compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

M. Serge Larcher.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’agence Business France.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection de l'enfant
Demande de réserve

Protection de l'enfant

Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection de l'enfant
Discussion générale

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 799 [2013-2014], texte de la commission n° 147, rapport no 146, avis n° 139).

Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 11 décembre 2014.

Demande de réserve

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Michelle Meunier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales souhaiterait que la discussion de l’article 7 soit réservée jusqu’après l’examen de l’article 18.

L’un des amendements déposés à l’article 7 concerne un dispositif important, le délaissement parental, qui ne sera débattu qu’à l’occasion de l’examen de l’article 18. Nous ne voudrions pas que le vote sur l’amendement préjuge les réponses apportées à la question traitée dans le cadre de l’article 18.

M. le président. Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Avis favorable.

M. le président. La réserve est ordonnée.

Discussion générale (suite)

Demande de réserve
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection de l'enfant
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment ne pas exprimer des regrets ?

Nous ne pouvons tout d’abord que regretter l’absence de notre ancienne collègue Muguette Dini, qui avait travaillé avec Michelle Meunier sur le rapport d’information intitulé Protection de l’enfance : améliorer le dispositif dans l’intérêt de l’enfant. Nous savons combien elle s’était investie sur le sujet et combien il lui tenait à cœur.

Nous ne pouvons ensuite que regretter que cette discussion générale se prolonge, avec un mois de décalage.

Nous ne pouvons enfin que regretter qu’un tel débat mobilise si peu – je tiens d’ailleurs à remercier toutes celles et tous ceux qui ont répondu présents cet après-midi –,...

Mme Françoise Laborde. Les meilleurs !

Mme Nicole Bricq. Pas les meilleurs, mais les bons ! La qualité est là !

Mme Élisabeth Doineau. … alors qu’il y a quelques jours encore nous débattions du maintien des départements. Or nous sommes là sur l’une des compétences clés de ces collectivités en matière sociale. La protection de l’enfance, ce sont 300 000 mineurs – 1,8 % des jeunes de moins de vingt et un ans -, pour une dépense d’environ 7 milliards d’euros.

La proposition de loi était présentée comme une mise en application du rapport d’information. Ce n’est vrai que partiellement. Elle contient en outre des dispositions, touchant à des sujets aussi sensibles que l’inceste, qui n’ont pas été inspirées par le rapport. La protection de l’enfance étant vraiment une question majeure, constat sur lequel, me semble-t-il, nous sommes unanimement d’accord, nous aurions pu éviter ce sentiment de rendez-vous manqué.

Cela étant, le groupe UDI-UC tient à saluer le travail effectué dans le cadre de la mission d’information précédemment citée, spécifiquement par les auteurs de la proposition de loi : Michelle Meunier, notre rapporteur, qui a montré dans son approche beaucoup d’empathie et d’humanisme, et notre ancienne collègue Muguette Dini. Dans leur rapport d’information, toutes deux ont dressé un bilan exhaustif et formulé une cinquantaine de propositions d’amélioration. Ce travail est remarquable, notamment au regard de l’enquête menée auprès de 400 personnes ayant été accueillies par l’aide sociale à l’enfance, l’ASE. Si 54 % d’entre elles ont un regard positif sur la prise en charge, des critiques existent. Ainsi, 62 % des personnes interrogées déclarent avoir souffert des ruptures liées au parcours et 43 % du maintien à tout prix du lien avec les parents. Du chemin reste donc à parcourir.

Je tiens également à saluer le travail de la commission, qui a permis d’apporter des clarifications au texte initial, dans ses volets tant social que judiciaire. Le volet judiciaire a d’ailleurs été substantiellement réformé sous l’impulsion du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet, dont je salue l’excellent travail et les qualités de pédagogue.

Un état des lieux s’imposait effectivement, mes chers collègues ! Il devait donner lieu à un débat, et ce débat est aujourd'hui possible.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a représenté un véritable progrès. Elle a notamment permis de clarifier les missions et le vocabulaire de la protection de l’enfance, de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant et la place des parents, de donner au conseil général un rôle pivot, de renforcer la prévention et d’améliorer le dispositif d’alerte, de signalement et d’évaluation, enfin de travailler à une amélioration de la formation des personnels et à une diversification des modes d’intervention. Toutefois, huit ans après, si des avancées sont perceptibles, nous savons toutes et tous que la mise en œuvre de cette loi ambitieuse a été progressive et partielle. Pour quelles raisons ?

Il y a tout d’abord le manque de moyens financiers. La loi de 2007 avait créé le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, destiné à compenser, pour les départements, la charge résultant de la mise en œuvre de la loi et à financer les actions innovantes en faveur de la protection de l’enfance. Malheureusement, l’État n’a jamais abondé ce fonds à sa juste hauteur.

Il y a ensuite le contexte dégradé. Les départements ont vu leurs dépenses sociales exploser, avec une charge nette après déduction des apports de l’État en augmentation de 4,6 % entre 2012 et 2013. En Mayenne, par exemple, le nombre de jeunes placés a crû de 36 % en cinq ans et le volume des mesures éducatives de 21 %, tandis que les dépenses progressaient de 11 % entre les deux derniers budgets.

Il y a en outre les nouvelles prises en charge. Un nombre croissant de jeunes faisant l’objet de mesures pénales sont confiés à l’ASE au titre de l’assistance éducative, alors qu’ils devraient relever de la protection judiciaire de la jeunesse. Le placement des jeunes au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est aujourd’hui peu activé.

La protection de l’enfance est essentiellement le fait du juge : 75 % des placements et les deux tiers des mesures éducatives relèvent d’une décision judiciaire. L’importance donnée à la réponse judiciaire en France distingue notre pays des autres pays européens, ces derniers privilégiant l’épuisement préalable de toutes les autres possibilités de négociation avec les parents.

Dans une logique de restriction des dépenses, l’État s’est également désengagé de certaines de ses missions, notamment s’agissant des jeunes souffrant de pathologies psychiatriques ou de troubles du comportement. Faute de structures de soins et de professionnels en nombre suffisant, en particulier dans le domaine de la pédopsychiatrie, les ARS, les agences régionales de santé, ne sont pas en mesure d’assurer cette mission aux côtés des départements.

Toujours en matière de nouvelles prises en charge assurées par les départements, il faut noter celles qui concernent les mineurs étrangers isolés. Ces jeunes aux profils bien différents contraignent nos services départementaux à un suivi très spécifique, tant administratif que sanitaire et socio-éducatif. À ce titre, je remarque - c’est un point quelque peu paradoxal – que nous avons institué, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, un prélèvement sur les recettes de l’État au profit des départements pour financer cette prise en charge. N’y avait-il pas lieu de prévoir un tel dispositif dans le cadre du présent texte, alors même que la question est largement ouverte ?

Il y a enfin les abondantes contraintes qui ont pesé sur les départements : élaborations de schémas, de plans, mises en place de cellules, d’observatoires, de commissions ou autres protocoles, créations de tableaux de bord, etc. Ces mesures, certes utiles – ces travaux nous permettent de remettre en cause nos pratiques –, se révèlent chronophages pour nos services. N’oublions pas non plus les audits internes que nous pouvons commander ou les audits externes auxquels nous sommes soumis, notamment ceux de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales.

Oui tout cela a été fait dans l’intérêt supérieur de l’enfant ! Oui, tout cela participe au bien-être de l’enfant ! Oui, tout cela concourt à une meilleure organisation de nos services en vue de protéger l’avenir des enfants ! Mais, de grâce, restons vigilants et faisons en sorte de ne pas oublier l’humain au profit des grilles statistiques, des stratégies opérationnelles et des remises en cause perpétuelles !

Je m’attacherai donc à examiner cette proposition de loi avec attention et détermination. S’il nous faut viser la perfection dans l’accompagnement de l’enfant, nous devons aussi être réalistes : certains articles supposent des moyens que les départements n’ont pas ou plus. « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible », disait Antoine de Saint-Exupéry. Cela s’applique vraiment au texte dont nous débattons aujourd'hui.

En tout dernier lieu, on peut également regretter que la proposition de loi n’aborde pas certains des sujets les plus préoccupants. Nous avons eu un vrai débat, en commission, concernant la question des adoptions forcées d’enfants dans leur pays d’accueil à l’étranger, du fait, parfois, d’un manque de communication des services sociaux français auprès de l’autorité centrale. Ces enfants sont élevés dans un environnement culturel qui leur est étranger. Au vu des éléments mentionnés, l’État a reporté sa responsabilité sur les conseils généraux. II y a donc urgence à dégager de nouveaux moyens en direction de ces publics les plus difficiles.

Mes chers collègues, notre vote sur ce texte dépendra du sort réservé aux amendements examinés en séance publique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Claude Dilain applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport rendu public au début de cette année 2015, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique que les faits de violence, mauvais traitements et abandons d’enfants enregistrés par la police ont augmenté en 2014 pour atteindre le chiffre de 20 884 cas, soit 6 000 de plus que l’année précédente. Je précise que ne sont pris en compte que les cas déclarés auprès des autorités. Trop souvent, des drames impliquant des enfants maltraités défraient la chronique, mettant en lumière un problème bien plus étendu que ces cas médiatisés.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis de nettes avancées en matière d’efficience des mécanismes de protection des enfants, mais des manquements et des difficultés de réalisation sur le terrain subsistent. Ils ont été bien repérés et développés par Muguette Dini et Michelle Meunier dans leur rapport rendu public en juin dernier. Je tiens, au nom de mon groupe, à les remercier pour la qualité de leur travail sur un sujet non seulement très sensible et fondamental, mais aussi hautement complexe, car faisant intervenir une multitude d’acteurs à tous les niveaux de l’action publique et de l’action individuelle.

L’un des premiers objectifs de la protection de l’enfance est de prévenir les difficultés en amont, autant que faire se peut, et de se donner les moyens de réagir le plus rapidement possible dans l’intérêt des enfants lorsque la situation l’exige. Pour cela, les informations doivent circuler entre les acteurs de la protection de l’enfance. C’est la condition pour que les cas problématiques soient très vite repérés et des drames évités. Cette nécessité a été soulignée par Muguette Dini et Michelle Meunier lors de la présentation de leur rapport et transparaît dans le texte dont nous discutons aujourd’hui.

Malheureusement, les cloisonnements entre acteurs sont encore bien trop importants. On le comprend vite en discutant avec eux. Les moyens financiers sont limités, les procédures sont nombreuses et le dialogue n’est pas toujours évident, faute de formation ou de temps à consacrer à chacun. Or il est fondamental que tous ces acteurs travaillent en étroite collaboration et non pas chacun de leur côté. Il faut décloisonner les services de l’aide à l’enfance et de l’aide aux familles, leur permettre de discuter avec les enseignants, les médecins scolaires, les familles et les enfants.

L’un des changements les plus importants survenu à la suite de la loi de 2007 a été la centralisation des signalements par les CRIP, les cellules de recueil des informations préoccupantes, et l’évaluation conjointe des situations d’enfants en risque de danger. Cependant, les formations relatives au repérage des maltraitances et à l’évaluation des situations d’enfants en risque de danger à destination des professionnels n’ont toujours pas été mises en place par les départements. Il conviendrait donc, selon nous, d’intégrer ce module à la formation initiale.

Autres acteurs primordiaux de la protection de l’enfant, les médecins scolaires jouent, ou peuvent jouer, le rôle de lanceurs d’alerte. Ils sont à même de repérer les enfants ayant besoin d’aide et sont le lien entre sphère scolaire et institutions de protection de l’enfance. Il est donc particulièrement problématique de constater que la santé scolaire reste, année après année, le parent pauvre de la protection de l’enfance. Cela a été souligné à plusieurs reprises, notamment dans le rapport public thématique de la Cour des comptes de 2009 portant sur le dispositif de protection de l’enfance.

Le problème endémique de la médecine scolaire est le même que celui de nombre de professions d’aide à la personne : le manque de moyens et de la faible attractivité des professions concernées. En France, en 2009, il y avait 12 millions d’élèves à prendre en charge pour seulement 1 270 médecins scolaires. Sans compter que les inégalités territoriales frappent là aussi ! Pour prendre l’exemple de la Seine-Saint-Denis, dans la ville de Pantin, il n’y a qu’un médecin pour 11 000 élèves. La médecine scolaire ne bénéficie ni des moyens ni du portage nécessaires à l’exercice de ses missions.

C’est toute cette première ligne de repérage des vulnérabilités et de lutte contre les facteurs de précarité qui se trouve aujourd’hui en difficulté pour assurer ses missions. Nous regrettons que la proposition de loi que nous examinons n’aborde pas ces questions.

Autre élément présent dans le rapport de nos collègues, mais malheureusement absent de ce texte, c’est la question des mineurs étrangers isolés, évoquée à l’instant par Mme Doineau.

Malgré la circulaire de 2013, laquelle explicitait le cadre d’action des départements et de l’État et prônait bienveillance et bénéfice du doute, la situation est très loin d’être satisfaisante. Le test osseux, peu fiable et très lourd pour des enfants en grande fragilité, est toujours largement utilisé pour déterminer leur âge, contrairement à ce que demande la circulaire. Les budgets des départements alloués à l’accueil de ces enfants sont toujours aussi serrés. La volonté de répartir ces enfants particulièrement vulnérables dans plusieurs départements s’est heurtée à l’obstruction et au refus de certains, ce qui charge d’autant plus la barque des autres.

La coordination entre l’État et les départements n’est pas encore satisfaisante. Nombre d’associations nous le rapportent régulièrement, notamment en Seine-Saint-Denis.

Par ailleurs, il ne faut pas avoir une vision fantasmée de la situation de l’accueil de ces mineurs : leur nombre s’élevait, selon les estimations disponibles, entre 4 000 et 8 000 sur un total de 275 000 jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en 2011. Il est nécessaire, sur ce point également, de prévoir des modalités de prise en charge conformes aux valeurs énoncées dans la convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire.

Malgré ces regrets, la proposition de loi présentée par nos collègues correspond à l’orientation que les écologistes souhaitent donner à la protection de l’enfance. À condition que l’esprit n’en soit pas dénaturé lors de la discussion des articles, nous voterons ce texte, qui apporte des premières réponses à un certain nombre de problèmes dans la conception et surtout l’application de la loi de 2007. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans un contexte de précarisation sociale et économique où de plus en plus de familles rencontrent des difficultés pour satisfaire leurs besoins élémentaires, voire fondamentaux – se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer –, dans un système social qui tend à exclure plutôt qu’à intégrer, la question de la protection de l’enfant a une résonance particulière. Les chiffres illustrent cette situation : le nombre d’enfants pauvres a augmenté de 440 000 entre 2008 et 2012 et celui des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance de 13 % depuis 2010.

Huit ans après l’adoption de la loi réformant la protection de l’enfance, « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits » doivent donc nous guider vers une amélioration du dispositif existant. En ce sens, la proposition de loi déposée par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini vise à en améliorer le fonctionnement et le pilotage tout en sécurisant le parcours des enfants protégés. En effet, le système français est actuellement dépourvu de pilotage au niveau national, ce qui renforce les inégalités territoriales. Il ne répond pas aux difficultés d’accès à l’autonomie, notamment au regard des faibles perspectives d’insertion professionnelle, et pose en dogme le maintien avec les parents des enfants en situation de délaissement, voire d’abandon, alors même que certaines situations peuvent être considérées comme risquées.

En s’attaquant à la maltraitance institutionnelle, ce texte permet d’améliorer la situation des enfants et des familles qui subissent actuellement les ruptures de parcours, les passages d’établissement en familles d’accueil et les nombreux allers-retours entre institutions et famille.

Nous soutenons l’instauration d’un organe national de pilotage de la politique de protection de l’enfance afin de rendre plus lisible et cohérente l’action territoriale. L’amélioration du suivi de l’enfant placé est indispensable. Cette proposition de loi nous semble aller dans le bon sens en développant le rôle du projet pour l’enfant et en encadrant davantage les décisions de changement de famille d’accueil.

Ces mesures vont nécessairement de pair avec le développement de la formation des professionnels du secteur de la protection infantile. Face à des situations souvent très fragiles, la formation des acteurs est au cœur des enjeux de l’amélioration de la prise en charge des enfants placés.

Les mesures prévues pour faciliter la procédure d’adoption simple devront à la fois veiller à prendre en compte l’avis de l’enfant et à ne pas complexifier les règles juridiques de l’adoption.

La mise en place d’un médecin référent pour la protection de l’enfance dans chaque service départemental de la PMI, la protection maternelle et infantile – disposition portée par notre groupe lors des débats sur la loi de 2007 –, semble aujourd’hui faire l’objet d’un large consensus. Nous nous en félicitons, car cette mesure permettra d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers et les médecins de santé scolaire.

Il est tout à fait positif qu’afin de garantir une meilleure représentation des droits de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative, la proposition de désignation par le juge d’un administrateur ad hoc soit reprise. Ce dernier se substituerait ainsi aux représentants légaux de l’enfant mineur pour protéger ses intérêts et exercer ses droits.

Toutefois, cette proposition de loi comporte, selon nous, deux écueils majeurs : d’une part, elle ne se dote pas des moyens à la hauteur de ses ambitions ; d’autre part, elle fait l’impasse sur certains sujets qui auraient dû être abordés. Il n’existe ainsi aucune proposition concernant la prise en charge des fratries et la sécurisation du statut du tiers digne de confiance. De même, la question des moyens humains et financiers n’est absolument pas évoquée, notamment ceux consacrés à la prévention. Je pense ici à la nécessaire revitalisation des services de la PMI qui souffrent cruellement.

Alors que la loi de 2007 a opéré le transfert des compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales – je me réjouis, comme nous avons pu le constater lors des débats relatifs au projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, que beaucoup le défendent aujourd’hui –, le contexte budgétaire nous laisse craindre de voir les disparités territoriales progresser. Il est particulièrement dommageable de constater que, même sur un sujet tel que la protection de l’enfance, lequel engage l’avenir de la nation, les parlementaires ne puissent s’extirper du carcan de la réduction des dépenses publiques. Nous aurions aimé trouver dans ce texte la réaffirmation du rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire et d’assurer la cohérence du système.

Ce désengagement nous préoccupe d’autant plus que l’extension des missions de prévention de la protection de l’enfance, prévue en 2007, n’a jamais eu lieu. Dès lors, nous pouvons douter de la réalité d’une évolution positive des crédits affectés à la prévention de la protection de l’enfance. Or, en fait de prévention, on constate que le service de la protection maternelle et infantile se voit fragilisé par la dilution de ses missions dans l’organigramme général du conseil général. Actuellement, seuls 4 % des 5 milliards d’euros consacrés chaque année à la protection de l’enfance par les départements sont affectés à la prévention.

En outre, nous aurions souhaité que la question de l’autonomisation et de l’insertion professionnelle des jeunes suivis par l’aide sociale à l’enfance soit présente dans ce texte afin de remédier aux problèmes de précarité. En effet, alors que le nombre de chômeurs s’élève à 3,5 millions en France métropolitaine, ces jeunes rencontrent des difficultés extrêmement fortes pour occuper un emploi.

De la même manière, nous regrettons fortement que la situation d’ultime fragilité des mineurs étrangers isolés ne soit pas modifiée par ce texte, alors même que ces mineurs sont exposés à des risques d’atteinte à leur sécurité tant physique que psychique.

Permettez-moi d’aborder la situation des jeunes lycéens sans papiers qui vivent la peur au ventre, craignant une expulsion ou un enfermement en centre de rétention. Comment ne pas être choqué de ne voir aucune évolution sur ce sujet malgré un changement de gouvernement ? Heureusement, de nombreuses collectivités, des municipalités, des conseils généraux, dont celui du Val-de-Marne, des conseils régionaux, en particulier celui d’Île-de-France, et certains élus ont mis en place un système de parrainage pour aider ces jeunes et faire en sorte qu’ils puissent poursuivre une scolarité dans de bonnes conditions dans notre pays. Je salue d’ailleurs le travail effectué sans relâche par le Réseau éducation sans frontières pour que soient abandonnées ces expulsions.

Au-delà de cet aspect, et pour revenir au cœur de la proposition de loi, nous souhaitons vivement que les trois amendements que nous avons déposés pour combler certaines de ces lacunes trouvent une réponse favorable au cours du débat, car, malgré les propos de notre collègue rapporteur en commission, ils ne semblent pas satisfaits. Le premier vise à encourager des actions de parrainage d’enfants, le deuxième tend à réduire les délais de déclaration judiciaire de délaissement à neuf mois et le dernier a pour objet de favoriser la prise en charge des fratries dans les projets pour l’enfant.

Vous aurez pu le constater, la volonté du groupe CRC est d’enrichir et d’améliorer ce texte, qui va globalement dans le bon sens, malgré les limites que j’ai évoquées. C'est la raison pour laquelle nous voterons positivement en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je formulerai quelques remarques liminaires.

Premièrement, chacun s’accorde, majorité comme opposition, à reconnaître que la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, que l’on doit à notre éminent collègue Philippe Bas, ici présent, est un bon texte – certes perfectible après huit ans d’application.

Deuxièmement, en matière de protection de l’enfance, les départements – dont l’existence est menacée, nous le savons bien – sont chef de file et pilotent la quasi-totalité du dispositif. J’aurais tendance à dire qu’ils le font plutôt bien. J’en profite pour rendre ici hommage à tous les acteurs départementaux anonymes et courageux côtoyant au quotidien les pires situations, en particulier les assistants familiaux et maternels, métiers difficiles et peu considérés.

Troisièmement, au XXIe siècle, et compte tenu de l’évolution de la cellule familiale et de son éclatement, le sujet de la protection de l’enfance est compliqué et douloureux. La subjectivité, la morale et l’éthique y tiennent une place considérable.

Cela étant posé, le texte que nous étudions aujourd’hui fait suite à un excellent rapport – qui avait reçu un accueil favorable de la commission – de Mmes Meunier et Dini, cette dernière ayant décidé de ne pas se représenter lors des dernières élections sénatoriales. Malheureusement, le groupe UMP considère majoritairement que la transposition de ce rapport en texte législatif n’est pas aboutie et aurait mérité un peu plus de recul, ainsi qu’une sérieuse étude d’impact concernant les conséquences sur le coût et le fonctionnement de l’aide sociale à l’enfance dans les départements.

De plus, en ce qui concerne l’adoption, une remise à plat profonde comme le souhaite notre collègue Alain Milon aurait nécessité plus de recul. Je connais la critique : on en parle depuis dix ans, et nous n’avançons pas ! Toutefois, commencer à examiner cette proposition de loi six mois après le dépôt du rapport est extrêmement court. Peut-être aurions-nous pu consacrer six mois supplémentaires, voire une année, à davantage de réflexion et de concertation. Je salue d’ailleurs l’excellent travail de la commission des lois, qui s’est penchée essentiellement sur les problèmes d’adoption et a voté à l’unanimité la plupart des amendements que va défendre le rapporteur pour avis, M. Pillet. J’ajoute que notre collègue Philippe Mouiller interviendra également sur les problèmes d’adoption.

Pour ma part, j’analyserai cette proposition de loi sous l’angle de la complexité administrative et des charges nouvelles pour les départements. Il se trouve que tout le monde souhaite un choc de simplification, mais jamais personne ne le met en œuvre !

L’article 1er prévoit la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, alors que, de l’avis même du rapporteur, la structure existant déjà ne fonctionne pas. Il convient donc de reprendre cette initiative et de s’appuyer sur l’Observatoire national de la protection de l’enfance prévu à l’article 3 en améliorant son fonctionnement. Il me paraît en effet nettement plus simple de créer une seule structure et d’étendre ses compétences.

L’article 2 vise à réaliser un bilan annuel des formations, dont l’utilité est discutable compte tenu principalement de son élargissement à des acteurs qui n’ont rien à voir avec les services départementaux, comme les policiers, les gendarmes et les magistrats. Ce sont des agents de l’État et non des agents des conseils généraux ! Par conséquent, il n’existe aucune raison pour que les conseils généraux prennent en main ces formations et, surtout, les financent. Il serait plus logique et plus simple de confier à l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance la formation des seuls agents départementaux, sans compter que cette décision permettrait d’économiser un certain nombre de charges.

L’article 4 tend à créer un médecin référent dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile. Certes, la coordination est souhaitable, mais n’oublions pas le problème de la désertification médicale. Nous avons déjà beaucoup de mal dans les conseils généraux à trouver des médecins référents, que ce soit pour l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap ou la protection maternelle et infantile, n’allons pas créer des postes pour des médecins que nous ne trouverons pas. Soyons réalistes !

L’article 7 a pour objet de créer une commission pluridisciplinaire – une de plus ! La plupart des conseils généraux chiffrent à quatre le nombre d’équivalents temps plein que la création d’une telle commission nécessitera. Il semblerait même, je dis ça sous réserve, qu’un président de conseil général de l’actuelle majorité, et pas des moindres, ait parlé de cet article 7 comme d’une usine à gaz. En réalité, cette nouvelle structure se superposera aux décisions de justice avec les conséquences que l’on peut imaginer, ce qui ne va pas dans le sens de la protection de l’enfant.

L’article 8 vise à prévoir une intervention du juge sur le changement du lieu d’accueil. Cet article traduit une certaine défiance – ce qui va à l’encontre du propos liminaire que j’ai tenu sur la compétence des personnels de l’aide sociale à l’enfance – à l’égard des services de protection maternelle et infantile dans les départements.

L’article 9 tend à modifier le rapport annuel des services de l’aide sociale à l’enfance. Cela va dans le bon sens, mais une telle mesure introduit aussi des charges nouvelles non compensées.

Faute de temps, nous n’avons pas pu établir un chiffrage de ces dispositions, mais toutes ces obligations nouvelles à la charge des départements, au moment où les départements sont menacés dans leur existence et sont totalement exsangues, auraient mérité nettement plus de réflexion et une concertation plus approfondie avec l’Assemblée des départements de France. J’ajoute qu’on peut se poser la question de la conformité de ces nouvelles charges avec l’article 72-2 de la Constitution, qui dispose que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». À ma connaissance, aucune compensation au bénéfice des départements n’est prévue dans le texte.

Le groupe UMP, fort modéré, proposera de supprimer les articles qui visent à augmenter les charges des départements. Nos autres amendements tendent à apporter des améliorations au texte. Je persiste à penser que, avec un peu plus de recul et une meilleure étude d’impact, nous n’en serions peut-être pas arrivés là. Je regrette de dire que l’enfer est pavé de bonnes intentions, car l’objectif recherché par les uns et par les autres est bien la protection de l’enfant.

Si la plupart des amendements que notre groupe propose sont adoptés, nous voterons le texte ainsi amendé. En revanche, si la version d’origine est maintenue, nous ne pourrons pas le voter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)