M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je n’en suis pas sûr… (Sourires.)

M. Gérard Roche, corapporteur. Lorsqu’il n’y a pas de pépins !

Mme Catherine di Folco, rapporteur pour avis de la commission des lois. Mes chers collègues, madame la secrétaire d'État, œuvrons ensemble au mieux pour préserver ces fruits ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, annoncé et attendu de longue date, le projet de loi dont nous entamons aujourd’hui la discussion est assurément un texte important au regard de son objet même, du nombre de ses dispositions - plus de 80 articles - et de ses objectifs, puisqu’il entend progresser sur les trois axes que sont l’anticipation du vieillissement, l’adaptation de la société à celui-ci et l’accompagnement de la perte d’autonomie.

Madame la secrétaire d’État, je pense pouvoir traduire le sentiment de nombre de nos collègues, quel que soit leur appartenance, en disant que rien ne paraît devoir susciter de vives controverses dans ce texte, qui s’inspire d’intentions très largement partagées et comporte une série de mesures utiles, mais aussi en considérant que ces mesures, mises bout à bout, ne pourront à elles seules constituer la réponse aux besoins que nous constatons aujourd’hui, et encore moins à ceux qui s’annoncent, ne serait-ce que dans les dix prochaines années.

L’un des mérites de ce texte, à mes yeux, est de reconnaître et de souligner la nécessité, pour notre société, de s’adapter à une évolution démographique qui la transformera profondément et dont les implications se feront sentir dans de multiples domaines, bien au-delà des seules politiques sociales de prise en charge des soins et des besoins d’accompagnement.

Cela a été dit, ce projet de loi s’inscrit dans une approche globale du vieillissement de la population. Il pose les jalons d’une prise en compte de celui-ci par l’ensemble des politiques publiques. Par là même, on peut espérer qu’il renforcera, chez nos concitoyens, la conscience de cette mutation démographique et qu’il les conduira aussi à s’interroger sur la condition que notre société pourra assurer à un nombre grandissant de personnes âgées et très âgées.

Ce projet de loi comporte des mesures positives.

Je pense par exemple à celles qui visent à favoriser le maintien à domicile ou à développer des formules de logements adaptés offrant une alternative à l’entrée en établissement médicalisé.

Elles bénéficieront de financements supplémentaires, certes limités, mais néanmoins bienvenus, résultant de la pleine affectation de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a tenu à fixer de manière stable, dans la loi, leur répartition entre les différents volets de la réforme.

Ces moyens permettront en premier lieu d’améliorer l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, attribuée dans le cadre du maintien à domicile, en visant une meilleure couverture des besoins.

Ils permettront aussi de renforcer les aides et les actions en matière de prévention, d’adaptation des logements et de développement des résidences autonomie, nouvelle appellation des logements-foyers. Nul ne contestera l’intérêt de clarifier le cadre juridique applicable à ces résidences autonomie, de définir le socle minimal de prestations qu’elles devront assurer en matière de prévention de la perte d’autonomie et d’instituer un forfait autonomie permettant de les financer.

De même, il me paraît utile d’améliorer le cadre juridique des résidences-services pour remédier aux difficultés ou parfois même aux abus qui ont pu être constatés.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Notre commission, comme celle des affaires économiques, considère qu’il faudra d’ailleurs aller plus loin en définissant un régime plus adapté pour les résidences de seconde génération, que nous avons appelées « résidences-seniors ».

Enfin, au chapitre des mesures positives, je mentionnerai également la reconnaissance de la notion de proche aidant, assortie de dispositifs qui peuvent paraître modestes, mais qui apporteront un bénéfice très concret à ceux qui assurent les charges d’accompagnement les plus lourdes.

Toutefois, vous l’aurez compris, sans vouloir minimiser ces différentes avancées, il me semble, très objectivement, qu’elles ne sont pas à la hauteur des enjeux identifiés depuis plusieurs années déjà dans le cadre des multiples travaux consacrés à la prise en charge de la dépendance.

D’ores et déjà, nous constatons dans les départements les difficultés suscitées, pour les résidents ou leur famille, par le niveau élevé du reste à charge en établissement. Cette question a été repoussée, faute de financements. Il est juste de souligner la préférence de nos concitoyens pour le maintien à domicile, mais nous savons bien que celui-ci n’est pas toujours possible et que l’augmentation du nombre de personnes vieillissantes entraînera celle des besoins de prise en charge en établissement.

Plus généralement, je ne rappellerai pas les projections démographiques, ni celles relatives aux besoins de financement aux horizons 2025, 2040 ou 2050. Elles avaient déjà été largement analysées par une mission d’information du Sénat en 2008, puis dans le cadre de l’ensemble des travaux menés lors du débat national sur la dépendance en 2011.

La question des choix à opérer en vue d’une couverture financière du risque dépendance avait alors été très clairement posée, même si les débats restaient ouverts entre différentes options : recours à la solidarité nationale, à une assurance obligatoire spécifique ou à des couvertures facultatives individuelles.

Je le reconnais volontiers, au moment où l’impact de la crise sur nos finances publiques était le plus fort, le gouvernement d’alors avait ajourné la décision.

Quatre ans plus tard, nous nous retrouvons cependant dans une situation assez comparable, non sans que soit intervenue, entre temps, je le redis, une hausse des prélèvements obligatoires de l’ordre de deux points de PIB.

De récentes enquêtes montrent que nos concitoyens ont globalement perçu le phénomène du vieillissement de la population et les besoins qu’il engendrera. Dans le même temps, très peu d’entre eux en ont tiré des conclusions pour eux-mêmes, en anticipant ces besoins. L’INSEE y voit une « préférence pour le présent » et une forme de « myopie » face au risque de dépendance.

J’ai le sentiment que, de la même manière, avec ce texte, nous repoussons à plus tard des sujets dont nous savons qu’ils se poseront avec une acuité croissante dans les années à venir.

C’est donc avec une claire conscience des limites de ce projet de loi que la commission des affaires sociales a travaillé. Je tiens à rendre hommage à nos rapporteurs, qui ont écouté de très nombreuses parties prenantes et ont tenté, sans a priori et avec leur expérience concrète d’élus départementaux, d’apporter des réponses pragmatiques aux différentes questions soulevées par le texte.

Je souhaite que notre débat et la navette qui se poursuivra avec l’Assemblée nationale permettent de l’améliorer. Néanmoins, je suis convaincu que, avec ce texte, nous n’aurons que très partiellement répondu aux défis du vieillissement…

M. Charles Revet. Certainement !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … et qu’il nous faudra certainement, à brève échéance, reprendre le chantier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement
Discussion générale (suite)

6

Nomination d'un secrétaire du sénat

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté la candidature de Mme Frédérique Espagnac pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, notre regretté collègue Claude Dilain.

Le délai prévu par l’article 3 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Frédérique Espagnac secrétaire du Sénat.

7

Adaptation de la société au vieillissement

Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la France connaîtra d’ici à 2035 un important vieillissement en raison de l’arrivée progressive à l’âge de soixante ans des générations du baby-boom et de l’accroissement de l’espérance de vie. Les personnes de soixante ans et plus représenteront ainsi 31 % de la population en 2035.

Ce bouleversement démographique nous amène à repenser nos politiques pour l’autonomie. Adapter la société au vieillissement, tel est l’intitulé du projet de loi que nous examinons : il résume bien le défi que nous devons collectivement relever.

Si la situation des personnes âgées doit retenir l’attention des politiques publiques, il ne faut pas pour autant tomber dans le piège consistant à tout miser sur la silver economy, laquelle ne voit dans les personnes âgées qu’une opportunité financière, un vivier de nouveaux clients. Adapter la société au vieillissement, c’est aussi faire le choix d’une société solidaire, inclusive, pour renouer du lien social, plutôt que de viser uniquement la conquête de nouveaux marchés.

Le présent projet de loi présente une série de mesures concrètes et transversales. Celles-ci ont le mérite d’envisager la perte d’autonomie comme une thématique globale, qui doit être traitée en mobilisant tous les outils à notre disposition.

La mesure phare de ce texte est incontestablement la revalorisation de l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, de 375 millions d’euros par an et le relèvement des plafonds, pour que les bénéficiaires disposent jusqu’à 30 % d’heures d’aide à domicile en plus. C’est une avancée importante et incontestable, que les écologistes tiennent à saluer.

Lorsqu’un nouveau droit est créé, il faut le reconnaître et s’en féliciter : c’est précisément le cas avec ce projet de loi, qui instaure un droit au répit pour les aidants des bénéficiaires de l’APA. Une aide financière, pouvant aller jusqu’à 500 euros par an, leur permettra de trouver un remplaçant pour quelques jours par an. Cela améliorera la condition des aidants, qui en ont bien besoin.

Les écologistes proposeront une série d’amendements tendant à préciser certaines dispositions du texte, notamment pour clarifier le rôle des EHPAD, renforcer les droits des aidants familiaux et s’appuyer davantage sur les CLIC, les centres locaux d’information et de coordination gérontologiques, qui jouent un rôle très important auprès des personnes âgées dans les territoires.

Nous vous proposerons de rétablir l’article 37, supprimé en commission, qui prévoyait une expérimentation du « baluchonnage ». Ce dispositif permettait de proposer des remplaçants en cas de répit des aidants. Nous avons simplement revu la rédaction initiale de l’article en précisant que les « baluchonneurs » seront soumis à la convention collective des salariés du particulier employeur.

Autre amendement d’importance, nous vous proposerons de transformer le congé de soutien familial en congé de proche aidant. Ce congé, qui est aujourd’hui réservé aux membres de la famille, serait étendu aux aidants, familiaux ou non, des personnes âgées ou handicapées.

Enfin, deux amendements me tiennent particulièrement à cœur, puisqu’ils sont précisément au centre du débat soulevé par ce projet de loi. Le vieillissement de la population est une tendance lourde qui pèse de plus en plus fortement sur nos dépenses sociales. Il faut donc envisager de nouvelles options.

C’est pourquoi nous vous proposerons la mise en place d’une monnaie complémentaire dédiée à l’autonomie, que j’ai nommée « ticket autonomie solidarité ». Ce dispositif s’inspire de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, qui reconnaît les monnaies locales. Un tel système existe déjà au Japon. L’idée est simple : celui qui aide une personne âgée est rémunéré en tickets qu’il peut soit conserver pour ses vieux jours, soit donner à l’un de ses proches âgés.

Le but est de recréer du lien social, de l’entraide, de pallier les enjeux budgétaires énormes liés à la perte d’autonomie et de remettre la solidarité au cœur de nos relations avec les personnes âgées.

En conclusion, le texte, dans sa version actuelle, marque un premier pas positif vers une autre politique de l’autonomie, multisectorielle et inclusive. L’effort devra être poursuivi pour faire face au mieux à ce grand défi démographique que notre société doit relever.

Madame la secrétaire d'État, vous l’aurez compris, les écologistes voteront ce projet de loi, en toute autonomie ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que, depuis des années, la problématique de la perte d’autonomie est présentée comme un défi, les gouvernements successifs se sont engagés sur ce chantier sans jamais aboutir.

Le passage, d’ici à 2060, de 15 millions à 24 millions de personnes de plus de soixante ans et la multiplication par quatre, d’ici à 2050, du nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans sont pourtant de réels enjeux pour notre société.

Durant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait annoncé l’adoption d’une loi sur la dépendance. Elle n’a finalement jamais vu le jour.

Pendant la campagne de 2012, François Hollande avait annoncé l’adoption d’une grande loi sur la perte d’autonomie, mais il aura fallu attendre encore trois ans pour discuter dans cet hémicycle de ce projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

La large concertation engagée par le Gouvernement avec l’ensemble des acteurs concernés durant la phase initiale a permis d’écarter les mauvaises pistes défendues par la droite, comme les incitations forcées à prendre des assurances privées, la suppression du groupe iso-ressources de stade 4, ou GIR 4, ou le recours sur succession.

Mais le « recentrage » du texte sur le grand âge traduit un renoncement de ce gouvernement à appréhender la perte d’autonomie de manière globale et non ségrégative.

Ainsi, ce texte évacue presque complètement la problématique des EHPAD, alors même que le manque de personnel et le reste à charge pour les usagers et leur famille appellent des solutions urgentes.

En résumé, ce projet de loi manque singulièrement d’ambition. Il est même en décalage préoccupant avec les objectifs initiaux et les besoins exprimés par les différents acteurs.

Quelles améliorations effectives attendre de l’affectation du produit de la CASA, soit 650 millions d’euros, à la perte d’autonomie ? En effet, la dépense actuelle, hors sécurité sociale, est de 24 milliards d’euros, dont tout de même 10 milliards d’euros pèsent sur les usagers ou leur famille. Les réponses aux défis du vieillissement nécessiteraient pas moins de 10 milliards d’euros pour la seule réduction du reste à charge en EHPAD !

Madame la secrétaire d'État, si la perte d’autonomie est véritablement une question de société, comme l’indique le titre de votre projet de loi, comment expliquer que vous fassiez reposer la montée en charge de son financement sur les seuls retraités, via la CASA collectée depuis avril 2013, contre l’avis et le vote des seuls parlementaires communistes ?

Vous n’êtes pas sans savoir, du moins je l’espère, ce que subissent les retraités depuis plusieurs années : décrochage du niveau de leurs pensions par rapport aux salaires, et même aux prix, avec 30 mois de gel de leurs revenus ; mesures fiscales négatives comme la suppression de la demi-part pour les veuves, fiscalisation des allocations familiales et des majorations familiales ou gel des barèmes ; augmentation continue de leurs dépenses contraintes, dont le chauffage, qui représente 10 % du budget du quart des plus de soixante ans.

Le risque, madame la secrétaire d'État – car vous savez bien que ces 645 millions d’euros ne seront pas suffisants –, c’est que, demain, au nom des nécessités, votre gouvernement ou les suivants décident, pourquoi pas, d’une autre journée de solidarité, d’une nouvelle augmentation de la contribution sociale généralisée, la CSG, ou d’un alourdissement des taux de la CASA !

En réalité, tant qu’on ne prendra pas l’argent là où il est, on ne fera que bricoler face à des enjeux de société pourtant considérables, en tapant chaque année un peu plus sur les salariés et les retraités.

Pour notre part, nous continuons à penser que le risque de perte d’autonomie doit être intégré dans la branche maladie de la sécurité sociale.

Nous proposons de financer la solidarité intergénérationnelle par la mise à contribution des revenus financiers des entreprises, ce qui rapporterait 40 milliards d’euros pour la seule branche maladie.

Aussi, comme première étape, nous vous proposerons un amendement visant à la création, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’une contribution solidarité pesant sur les actionnaires.

Mme Annie David. Une CASA bis !

M. Dominique Watrin. Avec une taxe à 0,3 %, comme pour la CASA, une telle contribution, appliquée aux 200 milliards d’euros de dividendes distribués en 2014, permettrait de doubler immédiatement le produit de la CASA.

Afin de garantir l’égalité de traitement du handicap et du vieillissement, nous proposons de supprimer les barrières d’âge de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, de manière à rendre accessible la prestation de compensation du handicap, plus favorable, sans distinction d’âge et sans rupture de droits.

Nous souscrirons bien sûr aux différentes mesures prévues par le projet de loi. Je pense à la mise en cohérence des actions de prévention à l’échelon départemental, au repositionnement des foyers-logements en tant qu’acteurs essentiels du parcours résidentiel, à l’ambition affichée d’adapter aux besoins des personnes âgées 80 000 logements, à la revalorisation de l’APA ou encore à l’institutionnalisation d’un droit au répit.

Mais nous montrerons aussi, au cours du débat, toutes les limites du texte ! Ainsi, entre le ciblage homéopathique des publics prioritaires, l’insuffisance des financements et la mise sous conditions de ressources de certains droits, c’est, en réalité, une minorité de personnes âgées qui bénéficieront des actions annoncées.

Nous aurons aussi beaucoup à dire sur le secteur de l’aide à domicile, puisque, à part une aumône de 8 euros par mois à des salariés payés, en moyenne, 832 euros mensuels, le texte ne prévoit rien ! En réalité, madame la secrétaire d'État, vous n’avez repris aucune des recommandations du rapport que Jean-Marie Vanlerenberghe et moi-même avons rédigé. C’est incompréhensible, quand on connaît la précarité subie par ces personnels dévoués et les attentes des fédérations d’aide à domicile !

Madame la secrétaire d'État, nous nous abstiendrons sur ce texte. Toutefois, en saluant l’avancée que constitue la fin du détournement de la CASA de sa mission initiale d’accompagnement de la perte d’autonomie, notre abstention sera combative, tant il faudrait que ce projet de loi ouvre d’autres pistes pour répondre aux défis du vieillissement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, grâce aux progrès de la médecine et à l’amélioration des conditions de vie, nous vivons de plus en plus longtemps, ce dont, bien sûr, nous ne pouvons que nous réjouir. Au début du XXe siècle, seuls quatre Français sur dix atteignaient l’âge de soixante-cinq ans. La France compte aujourd'hui 1,4 million de personnes âgées de quatre-vingt-cinq ans et plus et en comptera 5 millions en 2060.

Pourtant, si nous gagnons, tous les ans, quelques précieux mois d’espérance de vie, le nombre d’années que nous pouvons espérer vivre sans incapacité régresse. Les personnes âgées dépendantes pourraient ainsi atteindre le nombre de 2,3 millions à l’horizon 2060.

Je rappelle ces chiffres non pour dénoncer un fléau, mais plutôt pour souligner un défi. Notre pyramide des âges, avec ses faiblesses et ses atouts, s’impose à nous. Nous devons y faire face et en prendre la mesure avec lucidité et sans tabou. Il convient de donner à nos concitoyens les moyens de bien vieillir. C’est l’un des grands enjeux de notre société.

Aussi, madame la secrétaire d'État, je tiens à saluer ce projet de loi tant attendu. Certes, ce n’est pas tout à fait la grande réforme de la dépendance annoncée par le Président de la République en 2012. Ainsi, la création d’un cinquième risque n’est plus à l’ordre du jour.

Particulièrement attachés au principe de solidarité, la plupart des sénateurs du RDSE estiment que la perte d’autonomie doit être prise en charge par la collectivité.

Par ailleurs, cette réforme était censée se faire en deux étapes, avec un premier volet destiné à la prévention et au maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie et un second volet consacré à la prise en charge en établissement. Nous savons désormais que ce dernier volet ne sera pas mis en œuvre prochainement. Même si nous pouvons comprendre que vos marges de manœuvre budgétaires sont actuellement limitées, son absence au sein de ce texte nous inquiète particulièrement.

Nous le savons bien, le maintien à domicile n’est pas toujours possible et il est parfois nécessaire de trouver une place dans un établissement. Toutefois, pour nombre de nos concitoyens, cela représente une charge financière extrêmement lourde, voire insoutenable : le reste à charge en établissement peut, ainsi, dans certaines régions, atteindre plus de 3 000 euros par mois, alors que la retraite moyenne des femmes est de 1 000 euros par mois.

Nous ne pourrons pas faire éternellement l’économie d’une grande réforme de la dépendance. Nous devons réfléchir à la prise en charge en établissement, ce qui nous conduit à poser la question du financement.

Le Gouvernement s’est engagé à affecter la totalité du produit de la CASA à la mise en œuvre de la loi, dès l’entrée en vigueur de celle-ci. Je ne peux que m’en réjouir, le produit de la CASA, instituée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 afin de financer la future réforme de la dépendance, ayant, depuis, été systématiquement détourné de son objectif premier, pour être affecté au Fonds de solidarité vieillesse, ce que, bien sûr, nous regrettons. Les plus anciens d’entre nous se rappellent ce qu’est devenue l’ancienne vignette automobile, créée par l’Aveyronnais Paul Ramadier…

Cependant, le produit de la CASA ne devrait rapporter que 650 millions d’euros. Même si cette dotation est dynamique, elle semble bien insuffisante au regard des besoins, évalués entre 3 à 4 milliards d’euros par l’Association des directeurs au service des personnes âgées. Par ailleurs, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a estimé à 35 milliards d’euros la prise en charge publique de la perte d’autonomie à l’horizon 2060.

Pour autant, madame la secrétaire d'État, le présent projet de loi constitue un premier pas dans le bon sens, un premier pas dans la prise en compte du vieillissement par notre société. C’est la première fois que cette question est abordée dans sa globalité et qu’elle est intégrée à l’ensemble des politiques publiques, ce qui est une très bonne chose.

Au travers de ses trois volets – anticipation, adaptation et accompagnement –, le texte devrait surtout contribuer à améliorer les conditions de vie des très nombreuses personnes âgées qui, même fragilisées et moins mobiles, souhaitent pouvoir vieillir chez elles.

Tout d’abord, vous l’avez dit, l’anticipation permettra de repérer et de combattre les facteurs de risque de perte d’autonomie des personnes âgées, notamment par l’accès aux nouvelles technologies et la lutte contre l’isolement, dont on connaît les graves répercussions.

Ensuite, le projet de loi vise à adapter toutes les politiques publiques au vieillissement, notamment en matière de logement, d’urbanisme et de transports. Vous encouragez ainsi le logement intermédiaire comme les résidences autonomie.

Enfin, vous proposez d’accompagner les personnes en perte d’autonomie par l’amélioration de leur prise en charge et, surtout, par une série de mesures en faveur des aidants. Je me félicite que votre texte porte une attention toute particulière à ces proches, indispensables au bien-être de la personne en perte d’autonomie. Aujourd’hui encore, le travail de ces aidants n’est pas reconnu, ce qui a parfois des répercussions sociales, psychologiques et financières.

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé évoque même un risque de surmortalité des aidants par rapport à la population générale. Un tiers d’entre eux décéderait ainsi avant la personne qu’ils soutiennent ! Les aidants, qui apportent de la souplesse à la prise en charge, une connaissance précise des besoins et des habitudes de la personne dépendante, un soutien psychologique que les professionnels ne sont pas toujours en mesure de donner, ont besoin, à leur tour, d’être soutenus et aidés.

Madame la secrétaire d'État, vous l’avez compris, la grande majorité des membres de notre groupe devrait approuver ce projet de loi, certes modeste, mais essentiel. Nous proposerons des amendements. Je ne doute pas que nos débats contribueront à améliorer le texte adopté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon intervention par un petit « coup de gueule » : j’en ai assez d’entendre parler, en commission ou dans l’hémicycle, des personnes âgées comme d’un coût pour la société. Collectivement, nous pouvons être fiers d’avoir la chance de vivre dans un pays où l’espérance de vie progresse !

Ce succès n’est ni de droite ni de gauche. Surtout, c’est le succès de notre modèle social, à mettre en parallèle avec notre très fort taux de natalité : avec plus de 800 000 naissances par an, la France n’est pas un pays vieillissant ! Aujourd’hui, 1,5 million de Français ont plus de quatre-vingt-cinq ans. En 2060, ils seront 5 millions. Nous devons saisir cette opportunité pour moderniser notre modèle social, relancer l’économie, retisser les liens dans notre société et repenser l’aménagement du territoire.

Ce projet de loi très attendu va dans le bon sens, madame la secrétaire d'État.

D’abord, il place la liberté au centre. Chacun a en effet le droit de décider de l’endroit où il veut vieillir et, en cas de perte d’autonomie, de l’endroit où il veut être accompagné.

Autres points positifs de ce projet de loi : le volet relatif à la prévention, ainsi que la reconnaissance enfin accordée au rôle central des aidants familiaux. Si des personnes décident de rester à domicile, alors qu’elles perdent leur autonomie, il faut qu’elles puissent s’appuyer sur leur famille. Quiconque a vécu une telle situation sait qu’aider une personne dépendante est un engagement total et épuisant !

Le vieillissement, c’est également une source de croissance économique et d’innovation à exploiter : la domotique et la téléassistance doivent ainsi compléter l’aide humaine, indispensable. La révolution de l’âge représente, en vérité, une formidable opportunité de développement économique.

Enfin, l’enjeu du vieillissement est aussi et surtout culturel et sociétal : au-delà de l’aspect économique, la révolution de l’âge est l’occasion de renforcer la cohésion sociale. En effet, au moment où nous connaissons une mutation accélérée des modes de production et de vie, où les repères sont bouleversés, la cohabitation des âges est essentielle.

Mes chers collègues, l’enjeu de l’adaptation de la société au vieillissement doit dépasser les clivages politiques. Nous devons nous enrichir mutuellement des expériences locales, de nos réussites.

Je pense notamment au projet des Grisettes, à Montpellier, dont les travaux commenceront la semaine prochaine : il s’agit d’un projet d’habitat participatif, prévoyant 1 500 logements et 18 hectares d’espaces verts. Ainsi, on trouvera, sur le même site, des étudiants, des personnes âgées dépendantes, une crèche, une résidence-seniors avec une unité Alzheimer, soit autant d’acteurs qui développeront des synergies.

Je le répète, la vieillesse n’est ni de droite ni de gauche : elle nous concerne tous ! (M. Olivier Cigolotti, Mme Mireille Jouve et M. Jean Desessard applaudissent.)