M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ne l’ignore, l’Europe traverse aujourd’hui une grave crise économique : la croissance y est faible et la déflation menace. D’ailleurs, le week-end dernier, elle a été pointée du doigt durant la réunion du G20 en raison de sa croissance anémiée. L’Allemagne elle-même a vu sa croissance ralentir ces derniers mois.

Si nous voulons éviter d’entrer dans une spirale déflationniste, de laquelle il serait long et difficile de sortir, ainsi que nous l’enseigne l’expérience japonaise, et qui pourrait avoir des conséquences économiques, sociales et politiques désastreuses, il est urgent d’agir, et d’agir vite !

Une politique de lutte contre la déflation par une relance de l’investissement public et privé en Europe relève donc de l’intérêt général.

Ce constat, très tôt dressé par le Président de la République, François Hollande, est à présent partagé par des personnalités aussi éminentes que Paul Krugman, Mario Draghi, ou encore par des experts du FMI. M. Juncker, nouveau président de la Commission européenne, s’y est également rallié, qui préconise la mise en place d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans.

Dans ce contexte, maintenant plus favorable à cette idée, certains s’interrogent sur l’importance des sommes devant être engagées et sur la nature publique ou privée des investissements. Le débat porte également sur les outils financiers qui permettront de faire vivre ce plan, ainsi que Richard Yung l’a évoqué tout à l'heure.

Dans le temps qui m’est imparti, je focaliserai mon propos sur le choix des secteurs à privilégier.

Le plan d’investissement de 300 milliards d’euros devra, à mon sens, être concentré sur un petit nombre de secteurs clés. Bien entendu, les projets d’infrastructures routières et ferroviaires en constituent un segment important. On peut s’attendre, d’ailleurs, à ce que certains de nos partenaires européens fassent pression pour orienter les moyens dans cette direction.

Pour autant, on ne peut concevoir que tous les moyens de ce plan soient consacrés à de tels programmes. Si l’on souhaite préparer l’Europe au monde et à l’économie de demain, il est essentiel de viser d’autres secteurs clés.

J’évoquerai en premier lieu celui de l’énergie. Les investissements dans le domaine des énergies renouvelables et des économies d’énergie constituent un enjeu fondamental puisqu’ils sont la principale réponse au défi du réchauffement climatique. Les États européens ont récemment pris l’engagement de limiter davantage leur production de gaz à effet de serre, et ce plan d’investissement doit permettre de le concrétiser.

Les énergies renouvelables répondent également à l’enjeu de l’autonomie énergétique de l’Union européenne, d’autant plus important que plane la menace d’une nouvelle guerre froide avec la Russie, principal fournisseur en gaz de l’Europe.

Sur cette question, l’argument économique peut, à lui seul, se révéler déterminant. Le rapport Stern a démontré que le coût du réchauffement climatique sera plus important que celui des investissements nécessaires aujourd’hui pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l’a récemment rappelé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Autrement dit, non seulement il est de notre devoir de laisser aux générations futures une planète non dégradée, mais encore, si nous voulons préserver au maximum leur avenir économique et financier, nous devons affecter, aujourd’hui, les investissements dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie.

Le deuxième secteur devant être privilégié est celui des télécommunications et de l’économie numérique. Celle-ci, on le sait, est une source de croissance indéniable. Pour autant, à l’heure actuelle, elle contribue à la croissance bien plus aux États-Unis qu’en Europe. Cette dernière doit donc engager des investissements massifs structurants pour remédier à cette situation et maximiser son potentiel de croissance.

Un troisième secteur clé pour demain est celui des biotechnologies. Il ouvre des possibilités quasiment infinies, qui nous permettront d’améliorer la santé, l’environnement, l’agriculture, ainsi que la production industrielle. Les potentialités de croissance qu’il offre pour l’avenir sont plus que prometteuses et l’Europe se doit de saisir cette opportunité.

D’une manière générale, le secteur de la recherche et du développement a besoin d’investissements en Europe, ne serait-ce que pour rattraper le retard pris depuis une quinzaine d’années sur d’autres pays, tels les États-Unis.

Pour dire simplement un mot des outils de financement de ce plan d’investissement, je voudrais préciser que l’Europe dispose de puissants investisseurs institutionnels et de long terme, dont la Caisse des dépôts et consignations en France. Cette instance s’est d’ailleurs déjà engagée aux côtés de la BEI pour développer les investissements structurants en faveur de la croissance. Elle sera, à n’en pas douter, un relais majeur, dans notre pays, du plan d’investissement européen.

En conclusion, à l’attention de ceux qui s’inquiéteraient d’un plan qui augmenterait la dette pour nos enfants, il est utile de rappeler que les effets positifs de ces investissements doivent justement servir les intérêts des générations futures. Ce plan de 300 milliards d’euros présente en outre l’avantage d’emporter aussi bien un effet à moyen terme, sur l’offre, qu’un effet à court terme, sur la demande. Il permettra donc d’agir efficacement en faveur du retour à la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis que saluer l’utilité du présent débat. En effet, comment ne pas tenter de rehausser le rôle de la France dans la relance de la zone euro ?

À l’heure de faire des choix importants pour son avenir, notre pays se montre plus hésitant que jamais : la cinquième puissance économique mondiale semble toujours osciller entre son destin européen, son positionnement face à son voisin d’outre-Rhin et on ne sait quelle épopée solitaire entre l’arrimage solide à la monnaie unique et l’éclatement de la zone euro...

Aujourd’hui, il est de bon ton de célébrer la « nouvelle donne » européenne du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron : que l’Allemagne injecte dans son économie 50 milliards d’euros d’investissements pour compenser les efforts demandés à l’État français, l’effet boule de neige de cette relance purement allemande faisant le reste.

Pour le moment, sur ces 50 milliards d’euros, le gouvernement allemand n’en concède que 10 ! D’ailleurs, une étude de l’agence de notation américaine Standard & Poor’s vient de montrer que les calculs de notre ministre sont fort optimistes.

Cette agence a réalisé une simulation fondée sur un principe assez généreux : celui d’une augmentation de 30 milliards d’euros des dépenses publiques en 2015 et 2016, soit 60 milliards d’euros sur deux ans, répartis à égalité entre la consommation publique et l’investissement public.

Un tel plan aurait d’abord une incidence sur l’économie allemande elle-même. Le PIB gagnerait 0,75 point de croissance après un an ; puis, 0,7 point de croissance. L’annonce d’une relance allemande aurait sans doute des effets psychologiques positifs. Toutefois, il serait faux de considérer que la relance allemande est une panacée et qu’elle permettrait à la France de réduire ses dépenses.

En réalité, la zone euro a besoin non pas de plans nationaux, mais d’une véritable solidarité, s’appuyant sur une structure institutionnelle et des bases saines pour ses États membres.

Notre problème n’est pas l’Europe, ni Mme Merkel, ni même notre monnaie ;…

M. Éric Doligé. C’est la France !

M. François Commeinhes. … c’est bel et bien la situation propre de la France, …

M. François Commeinhes. … qui a perdu, depuis 1999, 44 % de ses parts de marché à l’échelon mondial, alors que celles de l’Allemagne ne reculaient que de 18 %.

Ce décrochage fait écho à l’incapacité de la France à conduire les réformes structurelles qui lui sont pourtant indispensables.

Nous attendons un choc de compétitivité ?... Il ne viendra que de nous et de notre résolution à ne plus nous cacher derrière des contre-vérités pour cautionner notre immobilisme.

Non, attendre tout de la zone euro n’est pas plus aisé que de se libérer des 35 heures.

Non, réformer le fonctionnement souvent irréel du marché du travail n’est pas une utopie.

Actuellement, les pays de la zone euro sortent d’une période de récession essentiellement grâce à la mise en place de dispositifs européens tels que les opérations monétaires sur titres ou le mécanisme européen de stabilité. Aujourd'hui, le risque est l’enlisement dans une croissance lente reposant sur ces mécanismes de sauvetage.

Il s’agit non pas de nier les avancées enregistrées au cours de ces dernières années, mais de reconnaître qu’elles restent imparfaites et, surtout, insuffisantes.

Nous nous trouvons actuellement à la croisée des chemins au plan européen, ce qui appelle résolument à l’action politique et aux réformes. Certes, il est nécessaire de poursuivre la construction d’une zone euro, mais il importe aussi de penser – enfin ! –, en France, à des politiques tournées vers la croissance et l’innovation, en particulier dans les domaines de l’énergie et la santé, des secteurs d’excellence nationale s’il en est. De même, nous devons engager une démarche forte pour favoriser la formation, la recherche et la réindustrialisation à l’échelle européenne.

Nous sommes arrivés à un moment où il est urgent d’envisager des évolutions à l’échelon européen, en se concentrant sur les réformes institutionnelles à mettre en place au sein de l’Union européenne. Le rôle de la France est non pas de se confiner dans un dialogue sans fin avec l’Allemagne, mais d’esquisser une « Europe utile », avec un projet répondant à la relance de l’économie, qui fait l’objet de toutes les préoccupations.

Pour ce faire, il est indispensable d’accepter une Europe à plusieurs vitesses qui permette de donner vie aux projets définis par un groupe réduit de pays, notamment les États membres de la zone euro. Cependant, l’Europe à plusieurs vitesses ne peut être, en aucun cas, une fin en soi ; elle n’est qu’un pis-aller pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement l’Union européenne.

Les institutions européennes peuvent créer un cadre macro-économique favorable au retour de la croissance, mais celui-ci ne sera possible que si les entreprises européennes sont compétitives.

Le problème essentiel de la zone euro réside dans la disparition des gains de productivité et du progrès technique due au faible nombre d’entreprises innovantes et à la contraction de l’industrie, disparition qui ne peut pas être corrigée par le biais de la politique monétaire.

La productivité du travail stagne, tandis que celle de l’ensemble travail et capital recule. Aujourd’hui, la question de la compétitivité des entreprises est essentiellement traitée au plan national. La France doit agir, mais l’Union européenne a un rôle majeur à jouer en la matière.

Elle doit s’efforcer d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises européennes et de favoriser la constitution d’entreprises performantes sur la scène internationale, notamment dans les secteurs d’avenir où l’innovation permet de lutter sur un terrain concurrentiel.

Le rôle de la France est bien de renforcer l’intégration européenne, un renforcement dont la crise a mis en lumière la nécessité : c’est la seule issue. Notre pays doit être à l’initiative du recours à un traité intergouvernemental unique, qui aurait pour objet de consolider les traités internationaux actuels.

Cette voie intergouvernementale peut et doit former autour de l’euro un ensemble homogène regroupant une dizaine de pays contractants dotés des mêmes règles budgétaires et fiscales.

Le mécanisme de l’Europe a été disloqué avec le « non » français au référendum de 2005. Pour autant, les sondages l’attestent, une grande majorité de nos compatriotes ne veulent en aucun cas abandonner l’euro. Aussi, nous devons nous appuyer sur le soutien de l’opinion pour retrouver le fil du projet européen initial avec ceux qui, parmi nos voisins, le veulent bien.

Aujourd'hui, le rôle de la France est de réparer le mécanisme qui a été cassé voilà neuf ans. Notre pays peut avoir un rôle moteur – et, plus que jamais, il doit l’avoir ! – dans une démarche audacieuse et courageuse. Le devenir de notre économie et de la zone euro appelle à un courage équivalent à celui dont ont fait preuve les pères fondateurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une relance de l’Europe ne peut se concevoir sans renforcer la dimension sociale de celle-ci.

Depuis un an et demi, le FMI, l’OCDE, les institutions européennes et, maintenant, le G 20 reconnaissent officiellement la nécessité de procéder à un rééquilibrage, notamment social, des objectifs de la zone euro.

Toutes les dernières analyses le montrent, mener des politiques d’ajustement budgétaire sans engager de politiques de soutien à la croissance fragilise la zone euro.

Sous l’impulsion de François Hollande, la France travaille depuis le mois de juin 2012…

M. Éric Doligé. Eh bien !

M. Dominique Bailly. Tout à fait, mon cher collègue !

Elle travaille donc à réorienter les politiques européennes, comme en attestent les batailles gagnées dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, l’union bancaire, les travailleurs détachés, ou encore la « garantie jeunes », un sujet sur lequel je reviendrai.

Je me félicite de la prise de conscience qui semble s’opérer – lentement peut-être ! – en la matière, comme le prouvent les positions récentes du gouvernement allemand et de la nouvelle Commission européenne.

Ces déclarations sont d’importance à l’heure où, selon une récente publication d’Eurostat, plus de 120 millions de personnes, soit près de 25 % de la population européenne, étaient menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2013. Mettons donc – enfin ! – en œuvre la « clause sociale horizontale », à savoir l’article 9 du traité de Lisbonne.

Force est de le constater, l’Union européenne est loin d’avoir respecté ses engagements sociaux. Or le traité de Lisbonne offre pourtant des possibilités politiques, qui ne sont malheureusement pas encore exploitées.

Il est primordial de dépasser le stade de la coordination – coordonner, toujours coordonner ! – et de mettre en place une aide aux États membres en matière de politique sociale. Voilà ce qui est essentiel !

Par ailleurs, il est nécessaire de donner une force contraignante aux objectifs sociaux.

Enfin, la dimension sociale doit s’entendre de manière transversale : elle doit être intégrée à toutes les initiatives européennes.

Oui, l’Europe a la responsabilité de définir un socle commun de droits sociaux. Minima sociaux pour tous, sécurisation de la mobilité professionnelle, portabilité des droits sociaux, poursuite de la lutte contre le dumping social, pérennisation de la « garantie jeunes », assurance chômage européenne : tels sont les chantiers à poursuivre, monsieur le ministre, et je sais que telle est votre intention. L’Europe sociale doit être le ciment du projet européen !

Permettez-moi de m’attarder plus particulièrement un instant sur deux points : la garantie pour la jeunesse et la nécessité de développer une assurance chômage européenne.

En 2013, tous les dirigeants européens ont fait de la lutte contre le chômage des jeunes une priorité et ont adopté le mécanisme de la garantie pour la jeunesse. Je me félicite de la position défendue par la France et par l’Italie lors du dernier sommet pour l’emploi, prônant la pérennisation du dispositif et sa montée en puissance jusqu’en 2020, pour atteindre in fine des investissements dédiés à la lutte contre le chômage des jeunes à hauteur de 20 milliards d’euros.

Les initiatives lancées en 2013 doivent en effet constituer le début de l’engagement de l’Union européenne dans ce domaine et non une fin en soi.

Mais – il y a toujours un « mais » ! –, les objectifs ne pourront être atteints que si la mise en œuvre de ce dispositif est rapide – très rapide même ! – et efficace.

Aujourd’hui, seuls trois programmes, dont celui de la France, ont commencé. Bien que l’enveloppe dédiée à la garantie pour la jeunesse atteigne 6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, elle peine à être distribuée.

En effet, le système de préfinancement est fixé à 1 %, selon le modèle appliqué aux fonds structurels, ce qui oblige les États membres à avancer les fonds. Or, en période de déficit, cette mesure limite l’efficacité immédiate du programme.

La garantie pour la jeunesse doit être une priorité de la Commission européenne. Il faut mettre fin à la lourdeur administrative, alléger les procédures et créer – pourquoi pas ? – des fonds de proximité ad hoc pour en faciliter le financement.

J’en viens maintenant à l’assurance chômage.

Dans un rapport d’information du mois de décembre 2013, j’ai défendu la nécessité de développer la dimension sociale de l’Union européenne via la mise en œuvre d’un budget spécifique pour la zone euro et d’un dispositif d’assurance chômage européenne.

En effet, une assurance chômage européenne concourrait à remplir l’objectif de stabilisation macro-économique dévolu à la capacité budgétaire de la zone euro, les dépenses liées au chômage étant, on le sait, particulièrement cycliques. Elle contribuerait également à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d’ajustement des efforts macro-économiques en cas de choc asymétrique. Enfin, elle offrirait – politiquement, c’est important ! – une visibilité forte aux citoyens européens, qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro. Un tel mécanisme permettrait d’assouplir, j’en suis convaincu, les contraintes budgétaires européennes des États membres.

D’ailleurs, cette proposition trouve en ce moment même un écho auprès du Parlement européen.

Mes chers collègues, le résultat des élections européennes le prouve, la construction européenne doit regagner en légitimité et en crédibilité. Or cela ne sera possible qu’en menant des actions concrètes susceptibles d’apporter des réponses là aussi concrètes aux difficultés rencontrées quotidiennement par les citoyens européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro s’inscrit dans un contexte de crise économique doublée d’une crise des dettes souveraines qui touche notamment la dette de la France.

Notre responsabilité, collective, est de renouer avec la croissance, la compétitivité et l’emploi. Pour cela, nous devons avoir le courage d’assainir nos finances publiques et de mener à bien les réformes structurelles dont notre pays a besoin.

La France reste la cinquième puissance économique du monde ; elle est scrutée, copiée, enviée. Pourtant, elle dérape, et ses indicateurs économiques sont à la traîne.

Dans un récent avis du Conseil économique, social et environnemental, Isabelle de Kerviller écrit ceci : « Notre pays présente un environnement de qualité pour l’activité économique en raison de sa place au cœur de l’Europe, de ses infrastructures, de ses services publics, de sa démographie et du niveau de qualification de sa main-d’œuvre. Par contre, la formation, l’attention que la France accorde à son industrie et la situation de ses finances publiques constituent des sujets de préoccupations. »

Sans doute, vendredi dernier, les chiffres de l’INSEE ont fait apparaître une croissance du PIB de la France de 0,3 % au troisième trimestre, un résultat pour une fois meilleur à celui de l’Allemagne qui n’est que de 0,1 %. C’est plutôt une bonne nouvelle, mais je me garderai bien de tout excès de triomphalisme.

En effet, à regarder ces données de plus près, on constate une progression des exportations moins forte que celle des importations, ainsi qu’un recul de 0,6 % de l’investissement. Encore une fois, c’est la consommation qui sauve la croissance. Quant au taux de chômage de notre pays, il avoisine les 10,4 % de la population active.

À cet égard, un récent rapport de la Commission européenne désigne les trois pays de la zone euro qui, depuis 2007, ont détruit le plus grand nombre d’emplois industriels : la France en fait partie, tandis que, au cours de la même période, l’Allemagne a su créer 60 000 emplois de cette nature. En 2013, l’industrie représentait 21,8 % de la valeur ajoutée outre-Rhin, contre seulement 10,2 % dans l’Hexagone.

Or il reste vrai que, sans un socle industriel large et puissant, il est difficile pour un pays de se maintenir à un rang économique honorable. Comme l’écrit Jean-Louis Levet dans son livre Pas d’avenir sans industrie, « l’industrie, c’est le moteur de la croissance. Certes, la croissance ne fait pas automatiquement le bonheur... Pour autant, elle en constitue un moyen indispensable. »

Plusieurs obstacles doivent être levés pour permettre à la France de renouer avec la croissance. J’insisterai sur quatre leviers d’action : diminuer la dépense publique, adapter le fonctionnement du marché du travail, réformer la fiscalité et respecter nos engagements européens.

Pour ce qui concerne la diminution de la dépense publique, le Gouvernement a annoncé 21 milliards d’euros d’économies en 2015 et un objectif de 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017. La discussion du projet de loi de finances pour 2015, qui doit s’ouvrir demain devant notre assemblée, nous permettra d’aborder plus longuement cette question ; aussi n’en dirai-je pas davantage cet après-midi.

Nous devons aussi adapter le fonctionnement de notre marché du travail. Tout à l’heure, s’exprimant devant la commission des affaires économiques, le prix Nobel Jean Tirole a expliqué que l’Europe du Nord avait compris la nécessité de protéger les salariés et non, comme nous le faisons en France, les emplois. Je crois que nous devons avoir le courage de réformer dans cet esprit le code du travail, qui est ancien, compliqué et auquel on ajoute des dispositions supplémentaires sans jamais en supprimer.

L’enjeu de la réforme de la fiscalité se pose à l’échelon de la zone euro.

La fiscalité française est néfaste à la croissance. Ainsi, le taux des prélèvements obligatoires en France est parmi les plus élevés au monde : de 45 % du PIB en 2012, il devait atteindre 46 % l’année suivante, selon les prévisions. En outre, le poids des prélèvements sur le travail, qui s’établissait à 23,4 % du PIB en 2012, est le plus important des grands pays européens.

Le poids de la fiscalité freine la capacité des entreprises à investir et à exporter. Imaginez, mes chers collègues, que, hors cotisations sociales, les impôts sur la production prélevés sur les entreprises françaises sont supérieurs de 65 milliards d’euros à ceux qui sont prélevés sur les entreprises allemandes, selon un rapport de l’OCDE de 2014 !

Enfin, nous devons respecter nos engagements européens. Afin de consolider la zone euro, les pays membres doivent trouver un terrain d’accord. En particulier, il est indispensable de sauver le couple franco-allemand, qui reste la clé de la relance de la zone euro.

À politique inchangée, la France accusera, en 2016, le déficit le plus élevé de toute la zone euro. À la vérité, le Gouvernement s’est trompé. Il a voulu réduire le déficit public en augmentant les impôts pour faire baisser le chômage. Résultat : on a cassé la croissance, sans diminuer le déficit. Certes, le résumé est un peu rapide, mais il exprime bien la réalité aujourd’hui.

Je ne vois pas comment la zone euro pourrait avancer si la France, qui fait partie de ses plus grands pays, ne respecte pas ses engagements.

J’ajoute que nous ne pouvons pas continuer à produire toujours davantage de règles et de normes qui alourdissent et freinent l’action économique ; cette remarque vaut pour le droit du travail, la fiscalité et la sphère environnementale.

Mes chers collègues, l’Europe est une chance pour notre pays et pour notre économie. De cette volonté politique, la zone euro est la traduction la plus avancée ; la France doit continuer de jouer un rôle majeur dans sa construction. Si nous voulons que les populations s’approprient ce projet, nous devons aller plus loin dans les domaines social, fiscal, environnemental et normatif, en mettant en œuvre, sur le modèle de la politique de l’euro, une véritable politique de suppression des distorsions entre les pays.

Au lendemain de la réussite historique de la mission Rosetta, l’heure n’est pas à la désespérance ni au pessimisme.

M. François Marc. Très bien !

M. Daniel Gremillet. Seulement, monsieur le ministre, nous avons besoin d’un cap, d’une ligne directrice stable et crédible. Nous devons redoubler d’efforts de dialogue et de partage avec les autres pays de la zone euro, pour redonner à l’Europe un sens politique qui soit partagé par nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce. (M. André Gattolin applaudit.)

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis soixante ans, la France a fait le choix de l’Europe ; voilà quarante ans qu’elle en a fait son ambition. Elle y joue d’une certaine façon son influence, peut-être même son existence en tant que grande nation. C’est à travers l’Europe qu’elle conçoit son avenir politique et ses valeurs.

Elle n’en est que plus sensible à la situation dans laquelle l’Europe se trouve : de fait, l’Union européenne, particulièrement la zone euro, qui est sa pointe avancée, sont en panne, politiquement et économiquement. Cette situation nous conduit à nous interroger d’autant plus que nous ne pouvons pas ne pas mettre en relation les difficultés que nous rencontrons pour aller plus loin dans l’intégration européenne et celles que nous rencontrons pour relancer l’activité économique. En vérité, c’est très probablement parce que les responsables ne parviennent pas à articuler ces deux problèmes que nous nous heurtons aux difficultés actuelles.

L’histoire de la zone euro est marquée par une série d’erreurs d’appréciation – il est évidemment plus facile de les apercevoir rétrospectivement. Ainsi, ceux qui ont fondé cette zone ont pensé que l’uniformisation des marchés financiers et des taux d’intérêt permettrait d’égaliser les conditions du développement ; malheureusement, elle a plutôt favorisé la spéculation, notamment immobilière.

Ils pensaient aussi que le rapprochement des économies assurerait un développement équilibré des industries et une convergence des structures économiques. Nous savons que le contraire s’est produit, l’activité industrielle se polarisant au bénéfice de certaines régions et de certains États.

En d’autres termes, le processus dans lequel nous étions engagés n’a pas atteint les objectifs que nous en attendions. La crise est, pour une part, la conséquence de cette situation.

Du reste, tous ceux qui s’exprimaient sur le sujet voilà quelques années en étaient parfaitement conscients – il faut croire que l’urgence aiguise la lucidité –, puisqu’ils reconnaissaient que c’était un défaut de coordination et d’intégration qui expliquait le doute qui s’était installé dans les esprits sur la capacité de l’Union européenne et de la zone euro à répondre aux défis financiers et monétaires qu’elles avaient à relever. Pourtant, après qu’eurent été mises en place l’union budgétaire et l’union bancaire, qui certes ne sont pas rien, aucune nouvelle initiative n’est intervenue en matière d’intégration.

Comment ne pas voir une relation de cause à effet entre notre incapacité à avancer de manière suffisamment offensive sur le plan politique et une partie, sinon l’essentiel, de nos difficultés actuelles ?

Comment aussi ne pas comprendre l’attitude de l’Allemagne, en particulier sa méfiance actuelle envers de nouvelles évolutions, eu égard à la défiance que lui inspirent ceux qui sont normalement ses partenaires, et auxquels elle veut imposer des règlements qui sont autant de corsets que les opinions publiques et les peuples ne peuvent plus accepter ?

N’aurions-nous alors le choix qu’entre une Europe punitive et une Europe passive ? Il me semble, monsieur le ministre, qu’il faut sortir de cette alternative impossible, et que là est peut-être le rôle de la France.

En vérité, c’est la relance politique qui permettra la relance économique ! Chaque fois que, dans l’histoire de l’Europe, qui est étroitement liée à celle de la France, nous avons été confrontés à des difficultés, notre pays a pris l’initiative d’une relance politique ; il l’a fait à l’époque de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt, puis, à plusieurs reprises, sous la présidence de François Mitterrand, vis-à-vis de la Grande-Bretagne et vis-à-vis de l’Allemagne. Il doit le faire encore aujourd’hui.

C’est à la France de mettre sur la table, non seulement un plan de relance de l’activité économique, qui est indispensable, mais aussi un plan de relance politique de la zone euro, sans lequel nous n’arriverons pas à entraîner nos partenaires, ni à apporter des solutions durables aux dysfonctionnements de la zone euro et aux écarts structurels qui séparent nos économies.

En d’autres termes, il faut que nous mettions sur la table publiquement, et non pas simplement lors d’une négociation menée entre dirigeants à l’occasion de sommets, des propositions visant à la mise en place d’un fonds d’investissement destiné à soutenir l’activité, ainsi qu’à la consolidation politique de la zone euro autour d’objectifs qui doivent être acceptés par tous, en ce qui concerne non seulement l’endettement et le déficit, bien sûr, mais aussi la croissance et l’emploi.

C’est ainsi que nous pourrons à la fois redonner confiance aux opinions publiques, recréer de l’activité pour créer de l’emploi, ce qui est la clé de la confiance dans l’Europe, et assurer l’avenir de l’Union européenne, singulièrement celui de la zone euro. Mes chers collègues, je le répète : c’est la relance politique qui déterminera la relance économique !

J’entends bien que M. Juncker nous propose un plan de 300 milliards d’euros ; celui-ci peut paraître important et intéressant, et en effet il peut être utile, mais il est trop limité dans ses ambitions. Souhaitons qu’il soit mis en place rapidement, mais souhaitons aussi que nos gouvernements, et d’abord le Gouvernement français, sous l’impulsion du Président de la République, trouvent l’énergie et la volonté de proposer aux peuples européens un pas en avant dans le sens de l’intégration politique et démocratique, au service de la croissance et de l’emploi. Remarquez que je parle d’intégration démocratique : en effet, il n’est pas question que les parlements soient tenus à l’écart de cette évolution.

Je souhaite, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous empruntions ce chemin, pour assurer un avenir à l’euro en faveur duquel nous avons fait un choix décisif voilà quelques années. Cet avenir n’est pas seulement celui des technocrates, des experts et des financiers ; il est celui de nos économies, de notre industrie et de nos emplois, et par conséquent de notre démocratie.

L’avenir de la France passe sans doute par l’Europe, mais, si nous voulons que l’Europe lui permette de se réaliser, nous devons retrouver une ambition pour elle. La France sera de nouveau digne d’elle-même si elle propose à ses partenaires un chemin plus ambitieux que celui qu’elle a choisi d’emprunter aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur celles du RDSE.)