Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pendant des millénaires, les femmes ont accouché à domicile, assistées par des matrones plus ou moins expertes qui se transmettaient leurs connaissances oralement. Les médecins n’étaient pas concernés par les grossesses ni par les accouchements,…

Mme Aline Archimbaud. C’est vrai !

Mme Françoise Laborde. … et la mortalité infantile et maternelle était particulièrement importante.

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que se répande la naissance en milieu médicalisé. L’accouchement devient alors un acte médical et non plus un acte d’entraide.

Bien que, aujourd’hui, les accouchements à domicile tentent de plus en plus de futures mamans, il est important de rappeler que la mortalité infantile et maternelle a fortement diminué, notamment parce que le suivi de la grossesse, le déroulement de l’accouchement et le suivi post-natal ont été médicalisés.

Sollicitée voilà deux ans par la commission des affaires sociales, sur l’initiative de la présidente Annie David, la Cour des comptes a réalisé une enquête sur la situation de nos maternités. Rendu public le 23 janvier 2015, le rapport aboutit à un constat sans appel : une nouvelle phase de réorganisation du réseau des maternités est indispensable !

Les sages de la rue Cambon recommanderaient la fermeture de certains établissements, jugés trop dangereux ou trop coûteux. En Midi-Pyrénées, quatre établissements seraient concernés – j’emploie le conditionnel, puisque la Cour n’aurait pas ce pouvoir de décision.

Cette tendance à la fermeture des petites structures pour réduire les risques et les coûts n’est pas nouvelle. Dans les années quatre-vingt-dix, de nombreux services de maternité ont été contraints de fermer leurs portes au nom de la restructuration. En 1998, un décret a d’ailleurs fixé à 300 accouchements annuels le seuil minimal de maintien d’une maternité, sauf dérogation contraire, comme l’a dit mon collègue, pour des raisons d’éloignement géographique. Depuis cette date, un établissement sur cinq a tout de même fermé.

En dépit de cette réorganisation profonde de l’offre de soins afin d’améliorer la sécurité des naissances, notre pays continue de connaître des résultats médiocres en matière de périnatalité. Pourtant championne de natalité, avec deux enfants par femme, la France ne se situe qu’au dix-septième rang des pays européens et détient le taux le plus élevé de mortinatalité en Europe.

Si la sécurité des mères et des nouveau-nés est un critère incontestable qui doit être amélioré, je ne peux en revanche partager la vision comptable et budgétaire de la Cour des comptes. Il n’est pas concevable de fermer des petites maternités pour une question de rentabilité.

Ces structures, principalement situées en zone rurale, offrent des soins de qualité. Elles connaissent leurs limites, suivent des protocoles et travaillent en réseau. En cas de grossesse à risque, elles orientent les patientes vers les établissements compétents.

La fermeture des maternités de proximité inquiète fortement le monde rural. Elle risquerait d’aggraver la désertification médicale – et la désertification tout court – de nos territoires en décourageant peut-être les familles de s’y installer. Lieu privilégié de proximité et de qualité relationnelle, la maternité constitue parfois le dernier service public. Si les maternités sont tant plébiscitées par les usagers, les élus et les médecins, c’est aussi pour cette raison. Une maternité, ce n’est pas seulement un lieu de naissance ; c’est un partenaire au cœur du réseau de soins : un lieu de suivi gynécologique, de prévention auprès des femmes – notamment des plus jeunes – et d’accompagnement social et médical.

Bien sûr, nous ne pouvons pas occulter la question de l’éloignement géographique, sur laquelle aucune étude épidémiologique n’a véritablement été menée. Aussi, je me félicite du fait que la Cour des comptes demande la réalisation d’une enquête permettant de mesurer l’influence éventuelle de l’éloignement des parturientes de la maternité sur les résultats de la périnatalité.

Cette étude est indispensable pour apprécier la pertinence des restructurations. Si le temps de trajet médian entre le domicile et la maternité – dix-sept minutes – est satisfaisant, dans certaines zones rurales les maternités se trouvent à plus d’une demi-heure de route, voire quarante-cinq minutes. Or la Cour des comptes rappelle à juste titre que « le risque de naissances en dehors de l’hôpital est deux fois plus élevé pour les femmes vivant à trente kilomètres ou plus de la maternité la plus proche que pour celles vivant à moins de cinq kilomètres ». C’est logique, mais puisque c’est écrit, je me permets d’y insister !

Le Président de la République ne s’était-il d’ailleurs pas engagé à ce qu’aucun Français ne se trouve à plus de trente minutes de soins d’urgence ?

Mme Catherine Procaccia. Il a promis tant de choses !

Mme Françoise Laborde. Que se passera-t-il si les petites maternités sont fermées ? Les patientes devront parcourir plus d’une heure de route pour rejoindre leur objectif, ce qui me semble bien excessif. Je crains que leur sécurité ne soit remise en cause. En outre, même si la presse met parfois en avant de belles histoires de naissance dans une voiture grâce au sang-froid du papa, j’ai aussi en tête la mort tragique d’un nouveau-né dont la mère avait dû accoucher sur l’autoroute, en 2012.

La question que l’on doit se poser est surtout celle des moyens financiers et humains que nous pouvons mobiliser pour permettre à ces établissements de continuer à fonctionner en toute sécurité, assurant ainsi un service public de proximité qui contribue à faire vivre nos territoires et à accueillir toutes les populations, riches ou pauvres. Pour le syndicat national des gynécologues obstétriciens de France, le vrai problème concerne la pénurie de personnel qualifié. N’oublions pas qu’il existe aussi, malheureusement, des accidents dans les établissements de grande qualité ou de haute technicité. Peut-être faudrait-il, madame la ministre, envisager d’augmenter le numerus clausus et d’améliorer la formation des personnels ? Nous devons aussi inciter les professionnels à intégrer ces structures. Nous attendons que vous nous expliquiez comment y parvenir.

Telles sont, en substance, les interrogations du groupe RDSE sur ce vaste sujet. Nous nous retrouverons tous sur les mêmes questions, et il sera certainement difficile d’y apporter des réponses, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, étant donné le temps de parole très court qui m’est réservé, je devrai me contenter de formuler quelques brèves réflexions politiques, à partir de certaines citations tirées de vos travaux.

Je commencerai par l’importance du service public.

Cette importance est rappelée par le directeur général d’une agence régionale de santé, M. Lannelongue, qui déclare : « Ce rapport témoigne de […] la capacité de la puissance publique à promouvoir des améliorations significatives dans l’organisation des soins, contrairement à l’idée qui veut que seules les actions de marché, par les prix, soient efficaces. »

L’accueil de la vie relève du service public. « Service public » ne veut pas dire « service mal géré », au contraire, et il est capital de rationaliser les coûts et les structures. Toutefois, vos travaux montrent aussi les limites d’une règle abstraite où il faut tant d’accouchements par an pour qu’une structure fonctionne bien. En effet, vous constatez vous-mêmes que des dérogations sont nécessaires pour assurer un maillage équitable de nos territoires. Or si ces dérogations sont nécessaires, c’est bien qu’elles sont possibles.

La rentabilité ne saurait être l’alpha et l’oméga de l’accueil de la vie, d’autant que, comme le souligne Mme Aoustin, directrice générale de l’ARS du Languedoc-Roussillon, « les maternités privées à but lucratif abandonnent l’accouchement qu’elles avaient longtemps pratiqué dans une logique de fidélisation de la clientèle ». « Clientèle », le mot est lâché ! Les exemples abondent de cliniques qui ont fermé leur service d’obstétrique, comme à Istres, dans les Bouches-du-Rhône.

Il est aussi rappelé que, si l’on suit à la lettre les normes actuelles, ce sont les territoires déjà délaissés qui risquent de subir des fermetures supplémentaires d’établissement – jusqu’à une cinquantaine dans les années à venir, dites-vous.

J’évoquerai maintenant l’importance de maîtriser nos frontières.

À cet égard, la même directrice générale souligne « la particulière fragilité des populations précaires qui sont à l’origine de ces résultats décevants ». Toutefois, comme pour le classement PISA, l’on devine derrière le mot « précarité » les conséquences de l’immigration massive et continue de populations extra-européennes (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), d’autant que le fait d’accoucher en France est fondamental, du fait de notre absurde droit du sol. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Dominique Watrin. C’est lamentable !

M. Stéphane Ravier. Vous évoquez d’ailleurs la situation à Mayotte, et souvenons-nous que même François Baroin avait parlé de revenir sur le droit du sol quand il avait constaté ce qu’il se passe sur ce territoire... Mais il est très vite revenu sur cet accès de bon sens passager...

J’en viens aux incertitudes liées aux diplômes étrangers. Sur ce point, voici les propos de M. Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes : « Si la démographie des professions médicales de santé du secteur est élevée, c’est parce que s’y concentre, plus que dans d’autres spécialités, l’apport de médecins à diplôme étranger,…

M. Stéphane Ravier. … dont rien ne garantit qu’il restera le même à l’avenir, tandis que le flux de formation en France n’a pas autant augmenté que dans d’autres spécialités médicales. »

Dans ce domaine, nous devons réexaminer notre système sans dogmatisme.

Nous payons cher pour assurer aux étudiants des cursus de qualité ; une fois diplômés, ils doivent être suffisamment nombreux à exercer en France pour satisfaire les besoins de nos populations. (Mme Annie Guillemot s’exclame.) Sur quels leviers faut-il agir ? Quel équilibre trouver entre les obligations à imposer et les avantages à offrir ? Il faut mener une réflexion concrète sur ce point capital.

Je terminerai par le souhait d’encourager l’accompagnement associatif des grossesses. Trop de femmes enceintes se retrouvent en situation d’isolement ou de conflit du fait de leur grossesse. C’est surtout le cas dans les couches les plus pauvres de la population.

L’État doit donc aider les associations qui soutiennent, voire accueillent les futures mamans.

Mme Catherine Génisson. Tout à fait !

M. Stéphane Ravier. Il y en a, mais ce mouvement, encore embryonnaire, doit être encouragé. Plutôt que de sacraliser l’avortement (Mme Françoise Laborde s’exclame.), il faut agir en priorité sur ses causes, qui sont souvent l’abandon des femmes enceintes par notre société devenue individualiste.

Mme Catherine Génisson. C’est un véritable condensé !

M. Stéphane Ravier. Si l’on votait, dans nos assemblées, un droit fondamental des femmes à être bien accompagnées durant leur grossesse, alors nous aurions un Parlement réellement humaniste, fidèle à sa mission première, qui est de protéger les plus faibles, comme les médecins doivent être fidèles au serment d’Hippocrate. (M. David Rachline applaudit.)

Mme Annie Guillemot. Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je me félicite de la tenue, aujourd’hui au Sénat, de ce débat sur la situation des maternités et je tiens à remercier Mme Annie David, qui, alors présidente de la commission des affaires sociale, avait demandé à la Cour des comptes un rapport sur ce sujet.

Ce débat est d’autant plus important que la quasi-totalité des naissances, 820 000 en tout en 2014, a lieu au sein de maternités – même si, comme Mme Laborde l’a souligné, l’on constate une demande croissante d’accouchements avec exigence de bien-être, dits « physiologiques ». Cela étant, un accouchement normal est, par définition, physiologique… (Mme Françoise Laborde acquiesce.)

Cette situation a d’ailleurs conduit certains à proposer la création de maisons de naissance. J’ai récemment rencontré les porte-parole du collectif relayant cette proposition. Ces demandes de prise en charge alternative sont intéressantes. L’évaluation de leur mode de fonctionnement devra permettre d’en affiner le concept. Le sujet de la sécurité de l’environnement est fondamental. De surcroît, celui de la rémunération reste, semble-t-il, à approfondir.

Ce rapport, comme tous ceux que rédige la Cour des comptes, se révèle intéressant pour les responsables politiques que nous sommes.

Tout en me félicitant de la méthodologie employée et en souscrivant à bon nombre des analyses développées, je tiens à insister, en ouvrant mon propos, sur une exigence fondamentale à respecter : l’impératif de santé publique.

J’entends les appels à la restructuration des maternités et à la rationalisation, mais l’exigence qualitative doit toujours primer sur l’exigence quantitative. C’est cette première qui définit le juste niveau de dépense sociale et sanitaire.

Lorsqu’il s’agit de la santé de nos concitoyens, il ne saurait être question de raisonner uniquement en termes d’économies à réaliser. Certes, ce n’est pas ce que fait la Cour des comptes dans son rapport, mais je veux mettre en garde contre une approche strictement économique.

Lorsque j’entends les annonces qui, pour le moins, interpellent, évoquant des économies de 3 milliards d’euros en trois ans au titre de l’hôpital public, je pense que la dépense publique pourrait certainement être plus opérationnelle. Mais, à mon sens, les propositions formulées vont à contre-courant. Je le répète, ce sont les exigences qualitatives qui doivent déterminer le bon niveau de dépenses, et non la volonté de faire entrer des économies dans des cases déterminées à l’avance.

En introduction à mon propos, je tiens à formuler une remarque connexe. La Cour des comptes évoque le secteur public des maternités, mais aussi le secteur privé. Ce constat me conduit, comme tous les ans, à souhaiter que la Cour des comptes puisse s’intéresser au secteur hospitalier privé lorsqu’elle remet son rapport annuel d’évaluation de la loi de financement de la sécurité sociale.

Ces quelques remarques étant faites, j’en viens au cœur de mon propos.

Comme le souligne la Cour des comptes, l’offre de soins en maternité a connu une profonde restructuration depuis 2002.

Ainsi, l’on constate que le nombre de maternités a baissé de 20 % entre 2002 et 2012, ces fermetures affectant en majorité les plus petits établissements. Pourtant, nous sommes au milieu du gué, les résultats en matière de prise en charge de la maternité et de la périnatalité n’étant pas pleinement satisfaisants.

Avec cette question, nous entrons véritablement dans le cœur du débat. Je souscris globalement à l’analyse de la Cour des comptes, sans doute par déformation professionnelle, mais aussi par expérience professionnelle. Lorsqu’une maternité se situe sous le seuil de 300 accouchements par an, les conditions d’accueil ne sont pas optimales, même si le chiffre de 300 peut parfois paraître arbitraire. L’égalité d’accès à des soins de qualité, le bien-être de la mère et de l’enfant ainsi que l’obligation absolue de sécurité sont des exigences incontournables.

Le plus souvent, une grossesse, une naissance sont des événements heureux et en aucun cas une maladie. Mais un accouchement normal peut évoluer défavorablement en quelques minutes. Dès lors, un plateau technique performant doit être immédiatement mis en place : deux vies sont en jeu.

Oui, dans ce domaine, je suis favorable à une logique sécuritaire. Les accouchements « à la roulotte », par exemple dans un camion de pompiers ou dans une voiture, correspondent beaucoup plus à une prise en charge non adaptée du suivi de la grossesse qu’à un problème d’implantation géographique des maternités.

Les patientes doivent faire l’objet d’un impératif de sécurité, d’autant plus que la France, si elle dispose du premier taux de natalité d’Europe avec deux enfants par femme, affiche de mauvais résultats quant aux indicateurs de périnatalité. Avec un taux de 2,3 pour 1 000, la France occupe le dix-septième rang européen pour la mortalité néonatale dans les vingt-sept jours suivant la naissance.

En conséquence, la sécurité de la naissance doit être améliorée. C’est un impératif de santé publique, dix-sept ans après les décrets de 1998, dont c’était l’objectif principal. Il faut donc mener des réformes, mais sans brutalité, sans dogmatisme.

Les structures de proximité en deçà des 300 accouchements par an ne doivent pas être fermées, car elles sont très importantes pour le maillage territorial dont doivent bénéficier nos concitoyens. Ces maternités de proximité peuvent être transformées en centres avancés de consultations, assurant le suivi des grossesses et des accouchements. Elles peuvent être animées par du personnel soignant de territoire, mais aussi par des personnels de maternités plus importantes.

Je suis très favorable à la première des neuf préconisations de la Cour des comptes : « Réaliser une enquête épidémiologique pour préciser la relation entre l’éloignement des parturientes des maternités et les résultats de périnatalité ». Là est la préconisation centrale qui nous permettra d’y voir plus clair, ce qui ne signifie en aucun cas qu’il ne faut pas réformer.

La précarité financière affectant les maternités est de plus en plus criante, du fait de prises en charge inadéquates : des réformes doivent être menées quant à la durée moyenne du séjour à l’hôpital, qui reste plus élevée en France qu’ailleurs. En 2011, elle s’établissait dans notre pays à 4,2 jours pour un accouchement normal, contre 3 jours en moyenne dans les pays de l’OCDE. Les taux d’occupation des lits doivent également faire l’objet d’une réforme.

De plus, il me paraît souhaitable de s’appuyer sur les réseaux de périnatalité et de mobiliser les acteurs du secteur libéral. Dans la lutte contre l’hospitalo-centrisme, souvent dénoncé, les acteurs du secteur libéral ont incontestablement un rôle à jouer.

Ainsi, le programme d’accompagnement au retour à domicile, le PRADO, mis en œuvre sur l’initiative de la sécurité sociale, peut non seulement contribuer à réduire en toute sécurité la durée d’hospitalisation, mais aussi permettre la reconversion de sages-femmes de la pratique hospitalière vers la pratique libérale. Surtout, ce programme peut garantir une meilleure qualité de prise en charge. Il y a là des cercles vertueux à amorcer.

Si je souscris globalement aux analyses développées par la Cour des comptes dans son rapport sur les maternités, certaines recommandations me laissent interrogative, voire dubitative.

Je songe notamment à la proposition d’instaurer des normes spécifiques pour les maternités qui effectuent plus de 4 000 accouchements par an. Je n’ai pas obtenu de réponse satisfaisante de la Cour à ce sujet.

Par ailleurs, est-il réaliste de penser que l’on pourra créer, dans les maternités de niveau III, des services de réanimation pour les adultes ? Est-il concevable de faire cohabiter des jeunes femmes qui viennent d’accoucher, et auxquelles il convient de confier le plus vite possible leur bébé, et d’autres adultes aux pathologies très lourdes, infectieuses en particulier ?

Enfin, la critique des pouvoirs publics, fondée sur leur supposée absence de vision à moyen terme, me paraît sévère.

Les pouvoirs publics ont la responsabilité d’être attentifs à la diversité géographique de nos territoires et à leur environnement socio-économique, tout en maintenant une sécurité optimale. Cela étant, j’adhère totalement à l’analyse de la Cour des comptes quant à la nécessité de nous pencher sur le suivi des populations précaires.

À ce titre, mes chers collègues, permettez-moi de citer l’exemple du Nord–Pas-de-Calais.

Les indicateurs sanitaires de cette région sont, globalement, les plus mauvais de France. Or le Nord–Pas-de-Calais présente des chiffres de périnatalité supérieurs à la moyenne nationale. Au cours de la période 2010–2012, le taux de mortalité infantile était de 3,2 pour 1 000 dans le Pas-de-Calais et de 3,4 pour 1 000 dans le Nord, alors qu’il s’élevait en moyenne à 3,5 pour 1 000 pour l’ensemble de la France.

En outre, au cours de la période 2007–2009, le taux de mortalité maternelle s’établissait à 5,2 pour 100 000 naissances. Il était nettement inférieur à la moyenne enregistrée en métropole, à savoir 9,4 pour 100 000 naissances.

La région du Nord–Pas-de-Calais présente une forte structuration de la périnatalité autour des réseaux existants. Le secteur public y occupe une place prépondérante. D’ailleurs, on observe un certain désengagement du secteur privé, ce qui, à terme, pourrait susciter des difficultés.

Au sujet du Nord–Pas-de-Calais, j’ajoute qu’il faut signaler une évolution notable : il n’y a pas ce que l’on appelle de « petites maternités ».

Comme l’indique la Cour des comptes, l’offre de soins dans cette région « répond globalement aux besoins de la population. Elle contribue à une amélioration de la sécurité de la naissance, bien que certaines parties du territoire rencontrent encore des difficultés ». À mon sens, c’est là le fruit d’un travail collectif, accompli par les acteurs politiques, les professionnels de santé, qu’ils appartiennent au public ou au privé, au réseau hospitalier ou à la médecine libérale, les usagers et l’Agence régionale de santé, l’ARS.

En conclusion, je souligne la nécessité de mener un nouvel effort de restructuration de l’offre de soins des maternités. Toutefois, je précise que l’exigence qualitative doit toujours primer sur l’exigence quantitative. Dans le domaine de la santé, comme dans beaucoup d’autres secteurs, il ne saurait être question de privilégier une vision purement comptable.

Madame la ministre, je tiens à saluer votre action : je sais que nous pouvons compter sur votre engagement et sur votre détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. Didier Guillaume. Mme la ministre est très déterminée !

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, par son travail approfondi, la Cour des comptes nous livre une analyse précise de la situation des maternités en France. Aussi, je tiens avant tout à remercier les auteurs de ce rapport, ainsi que la commission des affaires sociales, qui avait prescrit cette étude.

En la matière, – les précédents orateurs l’ont rappelé – le débat entre proximité et sécurité est ancien. L’équilibre dont il s’agit n’a rien d’évident. Il exige – c’est manifeste – une vigilance permanente. À cet égard, je fais miennes les préoccupations exprimées à l’instant même par Catherine Génisson.

Le décret de 1998, qui a conduit à la fermeture de presque toutes les maternités procédant à moins de 300 accouchements par an, est assez largement accepté aujourd’hui. Toutefois, dans les localités où la proximité d’une structure adaptée aux besoins de la future mère n’est pas suffisante, il importe de continuer à déterminer les solutions les plus rassurantes, les plus sécurisées possible. Je songe notamment aux solutions d’accueil temporaire en fin de grossesse, si la prudence les exige, à proximité de l’hôpital destiné à accueillir la future mère.

En outre, la recherche de cet équilibre suppose d’améliorer les relations entre la ville et l’hôpital, d’activer, au sein d’un territoire, des réseaux variés et de les coordonner.

Madame la ministre, nous aurons sans doute à débattre de nouveau de ces enjeux lors de l’examen du projet de loi de santé.

Pour l’heure, dans le temps qui m’est imparti, j’insisterai sur deux points.

Premièrement, la Cour des comptes affirme que le suivi des populations en situation de précarité est mal assuré. Force est de constater que l’enquête nationale périnatale présente des constats particulièrement préoccupants : ainsi, l’on observe encore des différences sociales de prématurité et de petits poids de naissance selon le niveau d’études et le groupe social de la mère. Dans certains cas, ces inégalités tendent même à s’accroître.

En Île-de-France notamment, la précarité des femmes enceintes affecte négativement les résultats en matière de périnatalité, et ce, en premier lieu, dans un département que je connais bien : la Seine-Saint-Denis. Cette situation se traduit y compris en termes de surmortalité. Les études menées ont démontré que le défaut d’action périnatale, une consultation ou une césarienne trop tardive, une sous-estimation de la gravité de la situation, d’excessifs délais d’intervention, une absence de pédiatre ou de gynécologue, une faiblesse des moyens de diagnostic et de surveillance pouvaient expliquer jusqu’aux deux tiers de cette surmortalité.

Par ailleurs, il convient d’aborder la situation outre-mer. Je ne sais pas si certains de nos collègues ultramarins interviendront aujourd’hui sur ce sujet. Pour ma part, je suis cette situation de près en tant que membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Dans les zones ultramarines, la situation est encore plus inquiétante qu’en France métropolitaine. La surmortalité infantile y persiste. Elle s’est même en partie aggravée au cours de la période récente, avec un taux qui, en 2012, variait de 4,1 à 9,9 pour 1 000 naissances, contre 3,3 en moyenne en métropole.

On le sait, à Mayotte, nombre d’accouchements ont lieu dans ce que l’on nomme des centres de référence, entièrement gérés par des sages-femmes. Pour l’heure, le fonctionnement de ces maternités périphériques ne respecte pas les conditions fixées par le code de la santé publique. L’activité de gynécologie-obstétrique et de néonatologie y est exercée sans autorisation. Aucun gynécologue-obstétricien, anesthésiste ou pédiatre n’est présent sur place. La permanence des soins n’est donc pas assurée.

Il faut également évoquer la situation de la Guyane : la maternité de Saint-Laurent-du-Maroni, installée dans un ancien bagne, est particulièrement vétuste. On y pratique 4 995 échographies de grossesse par an pour 6 000 accouchements environ, chiffres qui révèlent un suivi très incomplet des grossesses.

Bref, étant donné la gravité de la situation, un plan d’urgence devrait, à mon sens, être déclenché pour sécuriser la périnatalité dans les territoires d’outre-mer et, parallèlement, renforcer le suivi des femmes enceintes en situation de précarité. Cette seconde requête est déjà formulée par la Cour des comptes pour l’ensemble du territoire français.

Deuxièmement, – cette question n’est pas traitée dans ce rapport essentiellement financier – il me semble important d’insister sur la santé environnementale, qui, hélas ! n’est pas encore une priorité au sein des maternités.

Sous la pression de diverses associations, comme le Comité pour le développement durable en santé, le C2DS, ou le Centre national d’information indépendante sur les déchets, certains hôpitaux sont, par exemple, en train de réévaluer leur utilisation du PVC. Ce plastique est omniprésent dans les établissements de santé, aussi bien sous forme de matériaux de construction que de dispositifs médicaux ou de produits de consommation courante.

Dans nombre de ses applications, le PVC est plastifié au DEHP, un phtalate classé cancérogène, mutagène et reprotoxique de catégorie 2 par l’Union européenne, au point que, depuis quelques années, il est interdit dans les jouets destinés aux enfants de moins de trois ans. Toutefois, il entre actuellement pour plus de 50 % dans la composition des plastiques à usage médical. Or il est prouvé que le DEHP, n’étant pas lié chimiquement au PVC, s’en échappe en continu, qu’il est particulièrement bien absorbé par voie orale et pulmonaire et que sa distribution est rapide dans l’organisme. Madame la ministre, nous devons répondre à cette préoccupation !

En 2008, le rapport du comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux a d’ailleurs proposé une liste de procédures médicales à haut potentiel d’exposition au DEHP, et a fait état de risques particuliers d’intoxication aiguë en soins intensifs de néonatologie, où les nouveau-nés reçoivent des quantités de DEHP pouvant atteindre vingt fois la dose journalière tolérable.

Il nous semble qu’il y aurait matière à monter en urgence un programme de dépollution et de santé environnementale, dans les hôpitaux en général et, puisque c’est aujourd’hui notre sujet, dans les maternités en particulier. (MM. Jean Desessard et Didier Guillaume, ainsi que Mme Laurence Cohen applaudissent.)

(M. Claude Bérit-Débat remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.)