Mme Michelle Meunier. Lesquelles ?

M. Jean-Noël Cardoux. Il ne suffit pas de critiquer, il convient aussi d’apporter des solutions.

Nous proposerons l’instauration de jours de carence comme dans la fonction publique hospitalière au niveau du secteur privé, ce qui rapporterait tout de même 65 millions d’euros.

Par ailleurs, nous prévoyons la participation des salariés à une journée nationale. Toutefois, comme l’a souligné M. le président de la commission, nous ne pouvons pas proposer d’amendement à ce sujet, car la complexité de notre régime social et de notre droit du travail est telle qu’une mesure de ce type nécessite en amont des consultations des partenaires sociaux. Cela étant, cette disposition figurera dans une proposition de loi que nous élaborerons et qui instaurera d’une autre journée de solidarité baptisée CEFSS, contribution à l’équilibre financier de la sécurité sociale.

Notre objectif est bien évidemment d’éviter de charger encore les entreprises, car certaines d’entre elles, les plus importantes, ont accepté de prendre en charge la première journée de solidarité à travers la cotisation de 0,3 %. Nous souhaiterions plutôt que les salariés abandonnent un jour de RTT, car ils en ont suffisamment à leur disposition. De surcroît, l’état financier dans lequel se trouve notre pays pourrait inciter toutes les personnes concernées à accepter ce petit effort supplémentaire, à condition qu’on les informe sur la destination de ces fonds. Ne l’oublions pas, cette recette atteindrait environ 2 milliards à 2,5 milliards d’euros par an.

D’autres mesures peuvent être envisagées ; je les mentionne, même si elles relèvent du projet de loi de finances.

On pourrait, dans un premier temps, instituer une franchise de 50 euros au titre de l’aide médicale d’État, l’AME. Rappelons que le précédent gouvernement avait instauré une telle franchise, d’un montant de 30 euros, et que l’actuelle majorité l’a supprimée. Il conviendrait en outre de réfléchir, à terme, à une suppression totale de ce dispositif, sans abandonner l’objectif sanitaire visé. En effet, le coût de l’AME, dont nous connaissons les dérives, est tout de même estimé à 800 millions d’euros pour 2015.

Par ailleurs, il faut étendre au secteur public le dispositif du jour de carence appliqué dans le secteur privé. Cette mesure, qui relève de la simple équité, permettrait de dégager 200 millions d’euros par an.

Enfin, il faut agir beaucoup plus fortement que ne l’envisage le Gouvernement sur la pertinence des soins, pour éviter les actes inutiles. Alain Milon a insisté sur cet enjeu.

Je mentionnerai trois autres sujets sensibles, qu’il ne faut pas occulter et dont, sauf erreur de ma part, aucun orateur n’a fait état jusqu’à présent.

Le premier est le fameux supplément familial de traitement, le SFT. En 2012, cette charge a représenté 2,3 milliards d’euros. Si une prestation est inéquitable, c’est bien celle-là ! (M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales acquiesce.) Calculée en fonction des enfants, elle croît avec les revenus. Elle ne bénéficie qu’à la fonction publique…

M. Yves Daudigny. Parlons du traitement global !

M. Jean-Noël Cardoux. … et se cumule avec les allocations familiales, que le Gouvernement veut précisément moduler pour les ménages les plus aisés !

Je précise à cet égard que, pour un couple comptant quatre enfants et percevant 8 000 euros de revenus mensuels, la perte suscitée par cette réforme s’élèverait à 8 000 euros, ce qui représente un mois complet de salaire. Il faudra bien que l’on parle un jour ou l’autre du supplément familial de traitement et que l’on trouve des solutions.

Le deuxième sujet que je veux aborder est le coût des agences satellites de l’État dans les domaines sanitaire et médico-social.

Mes chers collègues, il s’agit là d’un authentique serpent de mer. De nombreux rapports ont déjà préconisé de réduire le nombre de ces agences. Comme beaucoup d’études similaires, ils n’ont pas été suivis d’effet. À cet égard, il faut garder à l’esprit quelques chiffres synthétiques. En appliquant des critères extrêmement restrictifs, on a dénombré une quinzaine d’agences dans les seuls domaines sanitaire et médico-social. En 2013, ces structures employaient près de 30 000 personnes – 29 045, pour être tout à fait précis – et leurs budgets de fonctionnement cumulés s’élevaient à 3,5 milliards d’euros.

Certes, le Gouvernement a amorcé une première refonte de ces agences : à la suite d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, trois d’entre elles, qui faisaient doublon, vont être fusionnées.

Toutefois, il reste beaucoup à faire ! Prenons par exemple la Haute Autorité de santé, ou HAS, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, l’ANAP, et l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’ANESM. Ces trois structures disposent de compétences tout à fait voisines. Elles mériteraient, elles aussi, que l’on analyse de manière un tant soit peu approfondie les économies qu’engendrerait leur restructuration, leur fusion, voire leur suppression. En effet, je ne suis pas certain que toutes soient réellement utiles.

Troisièmement – Alain Milon a évoqué, il y a quelques instants, l’injustice découlant d’un financement exclusif de la politique familiale par les salaires –, il faut instituer la fameuse TVA anti-délocalisation.

M. le secrétaire d'État chargé du budget a avancé au début de la discussion générale que cette mesure était antisociale, étant donné qu’elle touchait les faibles revenus. Or c’est faux ! Comme chacun sait, dans le projet élaboré par le précédent gouvernement, seule la TVA au taux normal était fléchée. Les TVA à taux réduit, qui frappent les biens de première nécessité, partant les plus démunis, n’étaient pas visées.

Il est même nécessaire d’aller plus loin encore dans ce sens : nous l’avons dit et répété, il faut élaborer des mécanismes pour que les biens de première nécessité restent, à l’avenir, taxés au même niveau qu’aujourd’hui, voire pour que leur taxation diminue.

Parallèlement, il convient d’augmenter légèrement la TVA à taux moyen et de fixer un taux de TVA majoré frappant un certain nombre de produits haut de gamme, qui sont souvent importés. M. Desessard ne me contredira pas si je cite les gros véhicules ou les 4x4, qui polluent et émettent tant de gaz à effet de serre. (M. Jean Desessard sourit.) Ce levier nous permettrait de dégager des recettes considérables et, parallèlement, de supprimer l’imposition des salaires destinée au financement de la politique familiale. Rien ne justifie en effet que les entreprises financent seules cette politique.

Enfin, M. Roche l’a souligné, il faudra bien réformer le régime des retraites. Le report de l’âge de départ à la retraite est incontournable. L’alignement des régimes du privé et du public est fréquemment évoqué, et il faudra bien le mettre en œuvre.

Au surplus, il faudra rouvrir le débat de fond sur la retraite par points. Chacun s’accorde à dire que cette réforme serait très bonne, mais personne n’a voulu pousser le raisonnement à son terme et l’appliquer. Un tel système est déjà en vigueur pour les retraites complémentaires et il est plus juste que le dispositif actuel.

Qui plus est – nous l’avons déjà souligné –, un dispositif de retraites par points, bien aménagé, aurait le mérite de nous débarrasser de ce serpent de mer qu’est devenu le compte pénibilité. C’est, là aussi, une réforme structurelle à laquelle il faut s’attacher.

Mes chers collègues, on pourrait encore parler longuement de ces divers sujets…

M. Jean Desessard. Certes, pendant trois minutes trente-six ! (Sourires.)

M. Jean-Noël Cardoux. Cela étant, les précédents intervenants du groupe auquel j’appartiens ont tous exposé des objectifs tout à fait cohérents et opérationnels. Pour ma part, je me suis borné à résumer l’ensemble des solutions avancées, en apportant au débat quelques idées supplémentaires. Toutes les pistes que les différents orateurs de la majorité sénatoriale ont présentées constituent la trame de véritables réformes structurelles.

Nos compatriotes sont conscients de la situation dans laquelle se trouve notre pays. Je l’ai déjà dit, ils sont prêts à affronter tous les chantiers que nous leur proposerons d’ouvrir, à condition que nous conduisions ces derniers de manière exemplaire et, surtout, que les efforts soient équitablement répartis, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je conclurai par une phrase lapidaire qui, à mon sens, traduit la pensée de nombreux membres de la majorité sénatoriale : le temps des expédients et des mesures « sparadrap » est révolu, celui du volontarisme et du courage est arrivé ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

Mme Caroline Cayeux, rapporteur pour la famille. Bravo !

(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Doineau.

Mme Elisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, si l’enthousiasme de notre collègue Françoise Gatel a été tempéré par le manque de fiabilité des équilibres budgétaires, peut-on trouver dans les pistes tracées par le Gouvernement des raisons de se réjouir ?

Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale a des résonances très concrètes dans la vie des Français. Ces derniers sont attachés à leur modèle social, mais ils savent également que la fuite en avant n’est plus possible.

Notre sentiment général est le suivant : certaines mesures proposées vont dans le bon sens. Las, une fois de plus, les réformes structurelles qui s’imposent sont ajournées. Ce constat se vérifie, hélas, pour chacune des branches, à commencer par l’assurance maladie.

Certes, nous ne pouvons que souscrire à l’extension du tiers payant intégral aux bénéficiaires de l’assurance complémentaire santé. C’est une mesure de solidarité que nous soutenons. Cependant – c’est une évidence –, pour garantir la solidarité, il faut également parvenir à réduire les dépenses sans altérer la qualité des soins.

C’est dans cette perspective que le Gouvernement souhaite accentuer le « virage ambulatoire », en accroissant le nombre de retours à domicile le jour même des interventions chirurgicales et en accélérant la mise en œuvre des programmes de retour à domicile déjà existants, comme pour les sorties de maternité. Pourquoi pas ? Deux questions méritent toutefois d’être posées de prime abord.

Premièrement, sommes-nous sûrs que les solutions envisagées ne dégraderont pas la qualité des soins ? Aujourd’hui, nous n’avons aucune garantie. J’admets que l’accentuation du « virage ambulatoire » est digne d’intérêt, tant on connaît les contraintes en termes de places et de personnels dans les hôpitaux. Néanmoins, qu’en est-il de la sécurisation de la sortie du patient ?

Deuxièmement, le gain escompté est-il à la mesure des enjeux ? À l’évidence, tel n’est pas encore le cas. M. le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, l’a clairement exposé : selon une étude de la Fédération hospitalière de France, la FHF, reprise dans le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale – la MECSS – sur le financement des établissements de santé, quelque 28 % des actes médicaux sont inutiles ou redondants. Ces actes superflus représentent un gaspillage de 30 milliards d’euros, un montant nettement supérieur au milliard espéré de la chasse aux soins et prescriptions inutiles qui est menée au travers du présent texte.

Comment expliquer un tel décalage ? Certes, ces 30 milliards d’euros ne sont en aucun cas une fin en soi et ne seront probablement jamais atteignables. Néanmoins, un tel constat prouve bien qu’il existe un gisement d’économies à réaliser.

C’est la même interrogation qui, au total, s’impose en matière de médicaments. Le Gouvernement entend accroître l’effort accompli pour réduire le prix de ces derniers et développer les génériques.

Sur le principe, nous ne pouvons qu’être favorables à cette initiative, car les génériques permettent de réduire significativement le coût des traitements pour les patients. Toutefois, si l’on pose à ce domaine comme au précédent la question de la qualité, on doit admettre que certaines molécules ne sont pas substituables. Aussi le système mis en place en la matière est-il d’une complexité kafkaïenne.

En effet, le médecin doit systématiquement spécifier par écrit sur l’ordonnance les princeps n’étant pas substituables pour permettre au patient de bénéficier du tiers payant, puisque la règle qui prévaut aujourd’hui est celle du « tiers payant contre générique ». Cette procédure est particulièrement contraignante pour les traitements de longue durée.

On nous parle sans cesse du choc de simplification. Ce dernier n’est visiblement pas à l’œuvre pour les médicaments génériques, et l’on ne peut que le déplorer pour le patient.

Plus fondamentalement, l’incitation toujours croissante au recours aux génériques ne risque-t-elle pas de devenir une fin en soi, au détriment de la santé du patient ? Qu’adviendra-t-il quand le pharmacien préfèrera fournir un générique afin de respecter les quotas, alors que ce médicament est moins performant qu’un princeps ou mal adapté à la pathologie du patient ?

Ces questions relatives à la qualité étant posées, interrogeons les gains attendus des mesures avancées, qui, eux aussi, sont incertains.

Est-on sûr de pouvoir dégager un milliard d’euros d’économies, alors que ce plan de développement des médicaments génériques est le énième d’une longue série ? Quelles garanties avons-nous que ces actions iront plus loin que les précédentes ? Dans l’ensemble, l’impression qui se dégage est celle d’un bégaiement législatif.

Je rappelle que les principales mesures du PLFSS pour 2014 visaient déjà à favoriser le développement de la chirurgie ambulatoire, à baisser les prix des médicaments et à promouvoir l’usage des génériques. Ces actions ont-elles donné des résultats ? N’y aurait-il pas d’autres pistes d’avenir ? À nos yeux, la réponse est oui. Il existe en effet des solutions véritablement innovantes.

Je pense à la totale fragmentation du médicament, déjà adoptée par de nombreux pays européens. Je pense à l’essor de la médecine génomique, qui nous permettrait de passer dans les faits d’une logique de réparation à une logique de prévention. Je pense, enfin, à une réforme structurelle de l’exercice libéral de la médecine.

Mes chers collègues, on accable l’hôpital de tous les maux, on l’accuse de tous les déficits, alors que, en réalité, il représente moins de la moitié de la consommation des soins et biens médicaux et seulement le tiers des dépenses globales de santé. En réalité, l’heure n’est pas à la remise en cause des hôpitaux, même s’il reste beaucoup à faire sur ce front. Pourquoi ne pas rétablir le jour de carence ? Selon la Fédération hospitalière de France, on économiserait ainsi jusqu’à 75 millions d’euros.

Beaucoup plus sûrement, l’heure est à la remise à plat du système de médecine libérale. Je rappelle que les médecins libéraux ont une mission de service public à assumer. Or de plus en plus de territoires sont confrontés à la désertification médicale. Le rapport d’information qu’Hervé Maurey a consacré à ce sujet est remarquable, et je vous invite, mes chers collègues, à le relire.

Faisant leurs les conclusions de ces travaux, les membres du groupe UDI-UC souhaitent étendre aux médecins le conventionnement sélectif, qui existe déjà pour les principales autres professions de santé, en fonction de la nature des zones d’installation, selon qu’elles sont surdotées ou sous-dotées. Il s’agirait d’une véritable réforme de structure.

A contrario, l’article 38 du présent PLFSS n’a qu’une portée incitative. Aussi, je crains que, comme ceux qui l’ont précédé, le dispositif qu’il contient ne se révèle inefficace. J’ajoute que les représentants des infirmiers, tout comme ceux des masseurs-kinésithérapeutes, auditionnés lors de l’élaboration du rapport sur la désertification médicale, se déclarent satisfaits du dispositif de régulation par le conventionnement sélectif. En quelques années, ce système a prouvé son efficacité pour réduire les écarts de densité.

Je ne dirai qu’un mot du secteur médico-social : le flou entretenu au sujet du calendrier du projet de loi relatif au vieillissement n’est-il pas en décalage avec les besoins criants qu’éprouvent de nombreux EHPAD sur notre territoire ?

Au sujet de la branche vieillesse, nous ne pouvons que souscrire aux mesures de solidarité proposées.

Je songe tout d’abord au versement d’une prime – son montant est si modeste que je peine à le rappeler : 40 euros – aux retraités percevant moins de 1 200 euros bruts par mois, soit 6,5 millions de Français et 42 % des pensionnés. De même, le relèvement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de 792 euros à 800 euros par mois pour une personne seule reçoit notre soutien, tout comme, enfin, le passage au taux réduit de CSG des retraites les plus modestes.

Toutefois, au-delà de ces avancées sociales, se pose la question de la pérennité et de l’avenir de notre système de retraite. En effet, la branche devrait être à l’équilibre à l’horizon 2017, mais cette joie sera de courte durée, puisque le déficit devrait repartir dès l’année suivante, pour atteindre 1,6 milliard d’euros…

Face à ce constat, le groupe UDI-UC propose de fixer un calendrier pour la mise en œuvre d’une réforme systémique des retraites visant à établir un régime universel par points, ou en comptes notionnels, à partir du premier semestre de 2018.

Le Sénat avait déjà fait adopter le principe de ce système lors de l’examen de la réforme de 2013. Il pourrait s’appuyer sur le septième rapport du Conseil d’orientation des retraites du 27 janvier 2010, qui en détaille les options et les modalités techniques. Cette évolution serait bien sûr précédée d’une conférence sociale et d’un débat national, afin que partenaires sociaux et société civile y soient pleinement associés. Je le rappelle, le régime par point est un système universel qui garantit l’équilibre financier des retraites et assure l’équité, la transparence et la justice pour tous.

Enfin, faute d’avoir fait tout le reste, le Gouvernement décide de s’attaquer à la seule politique qui fait l’unanimité en France et que l’on nous envie dans le monde entier : la politique familiale. L’Assemblée nationale a voté la modulation des allocations en fonction du revenu. Je vous propose, mes chers collègues, de revenir sur cette mesure et de réaffirmer l’universalité et l’uniformité des allocations.

Mme Caroline Cayeux, rapporteur pour la famille. Très bien !

Mme Elisabeth Doineau. C’est une question de principe : quelle société voulons-nous ? Où s’arrêtera la logique qui sous-tend la fin de l’uniformité ? À l’avenir, quid de la santé et de l’éducation, par exemple ? Puisque la modulation des allocations est justifiée par un souci d’équité, pourquoi ne pas les faire entrer plutôt dans l’assiette de l’impôt sur le revenu ? Ne serait-ce pas à la fois plus pertinent et plus équitable ? À tout le moins, c’est une piste que nous vous invitons à envisager.

En réalité, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme l’était déjà le projet de loi de financement rectificative de juillet dernier, n’est qu’une « grande illusion ». Les hypothèses de croissance du PIB et de la masse salariale adoptées par le Gouvernement, respectivement 1 % et 2 % en 2015, sont très, voire trop, optimistes. La seconde variable est essentielle, dans la mesure où les cotisations sociales, qui représentent encore plus des deux tiers du financement de la protection sociale, sont assises sur la masse salariale.

Or la Commission européenne juge ces prévisions irréalistes et considère que la France ne tiendra pas ses objectifs budgétaires l’an prochain. Le Gouvernement peine à définir précisément où, par quels moyens et à quel niveau se feront les économies. Pour résumer, les économies en dépenses sont souvent incertaines et les prévisions de recettes devront être sévèrement révisées.

À l’instar de la loi de financement rectificatif de la sécurité sociale de juillet dernier, ce texte semble n’avoir d’autre vocation que l’affichage, et se limite à un grand numéro d’illusionnisme. Plutôt que de chercher à imiter Harry Houdini, mes chers collègues, je vous propose de choisir comme modèle son contemporain, le sénateur Georges Clemenceau, et de devenir ainsi de courageux réformateurs. À défaut, les réformes de structure devront une nouvelle fois attendre ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous voici réunis pour un moment traditionnel, non pas tant parce que ce rendez-vous est prévu par notre Constitution depuis 1996 que parce qu’il nous revient de constater, à nouveau, un certain nombre de déséquilibres budgétaires et financiers, s’agissant du financement de notre protection sociale.

À cet égard, les alternances, reconnaissons-le, n’ont pas empêché une certaine continuité, qui doit naturellement nous inciter collectivement à l’humilité.

Si la précédente majorité avait engagé certaines réformes structurelles, par exemple celle des retraites, les copies présentées chaque année par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2012 en ont malheureusement manqué. Seules des recettes supplémentaires prises sur les ménages et sur les acteurs économiques ont permis d’atténuer un peu, trop peu, les déficits.

Ce n’est pas moi qui le déclare ex cathedra, mais le Premier président de la Cour des comptes, qui souligne dans le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale que « en 2013, la réduction du déficit de la sécurité sociale […] a été plus lente que prévu ». Il précise que, à la différence de la période 2008-2012, « la dégradation de la conjoncture économique n’en est pas la cause principale : la majeure partie du déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse est structurelle ».

Madame la ministre, vous parlez d’« économies de posture » pour qualifier les résultats du travail de notre commission. C'est d’autant plus dur que votre projet est plein d’économies en trompe l’œil !

Vous vous êtes assigné un objectif de 9,6 milliards d’euros d’économies, mais, lorsque l’on entre dans le détail, force est de constater que le volontarisme affiché relève de la méthode Coué.

En effet, les économies évoquées, tout d'abord, apparaissent très aléatoires, avec le risque que le compte n’y soit pas en exécution. Les 3,2 milliards d’euros de dépenses sous ONDAM ne sont pas tant des économies que de moindres augmentations ou des dépenses évitées. La Cour des comptes, dans le même rapport, nous appelle d'ailleurs à ne pas les qualifier improprement de « mesures d’économies ».

Les économies réelles, ensuite, ne sont pas tant le fruit de vos décisions que la conséquence de celles d’autres acteurs, en particulier les partenaires sociaux, la nouvelle convention d’assurance chômage ou l’accord sur les retraites complémentaires générant 2 milliards d’euros d’économies.

Au total, notre rapporteur général l’a noté, quelque 3 milliards d’euros d’économies risquent de faire défaut.

L’absence de mesures structurelles apparaît également dans la compensation du pacte de responsabilité. Madame la ministre, vous devez prendre les mesures afférentes, et une grande part de ces compensations – à peu près 25 % – repose sur une ponction de 1,5 milliard d’euros sur la trésorerie des caisses de congés payés, en passant au prélèvement à la source. Vous voilà donc réduits à jouer avec des symboles pourtant issus du Front populaire,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … permettant la portabilité des droits à congés dans des professions comme le BTP. Léon Blum, là où il nous regarde, doit en être retourné !

Il s’agit là, typiquement, d’une mesure à un coup, loin de la fiscalité anti-délocalisation que la précédente majorité nationale avait fait adopter, comme le rappelait Jean-Noël Cardoux, et dont on a pu mesurer les effets bénéfiques dans d’autres pays. Le président Milon l’affirmait : il est urgent de faire évoluer l’assiette de financement de la protection sociale.

Il en va de même concernant les retraites, puisque ce projet de loi de financement de la sécurité sociale prend acte du coût important du décret du 2 juillet 2012, qui a élargi considérablement le dispositif de départ anticipé pour carrières longues, et en change même la nature, avec 830 millions d’euros consacrés à son financement pour 2015. Pourtant, le courage aurait consisté à poursuivre le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite.

Il y a bien une mesure structurelle dans ce plan, sous une apparence de justice sociale : la remise en cause du versement universel et égal des allocations familiales pour tout enfant de France.

Vous avez donné votre feu vert à la modulation des allocations familiales en fonction des revenus. Néanmoins, qui nous dit que, demain, vous ne ferez pas de même pour les remboursements de l’assurance maladie ou pour tout autre pan de la protection sociale ? Nos collègues du groupe CRC ne s’y sont d'ailleurs pas trompés, en votant contre cette disposition en commission. Et nous avons entendu aujourd’hui des propos allant dans le même sens.

Avec cette décision, qui intervient après l’abaissement à deux reprises du quotient familial et d’autres choix ciblant spécifiquement les familles, vous risquez de porter un coup au consentement à l’impôt en général. Ainsi, on a déjà repéré un foyer de phobie administrative du côté de la Saône-et-Loire… Espérons que cette pathologie ne se développe pas ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Éric Jeansannetas. Voilà des propos qui ne servent à rien !

M. Claude Dilain. C’est hors sujet !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Chers collègues, la diminution du consentement à l’impôt est un problème que l’on constate vraiment sur le terrain, je puis vous l’assurer. Nous ne devons pas le minorer, compte tenu de l’état d’ébullition de certains secteurs de la société et du monde économique.

Mme Éliane Assassi. Il n'y a pas que les entreprises : les gens souffrent aussi !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je les inclus dans mes propos, chère collègue !

Après ces éléments préliminaires relatifs au cadrage macroéconomique du projet de loi de financement de la sécurité sociale, permettez-moi d’évoquer quelques points en particulier.

Concernant la démographie médicale, vous proposez, aux articles 38 et 39, deux dispositions incitatives afin de favoriser l’installation ou le maintien dans des zones sous-denses. Naturellement, tout ce qui va dans le sens d’une meilleure attractivité de l’exercice en milieu rural ou périurbain ne peut qu’être encouragé. D’ailleurs, avec un certain nombre de collègues du groupe UMP, nous vous proposons de compléter cette boîte à outils en rendant plus attractif le cumul emploi-retraite pour répondre au défi de la pénurie médicale.