M. Jean Desessard. Bien évidemment !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Il s’agit d’une question qui est posée à la Commission, et c’est à elle qu’il appartient, en vertu du statut prévu pour de telles négociations, de relancer les discussions et de défendre les intérêts de l’Europe, afin d’arriver à un accord avec l’ensemble des pays et des compagnies du Golfe.

Notre objectif n’est pas d’instaurer du protectionnisme.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous voulons établir les conditions d’une concurrence transparente et équitable, mais aussi les conditions du contrôle de l’application de ces éventuels accords, ce qui n’est pas un point de détail.

M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. J’attache une grande importance à la réponse que donnera la Commission, et, dès le prochain conseil des ministres des transports, télécommunications et énergie, je prendrai officiellement cette position au nom de la France, avec le soutien d’un certain nombre de pays, dont l’Allemagne.

La réglementation communautaire doit aussi être renforcée. J’évoquais à l’instant la question du contrôle, mais je pense aussi à celle de la nature des investisseurs.

Certains d’entre vous, à juste titre, ont cité le cas de Nowegian Air Shuttle. Je le dis au nom du gouvernement français : face à une compagnie de ce genre, qui cumule tous les mauvais exemples que vous avez cités – faux indépendants, travailleurs ayant une résidence à Singapour, rotation des personnels, optimisation fiscale, ignorance des lois sociales –, il n’est pas aujourd’hui acceptable que ce soit les seuls États-Unis – leur préoccupation sociale n’est pas forcément dans le périmètre de la première règle – qui refusent de telles pratiques au motif qu’elles les déstabiliseraient, alors que la Commission européenne se contente de dire : « On va voir, on va examiner, il faut négocier ».

Non ! Je pense que, dans ce cas précis, la ligne rouge est franchie, et qu’il faut que la Commission le dise clairement. (M. Jean Desessard applaudit.)

MM. Éric Bocquet, Michel Le Scouarnec et Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. On ne peut pas assister au démantèlement de notre marché aérien sans réagir ! Je l’ai déjà dit lors du précédent conseil transports, et je le répéterai, fort, manifestement, de votre soutien.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Naturellement, cela ne doit pas nous empêcher de poursuivre notre action en vue d’améliorer la compétitivité du transport aérien français. Certains d’entre vous ont fait référence à l’excellent rapport de Bruno Le Roux. Les propositions qu’il a formulées ne sont pas restées lettre morte, puisque, grâce à la loi de finances que vous avez récemment votée, certaines mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre.

Ainsi, après la réduction en 2012 de la taxe d’aéroport frappant les passagers en correspondance, ceux-ci seront progressivement, d’ici à 2016, totalement exonérés de la taxe sur l’aviation civile. Cette mesure, favorable aux compagnies aériennes, sera aussi un atout de compétitivité pour l’aéroport de Paris–Charles-de-Gaulle, principal hub français.

La modération des redevances aéroportuaires – la démonstration a été faite, je ne reviens pas sur les chiffres – est également une priorité et sera, je le dis, recherchée cette année dans le cadre de la négociation des contrats de régulation économique pluriannuels d’Aéroports de Paris et d’Aéroports de Lyon.

Le rapport Le Roux a souligné le décalage entre un transport aérien en cours de restructuration, dont les marges sont faibles, et la rentabilité des aéroports. Nous ne pouvons pas avoir des aéroports qui vont bien et des compagnies aériennes qui vont mal ! Nous devons donc travailler à rééquilibrer la chaîne de valeur entre les acteurs du transport aérien.

Le Gouvernement doit aussi, dans ce domaine comme dans d’autres, poursuivre les efforts engagés en matière de simplification et de lutte contre l’empilement des dispositifs réglementaires afin que ces efforts bénéficient également aux transporteurs.

Bien sûr, une question a été posée, elle est d’actualité, et je ne veux pas l’éluder : c’est celle de l’ouverture du capital de certains aéroports, qui soulève un débat démocratique légitime, notamment sur le cas de Toulouse.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. La cession d’une partie du capital détenu par l’État est cohérente avec la logique de la loi aéroportuaire de 2005. Je précise bien qu’il ne s’agit pas de privatiser l’infrastructure – celle-ci reste propriété de l’État –, mais de privatiser ou d’ouvrir le capital de la société chargée de son exploitation. C’est d’ailleurs déjà le cas pour l’exploitation de la plupart des aéroports décentralisés aux collectivités locales, qu’elles ont souvent déléguée à un concessionnaire privé. La collectivité conserve la propriété, le concessionnaire exploite l’infrastructure ; la situation sera comparable pour les aéroports qui sont propriété de l’État.

Le rôle de régulateur et de concédant de l’État prendra à l’occasion de ces évolutions du capital une importance accrue. C’est pour prendre en compte de telles évolutions que j’ai été favorable aux amendements défendus par la député Clotilde Valter, rapporteur de la commission spéciale de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, que vous examinerez bientôt, et qui visent en effet à permettre à l’État d’assurer les conditions d’exercice de sa mission de régulation.

Le texte prévoit désormais des dispositions protectrices des intérêts du service public aéroportuaire : renforcement des conditions imposées par le cahier des charges et contrôle, notamment, de la capacité des candidats au rachat à exercer la gestion d’un aéroport.

Je ne veux pas non plus écarter, parce que c’est une réalité, le problème des droits de trafic demandés par certains aéroports régionaux, et parfois par de nombreux élus : certaines voix s’élèvent pour protester auprès du Gouvernement contre le refus d’octroyer aux compagnies du Golfe des droits de trafic supplémentaires pour desservir des aéroports régionaux. J’ai dit en quoi tout cela me paraissait peu cohérent compte tenu de ce que nous avons souligné tout à l’heure.

M. Jean Desessard. Eh oui, évidemment !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Les aéroports régionaux peuvent développer leurs services vers de nombreuses destinations dans le monde, par exemple vers l’Europe, les États-Unis, le Canada, le Maroc ou Israël, sans aucune limitation, et vers la Chine, le Brésil, ou l’Inde, pays où il y a une quantité substantielle de droits de trafic encore disponibles.

Octroyer de nouveaux droits de trafic aux compagnies du Golfe dans les aéroports régionaux ne créerait pas de nouvelles destinations pour les voyageurs, les aéroports régionaux étant déjà très bien reliés aux hubs européens comme Paris–Charles-de-Gaulle ou Francfort qui desservent le monde entier.

Dès lors que des négociations bilatérales portant sur les droits de trafic sont engagées avec un autre État, nous proposons systématiquement la desserte des aéroports régionaux. Je souhaite qu’il continue d’en être ainsi.

Le Gouvernement joue donc pleinement son rôle de régulateur en arbitrant entre des intérêts, j’ai essayé de le montrer, parfois contradictoires, et en s’efforçant sans relâche de rechercher l’équilibre et l’intérêt général.

Dans un contexte de croissance régulière du transport aérien, les compagnies françaises disposent d’atouts, mais rencontrent aussi de sérieuses difficultés face à la concurrence étrangère grandissante.

Nous devons assurer les conditions d’une compétition loyale entre les compagnies aériennes afin que notre pavillon national ne soit pas structurellement désavantagé.

La place et l’attractivité de la France dans le monde dépendent aussi de ses liaisons aériennes. Cela impose de rester attentif à notre connectivité directe et de ne pas dépendre excessivement d’autres États pour nos liaisons avec le reste du monde.

Le débat que votre assemblée a ouvert avec raison ce matin soulève donc des enjeux à la fois sociaux, économiques, pour l’emploi, mais aussi de souveraineté nationale, et je souhaite vous dire le plaisir que j’ai eu à y participer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste ainsi que sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jackie Pierre applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la transparence dans le transport aérien.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Questions cribles thématiques

Situation de l’emploi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques, posées à M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la situation de l’emploi.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.

Je rappelle également que ce débat est retransmis en direct sur France 3 et sur Public Sénat.

La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2014 a été une année noire pour l’emploi : 300 000 chômeurs supplémentaires, explosion des contrats de courte durée.

Les jeunes et les plus de cinquante ans sont particulièrement touchés : le contrat de génération a des effets limités et les emplois d’avenir n’ont aucune pérennité.

Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – et le pacte de responsabilité, vous avez surtout distribué des dizaines de milliards d’euros aux grands groupes économiques.

C’est pourtant imperturbablement dans cette impasse que le Gouvernement persiste.

Pourtant, il y aurait beaucoup d’emplois à sauver dans le Pas-de-Calais, par exemple. Le site d’Arjowiggins à Wizernes est menacé de fermeture d’ici à juin 2015 : 307 salariés en CDI, plus les intérimaires et les emplois indirects, sont concernés par cette décision.

Arc International perdra plus de 200 emplois malgré la reprise de l’entreprise par un fonds d’investissement américain.

Au sein de la compagnie MyFerryLink, interdite d’accès au port de Douvres, ce sont également 600 emplois qui sont menacés de suppression.

Rien que dans mon département, j’aurais pu citer aussi Mecaplast, Tioxyde, Stora Enso, la Française de mécanique, Bridgestone, et j’en passe.

Sur le sujet très sensible du travail détaché, illégal ou détourné, on ne peut s’en tenir au statu quo, monsieur le ministre.

Or, lorsque Pierre Laurent interpelle le Gouvernement sur le plan social chez Sanofi, celui-ci répond qu’il a été négocié. En fait, il a été annulé par la justice ! Mais à coup de modifications du code du travail, vous avez rendu impuissants les salariés face à cette saignée !

Monsieur le ministre, quand comptez-vous inverser votre politique en donnant notamment le pouvoir aux salariés de s’opposer à ces logiques destructrices, souvent financières ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, dans ma réponse aux autres questions qui me seront posées au cours de cette séance, je reviendrai sur certains des thèmes que vous avez abordés à l’instant, notamment celui du travail détaché.

Vous évoquez une situation d’échec ; je ne l’ai pas niée. Effectivement, sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter, 188 000 demandeurs d’emploi supplémentaires de catégorie A se sont inscrits à Pôle emploi en 2014. Cette situation perdure depuis 2010. Entre 2008 et 2014 inclus, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A inscrits auprès de l’Agence a augmenté de 1,3 million. J’aurai l’occasion de préciser les choses tout à l’heure.

La chute de l’emploi industriel, que vous avez évoquée, notamment dans les entreprises de votre département, mais pas uniquement, date de fort longtemps – deux dizaines d’années – et s’est accélérée depuis 2000. Ainsi, la part de l’emploi industriel dans l’emploi total de notre pays est passée au cours de cette période de 17,5 % à 11 %. Cette dégradation est donc nette et elle est liée à une perte de compétitivité indéniable des entreprises.

Pour y remédier, le Gouvernement a fait un choix à travers le pacte de responsabilité et de solidarité, celui de redonner des marges de manœuvre aux entreprises pour investir, pour développer l’apprentissage, pour s’occuper des jeunes et créer de l’emploi.

Pardonnez-moi la brièveté de ma réponse, monsieur le sénateur, j’en suis désolé, mais je ne peux faire autrement. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour la réplique.

M. Dominique Watrin. Je comprends bien les contraintes de temps, mais j’avais également évoqué la question des droits des salariés dans les entreprises, qui ne peut demeurer sans réponse. Ainsi, dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Gouvernement propose de réduire encore les pouvoirs d’intervention des salariés et de contrôle de l’administration en cas de licenciements collectifs.

Je le dis très clairement, nous sommes prêts, pour notre part, à travailler sur tous les dossiers, comme je le ferai demain avec Alain Vidalies sur le dossier MyFerryLink.

Il est temps de défendre le pavillon français et de s’opposer à des décisions unilatérales qui bafouent les intérêts nationaux.

Monsieur le ministre, vous avez parlé de l’emploi industriel. Il existe dans ce domaine beaucoup de projets innovants que l’État devrait promouvoir et accompagner, par exemple la production d’éco-emballages à base de chanvre en lien avec le site Stora Enso de Corbehem, dans mon département.

Très souvent, trop souvent, il faut s’opposer aux intérêts égoïstes des multinationales et de leurs actionnaires pour réaliser ces projets.

En avez-vous le courage et la volonté politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour le groupe socialiste.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le ministre, dans le contexte de croissance économique ralentie que nous connaissons, le chômage continue de progresser. (M. Philippe Dallier s’exclame.)

Il frappe plus particulièrement les plus de cinquante ans, mais aussi – et surtout – les jeunes, qui ont de plus en plus de mal à s’insérer sur le marché du travail.

Dans cette perspective, vous avez notamment impulsé une politique volontariste visant à permettre à ces jeunes sans emploi d’acquérir une première expérience professionnelle.

Pour cela, vous avez largement développé les contrats aidés et il faut souligner que les moyens budgétaires débloqués dans ce but ont été à la hauteur de l’enjeu : près de 500 000 contrats aidés étaient budgétés en 2014 ; 445 000 le seront en 2015.

Cet effort remarquable doit cependant – et ce sera le sens de ma question – être mis en perspective au regard de deux éléments.

Le premier est de savoir quel est leur impact réel sur l’évolution du chômage.

Le second concerne les types de contrat qu’il convient de privilégier.

Il apparaît en effet que les contrats aidés créés dans le secteur marchand, comme les contrats initiative emploi, dont le coût est moins élevé, permettent une meilleure insertion de leurs bénéficiaires dans l’emploi.

On sait en revanche que les contrats aidés dans le secteur non marchand, comme les contrats d’accompagnement dans l’emploi ou les emplois d’avenir, s’adressent à des publics jeunes, souvent très éloignés de l’emploi, auxquels ils donnent une première chance professionnelle et l’occasion de s’insérer sur le marché du travail.

Au-delà de leur coût, on voit donc bien que le recours aux contrats aidés doit être adapté en fonction des publics ciblés et de ses effets attendus.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, au regard de la situation actuelle, comment comptez-vous renforcer l’efficacité de ces contrats ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le sénateur, la politique en faveur des contrats aidés n’est pas nouvelle et elle permet de préparer différents publics à l’insertion dans l’emploi. Il est donc normal que l’État les développe.

Vous avez rappelé les chiffres : 445 000 emplois aidés ont été budgétés dans la loi de finances initiale pour 2015. À certaines périodes, à la fin des années quatre-vingt-dix, on a compté jusqu’à 800 000 emplois aidés (M. Philippe Dallier s’exclame.) ; vers 2005, ils étaient encore 700 000. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, vous devriez faire attention, car vous y avez eu largement recours vous aussi.

La différence avec la période antérieure à 2012, c’est que beaucoup d’emplois aidés étaient utilisés à des fins électorales. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Dallier. C’est un aveu !

M. François Rebsamen, ministre. Il s’agissait en fait de contrats très courts (Mme Catherine Procaccia et M. Philippe Dallier s’exclament.), le contraire de ce que demandaient des structures de lutte contre la pauvreté aussi sérieuses que le collectif ALERTE ou la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la FNARS. (M. Francis Delattre s’exclame.)

Au cours d’une visite à Dijon précédant le lancement du Grenelle de l’insertion, le Président de la République nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, s’était déclaré favorable à l’allongement de la durée des contrats aidés, six mois ne permettant pas une véritable insertion dans le monde du travail. Aujourd’hui, nous en sommes à onze mois.

Monsieur le sénateur, vous vous êtes interrogé sur la différence qui existe entre les contrats aidés dans le secteur marchand et les contrats aidés dans le secteur non marchand. Depuis que je suis ministre, l’administration me répond que les contrats aidés dans le secteur non marchand permettent une meilleure insertion des publics. Il n’en demeure pas moins que je suis assez sensible à ce que vous avez dit, monsieur le sénateur : je considère qu’il faut favoriser les emplois aidés dans le secteur marchand également. C’est pourquoi la loi de finances initiale a prévu le financement de 80 000 emplois dans le secteur marchand à destination des seniors et des chômeurs de longue durée. (M. Francis Delattre s’exclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour la réplique.

M. Claude Bérit-Débat. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. (Mme Catherine Procaccia s’exclame.) Effectivement, les chiffres qui ont été cités devraient vous inciter à faire preuve d’un peu d’humilité, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. Le recours aux contrats aidés a été la règle tant sous la présidence de Nicolas Sarkozy que sous les autres présidences.

Je suis un fervent défenseur de ces contrats. (M. Francis Delattre s’exclame.) Quel est le type de contrat le plus efficace : dans le secteur marchand ou dans le secteur non marchand ? Étant précisé que dans le secteur marchand, – mais n’est-ce pas un effet d’optique ? (M. Philippe Dallier s’exclame.) – ces contrats peuvent assurer une meilleure insertion et représenter une meilleure réponse à la demande de travail.

Votre réponse me satisfait pleinement, monsieur le ministre.

M. Francis Delattre. Nous voilà rassurés !

M. Claude Bérit-Débat. Dans la mesure où on va marcher sur deux béquilles, sur deux pieds, sur deux jambes (M. Francis Delattre s’exclame.), secteur non marchand et secteur marchand, je vous encourage à poursuivre dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe UDI-UC.

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux évoquer la situation préoccupante et catastrophique du secteur du BTP. Il pèse sur le maintien de ses emplois une grave inquiétude.

À la situation économique catastrophique que connaît ce secteur, aux effets négatifs de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », s’ajoutent de lourdes contraintes administratives : je pense ici non seulement au compte pénibilité, dont M. Sapin lui-même dit qu’il est impraticable, mais aussi et surtout à la réglementation extrêmement contraignante qui pèse sur le travail des mineurs. Certes, celle-ci a une vocation préventive, mais elle rend tout simplement impossible l’apprentissage d’un vrai métier dans l’entreprise.

Ainsi, en Bretagne, depuis cinq ans, le secteur du BTP a perdu 800 postes d’apprenti, alors que celui-ci a une longue tradition quantitative et qualitative de formation.

Je voudrais également évoquer, monsieur le ministre, la question des salariés détachés d’entreprises localisées dans l’Union européenne. Nous le savons, bon nombre d’entre elles ne respectent pas la réglementation en vigueur, soit sur les conditions de travail, soit sur les salaires.

Le nombre d’emplois détachés est passé de 26 000 en 2008 – je le dis de mémoire – à plus de 200 000 en 2013, et atteint 300 000 si l’on compte aussi les emplois détachés non déclarés.

Cette situation a contribué, en Ille-et-Vilaine, à une perte de 2 000 emplois dans le secteur du BTP.

Certes, la loi Savary de 2014 a mis en place un dispositif assez coercitif pour lutter contre la fraude, mais, vous le savez, monsieur le ministre, les fraudeurs ne connaissent pas les 35 heures ! Ces entreprises incitent nombre de salariés à travailler le soir, le week-end et les jours fériés, et il est indispensable de mieux cibler ces contrôles.

Monsieur le ministre, quelles seront vos propositions concrètes pour un meilleur ciblage de la lutte contre la fraude destructrice d’emploi ?

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Françoise Gatel. Surtout, comment le Gouvernement compte-t-il concilier sa volonté très louable en matière de développement de l’apprentissage et la réglementation très stricte qui constitue un frein à l’embauche ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Madame la sénatrice, je ne reprendrai pas les différents éléments de votre question, mais je partage vos préoccupations. Il est vrai qu’il y a eu une dégradation assez sensible de l’emploi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Il est vrai qu’il y a une augmentation très sensible du nombre de travailleurs détachés, ce qui, en soi, n’est pas un problème lorsqu’ils sont déclarés. (Mme Françoise Gatel opine. – M. Philippe Dallier s’exclame.) On peut considérer qu’il existe actuellement plus de 350 000 travailleurs détachés en France, dont plus de 100 000 dans le secteur du BTP.

Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur les dispositions que nous comptons prendre pour lutter contre le travail détaché illégal, c’est-à-dire non déclaré.

Vous le savez, les parlementaires ont adopté la loi dite « Savary » dont l’objet est la lutte contre le travail détaché illégal. Pour ce faire, nous allons augmenter, bien sûr fortement, l’amende administrative afin de lui donner un effet dissuasif. Nous allons prochainement avoir la possibilité de suspendre les prestations de services internationales en cas de manquement grave aux règles de détachement. En outre, à la demande de la fédération du bâtiment, qui le réclamait depuis près de dix ans, nous allons mettre en place une carte d’identité professionnelle.

Mme Catherine Procaccia. Cela avait aussi été demandé par les sénateurs !

M. François Rebsamen, ministre. Je suis heureux de pouvoir apporter une réponse positive en la matière, car de nombreux freins s’opposaient à l’instauration d’une telle carte.

Nous allons également, dans le domaine de l’apprentissage, apporter une réponse concrète à la suite de la réunion qu’avait organisée le Président de la République le 19 septembre pour lever les freins à l’apprentissage. Je vais prendre un décret sur les travaux dits dangereux des jeunes, qui sera publié prochainement, avant le mois de mai. Il permettra de faciliter l’accès des jeunes à l’apprentissage – sans pour autant les mettre en danger –, par une déclaration et non plus une demande d’autorisation des entreprises. Cette mesure sera conforme à ce que vous attendiez. De plus, les objectifs de contrôle vont être réévalués à la hausse. Je prendrai d’ailleurs dans les semaines qui viennent, avec M. le Premier ministre, une initiative très forte pour lutter contre le travail illégal.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour la réplique.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour favoriser le développement de l’apprentissage, mais aussi, je le répète, pour assurer les contrôles le week-end et les jours fériés. À cet égard, il m’est arrivé, lors d’une promenade dans ma commune, de m’approcher d’un chantier et de voir les peintres s’enfuir comme une volée de moineaux. C’était un dimanche après-midi, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour le groupe UMP.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude récente de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, vient bouleverser bon nombre des idées reçues sur les CDI. Elle montre, chiffres à l’appui, qu’un peu plus d’un tiers des contrats à durée indéterminée sont rompus avant la fin de la première année, un chiffre étonnant eu égard à la situation de l’emploi, et d’autant plus paradoxal que le taux de ces ruptures anticipées est en augmentation. (M. Jean Desessard s’exclame.)

Autre bouleversement des idées préconçues, la première cause de rupture anticipée n’est pas la fin de la période d’essai, mais la démission du salarié, dans plus de 16 % des cas.

L’étude souligne la très faible part des licenciements, qui s’élève à quelque 3 %, et celle, complètement marginale, des ruptures conventionnelles.

Enfin, il apparaît que la part des CDI rompus avant le premier anniversaire est particulièrement élevée chez les 15-24 ans : plus de 45,6 %, et qu’une démission sur deux concerne les personnes les moins qualifiées.

Ces chiffres, monsieur le ministre, doivent vous interpeller autant que moi. Les jeunes sont-ils instables ? Sont-ils mal préparés aux réalités du travail salarié ? Ils montrent en tout cas l’inefficacité des politiques publiques qui incitent les entreprises à proposer des CDI aux jeunes sans qualification.

Le CDI n’est donc plus synonyme de stabilité ni de fidélité pour l’entreprise, puisque 50 % des contrats sont rompus la deuxième année, et 60 % la troisième année.

Monsieur le ministre, puisque le CDI n’attire plus les nouvelles générations du XXIe siècle, envisagez-vous, comme l’a fait un moment le Premier ministre, de rapprocher les obligations contraintes des différents contrats afin de faciliter la vie des entreprises, en particulier celles qui sont de taille modeste ?

À défaut de créer un contrat unique, comme le suggèrent les économistes et notre prix Nobel français Jean Tirole, allez-vous proposer l’alignement des dispositions des contrats courts, CDD et CDI de courte durée ?