compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

M. Jean Desessard.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur l’article 36 du règlement du Sénat.

Je profite de l’ouverture du débat budgétaire pour réagir, notamment, à la parution dans ce qu’il est convenu d’appeler « un journal du soir » d’un article dans lequel Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, fait un certain de nombre d’annonces.

Qui, en novembre 2011, alors que la gauche sénatoriale venait d’étriller ensemble, dans le respect de sa diversité, le budget libéral présenté par Nicolas Sarkozy, aurait pu imaginer qu’aujourd’hui le gouvernement de M. Valls, par la voix de Michel Sapin, se féliciterait du retour au pouvoir de la droite au Sénat…

M. Philippe Dallier. Eh bien oui !

Mme Éliane Assassi. … pour pouvoir discuter sereinement, voire amicalement – pourquoi pas ? –, de la loi de finances ?

Selon M. Sapin, en effet, « c’est plus facile de débattre avec un Sénat de droite animé de cet état d’esprit…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Philippe Dallier. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. … qu’avec un Sénat de gauche ingouvernable. On va pouvoir enfin s’intéresser aux textes qui aboutissent plutôt qu’à ceux qui sont rejetés ». (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Mme Éliane Assassi. J’ai relu, avant de prendre la parole ce matin, le communiqué de presse publié à l’époque par François Marc, alors rapporteur général du budget, lequel vantait le travail commun des groupes de la majorité sénatoriale, en particulier pour donner plus de moyens aux collectivités territoriales.

M. Philippe Dallier. Les temps ont changé !

Mme Éliane Assassi. Il est vrai, monsieur le secrétaire d’État – je vous le dis alors que M. Sapin n’est pas encore parmi nous –, que tout cela, c’était avant l’élection de M. Hollande à la présidence de la République,…

Mme Éliane Assassi. … c’était avant l’oubli des promesses de campagne, c’était avant la capitulation devant le traité budgétaire Merkel-Sarkozy, devenu depuis lors le vôtre, et qui soumet nos finances aux desiderata de l’Europe libérale !

Quand le Gouvernement admettra-t-il que ce qui révolte nos compatriotes, et singulièrement l’électorat qui a pu croire en lui, en la gauche, c’est ce renoncement aux valeurs affichées dans l’opposition pour, aussitôt au pouvoir, entrer dans le cadre fixé par les marchés ?

Oui, tout cela nous pose un problème. Le jour approche où le Gouvernement, où ses membres participant au débat budgétaire, reconnaîtront que, finalement, entre le social-libéralisme qu’ils défendent maintenant et le libéralisme social d’une certaine droite, il n’y a plus de différence.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC sont fiers – et même très fiers – d’avoir porté haut, pendant trois ans au Sénat, l’étendard d’une politique de gauche.

Ce qui me paraît inacceptable dans cette nouvelle posture politique, c’est que, alors même que votre seule légitimité provient du rassemblement à gauche de 2012 – et cela vaut pour la plupart des sénateurs socialistes élus lors des derniers renouvellements sénatoriaux –, vous vantez aujourd’hui les mérites du retour de la droite au Sénat. Quel cynisme !

M. Éric Doligé. C’est du réalisme !

Mme Éliane Assassi. Quel mépris pour votre propre engagement !

Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous, par exemple, demander une seconde délibération afin d’imposer le texte du Gouvernement par la voie du vote bloqué,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils l’ont fait à l’Assemblée nationale !

Mme Éliane Assassi. … et annihiler ce faisant les crédits votés par le Sénat, comme vous l’avez fait en 2012 et en 2013, en écartant au passage certains amendements de progrès votés par la gauche réunie ?

M. Philippe Dallier. Ce sont les joies de la majorité !

Mme Éliane Assassi. Ou bien allez-vous accepter le texte de la droite sénatoriale ?

M. Philippe Dallier. Probablement !

Mme Éliane Assassi. En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, les masques tombent : vous nous avez accusés durant deux ans de pactiser avec la droite, alors que nous menions le débat à gauche et que nous rappelions à M. Hollande ses promesses. Aujourd’hui, mes chers collègues, les choses sont claires : vous préférez discuter avec l’UMP et l’UDI (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) plutôt qu’avec ceux qui ont cru à la gauche (M. Jacques Chiron s’exclame.) et qui, contrairement à vous, sans aucun doute, y croient encore. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Philippe Dallier. Cela promet !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le débat est bien lancé !

M. le président. Ma chère collègue, acte vous est donné de ce rappel au règlement.

3

 
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2015

Discussion d’un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (projet no 107, rapport no 108).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, tout d’abord, d’excuser l’absence momentanée de Michel Sapin, que l’intervention de Mme Assassi visait, à ce que j’ai cru comprendre, à interpeller.

Mme Éliane Assassi. Pas qu’un peu !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il participe en effet au conseil des ministres, qui a lieu exceptionnellement un jeudi du fait du déplacement du Président de la République en Nouvelle-Calédonie et en Australie.

Je ne ferai pas de commentaire particulier sur vos propos, madame la sénatrice, sinon que le Parlement, en l’occurrence le Sénat, est libre et maître de ses décisions.

Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas parlé de cela ; j’ai évoqué les propos tenus par M. Sapin !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Puisque la Haute Assemblée a décidé de rejeter certains textes importants, le Gouvernement respecte ce choix.

Mme Éliane Assassi. Apparemment non !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous m’avez demandé si le Gouvernement réclamerait une deuxième délibération et un vote bloqué sur les dispositions que nous commençons à examiner ce matin. Je vous répondrai que, si le Gouvernement respecte les votes du Sénat,…

Mme Éliane Assassi. Il ne l’a pas fait l’année dernière !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. … vous me permettrez, madame la sénatrice, de vous demander de respecter les décisions du Gouvernement, qui seront prises le moment venu, en fonction de l’avancement des débats et de la nature des votes.

Le projet de loi de finances pour 2015 est une étape décisive dans la mise en œuvre des engagements qui ont été pris au printemps.

La situation est certes plus difficile, en France comme en Europe, mais nous avons un cap…

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … et nous ne devons pas en dévier. Qu’il s’agisse d’économies de dépenses ou de baisses d’impôts sur les ménages, tout ce qui vous a été annoncé au printemps et depuis lors figure aujourd’hui dans le présent texte.

Pourtant, la conjoncture ne nous y aide pas. La zone euro traverse, vous le savez, une période de croissance faible, trop faible, alors même qu’elle n’a toujours pas retrouvé globalement le niveau d’activité qu’elle connaissait avant la crise, il y a six ans.

L’inflation a atteint ses plus bas niveaux historiques ; elle ne retrouvera qu’à l’horizon 2017 sa cible proche de 2 %.

Les décisions sans précédent prises par la Banque centrale européenne, la BCE, nous aideront, c’est indéniable. Mais son président, Mario Draghi, a reconnu lui-même que la politique monétaire ne peut pas tout, en tout cas pas tout de suite.

La principale question qui se pose à nous aujourd’hui, celle à laquelle nous devons répondre, c’est l’adaptation de nos politiques économiques à ce contexte. Nous devons éviter le scénario de l’enlisement dans une période de faible croissance et de faible inflation. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi de finances propose d’adapter le rythme de consolidation budgétaire, autrement dit de réduction des déficits publics, face à une faiblesse de la demande, qui pèse sur la croissance et l’inflation.

Ce projet de loi de finances trace donc une perspective de réduction de nos déficits publics à un rythme qui prend en compte le taux de croissance. La conséquence en est que le déficit baissera, en l’état des prévisions du projet de loi de finances, passant de 4,4 % en 2014 à 4,3 % en 2015, pour passer à nouveau sous le seuil de 3 % en 2017.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous repoussez toujours l’échéance !

M. Éric Doligé. On ne vous croit plus !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La prévision de déficit public pour 2015 va par ailleurs être prochainement revue à la baisse ; comme vous le savez, les discussions avec la Commission européenne nous ont conduits à réévaluer de 3,6 milliards d’euros à la hausse notre ajustement structurel en 2015.

Ces 3,6 milliards d’euros,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Sortis du chapeau !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. … ce sont d’abord des réévaluations de certaines de nos prévisions. En effet, les règles de calcul européennes de l’ajustement structurel intègrent dans celui-ci l’évolution spontanée des dépenses et des recettes publiques. Nous disposons d’informations nouvelles depuis le dépôt du projet de loi de finances, en particulier sur la charge de la dette, et nous les prenons en compte, conformément au principe de sincérité budgétaire. Le Gouvernement vous proposera donc, mesdames, messieurs les sénateurs, un amendement à l’article d’équilibre pour intégrer ces réévaluations au projet de loi de finances.

Nous anticipons également l’impact de mesures dont vous discuterez prochainement : en particulier, un certain nombre de mesures du projet de loi de finances rectificative, déposé le 12 novembre dernier, ou certains amendements au projet de loi de finances adoptés à l’Assemblée nationale produiront du rendement en 2015, ce qui viendra diminuer le déficit public.

L’impact de ces mesures nouvelles sera intégré à l’article d’équilibre et à l’article liminaire. Toutefois, s’agissant des dispositions du projet de loi de finances rectificative, nous attendrons qu’elles aient été votées en première lecture.

Ces mesures vont donc améliorer le solde en 2015 ; mais elles ne doivent pas faire oublier que ce sont d’abord les 21 milliards d’euros d’économies sur l’ensemble des administrations publiques qui permettront de réduire notre déficit en 2015.

Vous avez d’ores et déjà examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui met en œuvre les économies dans le champ social. Avec ce projet de loi de finances, ce sont maintenant près de 8 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de l’État qui vous sont proposées pour 2015.

Lors du débat d’orientation des finances publiques, le Gouvernement s’était engagé à détailler les mesures permettant de documenter cet objectif d’économies. C’est cet engagement que nous tenons aujourd’hui, en détaillant les principales mesures qui conduiront à diminuer en valeur de 2 milliards d’euros les dépenses des ministères et les ressources affectées aux opérateurs en 2015 et, par conséquent, à réaliser au total de l’ordre de 8 milliards d’euros d’économies par rapport à la progression tendancielle des dépenses. (Marques de scepticisme sur les travées de l'UDI-UC.)

Je vous donne ici les chiffres ajustés qui résultent du texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.

Sur les charges de personnel, l’économie attendue en 2015 s’élève à 1,4 milliard d’euros. Elle résultera de plusieurs mesures.

D’abord, le gel du point d’indice sera maintenu.

Ensuite, il y aura une stabilité des effectifs, comme en 2013 et en 2014 ; les créations de postes dans les ministères prioritaires seront intégralement compensées par les réductions sur les autres ministères, voire légèrement au-delà, puisque nous prévoyons une baisse d’effectifs de 1 278 équivalents temps plein.

Enfin, il sera procédé à de nouvelles réductions des enveloppes catégorielles, c’est-à-dire des mesures spécifiques à certaines catégories de fonctionnaires, à 245 millions d’euros en 2015, contre plus de 500 millions d’euros par an entre 2007 et 2012. Au total, la progression de la masse salariale sera limitée à 0,6 % seulement l’année prochaine, par le seul effet des progressions de carrière, soit une augmentation plus faible que la prévision d’inflation.

Au-delà de ces chiffres, une économie de 2,1 milliards d’euros sera réalisée grâce aux mesures prises sur les dépenses de fonctionnement, ainsi que sur certaines dépenses d’investissement.

Sur le fonctionnement, les moyens sont déjà mobilisés, mais nous allons amplifier cet effort, tout d’abord par la mutualisation renforcée des fonctions support, notamment en matière d’achat, et la poursuite de la maîtrise des dépenses immobilières. Ainsi, plusieurs opérations de regroupement des implantations parisiennes des ministères progresseront fortement en 2015 ; par ailleurs, les produits des cessions immobilières dépasseront 500 millions d’euros.

Second axe, le développement de l’administration numérique, qui est déjà très avancé dans certains domaines, sera renforcé, par exemple dans les procédures fiscales ou douanières.

Nous souhaitons préserver l’investissement autant que le permettent nos objectifs d’économies. Certaines lignes budgétaires sont en baisse, et nous assumons une certaine sélectivité. Dans le même temps, nous mobiliserons les ressources nécessaires pour financer les investissements prioritaires. Ce sera par exemple le cas en matière de transport, avec l’affectation à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, d’une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE.

L’exécution du programme des investissements d’avenir sera poursuivie avec un rythme de décaissement identique à celui de 2014, le Gouvernement restant exigeant dans le choix des projets soutenus.

Enfin, 2015 sera la première année d’exécution de la nouvelle génération de contrats de plan État-région, à hauteur de 1,8 milliard d’euros ; nous souhaitons finaliser ces contrats d’ici à la fin de l’année.

Les économies que nous proposons sur les interventions de l’État, ministère par ministère, suppriment l’accumulation de dispositifs. Il s’agit par exemple de mieux articuler les aides à l’agriculture avec la politique agricole commune, la PAC, de rationaliser les dépenses en faveur de l’outre-mer, qui bénéficie déjà de dépenses fiscales importantes, de réformer les aides aux entreprises ou encore de stabiliser en valeur les concours à l’audiovisuel public. C’est la première fois qu’un plan d’économies aussi ambitieux est réalisé sur les dépenses d’intervention de l’État.

Les opérateurs et agences de l’État seront mis à contribution pour un montant de 1,9 milliard d’euros, dont 1,1 milliard de réductions des taxes affectées. Vous connaissez la progression des dépenses des agences au cours de ces dix dernières années. Ces agences sont capables, dans la plupart des cas, de dégager des marges dans leur fonctionnement et leurs interventions ; des trésoreries excédentaires ont parfois même été accumulées, sur la base de recettes fiscales dynamiques perçues. Ce type de situation ne saurait perdurer dans le contexte budgétaire actuel. De nombreux opérateurs seront mis à contribution : les chambres de commerce et d’industrie, les chambres d’agriculture, les agences de l’eau, mais aussi le Centre national pour le développement du sport et certaines autorités administratives indépendantes.

Au total, les dépenses des ministères et les affectations de recettes plafonnées diminueront de près de 2 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Il s’agit d’une baisse en valeur. En tenant compte du prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne, qui augmente, la baisse est de 1,2 milliard d’euros, alors que ces charges auraient progressé spontanément de 6 milliards d’euros.

Le Gouvernement propose également de réaliser des économies sur les dépenses des collectivités territoriales, à travers une diminution de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, de 3,7 milliards d’euros, chiffre ramené à 3,5 milliards d’euros à l’issue du vote de l’Assemblée nationale, l’écart étant compensé par un effort accru sur les dépenses de l’État. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et les nouvelles charges ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Cette baisse se poursuivra en 2016 et en 2017, pour un total de 11 milliards d’euros.

M. Jean-François Husson. Et vous voudriez que l’on vous croie ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce montant de 11 milliards d’euros a été arrêté en vertu d’un principe de proportionnalité dans la dépense publique de chacun des secteurs concernés, c’est-à-dire l’État, les collectivités territoriales et la protection sociale dans son ensemble. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Au demeurant, cette somme est inférieure au poids des dépenses des collectivités locales dans l’ensemble de la dépense publique.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas ce que disent les élus locaux !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Par ailleurs, la répartition des économies a été organisée de manière uniforme sur trois ans. Je sais que les collectivités territoriales auraient souhaité un étalement différent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On les met en difficulté !

M. Michel Vergoz. C’est vous qui les avez mises en difficulté avec le RSA !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Néanmoins, j’observe que nous prévoyons 21 milliards d’euros d’économies en 2015 ; en d’autres termes, nous avons choisi d’accentuer l’effort sur la première année. Ce n’est pas le cas pour les collectivités territoriales : si nous avions respecté les mêmes proportions, nous aurions diminué la DGF de 1 milliard d’euros supplémentaires en 2015. (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faut vous dire merci ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Apparemment, le changement de majorité vous rend plus punchy ! (Exclamations amusées sur les mêmes travées.)

M. Philippe Dallier. Ça va faire plaisir à Mme Assassi !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je rappelle que les dotations de l’État ne représentent en moyenne que 28 % de l’ensemble des recettes des collectivités territoriales,…

M. Jean-François Husson. Demandez donc aux élus locaux s’ils vous croient !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … même si cette proportion varie selon les collectivités. Par exemple, les régions sont plus dépendantes des dotations de l’État, notamment depuis certaines réformes menées par nos prédécesseurs.

M. Éric Doligé. Ce sont les collectivités qui vont le mieux !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ainsi, 60 % de leurs recettes sont issues de la fiscalité locale. Si l’on totalise l’ensemble des recettes des collectivités locales, l’effort demandé en 2015 représentera 1,9 % de leurs recettes réelles de fonctionnement et 1,6 % de leurs recettes totales.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et l’investissement !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il s’agit d’un effort, mais, contrairement à ce que l’on entend parfois, le traitement infligé, si j’ose dire, aux collectivités n’est pas plus dur que celui qui est réservé à l’État. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Nous anticipons en effet une progression des dépenses locales sur le triennal, à un rythme semblable à celui des recettes. La dépense locale va donc continuer à augmenter en valeur dans les années qui viennent, alors que, comme je l’ai indiqué, les dépenses des ministères devraient diminuer de près de 2 milliards d’euros dès 2015.

M. Jean-François Husson. Vous voulez dire que les collectivités sont irresponsables ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Pour terminer sur ce point, je nous invite et vous invite à mener un travail approfondi sur la réforme de la DGF, dont chacun mesure ici la complexité, l’illisibilité et l’injustice.

M. Michel Bouvard. Ça, ce n’est pas faux…

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous souhaitons être en mesure de vous proposer à la fin de l’année 2015 une réforme globale de cette dotation, réforme que chacun appelle de ses vœux mais que personne n’a jamais eu le temps ou le courage de mener à son terme.

M. Michel Bouvard. Comme la révision générale des bases !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce sont ces mesures d’économies qui permettent de financer les priorités du Gouvernement, en faveur de la jeunesse, de l’investissement ou de la transition énergétique. Je rappelle notamment le renforcement du crédit d’impôt en faveur de la transition énergétique, dont le taux passe à 30 % et dont les conditions de recours sont assouplies. L’effort atteindra ainsi 700 millions d’euros.

Ces économies nous permettent également de baisser les prélèvements obligatoires. J’en viens donc au volet fiscal du projet de loi de finances.

Le crédit d’impôt compétitivité emploi, ou CICE, et le pacte de responsabilité, dont les dispositions sont portées par d’autres textes, doivent renforcer notre tissu productif, en dégageant de nouvelles ressources pour investir, embaucher ou former les salariés.

Dans le même temps, nous poursuivrons la baisse de l’impôt sur le revenu pour les ménages à revenus modestes et moyens, comme nous nous y étions engagés dès le printemps.

L’article 2 du projet de loi de finances prévoit ainsi une réforme du bas de barème de l’impôt sur le revenu, avec la suppression de la première tranche, pour un allégement de 3,2 milliards d’euros au total. Couplée à la réduction d’impôt adoptée cet été en loi de finances rectificative, cette réforme d’ensemble bénéficiera à 9 millions de foyers fiscaux à revenus modestes ou moyens, et à eux seulement, puisqu’un décalage concomitant de l’entrée dans les tranches supérieures établira, pour les hauts revenus, les mêmes taux d’imposition en 2015 qu’en 2014.

En outre, le barème d’ensemble de l’impôt sur le revenu sera revalorisé, comme il l’a déjà été en 2014.

Pour ne donner qu’un exemple, un couple d’actifs avec deux enfants qui perçoit des salaires nets s’élevant au total à 3 160 euros par mois verra son impôt sur le revenu passer de 744 euros en 2014 à zéro en 2015.

M. Éric Doligé. De combien ses impôts avaient-ils augmenté les années précédentes ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Au total, compte tenu des mesures tant en dépenses qu’en recettes, le projet de loi de finances prévoyait lors de son dépôt un déficit de l’État de 75,7 milliards d’euros en 2015, en diminution de 12,5 milliards d’euros par rapport à la prévision révisée de 88,2 milliards d’euros pour 2014.

Les amendements adoptés à l’Assemblée nationale ont conduit en première délibération à une dégradation du solde de l’ordre de 800 millions d’euros. Le Gouvernement, comme il l’avait annoncé au début du débat, a proposé de la gager par une diminution des crédits des ministères, diminution qui a été adoptée en seconde délibération. Le texte qui vous est soumis fait toutefois ressortir un déficit à 75,8 milliards d’euros. Cette légère dégradation du solde est transitoire et résulte de la prise en compte en première lecture de dépenses qui auront une contrepartie en recettes supplémentaires, lesquelles, pour des raisons de procédure, ne pourront être ajustées qu’ultérieurement au cours de la navette parlementaire.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands équilibres budgétaires qui vous sont proposés dans ce projet de loi de finances : des économies sans précédent sur les dépenses des ministères en particulier et sur l’ensemble de la dépense publique en général ; des baisses de prélèvements qui profitent aux classes moyennes et aux ménages modestes, ainsi qu’aux entreprises.

Nous entamons donc la discussion de ce projet de loi de finances. Je me réjouis par avance des débats qui nous occuperont dans les jours, les nuits et les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, est-il plus facile pour le Gouvernement de discuter avec la nouvelle majorité sénatoriale ou la commission des finances souffre-t-elle du syndrome de Stockholm ? Toujours est-il que cette dernière se réjouit – ce sera peut-être notre seul point d’accord, monsieur le secrétaire d’État – du débat qui s’annonce après trois années de frustration, ainsi que de pouvoir formuler des propositions. Il me semble d’ailleurs que cette satisfaction est partagée peu ou prou sur toutes les travées. Enfin, le Sénat examinera la deuxième partie du budget de l’État à la suite de la première partie, ce qui permettra à notre assemblée de montrer sa différence. C’est donc une période intéressante qui s’ouvre devant nous.

Mme Nathalie Goulet et M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La discussion du projet de loi de finances pour 2015 commence au Sénat après de longs échanges – ils ne sont pas terminés – avec la Commission européenne, qui ont fait l’actualité des dernières semaines. Les règles européennes de gouvernance des finances publiques établies après la crise de la zone euro, de même que l’image et la crédibilité de la France auprès de ses partenaires européens, ressortent affaiblies de cet épisode.

L’exécutif peut se targuer d’une « mise en scène » devant la Commission européenne, pour reprendre les mots du ministre des finances et des comptes publics, mais la question des moyens à mettre en œuvre pour respecter nos engagements sera de nouveau posée dans quelques jours lorsque la Commission européenne rendra son avis sur le projet de budget de la France. Je vois mal comment il pourrait ne pas être sévère !

En effet, ce projet de budget ne respecte aucun de nos engagements ; ayant déjà évoqué ces aspects dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, je me contenterai de quelques rappels.

Après avoir obtenu un report du retour du déficit public sous les 3 % du PIB de 2015 à 2017, le Gouvernement renonce à cet objectif sans motif valable. Notre but à moyen terme, qui était un déficit structurel inférieur à 0,4 % en 2019, est lui aussi reporté, ce qui signifie que près de la moitié de l’effort sera réalisé pendant la prochaine législature.

Par ailleurs, ce projet de budget ne met pas non plus en œuvre l’ajustement structurel demandé par le Conseil européen pour les années 2014 et 2015.

Les échanges avec la Commission européenne ont conduit le Gouvernement à s’engager sur un programme – M. le secrétaire d’État y a fait allusion – de 3,6 milliards d’euros supplémentaires. Je n’ai pas, à ce stade, obtenu le détail de cet engagement. J’ai interrogé en commission Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Mais Christian Eckert vient de nous indiquer que des amendements avaient été déposés au Sénat. Nous en prendrons connaissance.

De ce point de vue, le projet de loi de finances pour 2015 marque une inflexion nette, sinon une pause, dans le redressement de nos finances publiques. En dépit d’une hypothèse de croissance de 1 %, dont le caractère optimiste a été confirmé devant la commission des finances du Sénat par le Haut Conseil des finances publiques – les dernières prévisions de la Commission européenne étant de 0,7 % en raison d’une croissance faible –, le déficit de l’État et de l’ensemble des administrations publiques serait quasi identique à celui de 2013. Cela montre le peu de chemin parcouru, surtout en considération de l’effort accompli par les autres pays de la zone euro.

Je ne citerai qu’un seul exemple, dont on a beaucoup parlé, celui de l’Espagne. Le déficit public espagnol reste certes supérieur à celui de la France, puisqu’il est proche de 5,5 % du PIB, mais souvenons-nous qu’il s’élevait à plus de 9 % en 2011 ! Tous nos partenaires ont consenti un effort considérable, et notre pays est aujourd'hui le troisième de la zone euro pour l’importance de son déficit.

Alors que nous avons basculé dans la deuxième moitié de la législature, voilà quelques jours, il paraît nécessaire de mettre en perspective ce projet de budget et de le juger à l’aune de la politique budgétaire et fiscale défendue par le Gouvernement depuis deux ans et demi.

En premier lieu – je ne m’y étendrai pas longuement –, cette première partie de législature est marquée par l’incapacité de l’exécutif à tenir les engagements qu’il a pris à l’égard des institutions et de nos partenaires européens.

En second lieu, elle est marquée par l’incapacité à tenir les engagements pris devant les Français, notamment en matière de fiscalité. Il y a d’abord eu l’annonce de grands chantiers, qu’il s’agisse de la remise à plat de la fiscalité ou de la montée en puissance de la fiscalité écologique. À l’arrivée, ces grands chantiers ont accouché d’une souris au regard des ambitions initiales et des débats qu’ils ont suscités. La fiscalité écologique est désormais assimilée à une « écologie punitive ». Quant à la remise à plat de la fiscalité, elle aura seulement permis de constater l’incapacité du Gouvernement à engager une vraie réforme et à mettre en scène une programmation des évolutions de la fiscalité des ménages et des entreprises.

Pourtant, le besoin de lisibilité et de stabilité était considérable, à la suite des « errements » du début de la législature, marqué par un alourdissement considérable de la fiscalité et des revirements incessants.