M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du président Larcher, le bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation une mission d’évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Le bureau a ainsi voulu que, sans empiéter sur l’examen au fond effectué par les commissions permanentes, nous formulions une réponse concrète et efficace à l’exaspération des élus locaux à l’égard d’un phénomène étouffant pour l’initiative locale, à savoir la prolifération dans notre ordonnancement juridique de normes inapplicables, inextricables ou inabordables, autrement dit la complexité administrative.

M. Didier Guillaume. Cela fait longtemps que ça dure !

M. Rémy Pointereau. Notre première saisine porte sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est une excellente entrée en matière, l’énergie étant un champ de compétence traditionnel et important des collectivités territoriales. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation monte donc au créneau de la simplification, avec l’actif concours de mon excellent collègue des Deux-Sèvres, M. Philippe Mouiller.

M. Rémy Pointereau. Il ne s’agit pas de vider de toute sa substance ce texte ni de remettre en cause l’excellent travail de nos deux rapporteurs, Ladislas Poniatowski et Louis Nègre ; il s’agit d’être réaliste et pragmatique.

Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est question d’un texte « qui opte pour la clarté, la simplicité et la stabilité des règles », d’un projet de loi « d’incitation qui préfère lever des obstacles plutôt qu’alourdir des contraintes ». La lecture du projet de loi, tout du moins de ses dispositions applicables aux collectivités territoriales, montre malheureusement tout le contraire de ce qui est inscrit dans l’exposé des motifs : elle atteste une complexité non maîtrisée impliquant tout de suite et plus encore à terme une augmentation significative du niveau des contraintes de tous ordres qui pèsent sur les collectivités territoriales.

Votre texte, madame la ministre, associe en effet à des déclarations d’objectifs dont la portée juridique est floue un semis de petites dispositions modificatrices dont l’impact technique et financier est tout aussi difficile à appréhender. D’ailleurs, le Conseil national d’évaluation des normes vous a transmis la même analyse.

Ce faisant, le projet de loi surajoute des obligations nouvelles à d’autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien, mais compliquant tout. La majesté des grands énoncés juxtaposée à l’empilement lilliputien des dispositifs : voilà le premier marqueur du projet de loi !

Je disais que ce projet de loi complique ; j’ajoute qu’il renchérit. Largement indifférent à l’analyse coûts-avantages des normes qu’il crée, il est en effet emblématique du comportement assez schizophrénique d’un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours.

Ajoutons que le projet de loi est emblématique d’une autre cause majeure de la complexité, qui est l’uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d’isolation imposées apparemment de manière identique d’un bout à l’autre du territoire sans que, comme il semble à la lecture du texte, la profonde diversité des climats soit prise en compte ?

On ne peut en rester là. On ne le peut d’autant moins que les élus locaux nous adressent sur l’inflation et la complexité normatives des messages dénués d’équivoque. Le questionnaire sur la simplification lancé par le président Gérard Larcher à l’occasion du congrès des maires de 2014 a permis de bien identifier et hiérarchiser leurs attentes. Deux tiers des plus de 4 000 répondants ont désigné l’urbanisme et un quart ont désigné l’environnement comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes.

Les élus attendent clairement le Sénat sur le terrain de la simplification. Notre assemblée doit en être le moteur. Ce terrain est en grande partie celui de l’environnement et celui du droit de la construction.

Nous avons le devoir de tenir compte de ces attentes en examinant le projet de loi relatif à la transition énergétique. Alors, comment faire pour être plus efficace en termes de simplification ? La question est véritablement centrale, parce que la simplification est une opération à la fois technique et politique et met en œuvre, en fonction de ces deux critères, une vaste gamme de méthodes allant de la simplification radicale à ce que j’appellerai la simplification chirurgicale.

Nous avons choisi le minimalisme, plus approprié, pour une entrée en matière. Ce minimalisme, c’est ce que j’appelais à l’instant la frappe chirurgicale. Celle-ci appelle la précision. C’est pourquoi nous avons identifié six thématiques de simplification en fonction desquelles il nous a été possible de repérer la complexité à laquelle il faut s’attaquer en priorité. Je pense en particulier aux dispositions imposant de nouvelles obligations aux collectivités territoriales et à celles dont le coût sera probablement excessif par rapport aux avantages que l’on en attend.

Voici quelques exemples : l’article 5 prévoit une obligation de réaliser des travaux d’isolation ou d’étude à l’occasion de travaux de ravalement de façades ;…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Rémy Pointereau. … l’article 9 renforce l’obligation d’achat de 20 % de véhicules propres ; l’article 18 porte sur les plans de déplacements urbains et les plans locaux d’urbanisme.

C’est principalement sur ces deux terrains que nous avons essayé de progresser, palliant par l’intelligence territoriale les insuffisances des études d’impact, notamment en matière financière. Nous avons ainsi pu nous faire une idée assez juste, me semble-t-il, des problèmes que pose le projet de loi du point de vue qui nous intéresse, et nous espérons remplir par nos propositions – une vingtaine d’amendements – la mission qui nous a été confiée, celle de la simplification des normes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte important et innovateur. Dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement, il traduit une volonté politique forte : tendre vers un nouveau mode de production et de croissance. Il a par nature fonction et capacité à révolutionner les comportements, du producteur aux consommateurs, en passant par tous les acteurs, au service d’une croissance plus économe en énergies, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en accord avec les nouvelles exigences qui découlent du changement climatique.

La transition énergétique et écologique est l’occasion de renouer avec une croissance durable, riche en emplois et en nouveaux métiers. Elle est fondée sur des investissements innovants de nature à transformer en profondeur nos modes de production et de consommation. Elle a aussi pour ambition d’accroître le pouvoir d’achat des ménages en réduisant leur facture énergétique.

La commission du développement durable, chargée d’examiner au fond les titres III et IV, qui traitent des transports et des déchets, s’est engagée sans retenue dans l’amélioration du projet de loi. N’oublions pas que l’un des objectifs de ce texte consiste aussi à s’attaquer aux inégalités environnementales, par exemple en matière d’exposition aux polluants à l’origine d’inégalités de santé, et à apporter des réponses à la précarité énergétique. La création du chèque énergie est une de ces réponses.

Tendre vers un nouveau modèle de développement implique la mobilisation et la participation des citoyens aux politiques à travers des projets ancrés dans les territoires et une meilleure responsabilité sociale et environnementale de l’ensemble des acteurs.

La transition énergétique touche à de nombreux secteurs et nécessite d’engager de grands chantiers : dans le secteur du bâtiment, la rénovation thermique ; dans celui des transports, la lutte contre la pollution de l’air. Le troisième grand chantier est celui de l’économie circulaire, la réduction des déchets à la source, la lutte contre le gaspillage. N’oublions pas non plus le développement des énergies renouvelables, en s’appuyant sur des filières industrielles solides, compétitives et créatrices d’emplois.

Avant d’aborder plus précisément les titres III et IV, je tiens à féliciter le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, notre collègue Louis Nègre. Son engagement sur ce texte, reconnu par l’ensemble des membres de la commission, dont je crois pouvoir me faire l’interprète, n’a d’égal que sa volonté de servir le texte. Les échanges au sein de notre commission ont été constructifs, l’objectif étant de parvenir à un texte équilibré répondant à l’intérêt général. J’espère que c’est également dans cet état d’esprit serein que se dérouleront nos débats en séance publique.

S’il est un domaine où la transition énergétique représente un défi environnemental permanent, c’est bien celui des transports. Il s’agit d’un secteur au carrefour d’enjeux multiples, très consommateur en énergies fossiles et premier émetteur de gaz à effet de serre. Ses externalités polluantes sont importantes et souvent méconnues : 32 % de la consommation finale d’énergie, 26 % des émissions de gaz à effet de serre, 59 % des émissions nationales de particules d’azote et 19 % des émissions de particules fines, dont l’impact très néfaste sur la santé ne fait plus de doute. D’où la place consacrée au développement du véhicule électrique dans le projet de loi initial.

Le texte s’est depuis lors enrichi et conduit résolument le secteur des transports vers une mobilité décarbonée en développant les « véhicules propres » et en fixant un objectif ambitieux de 7 millions de points de charge pour les véhicules électriques. Il s’attache également à promouvoir les mobilités douces, comme le vélo, et donne un nouveau souffle au covoiturage. Il amorce surtout une nouvelle étape dans la lutte contre le fléau de la pollution de l’air.

S’agissant de la définition du véhicule propre, le texte n’exclut aucune motorisation ou aucun carburant a priori et se fonde exclusivement sur les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de rejets de polluants atmosphériques. Cette sage définition, qui a l’avantage de ne pas figer une liste de technologies et d’encourager l’innovation, comporte cependant une limite méthodologique : la difficulté à mesurer les rejets polluants. L’abrasion, dont la problématique est encore mal connue, semble aussi être une source majeure d’émission de particules fines.

Concernant le parc des véhicules diesel anciens, il n’y a là en revanche ni doute ni controverse technologique : il est impératif d’accélérer la conversion de ce parc. Aussi la prime prévue à cet effet par l’article 13 constitue-t-elle un premier pas ; à cet égard, madame la ministre, je veux saluer les mesures que vous venez d’annoncer : sur la feuille de route écologique pour 2015, ce sont là des pas décisifs, y compris en tenant compte des véhicules d’occasion. L’enjeu de la qualité de l’air justifie ces mesures d’urgence. Pour autant, si nous privilégions les centres urbains les plus importants, n’oublions pas la mobilité en zone rurale.

S’agissant de l’éco-diagnostic des véhicules, la commission du développement durable a choisi de l’intégrer dans le contrôle technique. Cette idée est, je le crois, pertinente, car elle permet de ne pas multiplier les contrôles. Cependant, madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer quant à l’impact de cette mesure ? Nous ne souhaitons pas qu’elle conduise indirectement à entraver la circulation des véhicules des ménages les plus modestes.

J’en viens maintenant au titre IV du projet de loi, sur lequel la commission du développement durable a produit un travail remarquable.

Ce titre se fixe comme objectifs la lutte contre les gaspillages et la promotion de l’économie circulaire, de la conception des produits à leur recyclage. Ce modèle d’excellence environnementale passe par une consommation sobre et responsable de nos ressources naturelles, une politique ambitieuse et – souhaitons-le – efficace de prévention, de gestion et de valorisation de nos déchets. C’est un enjeu majeur pour notre pays.

En 2010, 355 millions de tonnes de déchets ont été produites. Je n’insiste pas sur les chiffres, chacun ici les connaît. Ils sont en constante augmentation. Nous sommes bien face à une grave question de société : que faisons-nous de ces déchets ? Comment les valoriser ? Comment les réduire ? Le projet de loi apporte fort heureusement des réponses à ces questions.

Avant d’en venir au texte, je veux souligner les démarches volontaristes déjà engagées par votre ministère : l’appel à projets « territoires zéro gaspillage zéro déchet » ou encore le nouveau programme national de prévention des déchets 2014-2020, qui a été présenté en septembre 2014.

J’en viens maintenant aux grandes trajectoires du titre IV. Elles sont inscrites à l’article 19, qui décline des objectifs chiffrés pour les dix années à venir en matière de production, de tri et de valorisation des déchets.

Sans prétendre être exhaustif, je me permets de rappeler quelques chiffres qui démontrent la volonté du Gouvernement en la matière : réduire de 10 % les déchets ménagers et assimilés par habitant à l’horizon de 2020 ; généraliser le tri à la source des déchets organiques d’ici à 2025 ; valoriser, sous forme de matière, 70 % des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics à l’horizon de 2020. Ces dates sont significatives.

Les débats en commission ont considérablement enrichi ce titre. Le groupe socialiste est particulièrement satisfait de l’adoption de la majorité de ses amendements, qui portent notamment sur l’objectif de réduction de 50 % des quantités de produits manufacturés non recyclables mis sur le marché, ainsi que sur la gouvernance des éco-organismes, afin qu’elle soit vraiment confiée aux producteurs eux-mêmes.

Nous aborderons également, au cours des débats, des mesures devenues emblématiques de ce titre. Je pense notamment à l’interdiction des sacs en plastique à usage unique et des sujets qui nous ont occupés en commission comme l’avenir du tri mécano-biologique, la compétence obligatoire donnée au maire à l’égard des véhicules abandonnés sur la voie et le domaine publics, ou l’obligation de reprise des déchets des professionnels du bâtiment par les distributeurs, ou encore la définition et les moyens de lutte contre l’obsolescence programmée.

Je ne développerai pas davantage ces sujets, puisque notre collègue Gérard Miquel, dont la compétence est bien connue,…

M. Roland Courteau. C’est un éminent spécialiste !

M. Jean-Jacques Filleul. … sera bien plus à même de le faire.

Madame la ministre, je suis persuadé que l’adoption du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte entraînera non seulement une mutation économique structurelle, le développement d’innovations technologiques, et donc le déploiement de nouvelles activités, mais aussi des opportunités d’investissements porteurs d’avenir et signes d’espoir pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des politiques publiques dont les enjeux sont plus faciles à circonscrire que d’autres, des politiques publiques pour lesquelles le législateur distingue la ligne d’horizon.

La politique publique dite de « transition énergétique » est assurément de ce type. Un défi majeur l’attend. Ce défi dont tous les autres procèdent, c’est celui de la « décarbonisation » de notre société.

Pourquoi ce défi et pas un autre ? Trois considérations doivent emporter notre décision.

Décarboner, d’autres l’ont dit avant moi, c’est répondre à l’urgence du changement climatique auquel les émissions de C02 contribuent.

Décarboner, c’est aussi limiter le recours aux énergies fossiles que nous importons en intégralité pour une facture considérable de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Décarboner, c’est enfin s’émanciper des incertitudes géopolitiques et des préoccupations liées à l’accessibilité des matières premières.

Malheureusement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ignore ce besoin de recentrer l’action publique autour de ce simple et pourtant indépassable défi de la « décarbonisation ». Au lieu de cela, le texte du Gouvernement déploie cette politique publique en lui attribuant sept fonctions, huit outils et sept objectifs chiffrés : autant de vœux pieux !

En procédant ainsi, on rend la loi illisible pour nos concitoyens, on les inonde d’informations, puis d’objectifs, parfois difficilement conciliables ; enfin, on les déresponsabilise. Ce n’est pas de cette manière que l’on suscite leur adhésion, au contraire. Ce sont d’objectifs clairs qu’ont besoin nos concitoyens, d’objectifs vérifiables.

Pour cette raison, je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont dû s’emparer d’un article 1er symbole d’une loi que beaucoup qualifient de « loi bavarde ». Je pense en particulier à l’amendement du rapporteur Ladislas Poniatowski sur les objectifs chiffrés de la politique énergétique, amendement qui tend à placer la réduction des gaz à effet de serre comme clef de voûte de notre politique énergétique. Voilà qui est de nature à donner du sens à l’action publique !

Il eût été en effet beaucoup plus simple, madame la ministre, de construire ces objectifs autour des engagements européens de la France, engagements posés à l’occasion de l’examen du paquet énergie-climat pour 2030 et qui reprennent, tout en les actualisant, ceux du paquet énergie-climat pour 2020, qui avait été adopté en 2008. Ces engagements se déclinent autour de deux objectifs contraignants : la réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 40 % et l’augmentation de la part des énergies renouvelables à hauteur de 27 %. Ces objectifs se suffisent à eux-mêmes.

Pour cette raison encore, je souscris à la logique qui a conduit le rapporteur pour avis, Louis Nègre, à rappeler que l’objectif principal de notre politique énergétique s’intègre clairement aux « engagements pris dans le cadre de l’Union européenne ». Malgré cet objectif simple, le Gouvernement a préféré l’inflation législative et l’effet d’annonce des 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025.

À ce sujet, je voudrais d’abord évoquer la légèreté qui a présidé à l’inscription de cet objectif en tête du code de l’énergie. Sur quelles bases macroéconomiques le Gouvernement a-t-il fondé sa décision ? Sur quels scenarii de croissance d’ici aux années 2030 ? Quelle croissance démographique est-elle retenue ? Quid de notre production industrielle ?

Dans l’étude d’impact, deux tableaux nous sont sobrement présentés : il y a d’abord le scénario de « référence », un scénario au fil de l’eau ; il y a ensuite le « scénario de transition énergétique », qui tend à prouver qu’il nous sera possible de passer de 73 % à 50 % de nucléaire tout en diminuant par près de deux nos émissions de CO2, et tout cela dans un contexte de croissance économique.

Là encore, le Gouvernement ne fournit pas d’explication sur les liens de causalité entre chaque phénomène que sont, je le rappelle, la croissance économique, la consommation énergétique, la répartition entre consommation fossile et électrique et, enfin, les émissions de CO2. Comment le Gouvernement évalue-t-il nos besoins énergétiques à l’horizon de 2030 ? On ne le sait pas ! On nous annonce simplement une baisse de la consommation d’énergie fossile de 33 %. Viendra-t-elle du logement ou des transports ? Nous ne disposons d’aucun élément à ce sujet.

Par ailleurs, un troisième scénario aurait dû être étudié au vu de la récente et forte baisse des cours du pétrole. Aucune disposition du texte ne traite des conséquences de cette baisse.

Autre question : l’électricité va-t-elle gagner du terrain sur les produits pétroliers et le gaz ? Si oui, dans quelle mesure ? Aucune référence à cette éventuelle substitution des énergies fossiles par l’électricité n’est mentionnée, lacune étonnante pour un projet de loi de transition énergétique et son étude d’impact.

Enfin, et je serais tentée de dire, bien sûr, on ne trouve aucune référence aux pics de consommation dont la hausse structurelle aurait dû être prise en compte et faire l’objet d’un travail ciblé. Vous n’évoquez pas la fragilité de notre système de transport d’électricité.

Quant au défi principal des énergies renouvelables, leur caractère intermittent mérite de vraies réponses sur leur intégration dans notre bouquet énergétique.

Toujours en matière de bouquet énergétique, il est étonnant de constater que le tableau dit « scénario de transition énergétique » mentionne une production électrique d’origine nucléaire de 29 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020, son niveau actuel, pour descendre brutalement à 20 millions de TEP en 2030. Dans ces conditions, la promesse de 50 % de nucléaire semble s’éloigner, y compris aux yeux de ceux qui ont écrit l’étude d’impact.

Pour conclure sur cette étude d’impact, comment ne pas s’interroger sur l’absence d’évaluation financière du titre Ier ? Quel est le coût de ces 45 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ? Selon l’étude d’impact, il est nul, car celle-ci prévoit que la facture énergétique avoisinera toujours les 6,8 % du revenu des ménages ; réponse non étayée que j’ai personnellement du mal à croire.

Là encore, le projet de loi est une occasion ratée de faire toute la lumière sur le coût réel de la transition énergétique. En effet, le développement des énergies renouvelables, des capacités de stockage, des dispositifs d’effacement, de nos réseaux de transport et de distribution, sans oublier le coût du démantèlement des centrales nucléaires doivent être évalués, car nous souhaitons tous prendre ce chemin de la transition énergétique, non de manière incantatoire, mais en se donnant les moyens de faire face aux charges financières afférentes.

En matière d’approximations financières, le Gouvernement a donc récidivé après le feuilleton de l’écotaxe. Ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx avait alors dénoncé avec justesse le caractère arbitraire et irrégulier de la décision visant à suspendre sa mise en place.

M. Alain Bertrand. Qui a créé l’écotaxe ?

Mme Fabienne Keller. Pour revenir à notre texte, je souhaiterais aborder le projet de loi sous l’angle des rénovations énergétiques, élément central d’une politique de transition énergétique.

En la matière, votre action se révèle pour l’instant un échec. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) J’en veux pour preuve les promesses du Président de la République, que j’ai entendues de vive voix à l’occasion de la première conférence environnementale en 2012, de rénover 500 000 logements par an pendant toute la durée de son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 2017. Je ne crois pas que ce projet de loi puisse constituer le levier d’une politique publique ambitieuse en la matière.

Prenons l’exemple de l’article 3. Déroger aux règles d’urbanisme qui font obstacle aux travaux de rénovation énergétique, oui ! Toutefois, le faire au mépris des prérogatives du maire en matière de délivrance de permis de construire n’est pas acceptable. L’amendement de M. le rapporteur visant à réécrire cet article a donc été salvateur. J’aurais également pu citer les articles 4, 5 et 6, de faible portée.

Pourtant, un vrai travail de rationalisation était possible, notamment en ce qui concerne les aides à la rénovation énergétique. La somme des dispositifs en vigueur, entre le tiers financement, l’éco-prêt à taux zéro, le crédit d’impôt en faveur de la rénovation énergétique et bientôt le chèque énergie pour ne citer qu’eux, n’est pas de nature à rendre l’action publique intelligible.

Pour conclure mon exposé, je dirai que ce texte déçoit davantage par ses absences que par son contenu.

M. Alain Bertrand. C’est un réquisitoire !

Mme Fabienne Keller. Or ce sont sans doute ces absences qui vous poussent à défendre avec tant d’acharnement la baisse annoncée de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique,…

M. Ronan Dantec. C’est une urgence !

Mme Fabienne Keller. … le symbole politique palliatif à une véritable politique publique, le symbole médiatique en l’absence d’une vraie politique écologique.

Tels sont les éléments dont mes collègues du groupe UMP et moi-même souhaitions vous faire part sur ce texte. Au demeurant, madame la ministre, vous le savez aussi, vous pouvez compter sur le Sénat,…

M. Roland Courteau. On n’avait pas compris ça !

Mme Fabienne Keller. … avec le concours efficace de nos rapporteurs, pour mener un travail constructif nous permettant de trouver des pistes en vue d’une véritable politique publique de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la transition énergétique est un beau défi qui se pose à nous et qui pourrait bien constituer l’une des étapes marquantes de notre histoire, au même titre que les révolutions industrielles d’hier qui ont fait la force de notre modèle de développement. Selon l’orientation que nous lui donnerons, elle sera porteuse d’avenir à travers les nouveaux métiers qui émergeront en son cœur et les nouvelles pratiques de production ou, à l’inverse, se révélera insatisfaisante, voire manquée, si nous nous cantonnons à des mesures prescriptives et dogmatiques.

L’énergie est un défi mondial, au cœur des crispations diplomatiques et des convoitises. Nous pouvons ainsi nous réjouir que la France souhaite être pionnière en la matière.

J’axerai mon propos sur la nécessité de croiser l’ambition environnementale et la préservation de la compétitivité de nos entreprises, alors que les défis de l’emploi et de la reconquête industrielle se posent à nous avec acuité. En effet, je veux dire mon inquiétude face à différentes dispositions du projet de loi qui risquent de gager les effets positifs que doit produire la transition énergétique sur la compétitivité de notre économie.

En premier lieu, je souhaite mettre en garde contre les mesures d’affichage. Les objectifs chiffrés énoncés dans l’article 1er assignés à notre politique énergétique, à savoir « porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012 », ne sont pas de nature à assurer la reconquête industrielle dont notre pays a besoin. Au contraire, ces dispositions tendent à poursuivre un objectif de décroissance qui va à l’encontre des logiques de marché internationales actuelles et qui risque de placer nos entreprises dans une situation de distorsion de concurrence mortifère. La population mondiale passera de 7,3 milliards d’habitants aujourd’hui à 9,5 milliards en 2050. Peut-on imaginer que la France se tienne à l’écart de cette croissance et des besoins nouveaux qui apparaîtront alors ?

Je déplore, madame la ministre, le procès d’intention qui est fait au monde économique par le projet de loi. J’ajoute que la référence à l’année 2012 n’est pas pertinente. Selon les chiffres de l’INSEE, le nombre d’emplois dans le secteur industriel français a baissé de 9 % par an de 1975 à 2014. Selon l’INSEE toujours, la part du secteur industriel dans le PIB est passée de 30 % à 19 % sur la même période. Enfin, dans le même temps, la production énergétique est passée de 45 millions tonnes équivalent pétrole, ou TEP, à 29 millions de TEP. Dès lors, prendre l’année 2012 pour référence semble pénalisant. Les entreprises du milieu industriel ont besoin de reconquête si elles veulent redevenir sources d’emplois. L’industrie doit être à nouveau la pierre angulaire de notre richesse nationale.

En deuxième lieu, je crains de voir apparaître de nouvelles mesures synonymes de lourdeurs administratives pour les entreprises, alors qu’une vraie simplification de la vie des entreprises et de la vie des Français s’impose. Après son examen à l’Assemblée nationale, le présent texte est passé de 64 articles à 173, lesquels nécessitent près de 100 mesures réglementaires. Quelle est la lisibilité pour les entreprises dans ces conditions ?

En troisième lieu, je regrette que la dimension communautaire soit absente du projet de loi. On veut l’Europe, la France fait partie de la zone euro ; pourtant, aucune disposition n’en fait mention. Une transition énergétique réussie ne se fera pas sans l’Europe, madame la ministre ; la France ne pourra pas non plus mener seule la transition énergétique qui s’impose à l’Europe et au monde, parce qu’elle veut être exemplaire. Ce faisant, elle risquerait en effet de plomber son économie, prise en tenaille par les distorsions de concurrence sur le continent.

Cela étant, je tiens à souligner les impacts positifs que la politique de transition énergétique pourrait avoir sur nos entreprises, si nous prenons le parti de la raison et du bon sens économique. La production de l’énergie est avant tout une source de richesse et d’emplois sur nos territoires. Je partage votre propos sur ce point, madame la ministre.

La transition énergétique doit être l’occasion d’exploiter nos ressources, tout en les préservant : les ressources forestières, avec la biomasse ; les ressources agricoles, avec la méthanisation ; les ressources maritimes, bien sûr. Soyons ambitieux, mes chers collègues, et ne soyons pas timides !

Notre ambition en matière de transition énergétique doit croiser notre volonté dans le domaine économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans un monde qui, à horizon de 2050, comptera 9,5 milliards d’habitants. Cette ambition, madame la ministre, doit aussi être acceptée par la population ; elle doit se conjuguer avec la nécessaire reconquête industrielle, avec la création d’emplois, avec la préservation de notre modèle social, avec la richesse et la diversité territoriale de la France. C’est ainsi que la transition énergétique peut se trouver enrichie du travail de notre assemblée, le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)