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Candidatures à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

J’informe également le Sénat que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur.

Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

7

Retrait d’une question orale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question n° 1003 de M. Yves Daudigny est retirée de l’ordre du jour de la séance du mardi 10 mars, à la demande de son auteur.

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Débat sur la situation des maternités

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des maternités en France, organisé à la demande de la commission des affaires sociales (rapport d’information n° 243 [2013–2014]).

La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de Mme la présidente Annie David, la commission des affaires sociales avait demandé voilà deux ans à la Cour des comptes une enquête sur la situation des maternités en France.

Les conclusions de cette enquête ont été présentées devant la commission le 21 janvier dernier par le président de la sixième chambre de la Cour, M. Antoine Durrleman, lors d’une table ronde à laquelle participaient également, sur notre invitation, deux directeurs généraux d’agences régionales de santé et les représentants de la Fédération hospitalière de France.

L’étude conduite par la Cour a impliqué plusieurs chambres régionales des comptes, ce qui a permis d’affiner les analyses grâce aux éléments plus précis recueillis dans six régions de métropole et en Guyane.

Compte tenu de l’ampleur de ce travail, des nombreuses questions qu’il soulève et des enjeux de santé publique qu’il aborde, il nous a paru nécessaire de prolonger la discussion et d’échanger avec le Gouvernement sur ce volet tout à fait essentiel de notre organisation sanitaire.

Je vous remercie donc, madame la ministre, de participer à notre débat pour nous dire dans quelle mesure les constats et recommandations de la Cour des comptes rejoignent, ou non, l’analyse du Gouvernement et les actions qu’il envisage ou qu’il a déjà engagées.

Je voudrais dire d’emblée que ce rapport ne saurait se réduire à la seule question du maintien ou de la fermeture de certaines maternités, sur laquelle semble se focaliser l’intérêt des médias. Le document, je tiens à le préciser, ne comporte d’ailleurs aucune liste de sites dont la Cour préconiserait la cessation d’activité.

De la même manière, si la Cour, conformément à sa vocation, s’est livrée à une analyse économique et financière de l’activité hospitalière en maternité, elle ne s’est pas limitée, tant s’en faut, à cette seule dimension. Elle a également apporté des éclairages très approfondis sur les difficultés de recrutement des établissements dans les spécialités médicales liées à la périnatalité, le niveau des équipements techniques, les conditions d’accès aux soins ou le suivi médical des femmes enceintes.

Enfin, je ne crois pas que la Cour des comptes ait voulu dresser un tableau alarmiste de la situation des maternités en France, même si elle ne dissimule pas leurs difficultés et leurs fragilités.

Elle constate que la restructuration, d’une ampleur sans précédent, intervenue durant les quarante dernières années s’est opérée pour l’essentiel sans compromettre l’accès aux soins. Elle attire toutefois l’attention sur les zones isolées, l’efficacité inégale des réseaux de périnatalité et une articulation parfois mal assurée du suivi des grossesses.

Elle estime aussi que la sécurité de l’activité d’obstétrique s’est améliorée depuis quinze ans, mais elle insiste, à juste titre, sur le fait que les normes de sécurité et d’organisation fixées par les décrets de 1998 sont encore insuffisamment respectées.

Bref, cette enquête s’est efforcée d’évaluer la pertinence de notre organisation en termes d’accès à des soins de qualité, de cohérence réglementaire et de financement. Sur la base de constats objectifs, elle invite les pouvoirs publics à réfléchir aux voies d’amélioration possibles et à anticiper les évolutions nécessaires. Sinon, nous nous trouverions contraints de prendre, dans l’urgence, des décisions brutales, lorsque surviennent, malheureusement, des événements dramatiques, comme ce fut le cas à la maternité d’Orthez voilà quelques mois.

Madame la ministre, Jean-Marie Vanlerenberghe, notre rapporteur général, vous interrogera dans un instant sur les réponses qui peuvent être apportées aux observations ou propositions contenues dans ce rapport.

Pour ma part, je m’en tiendrai à quelques points essentiels.

J’évoquerai tout d’abord l’état des lieux des spécialités médicales présentes en maternité et leurs perspectives d’évolution démographique.

Face aux départs en retraite massifs qui s’annoncent, tant en obstétrique qu’en pédiatrie ou en anesthésie-réanimation, le flux de formation dans ces spécialités n’a été relevé que de manière limitée, et dans des proportions moindres que pour le numerus clausus global. Au-delà de cette situation générale préoccupante, la Cour met en évidence des disparités géographiques considérables et des difficultés de recrutement, tant en zones rurales que dans certaines zones urbaines, partiellement compensées par des solutions qu’elle juge précaires et onéreuses, comme le recours à l’intérim médical ou à des médecins ayant obtenu leur diplôme à l’étranger.

Il s’agit là bien évidemment d’un obstacle majeur à l’application uniforme sur le territoire national des normes d’encadrement médical et du principe de permanence des soins prévus par les décrets de 1998.

Vous nous communiquerez, madame la ministre, les solutions envisageables pour remédier à ces difficultés. Je pense toutefois que la question de l’attractivité des postes en maternité ne peut pas être traitée en faisant abstraction de l’aspiration de plus en plus affirmée des jeunes médecins à exercer en équipe et à disposer de plateaux techniques adaptés.

L’enquête de la Cour dresse aussi le bilan de la structuration des maternités selon les types de grossesses prises en charge, les niveaux de soins à apporter aux nouveau-nés et les moyens pouvant être mis en œuvre.

Ce principe directeur des décrets de 1998 n’a pas été mis en œuvre ex nihilo. Appliqué à l’équipement préexistant, il l’a fait évoluer sans totalement le bouleverser, ce qui permet d’expliquer des situations que la Cour juge parfois peu cohérentes par rapport à une couverture optimale des besoins sur l’ensemble du territoire et une prise en charge dans les structures les plus adaptées à chaque type de grossesse.

Face à ce constat, le Gouvernement considère-t-il possible et souhaitable d’aller plus loin, comme l’y invite la Cour des comptes, ce qui impliquerait à la fois une planification plus affirmée des équipements, une articulation ville-hôpital plus poussée et une orientation plus directive des patientes ?

Enfin, je souhaite insister sur la qualité et la sécurité des soins, qui me semblent constituer le véritable fil conducteur de cette enquête.

C’est en effet un point sur lequel la Cour revient à de multiples reprises, lorsqu’elle évoque les normes d’effectifs insuffisamment respectées, les retards dans la mise en conformité des locaux, la nécessité de systématiser les analyses des résultats de périnatalité en vue d’améliorer les pratiques médicales ou encore les précautions spécifiques à prendre pour les établissements fonctionnant selon des modalités dérogatoires.

La grossesse n’est pas une pathologie et, dans l’immense majorité des cas, elle se déroule heureusement sans anomalie. L’issue peut toutefois s’en révéler dramatique, lorsque les moyens nécessaires à une prise en charge adaptée font défaut.

Le débat sur le lien entre proximité et sécurité reste bien entendu très prégnant. On peut toutefois observer que le critère de la sécurité est souvent privilégié par nos concitoyennes. L’enquête le confirme en soulignant l’attraction exercée par les maternités de niveau II ou III et le « taux de fuite » affectant les maternités de niveau I, sauf lorsqu’elles se situent dans des zones très isolées n’offrant pas d’alternative.

La proposition de la Cour visant à mener une enquête épidémiologique pour préciser la relation entre l’éloignement des parturientes des maternités et les résultats de périnatalité a recueilli une large approbation au sein de notre commission.

Une telle étude serait de nature à clarifier un débat qui, en tout état de cause, ne doit pas occulter les nombreux autres enjeux liés à la prise en charge de la maternité.

Telles sont, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler en introduction à un débat qui porte sur un sujet particulièrement sensible.

Je crois que l’enquête effectuée par la Cour des comptes apporte des éléments d’information utiles et comporte des réflexions stimulantes. Nous serons naturellement très attentifs aux réponses qu’apportera le Gouvernement aux constats et recommandations qu’elle a formulés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Françoise Laborde et M. François Fortassin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a fort bien rappelé Alain Milon à l’instant, la natalité est l’une des forces de la France et un signe de confiance de nos concitoyens en l’avenir.

Un réseau efficace de maternités est donc nécessaire. Il doit répondre à deux objectifs : assurer la sécurité des mères et des enfants, d’une part, et permettre une prise en charge de proximité de qualité, d’autre part.

L’enquête que nous a remise la Cour des comptes démontre que, malgré plusieurs réformes successives, les résultats ne sont pas encore pleinement satisfaisants en matière de sécurité. Le classement de la France pour ce qui concerne la périnatalité – elle figure au dix-septième rang européen – doit être amélioré. Ce sera là, madame la ministre, ma première question : quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour améliorer nos résultats en termes de périnatalité ?

Je souligne le fait que la Cour ne préconise pas, Alain Milon vient de le rappeler, de fermer les maternités qui fonctionnent déjà en deçà des seuils fixés par la réglementation. Elle insiste sur la nécessité d’un contrôle sanitaire accru de ces établissements. Sinon, chacun le sait, c’est la vie des femmes et des enfants qui est mise en jeu.

C’est donc à tort que certains élus se sont émus à la lecture des dépêches de presse faussement alarmistes.

La Cour a examiné néanmoins à notre demande les questions qui nous ont été posées et nous avons reçu dans son ensemble confirmation de son jugement, sauf dans un cas, celui de la Guyane, que va certainement évoquer notre collègue Maurice Antiste.

La Cour constate que l’octroi de la dérogation n’est assorti d’aucun dispositif d’encadrement ou de suivi particulier. Madame la ministre, quelles mesures de contrôle le Gouvernement va-t-il mettre en place sur les maternités qui effectuent moins de 300 accouchements par an ?

La restructuration du secteur des maternités a été particulièrement importante puisque en quarante ans deux tiers d’entre elles ont disparu.

Par ailleurs, les contraintes normatives se sont considérablement accrues depuis les décrets de 1998, qui ont prévu trois niveaux de maternités selon la complexité de l’accouchement et le risque qui en découle pour la mère et le ou les enfants.

Mais les textes, principalement parce qu’ils imposent la présence de médecins spécialistes dont le recrutement s’avère de plus en plus difficile sur l’ensemble du territoire, ne sont pas uniformément appliqués ou entraînent la fermeture subite d’établissements répondant pourtant à des besoins locaux.

La démographie des spécialistes concernés – gynéco-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs – est particulièrement dégradée dans les établissements hospitaliers et le phénomène va s’accentuer. La Cour relève que le nombre d’obstétriciens et d’anesthésistes baisse relativement aux autres spécialistes dans les postes qui seront ouverts à l’internat d’ici à 2019. Ne faut-il pas, madame la ministre, prendre des mesures visant à augmenter de manière plus importante le nombre de postes à pourvoir en internat ?

Les nouvelles règles applicables au temps de travail médical sont de nature à accroître les difficultés des établissements, même si elles contribuent à la sécurité des soignants et des soignés. Là où l’on pouvait faire assumer la permanence des soins par un nombre réduit de praticiens, des recrutements ou des vacations – et l’on sait les difficultés que cela pose – devront être organisés. Le projet de loi de santé comporte certaines dispositions sur l’intérim médical : parviendront-elles à répondre aux besoins des maternités ?

À l’heure actuelle, l’impact des mesures incitatives demeure limité. Il est de fait difficile de rendre attractives les petites maternités qui, en matière de recrutement, subissent la concurrence des établissements de plus grande taille, situés le plus souvent dans des villes plus importantes.

Même l’affectation des internes dans les zones sous-denses ne permet pas de répondre aux besoins des maternités les plus en difficulté, car la zone d’affectation est plus large que les territoires de santé où se trouvent ces maternités. Envisagez-vous, madame la ministre, de nouvelles mesures ? Si oui, lesquelles ?

Vous avez confié un rapport sur l’attractivité de la profession de praticien hospitalier à quelqu’un dont nous connaissons l’expertise, à savoir notre ancien collègue Jacky Le Menn. Nul doute que ses propositions seront de nature à favoriser les recrutements. Mais ne faut-il pas également aller plus loin, soit en prévoyant la présence d’équipes venant de structures plus importantes comme les CHU, soit à l’inverse en accompagnant la transformation des maternités qui ne peuvent pas recruter en centres de suivi des grossesses ?

La Cour déplore la lourdeur administrative de la mutualisation des personnels entre établissements malgré les nombreux exemples de bonnes pratiques. Un allégement des procédures serait de nature à encourager leur diffusion à l’ensemble du territoire.

Il faut également nous interroger sur la répartition des rôles entre médecins et sages-femmes. Des progrès importants ont été accomplis depuis la loi HPST. Mais cette question n’est pas encore totalement résolue dans les maternités. Qu’envisagez-vous sur ce point, madame la ministre ?

Nous avons aussi besoin d’améliorer nos connaissances. Comme l’a signalé le président Alain Milon, il n’existe pas d’étude épidémiologique précisant la relation entre l’éloignement des parturientes de la maternité et les résultats de périnatalité. Or celle-ci est nécessaire pour apprécier la pertinence des restructurations et permettre aux élus locaux, toujours placés en première ligne, de fonder leurs choix sur des données objectives.

En effet, si le temps de trajet médian entre le domicile et la maternité – dix-sept minutes – peut paraître a priori satisfaisant, les écarts sont particulièrement importants et la Cour elle-même documente des situations dans lesquelles des maternités se trouvent à plus d’une demi-heure de route, voire quarante-cinq minutes.

Vos services, madame la ministre, ont-ils prévu de financer une étude sur le lien entre distance et périnatalité par l’Institut de veille sanitaire ou un autre organisme compétent ?

Si l’éloignement est trop important, des solutions alternatives – hôtelières notamment – sont envisageables et d’ailleurs suggérées par la Cour des comptes. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ? Les difficultés pratiques me semblent importantes : même si l’accouchement est souvent provoqué, il n’est cependant pas une science exacte !

Il faut pourtant garantir une proximité des plateaux techniques avec les lieux d’accouchement, car tout ce qui débute comme un accouchement sans complication peut rapidement générer une situation d’urgence. La Cour des comptes préconise d’ailleurs de doter les maternités de niveau III d’un service de réanimation pour adultes, absent dans certains cas.

Il faut donc conduire une évaluation médico-économique des maternités et des maisons de naissance, dont l’expérimentation vient d’être lancée, afin de permettre de mesurer l’ampleur des services à fournir à la population et de sortir d’une gestion au fil de l’eau de l’évolution de ces établissements.

La Cour relève aussi que la structuration des maternités entre les niveaux I, II et III n’est pas toujours cohérente sur l’ensemble du territoire, notamment parce que les maternités de niveau III attirent une part trop importante de futures mères.

Ces niveaux sont-ils encore vraiment cohérents ? Ne faudrait-il pas raisonner à partir des besoins des territoires plutôt que des structures existantes, comme nous y invite d’ailleurs une note récente du Conseil d’analyse économique ?

J’en viens à un point essentiel, madame la ministre : le rapport de la Cour pointe le sous-financement structurel des maternités, qui ne peuvent trouver un équilibre qu’à partir de 1 100 à 1 200 accouchements par an en raison d’une déconnexion ancienne des tarifs et des coûts réels.

Malgré une évolution tendant à développer un tarif spécifique lié à la prise en charge du nouveau-né, il est permis de s’interroger sur l’adaptation de la tarification à l’activité – T2A – à ces établissements.

Il convient à tout le moins de prendre en compte le poids spécifique des normes dans les coûts réels et de trouver un moyen de le compenser, comme l’avait déjà souligné le rapport sur la tarification hospitalière établi en 2012 par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat.

Que propose le Gouvernement pour remédier à cette situation ?

Je pense qu’une majorité d’entre nous pourrait accepter la réduction de la durée des séjours en maternité à condition qu’elle s’accompagne de l’accès de toutes les familles à une prise en charge à domicile. Mais elle ne saurait être simplement un moyen de réduire les déficits structurels des établissements.

Enfin, l’appui aux réseaux de périnatalité, en lien avec la protection maternelle et infantile pour l’aval, mais sans report sur cette dernière, est un point particulièrement important qui, parmi d’autres, pourra être conforté à l’occasion de l’examen du projet de loi de santé publique.

La Cour souligne à juste titre l’attention particulière qui doit être portée aux populations précaires, pour lesquelles le suivi des grossesses est souvent suffisant. Quelles sont, pour ces populations, les mesures que propose le Gouvernement ?

À partir du constat important dressé par la Cour, il est de notre devoir d’agir pour permettre partout en France la meilleure prise en charge des femmes enceintes. Tous les jours des professionnels de santé accompagnent au mieux de leurs compétences les mères et les nouveau-nés. À tous nous devons garantir les meilleures conditions d’exercice dans les maternités. C’est un défi qui doit nous réunir, vous, madame la ministre, et nous tous. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur la situation des maternités en France devrait permettre aux parlementaires que nous sommes d’avoir à leur disposition une vision relativement exhaustive et détaillée d’une réalité que nous vivons tous sur nos territoires.

Mais l’analyse de la Cour des comptes ressemble à un bilan comptable à charge qui traque les réductions de dépenses et qui me paraît quelque peu partial.

Quels sont les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette étude menée pendant quatorze mois ?

Tout d’abord, les maternités constituent l’activité hospitalière qui a été la plus restructurée au cours des quinze dernières années. Ainsi, plus de cent cinquante maternités de niveau I ont fermé entre 2002 et 2012.

L’évolution du nombre d’accouchements par type d’établissement est elle aussi spectaculaire, puisque les maternités de niveau I ont réalisé 30 % d’accouchements en moins, au profit des maternités de niveaux II et III, qui en ont réalisé respectivement 28 % et 32 % de plus.

Cette constatation nous interroge. Pourquoi vouloir orienter vers des structures de haute technicité qui assurent une prise en charge très médicalisée, alors que la majorité des grossesses est physiologique et ne nécessite pas cette technicisation de l’accouchement ?

Pourquoi remettre en question la gradation des soins et l’organisation en réseau de périnatalité en fonction de l’état de santé de la mère et de l’enfant ?

Alors que des luttes ont fort justement permis de sauver des maternités de niveau I, établissements de proximité répondant aux besoins des populations, la Cour des comptes s’interroge fortement sur la pertinence des dérogations accordées à certains établissements, sans toutefois trancher de façon définitive sur le fameux seuil de 300 accouchements à réaliser annuellement. Elle suggère non seulement de relever ce seuil, mais encore de fermer ces établissements s’ils ne se mettent pas aux normes de façon immédiate. Comment pourraient-ils se mettre aux normes ? Avec quels moyens, quels accompagnements ? Le rapport ne le dit pas.

Ainsi, en quarante ans, plus des deux tiers des maternités ont été fermés et près de dix départements ne possèdent plus qu’une maternité, ce qui a profondément modifié le paysage hospitalier. Pourtant, d’après le rapport de la Cour des comptes, cette modification de la carte géographique des maternités n’aurait pas entraîné d’augmentation du temps d’accès médian à une maternité. Nous en serions toujours à dix-sept minutes en moyenne, avec des points préoccupants notamment dans le Gers, la Haute-Corse et le Lot, puisque le temps médian y est supérieur à trente-cinq minutes.

En commission, nous avons été plusieurs à réagir à ces données, mes chers collègues, tant il existe des disparités territoriales importantes au-delà des exemples cités.

Sinon comment expliquer qu’aujourd’hui des femmes accouchent sur les routes, dans des camions de pompiers ou aux urgences ? Mais pas de trace de ces faits dans le rapport des experts dont il est question !

La Cour des comptes relève un fait préoccupant, toutefois : la France se situe au dix-septième rang en Europe en matière de mortalité néonatale, alors qu’elle occupait auparavant le sixième rang.

Comment ne pas voir de lien entre ce classement, que l’on peut qualifier de médiocre, et la fermeture d’établissements ? Alors que l’on a misé sur des établissements de type III pour soi-disant plus de sécurité, notre pays connaît une hausse de sa mortalité néonatale.

Qu’en conclure, sinon qu’il est bien irresponsable de penser que la taille de l’établissement est un élément suffisant pour satisfaire aux conditions de sécurité ?

Le rapport de la Cour des comptes ne détaille d’ailleurs malheureusement pas le nombre d’incidents en fonction du type d’établissements. En ce sens, il paraît difficile d’en tirer des conclusions, qui ne seraient que hâtives ou tronquées.

Bien entendu, je ne nie pas les difficultés qui ont été recensées dans plusieurs petites maternités qui, faute de personnel ou faute de pratiquer suffisamment d’actes médicaux, ne remplissent pas les conditions de sécurité optimales pour la mère et l’enfant.

Mais faut-il pour autant s’entêter dans une politique de fermeture ou de regroupement d’établissements publics dont les résultats sont catastrophiques ?

Ne faut-il pas également réfléchir, comme le pointe le rapport, au recrutement du personnel ?

Il apparaît en effet que certains établissements, soit situés en zone rurale, soit accueillant des populations défavorisées, rencontrent des problèmes importants de recrutement et d’attractivité des praticiens.

À cela s’ajoute sans aucun doute un manque d’anticipation des départs à la retraite, qui met certains établissements en péril quant à la permanence des soins.

Et puis, comment ignorer le financement, ou plus exactement le sous-financement des maternités, ce que souligne la Cour des comptes ? Comment y remédier ? Ce questionnement fait écho aux propos de notre collègue rapporteur Jean-Marie Vanlerenberghe quand il dit qu’« il est permis de s’interroger sur l’adaptation de la tarification à l’activité – T2A – à ces établissements ».

Ce mode de financement apparaît complètement inadéquat pour les maternités, car les tarifs pratiqués sont largement inférieurs aux coûts, notamment si l’on veut du personnel qualifié et en nombre, et si l’on décide de faire face aux investissements nécessaires pour assurer une qualité d’accueil et de prise en charge.

Vous le savez, mes chers collègues, nous sommes très critiques à l’égard de la T2A, et ce depuis sa création, aussi bien pour les maternités que pour les hôpitaux. À nos yeux, ce financement purement comptable est parfaitement incompatible avec une activité de soins, quelle qu’elle soit.

Je me permets d’ailleurs de rappeler que, dans le rapport que vous aviez rédigé, monsieur le président Milon, au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, en 2012 et dont vous étiez le corapporteur avec notre ancien collègue Jacky le Menn, vous aviez émis des doutes sérieux sur l’efficacité de la T2A.

Il me paraît donc impératif et urgent de changer de mode de financement et de mettre en place, a minima, un financement mixte comme le propose la Cour des Comptes et tel qu’il est prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2015. Madame la ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques précisions sur ce point.

Pour conclure, vous l’aurez compris, nous ne partageons absolument pas les recommandations de la Cour des comptes qui ne feraient qu’aggraver la situation, et nous déplorons que l’idée d’un moratoire sur les fermetures et les restructurations d’établissements ne soit même pas évoquée.

Chaque sénatrice et chaque sénateur défend sa maternité sur son territoire, mais laisse, hélas ! la logique des réductions des dépenses de santé prendre le pas sur toute autre logique.

On en arrive à des situations inacceptables. Ainsi, une primipare suivie dans la maternité d’un grand hôpital parisien est, au moment d’accoucher, dirigée faute de place vers la maternité d’un autre hôpital où elle ne connaît aucun membre de l’équipe soignante. Ce genre de mésaventure, qui peut se solder par des accidents graves, n’est-elle pas de nature à expliquer pour une part notre mauvais classement en termes de mortalité néonatale ?

Qui ici accepterait de telles conditions d’accouchement pour sa compagne ou sa fille ?

Pendant ce temps, il est prévu de fermer la maternité de Bégin qui vient de bénéficier de travaux de rénovation, tandis que celle de Vitry-le-François est fermée depuis la fin du mois de janvier, pour ne prendre que ces deux exemples.

Pendant ce temps, les personnels, les patients, les élus de la maternité des Lilas attendent une solution pérenne après quatre années de luttes, et leurs inquiétudes ne font que croître.

Pendant ce temps, on nous propose, éventuellement, de raccourcir le séjour en maternité. Il faut être un homme pour formuler ce genre de proposition ! (Exclamations sur plusieurs travées.)

Madame la ministre, mes chers collègues, on ne peut pas réduire les dépenses de santé impunément. Il est urgent de trouver de nouvelles recettes. C’est ce que nous nous employons à vous proposer avec mon groupe lors de chaque examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Au fond, ce rapport de la Cour des comptes montre en filigrane que, depuis des dizaines d’années, les choix politiques concernant les maternités sont mauvais. Selon le groupe CRC, une seule solution s’impose : il faut en changer sans plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Chantal Deseyne et M. François Commeinhes applaudissent également.)