Mme Chantal Jouanno. Tous les ans, je dépose un amendement au projet de loi de finances visant à supprimer la déductibilité de la TVA pour les véhicules diesel des flottes d’entreprise. Lors de l’examen du dernier PLF, on m’a renvoyée au projet de loi relatif à la transition énergétique… Je reviens donc à la charge.

Madame la ministre, les véhicules diesel représentent 96 % des flottes des entreprises, ce qui est tout à fait logique puisque l’on peut déduire la TVA pour les véhicules diesel et pas pour les véhicules essence. Cette distorsion n’est pas justifiée sur le fond. La suppression de la déductibilité de la TVA permettrait d’aligner les deux régimes.

Mme la présidente. L'amendement n° 321, présenté par Mme Archimbaud, MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le a du 1° du 4 de l’article 298 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …) Les gazoles utilisés comme carburants mentionnés au tableau B du 1 de l’article 265 du code des douanes, à l’exception de ceux utilisés pour les essais effectués pour les besoins de fabrication de moteurs ou d’engins à moteurs ; ».

II. – Le I s'applique à compter du 1er janvier 2020.

La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Cet amendement procède de la même logique.

Il faut vraiment, me semble-t-il, en finir avec cette situation où il n’existe en réalité aucune liberté de choix : compte tenu des avantages fiscaux accordés au diesel, beaucoup d’acheteurs de véhicule, pour peu qu’ils fassent leurs comptes, ne peuvent qu’opter pour le diesel. C’est notamment le cas des chauffeurs de taxi, comme je l’ai indiqué précédemment.

À l’heure où, dans les villes, le taxi devient une sorte de transport semi-collectif, et compte tenu de l’impact du diesel sur l’air que respirent les citadins, donc sur leur santé, on voit tout l’intérêt qu’il y aurait à développer le « taxi propre ». Or la fiscalité actuelle empêche cette évolution. Il y a là une incohérence.

Dans ce débat, qui revient régulièrement, nous semblons tétanisés. Comme d’habitude, beaucoup ont dit qu’il ne fallait surtout pas envoyer le signal selon lequel le diesel ne serait plus l’avenir de l’automobile française – alors qu’il l’est probablement de moins en moins. Cette attitude ne fait pas avancer les choses.

Contrairement à ce que l’on peut entendre ici et là, les écologistes ne sont pas du tout contre l’industrie française : nous sommes pour une industrie capable de s’adapter en permanence aux nouveaux enjeux. Précisément, en ne touchant pas à ces mécanismes qui bénéficient au diesel, on ne facilite pas cette adaptation aux nouveaux enjeux et, en fin de compte, on fragilise nos filières industrielles.

Par conséquent, il est temps de mettre un terme à cette déductibilité. Cela permettra de dégager des recettes non négligeables pour l’État, lesquelles pourront d’ailleurs, ensuite, aider à faire évoluer nos grandes filières industrielles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Madame Jouanno, vous dites vous-même que 96 % des véhicules particuliers de la flotte des entreprises sont des véhicules diesel. La mesure que vous préconisez aurait donc des conséquences financières très lourdes sur un grand nombre d’entreprises, notamment de PME, qui ne prévoient pas forcément de renouveler leur parc automobile dans les prochaines années. Cette hausse de la fiscalité des entreprises ne nous semble pas bienvenue dans le contexte actuel.

Si nous comprenons la démarche, je rappelle qu’aujourd'hui les entreprises françaises succombent sous les taxes, les redevances, les impôts…

Mme Évelyne Didier. Ça recommence…

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Ce que souhaitent aujourd'hui les entreprises, c’est un moratoire, voire une baisse des différents prélèvements auxquels elles sont assujetties.

Au contraire, la mesure que votre amendement propose d’instituer, bien qu’intéressante sur le plan intellectuel, posera des problèmes à la plupart d’entre elles. C’est le premier point.

Deuxième point, qui ne me paraît pas moins important : la déductibilité de la TVA sur l’utilisation du gazole par les entreprises n’est aujourd’hui que partielle, la France bénéficiant dans ce domaine, depuis 1979, d’un régime dérogatoire, institué sous la forme d’une clause de gel, issue de la directive communautaire régissant la TVA : les États sont autorisés à conserver les exclusions du droit à déduction qui existaient avant 1977, mais ne peuvent en créer de nouvelles.

Par conséquent, une disposition qui viendrait renforcer les restrictions au droit à déduction de la TVA irait à l’encontre de la clause de gel et serait en contradiction avec le droit communautaire. La Cour de justice de l’Union européenne a souvent rappelé, dans ses arrêts, que les États n’étaient pas autorisés à adopter des mesures d’exclusion au droit à déduction de TVA sans limitation de durée.

Mme Chantal Jouanno. C’est dans l’autre sens que cela joue, monsieur Nègre !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement déplore lui aussi le déséquilibre actuel qui favorise le diesel. Toutefois, en vertu des directives européennes, la déductibilité de la TVA est de droit, sauf situation préexistante. Il n’est donc pas possible de supprimer la déductibilité de la TVA sur le diesel.

La bonne solution serait d’étendre cette déductibilité à l’essence.

M. Gérard Longuet. Exactement !

Mme Chantal Jouanno. Cela irait à l’inverse de la transition énergétique !

Mme Ségolène Royal, ministre. Absolument, madame Jouanno !

Toutefois, nous ne pouvons enfreindre les règles relatives à la déductibilité, qui, si j’ai bien compris, consacrent une sorte de droits acquis.

Cela étant, nous pouvons agir de manière à revoir ce système. À cet égard, au nom de la transition énergétique, qui doit aussi être amorcée au niveau européen, je peux évoquer ce sujet dans le cadre des engagements européens qui sont les nôtres, notamment dans le cadre de la conférence Climat ou au sein du Conseil des ministres de l’environnement. Je le ferai.

Nous pouvons aussi faire en sorte d’étendre la déductibilité à l’essence. La question devra être posée lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je m’oppose à l’amendement de Mme Jouanno parce que je trouve que notre collègue manque de générosité. (Rires.)

La déductibilité est un avantage consenti au diesel – je reviendrai sur les raisons qui ont abouti à cette décision. La meilleure façon d’établir l’égalité, en préservant l’intérêt du consommateur, de l’entrepreneur, de l’artisan, de l’entreprise, serait d’offrir la déductibilité de la TVA aux véhicules essence, pour le moment assujettis à cette taxe.

C’est ce que suggère Mme le ministre, sans néanmoins nous le proposer, pour des raisons budgétaires que je comprends : dans le contexte actuel, on ne peut se permettre d’alourdir le déficit de l’État. Mais la vraie réponse, c’est l’égalité des conditions.

Mes chers collègues, la TVA a été inventée par M. Lauré pour mettre fin à des distorsions entre systèmes de production liées aux taxes « en cascade ». Ce fut un progrès considérable, car la fiscalité devenait indifférente quelle que soit l'organisation des processus de production : la TVA est neutre.

Toutefois, lorsque la TVA a été mise en œuvre, on a décidé que l’essence ne bénéficierait pas de la déductibilité pour des raisons à la fois budgétaires et de hausse du prix du pétrole – nous nous trouvions alors dans les années qui suivaient la crise de Suez –, alors qu’elle constitue une charge à part entière pour les entreprises redevables de la TVA.

Une fois l’essence exclue du champ de la déductibilité, une concession a cependant été accordée, à leur demande, aux entreprises ayant fait le choix du diesel. Pour des raisons un peu longues à expliquer, mais que j’ai évoquées l’autre jour, les gouvernements ont considéré qu’une exception pouvait être faite pour le diesel, qui était alors destiné à un usage exclusivement professionnel. Je concède volontiers que ce n’est plus le cas, mais, à l’origine, le diesel était en effet un produit à usage industriel, destiné aux poids lourds, aux véhicules de service ou de chantier.

Il se trouve que, de par ses qualités intrinsèques – j’en reviens à mon dada ! –, l’usage du moteur diesel s'est généralisé auprès du grand public, qui a ainsi bénéficié d’un avantage fiscal initialement institué au bénéfice des entreprises.

Je reconnais donc que nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation absurde, qui crée une inégalité. Mais pourquoi chercher à régler ce problème en haussant l’ensemble des charges ? Diminuons plutôt ces charges en assurant la déductibilité de la TVA payée par les entreprises sur leur essence !

Malheureusement, il se trouve que c'est budgétairement impossible… Alors n’ouvrons pas ce dossier, car il n’y a pas de bonne solution !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.

M. Gérard Miquel. Je voterai contre les amendements nos 654 rectifié et 321 pour les raisons évoquées par M. le rapporteur pour avis et par notre collègue Gérard Longuet. Mais je voudrais ajouter quelques compléments d’explication.

Les flottes des entreprises sont renouvelées fréquemment : une entreprise ne garde pas un véhicule pendant dix ans !

Mme Chantal Jouanno. Tout à fait !

M. Gérard Miquel. En général, les entreprises recourent à des locations sur une durée de trois ans. Elles ont donc des véhicules récents, satisfaisant aux dernières normes. Or les nouveaux véhicules diesel polluent beaucoup moins que les anciens, puisqu’ils sont équipés de filtres à particules et de filtres à NOx. Ces véhicules peuvent donc être considérés comme très peu polluants. (M. Ronan Dantec marque son scepticisme.) Nos industriels ont fait des progrès considérables sur le plan technologique…

Par ailleurs, Ronan Dantec a évoqué les taxis parisiens. Eh bien, si nous les faisions brutalement passer du diesel à l’essence, nous aurions une très forte augmentation des émissions de CO2.

M. Gérard Longuet. Évidemment, puisque les moteurs à essence consomment plus !

M. Ronan Dantec. Je ne suis pas d’accord !

M. Gérard Miquel. C'est pourtant évident !

Il se trouve que j’ai eu à m'occuper de la flotte du Sénat…

Mme Chantal Jouanno. Il y a aussi les véhicules hybrides…

M. Gérard Miquel. Je n’en parle pas ici, même si ces véhicules existent. Certains petits véhicules fonctionneront même avec de l’air comprimé – c'est l’hybride à air –, ce qui sera formidable.

M. Gérard Longuet. Peut-être !

M. Gérard Miquel. Du reste, ils seront disponibles sur le marché dans deux ans. Là, nous serons en présence d’importants progrès technologiques.

En attendant, nos industries ont fait des progrès considérables, et l’on ne peut pas surtaxer le diesel pour des entreprises qui n’ont pas de véritable alternative. (Mme Chantal Jouanno le conteste.) Certes, elles pourraient recourir à des motorisations hybrides, mais ces dernières sont surtout disponibles dans des puissances élevées,…

M. Gérard Longuet. En effet, cela n’a pas de sens.

M. Gérard Miquel. … beaucoup moins pour les voitures moyennes, et pratiquement pas dans les petits véhicules – surtout chez les constructeurs français.

Je crois donc qu’il faut permettre les évolutions technologiques, mais sans surtaxer les entreprises qui, pour la plupart d’entre elles, ne peuvent pas utiliser de véhicules électriques, dont l’autonomie reste beaucoup trop modeste en regard des distances à parcourir. (Mme Chantal Jouanno s'exclame.)

Nous devons donc rester raisonnables, et laisser ces évolutions technologiques assurer une transition douce.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Finalement, on revient en permanence sur la même question. Notre collègue Gérard Miquel vient d’évoquer une « transition douce ». En effet, il ne s'agit pas de mettre qui que ce soit en difficulté… Mais si nous voulons véritablement faire en sorte que les émissions de particules diminuent, il faudrait alors définir un objectif, une trajectoire, avec la pente qui convient, de telle sorte que les dommages collatéraux soient évités ou du moins minimisés.

Si l’on est persuadé que le diesel est un problème, cessons de rejeter des amendements qui ne manqueront pas de revenir régulièrement !

Mme Chantal Jouanno. Comptez sur moi !

Mme Évelyne Didier. Je crois que nul ne peut aujourd'hui ignorer que le diesel constitue un vrai problème de santé publique. Bien sûr, on sait que les décisions politiques qui finissent par intervenir sont des décisions d’équilibre… En tout état de cause, il serait bon d’apporter une réponse qui comporte, j’y insiste, un objectif et une trajectoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je m'appuierai sur l’intervention d’Évelyne Didier, dont la démarche me paraît quasiment sociale-démocrate… (Mme Évelyne Didier s'esclaffe.) C'est une plaisanterie entre nous !

Il ressort clairement des différentes interventions que nous sommes tous un peu embarrassés.

Je crois d’abord que nous devons aborder sans tabous la réalité des pollutions des nouveaux véhicules diesel satisfaisant à la norme Euro 6 – je me réjouis de voir opiner M. le rapporteur pour avis et M. le président de la commission des affaires économiques. Soit il n’y a pas de pollution grave, soit il y en a ! Or aucun consensus scientifique ne s'est formé à ce jour sur la norme Euro 6, et notamment, monsieur Miquel, sur la question des oxydes d’azote – car il n’y a pas que les poussières. Si la nouvelle norme divise leurs émissions maximales par deux, ils demeurent une véritable source de pollution, qui s'ajoute naturellement à celle du CO2.

On verra bien au cours des prochaines semaines si l’on est capable de conduire la réflexion jusqu'au bout sur ce sujet, dont on ne manquera pas de discuter en commission du développement durable.

Ensuite; il me semble que nous vivons un moment qui, à certains égards, rappelle les débuts de l’automobile. Ceux qui étaient là vers 1900 s’en souviennent (Sourires.), on trouvait alors des véhicules électriques, des véhicules à essence, à gaz comprimé…

M. Ronan Dantec. Il y avait tout cela sur la route, en 1900 !

M. Gérard Longuet. Pour le gaz comprimé, c'était tout de même un peu expérimental…

M. Ronan Dantec. Et l’on croisait même des machines à vapeur ! Au bout de quinze ou vingt ans – j’ai écrit jadis quelques bouquins sur cette période ; si vous souhaitez plus d’informations, vous pourrez les trouver chez les soldeurs ! (Nouveaux sourires.) –, une technique s'est imposée à l’échelle industrielle, le moteur à essence.

Eh bien, nous sommes aujourd'hui un peu dans la même situation : pendant un nombre d'années encore indéterminé, beaucoup de systèmes vont cohabiter. Cette cohabitation durera peut-être longtemps, mais il est possible qu’un système s'impose pour des raisons économiques, et il l’emportera alors très vite sur les autres.

En attendant, notre responsabilité industrielle est donc de faire en sorte que les entreprises de notre filière automobile soient positionnées sur l’ensemble des systèmes. Si l’on met tous nos œufs dans le même panier, un géant de l’automobile – il nous en reste deux – peut être balayé en peu d’années ! Soit dit en passant, la même réflexion peut être faite à propos de l’électricité.

Ainsi, nous devons chercher à trouver un équilibre entre l’ensemble des systèmes tout en répondant à la question de la pollution atmosphérique. (M. le président de la commission du développement durable acquiesce.) J’espère que le travail de la commission du développement durable permettra d’approfondir cette réflexion. Si le diesel ne répond pas à la question de la pollution atmosphérique, il sera balayé ! Si l’on ne démontre pas que le discours des constructeurs automobiles est exact, le diesel en a pour moins de dix ans ! Et ce sera un krach industriel français ! Restons donc très vigilants.

Cela dit, j’entends la parole forte de Mme la ministre, qui évoque le blocage résultant des règles européennes sur la TVA. En effet, nous devons reporter le débat à Bruxelles, y compris dans le cadre de la négociation climatique. J’ajouterai même – et ceci répond d’une certaine façon au propos de M. Longuet – que l’on peut à la fois baisser la TVA et relever la taxe carbone. Cela permettrait de rééquilibrer l’ensemble des systèmes au profit de celui qui émet le moins de CO2, qui gagnerait économiquement. J’observe au passage que ce n’est pas tous les jours que je partage un axe politique avec M. Longuet ! (Sourires.) En tout cas, voilà une proposition qui est peut-être réalisable !

Nous devons donc examiner le système dans sa totalité, puis réfléchir aux étapes industrielles susceptibles d'être franchies sans provoquer de ruptures brutales ni de drames économiques. Sans une telle vision d’ensemble, nous nous dirigerons vers des lendemains qui déchantent au niveau industriel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Je serai plus brève… (Sourires.)

La question n’est pas ici de surtaxer le diesel. C’est l’essence qui, aujourd'hui, est surtaxée. Comme le dit M. Longuet, il convient de rechercher une égalité de traitement entre le diesel et l’essence. En effet, l’inégalité existante n'est pas justifiée : l’essence ne pollue pas plus et nous disposons, pour l’essence, de capacités de raffinage que nous n’avons pas pour le diesel.

Bien sûr, il ne s'agit pas de créer une nouvelle déductibilité pour l’essence, ce qui irait à l’encontre des objectifs que nous poursuivons ici. Par contre, je pense que nous devons donner un signal au niveau de la fiscalité écologique.

D’abord, nous devons donner une pente, en effet, madame Didier, et mon amendement fixe à cet égard un horizon, celui de 2020. (Mme Évelyne Didier acquiesce.) Comme le temps de renouvellement des flottes est de cinq ans, il est effectivement compatible avec la pratique des entreprises.

Au-delà, dans cette loi de transition énergétique, on ne saurait poursuivre un tel débat sans aborder la fiscalité écologique. Il n’y a pas de signal économique ! C'est bien le problème que nous rencontrons lorsque nous expliquons ce que nous faisons à l’extérieur : on nous dit que tout cela n’est pas crédible, que rien ne changera, qu’il n’y a pas de moyens… C'est que l’on esquive systématiquement le sujet de la fiscalité écologique. Sans signal économique clair et programmé dans le temps, les acteurs, et on les comprend, ne changeront pas leur comportement !

Aujourd'hui, la fiscalité écologique constitue-t-elle un frein à la croissance et à l’emploi en France ? Je l’ai dit, notre fiscalité écologique représente 1,8 % du PIB, ce qui nous place à l’avant-dernier rang en Europe – une audition très intéressante d’Antoine Magnant a eu lieu sur le sujet.

Le problème, en France, ce n’est donc pas la fiscalité écologique, ce sont les charges sociales. Nous tous, ici, savons qu’il faut engager un basculement des charges sociales, des charges qui pèsent sur l’emploi, sur la fiscalité écologique, sur la pollution. Mais on ne le fait pas !

M. Gérard Longuet. Ce que l’on fait revient au même !

Mme Chantal Jouanno. Non, on ne le fait jamais ! Chaque fois que l’on propose quelque chose, ce n’est jamais voté. On s'engage à faire des rapports, à réunir des commissions – un Comité sur la fiscalité écologique existe depuis très longtemps –, mais, finalement, rien de change.

Je ne me fais pas d’illusions sur le sort de mon amendement, mais j’y insiste : la question n’est pas celle des charges liées à la fiscalité écologique, c'est celle des charges sociales qui pèsent sur l’emploi. Voilà ce qui, aujourd'hui, fait la différence entre la France et les autres pays européens.

J’attends le jour où l’on nous donnera un engagement un tant soit peu clair sur ce sujet, en nous expliquant que, lors de l’examen de la prochaine loi de finances, nous disposerons des travaux des comités de fiscalité écologique et qu’on nous soumettra un dispositif concernant non pas seulement la fiscalité écologique, mais l’ensemble de la fiscalité – comme la Suède l’avait fait dans les années quatre-vingt-dix. Là, oui, on aurait une crédibilité ! Le problème, c'est qu’il n’y a rien sur la fiscalité écologique…

Alors, je redéposerai systématiquement ces amendements pour voir un jour le débat s'ouvrir enfin.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission du développement durable.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Mon cher collègue Ronan Dantec, je suis heureux d’apprendre que, finalement, vous ne condamnez pas d’emblée le diesel norme Euro 6. C’est important parce que l’industrie automobile française repose largement sur le diesel. C’est même, me semble-t-il, le seul segment du marché automobile français sur lequel nous soyons vraiment compétitifs.

Voilà pourquoi, dans notre prise en compte des questions d’environnement et de santé, nous devons être très prudents. Sur l’initiative du rapporteur, nous avons, dans le cadre de la préparation de ce projet de loi, organisé une table ronde sur le diesel, qui a très clairement montré que la situation n’était pas dénuée d’une certaine ambiguïté. D’un côté, les constructeurs affirment que le diesel norme Euro 6 n’est pas polluant, les filtres à particules – inventés, je le rappelle, par l’industrie automobile française – permettant d’éviter tout danger. De l’autre côté, les associations environnementales aussi bien que les responsables des organisations de santé ne sont pas franchement d’accord.

C’est pour cette raison que nous allons mettre en place, je vous le confirme, un groupe de scientifiques, conformément à ce qui est demandé depuis longtemps par un certain nombre de personnes, pour essayer d’y voir clair sur ce sujet très important.

Sur la question de la fiscalité écologique, Chantal Jouanno a raison. C’est tout de même un instrument essentiel si l’on veut aller vers une transition énergétique. Sans instaurer une fiscalité punitive, vous l’avez dit souvent, madame la ministre, il faudrait que, même si le moment est peut-être mal choisi – Chantal Jouanno dira que c’est rarement le bon moment ! –, de réelles initiatives soient prises en matière de fiscalité incitative dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Nous devons en effet nous orienter vers des modes de transport plus propres et moins polluants que ne l’est le diesel, surtout d’ancienne génération.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 654 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 321.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 736, présenté par MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La deuxième phrase du II de l’article L. 119-7 du code de la voirie routière est ainsi rédigée :

Pour les contrats de délégation de service public conclus antérieurement au 1er janvier 2010, ces modulations de péages sont mises en œuvre au plus tard au 1er janvier 2017.

La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Cet amendement, que je défends assez régulièrement ici, aurait dû être adopté depuis longtemps. Il vise en effet à rendre applicables sur le réseau des autoroutes concédées des modulations de péage des poids lourds en fonction des normes Euro dans les trois ans à venir.

Aux termes de l’article L. 119-7 du code de la voirie routière, la très grande majorité du réseau autoroutier français concédé ne sera pas soumise à ces modulations avant 2028-2032, date de la fin des concessions des réseaux tels que ASF, Cofiroute, APRR ou SANEF.

Les modulations de péage en fonction des normes Euro contribuent à limiter les effets néfastes de la circulation des poids lourds sur la qualité de l’air en incitant à l’utilisation de véhicules à moindres taux d’émissions. Il s’agit de moduler les tarifs, parfois de manière extrêmement fine, en ciblant des territoires très précis, en fonction des enjeux liés à la pollution.

Par ailleurs, cette modulation de péage n’entraîne pas globalement, pour le transport routier de marchandises, de coûts supplémentaires puisque, en application de la directive Eurovignette, elle n’a pas pour objet d’engendrer des recettes supplémentaires de péage. Par définition, s’agissant d’une simple modulation, pour certains, le coût du péage augmente tandis que, pour d’autres, il baisse.

En n’introduisant pas dans la loi une telle possibilité, on se priverait d’un outil. Or, à un moment donné, il faut bien mettre dans la boîte à outils un tournevis supplémentaire, que l’on utilisera le jour où on en aura besoin.

Je ne comprends décidément pas pourquoi nous n’avons toujours pas intégré cette mesure à notre boîte à outils. Nous verrons ensuite à quel moment il convient de sortir le tournevis ou la clef de douze.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. La commission est défavorable à cet amendement.

Certes, la mesure proposée est intéressante et correspond à notre philosophie de la transition énergétique puisqu’elle met en œuvre le principe pollueur-payeur. Toutefois, à l’heure actuelle, il est impossible de l’imposer dans le cadre des concessions existantes. C’est la raison pour laquelle nous préférons l’amendement n° 731, présenté par les mêmes auteurs.

En tant que rapporteur du projet de loi Grenelle 2, j’ai moi-même défendu une modulation des tarifs qui puisse être fonction du type de poids lourds, mais aussi du jour et de l’heure considérés. Si nous n’avons pas pu appliquer à ce jour une telle mesure, c’est parce que les concessions existantes ont été particulièrement bien verrouillées, comme en témoigne le débat en cours. Pour faire quoi que ce soit en la matière, il faut l’accord du concessionnaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Comme vous le savez, le Gouvernement a entamé, en association avec le Parlement, des discussions avec les concessionnaires autoroutiers. Ce groupe examinera notamment la question de la modulation des tarifs de péage en fonction des caractéristiques des véhicules. À cette occasion, il conviendra également d’encourager le covoiturage. Les concessionnaires autoroutiers ont d’ailleurs commencé à organiser cette activité, sur les zones d’arrêt.

Il peut paraître prématuré de prévoir une telle mesure législative, et je suggère aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. Sinon, il faudrait inscrire la possibilité, et non pas l’obligation, d’instaurer des tarifs modulés pour prendre en compte la pollution des différents véhicules. Cela permettrait d’envoyer un signal, sans porter juridiquement atteinte à la liberté contractuelle. Les sociétés autoroutières pourraient proposer plusieurs offres commerciales, l’une d’elles visant à encourager l’utilisation de véhicules propres.