compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Bruno Gilles,

Mme Colette Mélot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Lors du scrutin n° 88 sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, j’ai été déclaré comme votant contre, alors que je souhaitais voter pour.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'instauration d'une journée des morts pour la paix et la liberté d'informer
Discussion générale (suite)

Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'instauration d'une journée des morts pour la paix et la liberté d'informer
Article unique (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, présentée par Mme Leila Aïchi (proposition n° 231 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 577 [2013-2014], rapport n° 576 [2013-2014]).

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 19 novembre dernier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Gournac. (M. Hubert Falco applaudit.)

M. Alain Gournac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous reprenons en effet la discussion du 19 novembre dernier. Je voudrais en profiter pour attirer votre attention sur un point important.

Nous venons de connaître en France des événements tragiques, qui nous rappellent que la liberté d’expression est un pilier fondamental de notre démocratie.

Hier, la mise à prix de la tête du rédacteur en chef de Charlie Hebdo par un ancien ministre pakistanais, aujourd’hui député, démontre que, si la mondialisation permet et exige un plus grand échange d’informations, elle augmente considérablement les risques et les menaces qui pèsent sur les journalistes.

Nous avons eu encore à déplorer, voilà quatre jours, l’assassinat, dans des conditions affreuses, d’un journaliste japonais par l’État islamique.

Le groupe UMP est viscéralement attaché à la liberté d’expression. Il respecte et défend le travail des journalistes.

La période que nous traversons est troublée. L’émotion qui nous étreint encore vient d’être ravivée hier par l’agression à l’arme blanche de trois militaires en faction devant un centre communautaire juif à Nice. Nous avons une pensée pour chacun d’entre eux, même si nous devons nous concentrer maintenant sur le fond de la proposition de loi de Mme Aïchi.

L’objet de ce texte a trait à la mémoire de personnes qui sont décédées en exerçant leur métier. À cet égard, les dessinateurs de Charlie Hebdo ont été assassinés parce qu’ils incarnaient l’exercice même de la liberté d’expression.

Ma chère collègue, pour en venir au fond de votre proposition de loi, je tiens à vous dire qu’elle a le mérite de rappeler que, en 2014, en dépit des promesses et des efforts de paix, les guerres et les conflits se sont succédé, prenant de nouvelles formes de plus en difficiles à appréhender.

Vous mettez en avant la nécessaire liberté d’informer. Or, depuis ces dernières années, force est de constater que le nombre de journalistes tués ou assassinés a augmenté. Ils ont été pris pour cible à cause de ce qu’ils représentent, à savoir la liberté d’informer, et donc la Liberté tout court.

Ces hommes et ces femmes relaient et transmettent, au péril de leur vie, ce qui se passe un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, leurs rapts et assassinats sont politisés, revendiqués et mis en scène de la façon la plus odieuse qui soit.

La France, avec ses alliés, au sein des Nations unies, se bat contre ces crimes et contre l’idéologie de leurs auteurs. C’est pour cette raison que nous tenons à saluer solennellement la démarche de notre pays : il a obtenu que soit instaurée une journée internationale dédiée à la liberté d’information.

Toutefois, mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que cette journée, qui se tient désormais chaque année le 2 novembre, n’a pas seulement pour objet de soutenir les journalistes et de rappeler à la communauté internationale combien il est capital de défendre la liberté de la presse partout dans le monde ; la thématique de cette journée va beaucoup plus loin.

Au mois de décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution proclamant le 2 novembre « Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes ». Cette résolution exhorte les États membres à prendre des mesures pour combattre l’impunité de ceux qui prennent pour cible les journalistes.

Plus important encore, cette date a été choisie en mémoire de l’assassinat de deux journalistes français au Mali le 2 novembre 2013. Les membres du groupe UMP du Sénat veulent aujourd’hui saluer leur mémoire, leur travail, et n’oublient pas leurs familles et leurs proches.

De la même façon, nous pensons à tous ceux qui, en Irak, en Syrie, en République centrafricaine, au Mali, dans d’autres pays encore, continuent d’exercer leur métier de journaliste dans des conditions extrêmes, inhérentes aux zones de crises et de conflits.

Aussi, nous ne pouvons que nous réjouir que la proposition de loi de Leila Aïchi soit satisfaite à l’échelon international, grâce à la résolution de l’ONU.

Je tiens en cet instant à saluer vos engagements, ma chère collègue, et votre travail en faveur des journalistes. D’ailleurs, ce fut le message du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, qui déclarait le 2 novembre dernier : « Mettre fin à l’impunité, c’est renforcer la liberté d’expression et encourager le dialogue. C’est promouvoir les droits de l’homme et consolider les sociétés. Aucun journaliste, où qu’il soit, ne devrait avoir à risquer sa vie pour informer le public. Ensemble, défendons les journalistes. Défendons la justice. »

La liberté de la presse et la liberté d’information sont des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Ce sont les fondements de la démocratie et de notre République.

La voix de la France a grandement pesé dans l’adoption de la résolution susvisée. Sur ce point, je le répète, la proposition de loi que nous examinons est déjà satisfaite.

Je souhaite maintenant m’arrêter sur l’expression retenue « morts pour la paix ».

Si nous en comprenons la force symbolique, si nous y sommes sensibles, ma chère collègue, nous estimons qu’il est cependant important de considérer la réalité qu’elle recouvre. Sont concernés tous ceux qui, par leur engagement professionnel, aident ceux qui souffrent et se retrouvent ainsi souvent exposés à des risques mortels.

Nous sommes des législateurs. Or cette expression, aussi forte soit-elle, ne peut trouver de traduction juridique précise pouvant nous amener à changer le droit.

Elle est beaucoup trop large et nous obligerait à modifier notre calendrier mémoriel à la lumière de ce que les philosophes appellent « l’extension de la notion », c’est-à-dire l’élargissement du champ des éléments qu’elle recouvre. Cela serait inapproprié et inopportun, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, cela reviendrait à minorer l’engagement militaire. Or l’engagement dans les armées comporte intrinsèquement, originellement, le sacrifice ultime.

Les travailleurs humanitaires ou les journalistes peuvent pratiquer leur activité au péril de leur vie. Ils exercent des professions à risque, comme le sont d’ailleurs celles des personnes qui participent au maintien de l’ordre ou qui sont chargées de la sécurité des citoyens. Ces activités sont fondées sur la décision de venir en aide à autrui, nullement sur l’acceptation par ces professionnels du sacrifice de leur propre vie.

Il s’agit là d’une différence fondamentale. N’établissons pas de hiérarchie entre les morts ! Ne brouillons pas la signification de l’engagement militaire !

Autre raison, moins essentielle : le calendrier mémoriel français est dense et très chargé en raison de la richesse de notre histoire nationale.

Mes chers collègues, je vous le rappelle, ce calendrier a vu le nombre de commémorations augmenter : en 2012, la France comptait douze commémorations publiques ou nationales au lieu de six seulement en 1996.

Les commémorations dans notre pays ont fait l’objet d’une nouvelle réflexion lors de l’adoption de la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Dans un chapitre de l’ouvrage Les lieux de mémoire intitulé L’ère de la commémoration, l’historien Pierre Nora rappelle l’un des fondements essentiels relatifs au calendrier mémoriel : « La commémoration est l’expression concentrée d’une histoire nationale, un moment rare et solennel. »

Aussi prenons garde de tomber dans l’inflation mémorielle. Plus une notion est élargie, plus sa compréhension s’amenuise ; plus elle recouvre d’éléments, plus elle devient vague.

Au final, la multiplication des dates de commémoration tend à dénaturer le calendrier mémoriel, à en estomper les contours et les significations, notamment si celui-ci intègre de nouveaux hommages n’ayant pas de liens directs avec l’histoire nationale.

L’adoption de la présente proposition de loi créerait une confusion en établissant un parallèle. Or l’engagement militaire, qui implique le sacrifice pour la France, est un engagement singulier, en rien comparable avec un engagement civil.

Aussi, l’expression « morts au combat » réservée à nos soldats ne peut coexister dans notre droit avec l’expression « morts pour la paix ».

Les soldats participant aux OPEX, les opérations extérieures, le font en ayant pour objectif la résolution des conflits et le rétablissement de la paix dans le cadre du droit international. L’expression « morts au combat » leur est réservée, je le répète, et doit le rester. Elle traduit un hommage de la nation précisément parce qu’ils ont péri en combattant pour la paix.

Madame Aïchi, une lecture attentive de l’exposé des motifs de votre proposition de loi laisse d’ailleurs entendre qu’il y aurait deux types de victoire : d’un côté, celle des militaires qui gagnent la guerre, de l’autre, celle de professionnels qui gagneraient la paix et la liberté d’informer.

Dans un monde d’une immense complexité et où la confusion gagne du terrain, il est salutaire que le langage puisse s’élever au-dessus des émotions et apporter des distinctions claires qui ne soient pas préjudiciables à la réalité des faits.

Enfin, mes chers collègues, j’attire votre attention sur les médecins, les infirmières et les travailleurs humanitaires qui sont partis aider les populations décimées par les pandémies. L’actualité nous amène immédiatement à penser aux victimes du virus Ebola.

Quid de tous ces anonymes qui, depuis des années, loin des médias et d’une actualité sélective, luttent contre le paludisme, le choléra, le sida dans des pays où il n’y a pas d’eau, sur des terres rongées par la famine ou touchées par des catastrophes naturelles ?

Nombre de ces personnes vivent dans des zones de conflits, apportant sans faire de bruit une pierre à l’édifice de la paix, en soignant et en participant au développement dans les pays les plus démunis. Certes, elles demeurent heureusement en vie, mais n’en mériteraient-elles pas moins une journée d’hommage ?

Ce fut le cas en 2014 avec le trentième anniversaire de la Déclaration sur les droits des peuples à la paix de l’Assemblée générale des Nations unies.

Mes chers collègues, vous comprendrez donc que le groupe UMP ne puisse voter la présente proposition de loi touchant aux fondements républicains par une redondance qui ne peut que semer la confusion dans le calendrier mémoriel et ébranler le socle républicain de la mémoire nationale.

Par ailleurs, il existe un calendrier international qui, au-delà des nations, permet de rendre hommage à ceux qui, épris de paix et de liberté, travaillent quotidiennement à la réalisation de ces idéaux partout à travers le monde.

Votre proposition de loi, madame Aïchi, a le mérite de nous en rappeler l’existence. Or ce calendrier « inter-national » n’est pas un mauvais calendrier pour rêver à la paix entre les nations et pour s’efforcer d’œuvrer à la réalisation de celle-ci. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’attentat criminel contre la rédaction de Charlie Hebdo et le meurtre de neuf personnes dans une épicerie juive le mois dernier ont créé un contexte qui donne à la proposition de loi de Leila Aïchi une signification particulière et une nouvelle portée.

À Paris, la grande manifestation du 11 janvier, ainsi que celles qui se sont déroulées dans les grandes villes de notre pays, a été l’expression d’un très large rassemblement populaire pour la défense des valeurs démocratiques et républicaines, dont la liberté d’expression en général, et celle de la presse en particulier pour informer, critiquer, voire caricaturer sans contraintes.

La présente proposition de loi traduit donc la louable intention d’associer, dans un même hommage, le travail remarquable qu’effectuent les salariés d’organisations non gouvernementales auprès des populations dans les zones de conflits et de guerre, et celui des journalistes qui assurent, coûte que coûte, leur mission d’informer et veulent préserver cette liberté.

D’autres orateurs ont rappelé avant moi, chiffres à l’appui, combien ces professions au service de leur engagement pour ces nobles causes ont été cruellement et mortellement frappées. Cette proposition de loi vise à leur consacrer, dans notre pays, une journée officielle dont la date a été fixée au 21 septembre. Celle-ci correspond à la Journée internationale de la paix décrétée par l’Organisation des Nations unies.

De prime abord, rendre hommage à ces activités, commémorer le sacrifice de leurs acteurs semble aller de soi et répondre à un impératif pédagogique, à savoir soutenir, partout dans le monde, tous les défenseurs des droits humains et des libertés fondamentales.

Toutefois, légiférer sur de tels sujets n’est pas anodin. Cela doit inciter à réfléchir au sens et à la portée de l’acte politique que l’on veut accomplir.

Je pense que la politique – au sens étymologique du terme – et les bons sentiments ne font pas nécessairement bon ménage. Le mélange n’aboutit pas forcément aux effets bénéfiques escomptés pour la société.

Je le dis donc avec franchise, la proposition de loi que nous examinons est généreuse, sincère, et j’en remercie son auteur. Néanmoins, elle soulève de nombreuses questions et quelques difficultés.

Elle est d’abord redondante. De fait, son adoption risquerait de banaliser les causes qu’elle tend à mettre en valeur et ferait aussi courir le risque de passer à côté des objectifs visés.

En effet, comme cela a été précisé tout à l’heure, avec la Journée internationale de la paix le 21 septembre, la Journée mondiale de l’aide humanitaire le 19 août, la Journée mondiale de la radio le 13 février, la Journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai et la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes le 2 novembre, il existe au total déjà cinq journées proposées par l’ONU sur des thèmes voisins.

Certes, Mme Aïchi souhaite donner une autre dimension à ces commémorations, en associant, d’une part, les humanitaires et les journalistes dans un même hommage, et en distinguant, d’autre part, les journées internationales créées par des résolutions des Nations unies de celles qui sont explicitement consacrées par le droit national.

J’estime également que l’objet de cette proposition de loi est trop large, car, si j’en crois l’exposé des motifs, « il importe que le peuple français rende hommage à ces femmes et ces hommes, de toutes nationalités, qui agissent à travers le monde ».

Sur le fond, je m’interroge donc sur la nécessité et l’efficacité de déterminer par le biais d’une loi ce type de journée commémorative.

Par ailleurs, créer par la loi une journée d’hommage au plan national soulève trop de questions : quelles nobles causes choisir et combien, afin qu’elles ne soient pas étouffées par le nombre et ainsi banalisées ? À quelle date se rattacher ?

Surtout, il faut apprécier à sa juste mesure l’effet normatif qui peut résulter en l’espèce d’un texte législatif. Étant donné la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, vous conviendrez, mes chers collègues, que cet effet est très faible.

Au demeurant, cette proposition de loi représente avant tout d’un geste symbolique et politique visant à sensibiliser et à mobiliser l’opinion publique sur les besoins humanitaires et démocratiques dans le monde. Cela suffit-il à en faire une loi de la République ?

J’aurais plutôt tendance à penser que les activités bien connues des ONG et l’audience de ces dernières dans les médias en cas de crise ou de catastrophe suffisent pour que nos concitoyens reconnaissent et apprécient la valeur de leur contribution en faveur de la paix.

Pour ce qui concerne les journalistes, l’intention est sans doute d’appeler l’opinion à réfléchir au rôle des médias dans la promotion des libertés et de la démocratie, ainsi qu’aux équilibres à trouver entre la liberté de l’information et de la critique et le respect des règles nécessaires à toute vie dans nos sociétés démocratiques.

Je le dis clairement, je n’ai pas une conception aseptisée, angélique et béate de la liberté de la presse. Le rôle d’une presse libre, c’est également d’être partisane et de défendre des idées que l’on a le droit de combattre.

Au final, je crains que toutes ces questions ne dépassent l’objet et le cadre de la proposition de loi de Leila Aïchi.

L’instauration légale d’une nouvelle journée commémorative, telle qu’elle figure dans ce texte, ne me paraît en définitive guère judicieuse, pertinente ni vraiment efficace.

Cependant, je comprends et je partage le souci d’accomplir un geste politique pour sensibiliser les opinions publiques sur ces sujets importants en rendant hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.

En conclusion, eu égard au contexte actuel de grande sensibilité pour défendre la liberté de la presse, les membres du groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendront lors du vote de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de Leila Aïchi prise voilà près d’un an et qui, en ces temps sombres de barbarie sanguinaire, a un écho et un relief particuliers. L’importance et la signification ultime de l’engagement des journalistes dans les zones de conflits comme de celui des humanitaires n’apparaissent, hélas, dans toute leur grandeur, leur humanisme que lorsque ces engagements sont au prix d’une vie humaine.

Le supplice et la mort intolérable, terriblement injustes, de ces femmes et de ces hommes de bonne volonté rappellent à tous, encore plus depuis le 7 janvier dernier, que les valeurs fondamentales de nos sociétés, le respect de la vie humaine, la dignité humaine sont des conquêtes récentes et fragiles qui ne sont malheureusement toujours pas partagées partout.

Qu’ils soient journalistes ou humanitaires, leur sacrifice rappelle la précarité de la vie, et au-delà, la précarité de nos sociétés pluralistes fondées sur la liberté, une conception du monde ouverte et tolérante, le partage au-delà des différences qui nous enrichissent…

Je profite donc de cet instant pour rendre hommage non seulement aux journalistes et aux humanitaires qui ont fait le sacrifice de leur vie et qui ont pu la perdre dans d’atroces souffrances, mais plus largement à toutes les personnes détenues et à toutes celles qui ont été exécutées.

Je tiens également à rendre hommage à nos soldats, aujourd’hui engagés sur l’ensemble des théâtres d’opération, et qui, à un titre différent mais non moins glorieux que les civils, combattent avec honneur et professionnalisme les projets obscurs d’esprits détraqués, perdus et malfaisants.

Je veux aussi rappeler que, sur notre territoire, trois de nos soldats, en raison du port de l’uniforme, ont été récemment les victimes du terrorisme.

À chacune de ces exécutions, et sans doute plus particulièrement lors de celles qui, de par leur mise en scène, ont pour vocation d’être des instruments de propagande, nous sommes indignés et scandalisés.

Mes chers collègues, ces femmes et ces hommes se sont engagés dans des territoires hostiles et dangereux par bienveillance, amour de l’autre, habités par la certitude qu’il fallait être aux côtés de ceux qui souffrent. Notre responsabilité est de faire en sorte que leur mort ne soit pas vaine, et que l’esprit qui accompagnait leur engagement inspire et guide nos réactions et nos décisions.

Oui, tous ces faits nous révoltent, et à raison, mais qu’ils ne nous fassent pas douter de nous-mêmes, n’instillent pas le germe de la méfiance, de la suspicion, de la division dans notre communauté nationale. Notre action doit viser non pas la vengeance, mais la mise en œuvre d’un monde plus sûr, notamment pour les plus faibles : les enfants, les femmes, les minorités.

Nous sommes confrontés à un défi grave : une poignée de nos jeunes, éperonnés par l’ennui conjugué à une fascination morbide pour l’apocalypse, convaincus d’être des justiciers, deviennent des assassins sans foi ni loi.

Cette stratégie de la tension a pour finalité de semer le doute, la discorde et le chaos dans nos sociétés. La commémoration doit cimenter l’unité nationale, et nous avons effectivement besoin de retrouver un sens collectif.

Aussi, cette proposition d’une journée d’hommage présente un fort contenu symbolique. Pour autant, elle n’a pas recueilli l’assentiment de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour des raisons qui tiennent, entre autres, à l’inflation commémorative qui la rend contre-productive et qui, même sous un certain angle, pourrait nous égarer.

Mes chers collègues, je vous invite à regarder, dans le baromètre de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, la nationalité des journalistes qui ont été tués parce qu’ils exerçaient leur métier passionnément : en Chine, des Chinois ; en Syrie, des Syriens ; en Iran, des Iraniens. Tels sont ceux qui paient le plus lourd tribut. Une journée de commémoration nationale présente ainsi le risque de rétrécir la force symbolique de l’hommage.

La présente proposition de loi, en donnant un contenu défini à la Journée internationale de la paix, qui se tient le 21 septembre, à la suite du vote d’une résolution par l’Assemblée générale des Nations unies, est contraire à l’esprit de cette dernière. En effet, je le rappelle, au travers de cette résolution, il est proposé aux États un thème qui varie chaque année et présente donc l’avantage d’être adapté à l’actualité, ou une thématique qui a une résonnance particulière. Cette année, le thème retenu est le droit des peuples à la paix. L’idée est de marquer le trentième anniversaire de la Déclaration sur les droits des peuples à la paix de l’Assemblée générale.

Par ailleurs, plusieurs commémorations ou textes concernant les journalistes et les travailleurs humanitaires existent également ou ont été adoptés à l’échelle internationale, souvent à l’instigation de la France.

En effet, considérant cette question comme symbolique et vitale, notre pays a préféré la traiter au sein des enceintes internationales plutôt que de se contenter d’une démarche commémorative nationale.

La France est, par exemple, particulièrement engagée en faveur de la protection et de la sécurité des journalistes, en temps de paix comme en situation de conflit. La question de la protection des journalistes et la lutte contre l’impunité des crimes commis à leur encontre sont en effet des enjeux essentiels de la liberté de la presse, dans un contexte où 90 % des crimes commis contre les journalistes restent impunis. Ces sujets ont fait l’objet d’un dialogue étroit entre le ministère des affaires étrangères et du développement international et Reporters sans frontières, organisation très mobilisée pour un renforcement de la protection des journalistes en droit international.

Au sein des enceintes internationales, notre pays s’est particulièrement mobilisé sur cette cause, afin qu’elle constitue une politique commémorative.

Ainsi, après l’assassinat des deux journalistes de Radio France internationale – RFI – au Mali le 2 novembre 2013, la France a obtenu que le Conseil de sécurité adopte une déclaration à la presse condamnant ces assassinats et rappelle les principes de la protection des journalistes dans les conflits armés. Ces principes, notre pays les avait portés à l’agenda du Conseil de sécurité dès 2006.

C’est aussi sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année 2013, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, célébrée le 2 novembre, en mémoire de l’assassinat des journalistes de RFI. Celle-ci s’ajoute à la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, que notre pays célèbre également.

Très récemment, le 25 septembre dernier, la France s’est mobilisée à Genève, au Conseil des droits de l’homme, pour l’adoption d’une résolution invitant les États à renforcer la lutte contre l’impunité. Elle a notamment préconisé la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce et de réponse rapide, permettant aux journalistes menacés de contacter les autorités en vue de bénéficier de la protection nécessaire.

Quant aux travailleurs humanitaires, ils font déjà l’objet d’une journée : la Journée mondiale de l’aide humanitaire, qui est fixée au 19 août et que la France observe.

Le 29 août dernier, notre pays s’est mobilisé pour l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2175 sur la protection des travailleurs humanitaires.

Enfin, tous les 10 décembre, la France célèbre la Journée internationale des droits de l’homme. C’est l’occasion de rendre hommage à ceux, morts mais aussi vivants, qui luttent pour la promotion et le respect des droits de l’homme.

Mes chers collègues, en définitive, il nous semble que les 21 septembre, 2 novembre, 3 mai, 19 août et 10 décembre constituent un arsenal commémoratif suffisant. Est-il nécessaire d’y ajouter une date ? Toutes celles que je viens de citer ont été adoptées à l’échelon international. Aussi ces commémorations ont-elles une vocation mondiale. De surcroît, nombre d’entre elles ont été créées sur l’initiative de notre pays, qui est très en pointe sur ces questions.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. C’est vrai !