient les modalités de la compensation intégrale des pertes de recettes induites par le pacte de responsabilité et de solidarité.

Cette compensation s’inscrit dans une logique de rationalisation. Certaines recettes communes sont confiées intégralement à la sécurité sociale, tandis que des dépenses partagées seront désormais prises en charge intégralement par l’État. Une partie de la compensation se fera ainsi sous forme de reprise de certaines dépenses de la sécurité sociale par l’État.

En pratique, la fraction des aides personnalisées au logement, les APL, aujourd’hui financée par la branche famille sera désormais supportée par le budget de l’État, qui en finançait d’ores et déjà près de 40 %. Cette opération de transfert de dépenses n’a pas de conséquence pour les bénéficiaires. Les règles d’attribution, de calcul et de gestion par les caisses d’allocations familiales ne sont en aucune façon modifiées.

En outre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 transfère à la sécurité sociale l’intégralité du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, dont le taux cumulé s’élève à 15,5 %. L’affectation de l’intégralité de cette ressource à la sécurité sociale représente un transfert de 2,5 milliards d’euros. Cela assure une forme d’unité et de cohérence. Les fonds qui bénéficiaient antérieurement d’une partie de ces prélèvements feront l’objet de dotations de l’État.

La compensation s’appuie également, pour l’année 2015, sur un apport exceptionnel issu de la réforme du recouvrement des cotisations dues par les caisses de congés payés existant dans certains secteurs. Je tiens à apporter trois précisions sur cette mesure.

Tout d’abord, il n’y a là aucune remise en cause du rôle et des missions de ces caisses. Elles continueront d’assurer la gestion des congés de manière mutualisée, comme auparavant.

Ensuite, cette mesure n’a de conséquence ni pour les salariés, bien entendu, ni pour les employeurs. En effet, les cotisations ainsi prélevées de manière anticipée à partir de 2015 ont déjà été acquittées par ces derniers auprès des caisses de congés. Ce n’est pas à l’employeur que l’on demande de verser plus tôt, mais aux caisses qui détiennent déjà les fonds. Pour l’employeur, cela ne change donc rien au plan financier.

Enfin, la mise en place d’un prélèvement à la source intégral à l’horizon 2018 n’est pas non plus une charge supplémentaire pour les employeurs. Certaines contributions dues au titre des indemnités de congés sont déjà prélevées à la source, et la mise en place du système permettra de simplifier les relations entre les caisses de congés et les employeurs. Nous nous donnerons tout le temps nécessaire afin que cette transition se fasse de manière favorable pour tout le monde, et nous sommes prêts à débattre du calendrier et des modalités avec l’ensemble des acteurs.

La commission des affaires sociales du Sénat signale que la compensation n’est que temporaire. Cela est vrai, mais elle atténue tout de même durablement la charge de la dette. Chacun pourra convenir, je pense, qu’il serait irresponsable de chercher à réduire nos déficits par des mesures d’économie tout en refusant une disposition sans incidence pour les salariés ni pour les entreprises.

Parallèlement à ces mesures, le projet de loi de finances pour 2015 assure, comme le prévoyait la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, le transfert au Fonds de solidarité vieillesse des produits générés par la fiscalisation, à compter de 2014, des majorations de pension, soit 1,2 milliard d’euros de recettes supplémentaires.

Enfin, le Gouvernement met en œuvre des mesures d’équité et de rationalisation et de simplification des prélèvements sociaux, mais à rendement global constant.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comprend aucune mesure d’accroissement des prélèvements sur les entreprises ou les ménages.

Les mesures de rationalisation et de simplification dans le domaine des prélèvements obligatoires sont une priorité. Il s’agit tout d’abord de mesures d’équité et de justice, dont la première concerne les ménages. Elle vise à modifier le critère en fonction duquel on détermine si un retraité ou un chômeur doit payer la CSG au taux réduit de 3,8 % ou au taux normal, fixé à 6,2 % pour les chômeurs et à 6,6 % pour les salariés. En effet, le critère actuel dépend du montant d’impôt dû, mais pas du niveau du revenu lui-même. Cela signifie qu’un retraité qui touche une pension faible mais ne bénéficie pas de réductions d’impôts peut être soumis au taux normal, alors qu’un autre qui touche une pension plus élevée mais bénéficie de réductions d’impôts importantes peut relever du taux réduit. Cela n’est ni juste ni compréhensible, comme l’ont démontré de nombreux travaux parlementaires. Ces travaux proposent de retenir un critère de revenu fiscal de référence, sans modification des taux en vigueur. Il s’agit d’une réforme à rendement global nul. Pour les personnes qui ont peu de réductions d’impôts ou pas du tout, le nouveau seuil fixé sera plus favorable que le seuil actuel. J’insiste sur ce point : il ne s’agit en aucune manière d’une hausse de la CSG des retraités, dont les taux ne bougent pas, mais bien d’une mesure de justice, d'ailleurs conforme à ce qui a été fait depuis plusieurs années en matière d’imposition locale.

S'agissant toujours des ménages, l’Assemblée nationale a adopté, à la suite des débats qui ont eu lieu cet été, une mesure ciblée en faveur de l’emploi à domicile. Il s’agit d’un doublement de l’exonération de 75 centimes pour les services de garde d’enfants. Le Gouvernement a proposé cette mesure de compromis, parce qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre une mesure généralisée représentant un coût de 200 millions d'euros pour la sécurité sociale quand on cherche partout ailleurs des économies. En outre, comme vous le savez, la Cour des comptes critique les aides au secteur des services à la personne, qui sont déjà considérables et trop peu ciblées. Cette position de compromis cible les besoins prioritaires ; je pense que nous aurons l’occasion d’approfondir la réflexion sur ce sujet dans la suite du débat.