M. Jean-François Husson. C’est énorme ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. André Vallini, secrétaire d'État. … ce qui représente une augmentation de recettes d’environ 1 milliard d’euros.

En outre, le produit de la CVAE va augmenter.

De surcroît, le Gouvernement a pris, au titre de la TVA, deux mesures que vous connaissez déjà.

D’une part, le taux de remboursement du fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, est accru, avec la suppression de la réfaction de 0,9 point du taux de remboursement ; cela représentera 26 millions d’euros en 2015, compte tenu du décalage de remboursement, mais à partir de 2016, en année pleine, 300 millions d’euros.

D’autre part, l’évolution spontanée du FCTVA sera prise en compte hors enveloppe normée en 2015, ce qui représentera 166 millions d’euros au cours de cette année.

Parallèlement, les départements vont pouvoir continuer à majorer le taux des DMTO : le Gouvernement avait ouvert cette possibilité l’année dernière et elle est reconduite cette année. Elle représente environ 130 millions d’euros de recettes supplémentaires pour les conseils généraux.

Enfin, la revalorisation de la taxe de séjour pourra représenter jusqu’à 150 millions d’euros de plus.

Je conclurai en évoquant l’investissement public.

De nombreux orateurs l’ont rappelé avec raison, l’investissement local est assumé à hauteur de 65 % à 70 % par le bloc communal – communes et intercommunalités confondues.

Il se trouve que, en vertu d’une forme de « jurisprudence » liée au cycle électoral, l’investissement baisse systématiquement l’année suivant les élections municipales.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Tout à fait !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Il y a à cela deux raisons.

En premier lieu, les équipes sortantes réélues ont souvent beaucoup investi juste avant les élections – on se demande pourquoi… (Sourires.)

En second lieu, les équipes nouvelles n’ayant pu mettre tout à fait au point leur projet, leurs investissements subissent nécessairement un certain décalage.

On observe ce phénomène depuis une trentaine d’années : le cycle électoral conduit toujours à une baisse de 5 % à 6 % de l’investissement communal au cours de l’année qui suit les élections.

Le Gouvernement et le Parlement ont pris plusieurs mesures en faveur de l’investissement local. Ces dispositions ont fait suite aux rencontres que le Premier ministre a multipliées avec les associations d’élus, à l’occasion de différents congrès : l’Association des régions de France, l’Assemblée des départements de France, l’Association des maires de France, bien sûr, mais aussi de l’Association nationale des élus de montagne et de l’Assemblée des communautés de France.

Le Premier ministre et le Gouvernement ont entendu les légitimes inquiétudes exprimées par les élus. Au-delà des mesures que j’ai indiquées au sujet du remboursement de la TVA, le Premier ministre a annoncé, lors du congrès des maires, en novembre dernier, que la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DTER, augmenterait d’un tiers, soit de 200 millions d’euros, pour atteindre 800 millions d’euros en 2015. Dieu sait si ce dispositif est important pour soutenir des territoires parfois en difficulté !

Je mentionne enfin une mesure de soutien au logement, avec 100 millions d’euros accordés au titre du fonds dit « des maires bâtisseurs ».

Je le répète, il ne s’agit en aucun cas de relativiser ou de sous-estimer les craintes, les inquiétudes, les difficultés des élus locaux. Il convient simplement de replacer l’effort demandé aux collectivités, que vous représentez, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein de l’effort général que doit consentir la nation pour redresser ses comptes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ajouterai quelques éléments aux nombreuses précisions qu’André Vallini vient de vous apporter.

Avant tout, je vous remercie de la qualité et de la densité de vos interventions, que nous relirons en détail d’ici à la réunion du 10 février prochain.

M. Baroin – il n’est plus présent, mais j’imagine qu’il n’en suit pas moins nos débats – a souligné, avec raison, l’ampleur de la baisse des dotations des collectivités territoriales. On ne peut nier cette réalité ou refuser d’admettre la difficulté de la situation. Toutefois, M. Baroin oublie un certain nombre d’éléments, alors même qu’il a été ministre du budget (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), concernant la « règle d’or » des collectivités.

Compte tenu de la situation des finances publiques, pour verser ces dotations aux collectivités territoriales, l’État est contraint de s’endetter. Ainsi, pour permettre aux collectivités de respecter cette fameuse règle d’or, à savoir de ne pas emprunter, l’État emprunte lui-même, et cet emprunt est celui de tous les citoyens français !

Il convient donc de rappeler que le budget est un tout, qu’une partie de l’endettement de l’État s’explique par ces dotations de l’État aux collectivités et que la dette de la France s’entend dotations aux collectivités territoriales comprises !

Celles-ci ont été gelées par l’ancien gouvernement – j’assume entièrement mes propos de l’époque à ce sujet –, puis baissées de 2013 à aujourd’hui, comme l’a expliqué André Vallini. Il est vrai que, auparavant, elles augmentaient régulièrement en fonction de la progression de la dépense des collectivités territoriales, qui n’était le fruit de la seule volonté des élus locaux, mais aussi du coût des compétences transférées.

En analysant la situation à travers ce prisme-là, on peut commencer par se réjouir que le plan Juncker prenne en compte les demandes des collectivités territoriales concernant leurs investissements. Un certain nombre d’entre elles se sont déjà organisées, en particulier les régions – François Patriat le sait bien – afin que cet effet levier soit important. Les associations d’élus ont ainsi déjà désigné certains projets prioritaires. Nous y reviendrons le 10 février.

Par ailleurs, choisir d’accroître la compétitivité des entreprises grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui représente 12 milliards d’euros d’allégements en 2014 et 20 milliards d’euros en 2015, c’est mobiliser une part de l’emprunt national pour aider directement les entreprises, car il faut bien compenser la baisse des cotisations.

Ce choix de la compétitivité a été largement approuvé par les entrepreneurs, qui en bénéficient. Dès lors, sont-ils fondés à nous reprocher aujourd’hui que ce choix se traduise aussi par une baisse des dotations aux collectivités et, par conséquent, par un certain ralentissement de leurs investissements, donc de leurs commandes aux entreprises ?

Chacun sait que ce choix est contesté. M. Éric Bocquet a rappelé tout à l’heure qu’il y était fermement opposé et qu’il aurait préféré que l’on reversât ces sommes aux collectivités territoriales.

Nous, nous faisons le choix de la compétitivité de la France, et c’est un choix que porte, avec difficulté, le budget de l’État. Cela devra également faire partie de la discussion.

M. Baroin, ancien ministre du budget et actuel président de l’AMF, nous rappelait tout à l'heure que j’avais qualifié le gel des dotations de récessif. Oui, la baisse de la dépense publique a toujours un effet récessif, quelle que soit la catégorie de dépense publique concernée, qu’elle vise à redistribuer de l’argent ou qu’elle contribue à l’investissement. Personne n’a pu démontrer le contraire ! Mais nous avons assumé ce choix dans le cadre du pacte de responsabilité et à travers l’aide directe à nos entrepreneurs.

François Hollande évoquait le risque de défaut de la France dans son discours de Dijon. Nous n’avons peut-être pas suffisamment expliqué nos choix difficiles de juillet 2012 : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, c'est-à-dire une aide aux entrepreneurs, d’une part, et des économies, d’autre part. Il s’agissait d’éviter le défaut. Quand on voit ce qu’implique une véritable austérité, notamment pour les collectivités territoriales et pour les services publics, pour un pays en général, il semble bien que nous ayons eu raison !

Sans revenir sur le partage des responsabilités quant à la situation, je rappelle tout de même que l’accroissement de la dette, à la fin 2012, était considérable. Aux 30 milliards d’euros hérités de l’ancien gouvernement se sont ajoutés nos propres engagements, d’un coût équivalent. C’est alors que nous avons décidé d’arrêter, car nous nous dirigions vers le défaut.

Il est vrai que nous avons imposé un certain nombre de normes aux collectivités, en particulier s’agissant de la fonction publique territoriale. Ces décisions ont cependant été prises en commun : les employeurs territoriaux siègent avec nous au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Son président, pourtant membre de l’opposition, a d’ailleurs déclaré à l’occasion de ses vœux qu’il assumait ces décisions, car les fonctionnaires territoriaux de catégorie C étaient trop mal payés. Il va même jusqu’à admettre que le gel du point d’indice de la fonction publique lui pose problème !

Ces mesures ne sont donc pas le fait du seul Gouvernement, mais bien de l’ensemble des employeurs, réunis avec les organisations syndicales.

Fallait-il renoncer à augmenter nos fonctionnaires territoriaux les moins avantagés ? Pensons à ceux qui travaillent de nuit dans les EHPAD, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes : ils avaient besoin de ce coup de pouce. Par ailleurs, pour la vie de nos collectivités territoriales, il était important que le pouvoir d’achat de ces personnels leur permette de consommer un peu plus.

Entendons-nous donc sur ce que sont les choix du Gouvernement : on peut les critiquer, mais nous devons assumer ensemble la responsabilité des décisions que nous avons prises ensemble !

M. Charles Guené a évoqué certains points sur lesquels nous reviendrons le 10 février, en particulier les valeurs locatives ou cadastrales.

Jacques Mézard a, lui, rappelé la différence entre la taxe d’habitation à Paris et la taxe d’habitation dans les petites villes. C’est en effet terrifiant !

Il existe, entre nos collectivités, des différences majeures, qui nous interdisent de les traiter par strate, en considérant comme égales toutes les régions, comme égaux tous les départements. Entre nos régions, entre nos départements, entre nos intercommunalités, entre nos communes, les inégalités sont parfois énormes.

Nous avons commencé à remonter la pente par la péréquation. François Patriat peut témoigner que la nouvelle carte des régions va nous permettre de retrouver une répartition plus homogène du PIB par habitant entre les régions.

À l’époque, avec Gilles Carrez, nous avions soutenu l’utilité de cette péréquation pour essayer de corriger quelques grandes différences entre les uns et les autres. Aujourd’hui, à bien y regarder, malgré ce dispositif, des inégalités considérables persistent, dans les situations comme dans les moyens. J’entends bien m’y atteler.

Il ne s’agit pas non plus d’opposer les communes urbaines aux communes rurales.

Nous connaissons tous des communes rurales qui n’empruntent pas un euro. Mais elles n’ont pas beaucoup de services à prendre en charge, sachant que ce sont les communes voisines qui les assurent.

Pour analyser vraiment les situations, il faut donc tout se dire !

Lorsqu’une station de sports d’hiver supprime le chauffage des trottoirs par mesure d’économie, elle ne se prive que d’une forme de luxe.

Lorsque le maire d’une commune située à une heure de Paris affirme disposer de 80 millions d’euros de provisions sans avoir d’emprunt à rembourser, c’est tout de même le signe d’une criante injustice !

M. Alain Milon. Pourquoi donc ?

M. Éric Doligé. Peut-être a-t-il simplement mieux géré sa commune…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il est donc temps de remettre tout cela à plat. Notre idée, justement, consiste à repartir de la DGF. De strate en strate, nous n’avons pas suffisamment pris la mesure de l’effet de rente et des inégalités.

Nous voulons travailler, à partir du 10 février, avec tous les parlementaires qui le souhaitent. J’ai déjà dit que je regrettais le refus de la majorité sénatoriale de participer à la mission parlementaire sur le sujet. Soyez pourtant assurés que le rapport des deux parlementaires missionnés sera totalement indépendant du Gouvernement.

Nous voulons disposer d’une analyse « à froid » de la situation, en vue de rebâtir ensemble une DGF plus juste, pour que la péréquation soit verticale et qu’on limite le besoin de péréquation horizontale. En effet, ce qui est difficile pour une collectivité, quelle qu’elle soit, c’est de recevoir pour devoir aussitôt redonner. À l’intérieur d’une intercommunalité, des communes pauvres se trouvent assujetties alors qu’elles-mêmes sont en difficulté.

M. Alain Marc. Exactement !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela n’est pas juste. Nous voulons retrouver de la péréquation verticale. Ce sera difficile parce que certaines collectivités qui bénéficiaient de dotations importantes vont les voir un peu diminuer. Mais d’autres, en revanche, qui rencontrent aujourd’hui des difficultés, seront mieux dotées et pourront relancer l’investissement.

Il est tout de même troublant qu’un pays comme le nôtre connaisse une fracture territoriale si violente, et qui traverse toutes les strates.

On nous dit que nous n’aurions pas dû supprimer telle ou telle taxe. C’était peut-être le moment de le faire : ces taxes ne concernaient plus que quelques communes et ne rentraient donc pas dans le panier global.

Ensemble, nous devons trouver des solutions, redéfinir des critères. Oui, monsieur Dantec, nous avons tous à l’esprit la nécessité de critères justes. Nous devrons prêter attention à la CVAE, réaliser de véritables simulations, prévoir le lissage nécessaire… L’objectif est bien de bâtir des dotations plus justes. Naturellement, je ne vous dirai pas qu’elles augmenteront ensuite de façon exponentielle, mais elles doivent être plus justes.

François Patriat dit aujourd’hui avoir réussi à réduire son budget tout en augmentant l’investissement. Il a raison lorsqu’il dit que la loi NOTRe obligera de toute façon les régions à se recentrer sur leurs compétences strictes.

Selon le rapport de l’OCDE, les deux métropoles Aix-Marseille-Provence et Paris organisées par la loi MAPTAM et la loi NOTRe vont nous permettre de gagner 0,8 % de PIB sur dix ans. Je lis que j’aurais été éprouvée par le dossier de la métropole parisienne. C’est faux. J’ai été très agréablement surprise par ce rapport de l’OCDE, à qui nous n’avions rien demandé.

Nous savons que la mise en place des métropoles va créer de la richesse parce qu’elles porteront assistance à des communes qui, aujourd’hui, souffrent tellement qu’elles n’investissent plus du tout. La solidarité, c’est, par exemple, la construction de logements. Or ce dossier est justement l’une des épines que nous avons dans le pied, à Paris comme ailleurs.

Les ressources des collectivités locales, leur engagement, la mise en commun des moyens, mais aussi du foncier, pourraient permettre de régler ce problème.

L’OCDE prédit, je le répète, une croissance de 0,8 % due aux métropoles et de 0,3 % pour l’ensemble de la loi NOTRe. C’est donc un rapport qui nous encourage.

Vous avez tous repris les chiffres de l’Observatoire des finances locales. Sans doute avez-vous raison de vous y référer. Ils indiquent bien que l’épargne brute de certaines collectivités locales peut être touchée, mais montrent aussi que cela ne les concerne pas toutes.

Je résume mon propos en redisant que les dotations de l’État représentent aussi de la dette publique, que, lorsque l’on décide de réaliser 50 milliards d’euros d’économies, cela concerne tout le monde et que, lorsque l’on décide au surplus d’aider nos entreprises, la marge de manœuvre de l’État est encore plus réduite.

Tous ces sujets doivent être au menu des discussions politiques pour que nous prenions acte, in fine, de notre volonté commune d’établir une plus grande justice grâce à la DGF. C’est cela qui, simplement, nous permettra d’absorber plus facilement la baisse des dotations.

Certains se plaignent de ne plus pouvoir construire de routes. Ce matin, en Limousin, une élue du conseil général me disait son inquiétude de retrouver cette compétence. Dans son département, dont le nombre d’habitants baisse, la pression fiscale est à son maximum alors que le nombre de kilomètres de routes ne diminue pas.

C’est ce que je vous expliquais il y a quelques jours : ces élus de départements très ruraux espéraient bénéficier d’une péréquation au niveau de la région pour leurs routes départementales.

Rien n’est simple, et nous devons nous garder de tout manichéisme dans ce débat. Le sens de la dépense publique fait l’objet d’un grand débat politique, comme l’égalité entre les territoires. Nous engageons un autre grand débat, technique, sur les moyens de rendre juste la DGF, car, aujourd’hui, elle ne l’est pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur l’évolution des finances locales.

11

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Très bien !

12

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 27 janvier 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 698-1 et 698-2 du code de procédure pénale (Infractions militaires en temps de paix et mise en mouvement de l’action publique) (2015-461 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

13

Désignation des membres d’une commission d'enquête

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des 21 membres de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession, créée à l’initiative du groupe UMP, en application de son droit de tirage.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

14

Débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Annie David, orateur du groupe auteur de la demande.

Mme Annie David, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, mes chers collègues, dans un contexte économique où de plus en plus de familles rencontrent des difficultés pour répondre à leurs besoins élémentaires et tandis que le nombre de salariés privés d’emploi ne cesse de progresser, les conditions de travail des salariés se dégradent et leurs moyens pour se défendre se réduisent.

S’il en va ainsi pour l’ensemble du salariat, ce constat est encore accentué pour les saisonniers, les employeurs les soumettant à une plus grande précarité.

L’enjeu de notre débat de ce soir est donc de taille : en réfléchissant aux moyens de « déprécariser » les travailleurs saisonniers, nous luttons contre un mouvement global qui remet en cause les acquis sociaux de l’ensemble des salariés. C’est d’autant plus vrai que le travail saisonnier touche des salariés toujours plus nombreux et s’étend à des secteurs toujours plus divers, du tourisme à l’agroalimentaire.

L’image traditionnelle du saisonnier est celle d’un jeune recherchant une expérience professionnelle, un tremplin vers un emploi plus stable. Or, aujourd'hui, on en est loin. La précarisation de la société a fait évoluer la « physionomie » du saisonnier. Dorénavant, sont saisonniers non seulement des jeunes souhaitant financer leurs études ou, tout simplement, subvenir à leurs besoins, mais aussi des retraités, poussés par la nécessité de compléter leurs pensions, des seniors licenciés juste avant la retraite ou encore des femmes exclues du marché de l’emploi. Les uns et les autres se tournent vers ces contrats précaires et ces métiers difficiles.

Les travailleurs migrants sont également embauchés pour les saisons, principalement dans le secteur agroalimentaire, où leurs conditions de vie et de travail sont déplorables.

Si le travail saisonnier recouvre une telle diversité, c’est aussi parce qu’il n’en existe pas de définition législative. En droit, seules des circulaires encadrent l’activité saisonnière, habituellement définie comme l’exécution de tâches normalement appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

Il n’y a donc pas de définition légale du travail saisonnier, pas plus qu’il n’y a de comptabilisation officielle du nombre de saisonniers. Pour autant, on estime que la France compte 2 millions de travailleurs saisonniers, dont près de 900 000 dans le secteur du tourisme. D’après les chiffres de Pôle emploi, l’activité saisonnière représentait, en 2014, près de 40 % des besoins en main-d’œuvre.

Sous l’impulsion de notre collègue Michelle Demessine, alors secrétaire d’État au tourisme, Anicet Le Pors avait réalisé, en 1999, un rapport sur la situation sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers du tourisme. À la suite de sa publication, de nombreux chantiers furent lancés pour améliorer les conditions de vie et de travail des saisonniers. Pourtant, parmi les 31 propositions formulées par Anicet Le Pors, nombreuses sont celles qui demeurent d’actualité, faute d’avoir été mises en œuvre.

Si, pour la première fois, Michelle Demessine a permis de braquer la lumière sur la situation des travailleurs saisonniers, les nombreux rapports successifs qui ont été élaborés sur le sujet relèvent la situation de précarité dans laquelle se trouvent les saisonniers, les carences en matière de droits, la nécessité de renforcer les protections juridiques et d’améliorer les conditions de vie de ceux-ci.

En témoignent l’enquête réalisée, en 2007, par la Jeunesse ouvrière chrétienne sur les contrats de travail des jeunes travailleurs, le rapport Vannson sur l’emploi en montagne, le rapport du Médiateur de la République publié en 2011 à la suite de mon interpellation, la mission assurée par M. Nogué sur le travail saisonnier et, plus récemment, l’organisation du Forum social des saisonniers, qui s’est déroulé à Chambéry et au cours duquel a été rappelée l’actualité des propositions d’Anicet Le Pors.

Depuis que j’ai été élue sénatrice, à trois reprises, j’ai alerté différents gouvernements sur la situation des travailleurs saisonniers, car il s’agit d’une problématique particulièrement prégnante dans mon département. Je l’ai fait parce que je suis convaincue qu’il est du devoir du législateur et du Gouvernement de mettre enfin en œuvre les propositions formulées dans les différents rapports visés.

La question du travail saisonnier constitue, du reste, un enjeu économique majeur pour l’ensemble de nos territoires. L’industrie du tourisme, qui représente une manne financière, recourt largement au travail saisonnier. Au-delà de cette considération, c’est une grande partie du territoire qui, sans la vitalité de ces salariés qui offrent leur disponibilité et apportent leurs compétences dans des secteurs où ils sont indispensables, serait un désert économique et social. J’ajoute que, bien souvent, ces salariés permettent de valoriser le patrimoine de nos régions et de préserver nombre de nos savoir-faire traditionnels.

C’est pourquoi les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen souhaitent affirmer ce soir avec force la nécessité d’améliorer les conditions de travail et de vie des saisonniers et, surtout, proposer collectivement des mesures d’application immédiate.

D’ailleurs, les débats qui ont eu lieu au niveau européen témoignent de l’importance du sujet et de la nécessité d’agir pour que les droits des travailleurs saisonniers soient connus, défendus et effectivement appliqués.

Tout d’abord, les caractéristiques mêmes de l’activité – mobilité géographique, travail temporaire – réduisent trop souvent la possibilité pour les saisonniers d’être informés sur leurs droits : droit de se réunir ou de se syndiquer pour se défendre, par exemple.

Ensuite, on constate de nombreuses infractions au code du travail s’agissant de l’activité saisonnière : le travail illégal est répandu ; les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées, pas plus que ne le sont les conditions d’emploi, notamment pour ce qui concerne l’amplitude horaire, entre bien d’autres aspects.

Face à ces dérives, les moyens consacrés par l’inspection du travail, déjà insuffisants, sont en baisse. Ainsi, quand le nombre de salariés peut être multiplié par 10 durant la saison, le nombre d’inspecteurs du travail reste, lui, stable.

S’il est si important de défendre les droits des saisonniers, c’est parce que ces derniers subissent aujourd’hui une triple précarité : statutaire, fonctionnelle et sociale.

En premier lieu, la précarité est statutaire en raison de l’absence de définition juridique de ce type de contrat dans le code du travail.

Les saisonniers sont embauchés en contrat à durée déterminée saisonnier.

Je rappelle que, selon le ministère du travail, le travail saisonnier recouvre l’ensemble les travaux qui sont normalement appelés à se répéter chaque année, à date à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, et qui sont effectués pour le compte d’une entreprise dont l’activité obéit aux mêmes variations.

La Cour de cassation, quant à elle, a précisé, en 1999, que la distinction entre le travail saisonnier et l’accroissement d’activité repose sur le caractère régulier, prévisible et cyclique de l’activité ou du travail.

Pourquoi ne pas introduire cette définition dans le code du travail ? Ce serait déjà une première avancée.

Appliquer une clause de reconduction donnant au salarié la priorité de retrouver, lors de la saison suivante, le poste qu’il occupait constituerait une deuxième avancée. Ce n’est aujourd’hui qu’une simple option, qui doit expressément être prévue dans la convention ou l’accord collectif de travail pour être appliquée.

Alors même qu’elle permet à l’employeur d’embaucher des personnes ayant déjà de l’expérience, la clause de reconduction n’est pas utilisée de manière systématique. Le principe de reconductibilité du contrat de travail saisonnier doit être affirmé ! Voilà une mesure que nous pourrions collectivement décider de mettre en œuvre.

Ou alors, décidons ensemble de corriger une inégalité de traitement avec les salariés en CDD en octroyant aussi aux saisonniers la prime de précarité. En effet, cette prime a pour objet de compenser la précarité d’un CDD qui ne se prolonge pas en CDI. Or tel est bien le cas d’un contrat saisonnier. Outre qu’il garantirait l’égalité de traitement entre les salariés, le versement de la prime de précarité aux saisonniers permettrait de mettre un terme au recours abusif aux contrats saisonniers.

En effet, nous constatons que certains secteurs, notamment la grande distribution, recourent à ce type de contrat en lieu et place d’un CDD pour surcroît d’activité. Cette utilisation abusive permet en outre aux employeurs de bénéficier d’exonérations de cotisations patronales.

En deuxième lieu, la précarité est fonctionnelle au quotidien.

Les conditions de travail des saisonniers sont souvent jugées très difficiles par les saisonniers eux-mêmes, ce qui explique, pour partie, la rotation des travailleurs d’une saison à une autre. La précarité des saisonniers est essentiellement due au manque de reconnaissance de leurs qualifications. Selon le rapport Nogué, 80 % des emplois à pourvoir dans le tourisme sont de premier niveau de qualification. Ce niveau de formation paraît en contradiction avec les attentes du secteur, nombreuses notamment en matière d’apprentissage des langues étrangères.

L’objectif de construction de parcours professionnels pour les saisonniers, notamment en favorisant la pluriactivité, suppose également de mener une réflexion sur les compétences que ces salariés doivent pouvoir valoriser dans un autre emploi. À cet effet, le développement des certificats de qualification professionnelle transversale peut représenter un moyen d’aider les saisonniers à acquérir des qualifications qu’ils pourront utiliser et voir reconnues dans différents secteurs d’activité.

Un autre moyen de valoriser les emplois saisonniers est un meilleur accès à la formation pour tous. De plus, cela participerait au développement d’une offre de services touristiques de haut niveau et contribuerait à garantir une meilleure insertion professionnelle aux saisonniers, donc à réduire leur précarité.

C’est pourquoi il convient de faciliter le financement et l’accès des saisonniers du tourisme à la formation en dehors de la saison touristique, tout en encourageant la formation biqualifiante à travers les dispositifs de reconnaissance des acquis professionnels et de qualification-métier. Des outils existent déjà, mais sont sous-utilisés, tels les séjours à l’étranger financés par le programme européen Leonardo entre le ministère du travail et les CFA, les centres de formation d’apprentis, qui permettent à de nombreux étudiants de niveau minimum bac+2 de partir faire un stage dans une entreprise étrangère pour une durée maximale d’un an, tout en bénéficiant d’une bourse de 90 euros par semaine ou d’un forfait mensuel de 305 euros, ainsi que du remboursement du trajet.

L’amélioration du niveau de qualification des saisonniers passe également, dans les lycées professionnels, par des cours de langues étrangères

Un autre aspect de ce parcours professionnel est la prise en compte de l’ancienneté des saisonniers.

La prise en considération de l’ensemble de ces éléments permettrait de reconnaître « le droit à la carrière » de ces salariés.

En troisième et dernier lieu, les saisonniers subissent une précarité sociale, avec des conditions de vie fortement dégradées en raison notamment de problèmes de logement, de transport, de santé, mais aussi de garde d’enfants.

Le dispositif d’intervention publique en faveur du logement est inadapté au cas des saisonniers du tourisme. La difficulté rencontrée par nombre d’entre eux pour accéder à un logement décent résulte de la confrontation entre, d’une part, un marché local du logement où l’offre est à la fois très chère et souvent insuffisante et, d'autre part, une situation sociale et professionnelle précaire. Les conditions de caution et de préavis exigées par les bailleurs privés constituent autant de barrières infranchissables.

Encourager la mise à disposition de logements par l’employeur suppose, au préalable, que soient apportées les garanties d’une utilisation du logement conforme à sa destination et que le versement de l’aide soit subordonné à la mise à disposition de logements de qualité.

Anicet Le Pors avait proposé d’exonérer de taxes locales et de TVA les travaux engagés par les employeurs pour aménager les chambres destinées à leurs saisonniers, sur le modèle du dispositif concernant l’acquisition par les employeurs de dortoirs ou de baraques mobiles destinés au logement de leurs salariés. Il ne serait pas illogique d’étendre ce dispositif aux travailleurs saisonniers.

Les conditions de vie des saisonniers sont perturbées par des horaires de travail souvent en décalage avec les horaires de famille, entraînant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle très complexe. Il faut y ajouter une mobilité inhérente aux variations des saisons qui pose des difficultés pour les familles lors des saisons, mais également pour l’insertion dans l’environnement local.

Le travail saisonnier a également des conséquences sur la santé en raison d’une forte intensité et de la soumission répétée à des horaires décalés, d’autant que l’accès aux soins est souvent difficile sur les sites où les saisonniers travaillent.

Les problèmes de garde d’enfants constituent un obstacle qui peut être majeur pour les jeunes parents susceptibles de postuler à des contrats saisonniers, d’autant que les horaires de travail et leur amplitude sont parfois incompatibles avec les plages d’ouverture des structures de garde des jeunes enfants.

Notre volonté, après avoir rappelé le contexte et la situation des travailleurs saisonniers en France, est d’apporter des changements concrets pour ces femmes et ces hommes qui, je le répète, sont indispensables à notre économie, tant touristique qu’agricole, mais qui vivent pourtant dans une grande précarité, sans aucune reconnaissance de leur travail.

Du point de vue de la méthode, nous sommes convaincus qu’un rapport ou une commission supplémentaire pour dresser le constat ne sont absolument pas utiles. En revanche, il nous apparaît nécessaire de rechercher des solutions par la voie du dialogue social. À cet égard, le secteur est défavorisé par la diversité des organisations professionnelles et une faible représentation syndicale des travailleurs, d’où découle une difficulté d’implantation des organisations syndicales. En ce qui concerne notre responsabilité politique, il nous revient de créer les conditions les plus favorables au dialogue social et, en particulier, à l’amélioration des institutions représentatives du personnel.

Au-delà de ce dialogue social, de nombreuses mesures législatives et réglementaires nouvelles sont indispensables pour améliorer réellement les conditions de vie et de travail des saisonniers.

La première d’entre elles consisterait à faire sortir le contrat saisonnier d’un particularisme qui n’est pas justifié et à le faire rentrer dans le droit commun. Nous pensons en effet que, si le contrat saisonnier est un contrat comme les autres, les ruptures d’égalité entre les travailleurs seront en grande partie résolues et le recours abusif à ce type de contrat par certaines entreprises se tarira.

Dès lors, la clause de reconduction des contrats de travail d’une saison à l’autre doit devenir systématique. Cette clause existe déjà dans plusieurs collectivités du secteur du tourisme. Il s’agirait d’une incitation pour les employeurs, qui auraient désormais le choix entre le paiement de la prime de précarité ou la reprise des saisonniers d’une année sur l’autre.

Par ailleurs, les contrats saisonniers doivent bénéficier de la même fiscalité que les autres contrats à durée déterminée. Cela passe par la suppression du dispositif d’exonération des cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d’emploi. Je vous rappelle que ce dispositif, mis en place à des fins de compétitivité et présenté comme un moyen de lutter contre le travail illégal, représentait 450 millions d’euros dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. La solution n’est pas le dumping fiscal et social ; elle réside dans l’instauration d’une régulation au niveau européen.

D’autres mesures, pas seulement législatives, peuvent améliorer rapidement les conditions de vie des saisonniers. Je pense notamment à la pérennisation des maisons des saisonniers et à leur extension sur l’ensemble du territoire ; la création de ces maisons était une des mesures contenues dans le rapport d’Anicet Le Pors et elle a été mise en œuvre. Je mentionnerai également l’institution d’une aide à la mobilité domicile-travail, en lien avec les services de Pôle emploi et les collectivités territoriales, ou encore l’amélioration de la protection médicale des saisonniers, par le renforcement de l’efficacité de la médecine du travail auprès des travailleurs saisonniers et la possibilité de recourir à la médecine libérale lorsque la visite au médecin du travail est impossible. Autre proposition qui pourrait être facilement mise en œuvre : l’élargissement des possibilités de garde des enfants durant la saisonnalité.

Toutes ces actions menées auprès des saisonniers doivent s’accompagner d’un travail de recensement de la population concernée, pour mieux répondre à ses besoins. À ce titre, la question de la création d’un observatoire de l’emploi touristique, ou plus globalement de l’emploi saisonnier, reste d’actualité.

Cependant, comme je l’ai dit en introduction, la mise en œuvre de ces mesures ne saurait par ailleurs être effective sans un renforcement des moyens de l’inspection du travail.

Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, l’ensemble de ces éléments doivent inspirer notre réflexion de ce soir. En tout cas, ils inspirent les membres de notre groupe dans leur travail quotidien. Nous, élus communistes, menons de longue date un combat contre la précarité où qu’elle se situe et pour que les salariés soient représentés et fassent valoir leurs droits. Ce combat fait partie intégrante de celui que nous menons pour une société qui place l’humain en son cœur et qui redonne tout son sens au travail.

Pour cela, il faut savoir écouter les travailleurs. C’est la raison pour laquelle je vous invite d’ores et déjà, mes chers collègues, à participer au colloque que nous organiserons avec différents acteurs du monde du travail saisonnier, notamment la Caisse centrale d’action sociale du personnel de l’énergie, la CCAS, le Forum social des saisonniers, ou encore des associations de salariés saisonniers, les 1er avril et 2 avril, au Sénat. Cette rencontre donnera l’occasion à ces femmes et à ces hommes indispensables à notre économie touristique de faire entendre leur voix et de faire valoir leurs droits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)