M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je voulais vous faire partager le fol espoir que j’ai un instant caressé en préparant cette deuxième lecture, celui que le Sénat adopte conforme le magnifique article 22 octies, dont je rappelle les termes :

« Les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communautés de communes sont administrées par un organe délibérant élu au suffrage universel direct, suivant des modalités particulières fixées par la loi avant le 1er janvier 2017. »

Malheureusement, ce fol espoir, tel le bateau d’un roman de Jules Verne récemment adapté au théâtre, s’est fracassé une fois de plus sur les récifs de la commission des lois, dont les membres ont rayé d’un trait de plume un article qu’ils avaient l’habitude de railler dans l’hémicycle en l’accusant de tous les maux, notamment celui d’entraîner la disparition des communes, excusez du peu !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Ronan Dantec. J’en suis, je le reconnais, quelque peu désespéré.

M. Bruno Sido. Mais non !

Mme Jacqueline Gourault. Il ne faut pas !

M. Ronan Dantec. En effet, le Sénat ne cesse de détricoter des avancées législatives allant pourtant de toute évidence dans le sens de la reconnaissance des réalités des territoires vécus, des véritables bassins de vie et de l’égalité démocratique entre les citoyens.

Je ne parviens vraiment pas à comprendre comment nos vécus peuvent être si différents, alors que nous sommes ou avons été, pour la plupart d’entre nous, élus locaux.

À Nantes, on a pu constater, à l’occasion des élections municipales de l’année dernière, que les habitants des petites communes n’ont pas le même accès au débat d’agglomération que ceux de la ville-centre. Il n’y a donc pas égalité des citoyens dans l’organisation de la gouvernance démocratique de nos territoires. Cela peut nourrir un sentiment d’injustice, voire de relégation. La réponse logique à ce problème, c’est l’élection au suffrage direct. Ce serait si simple !

On pourrait évidemment discuter du fonctionnement global de cette gouvernance, chercher à établir des mécanismes garantissant la représentation de toutes les communes, mais on préfère jouer à retarder les échéances : c’est tellement plus facile, et cela permet d’éluder le débat. Permettez-moi de penser que n’est pas ce que l’on attend du Sénat, qui devrait être le moteur des réformes territoriales, plutôt que de se complaire dans le rôle du frein à main !

C’est donc un projet a minima qui nous est soumis, où la volonté de clarification et de mise en cohérence a cédé le pas au maintien des situations existantes, au refus du changement. Nous sommes bien loin de la volonté initiale du Gouvernement d’instaurer plus de cohérence dans l’exercice des compétences par les différents niveaux de collectivités, en confiant l’économie aux régions, la solidarité aux départements et les services publics de proximité au bloc communal. Nous aurions pu et dû trouver un consensus sur cette démarche simple et lisible.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : puisque la disparition des départements n’est plus d’actualité, notamment en raison du fait qu’aucun échelon – hormis peut-être quelques très grandes villes – n’est prêt à reprendre leurs compétences en matière d’action sociale, le groupe écologiste, dont les positions ont elles aussi évolué sur ce point, ne s’oppose pas au maintien du département et de ses compétences sociales.

Pour ce qui est des autres compétences que le Sénat entend absolument maintenir dans le giron des départements, nous ne comprenons toujours pas quelle est la logique de la démarche.

Les départements ont un budget très contraint, lié à l’exercice de leurs compétences sociales. Pourtant, une majorité se dégage au sein de notre assemblée pour leur conserver l’ensemble de leurs actions, que ce soit en matière d’environnement, de tourisme, de transports ou de collèges, tout en demandant, dans le même mouvement, une clarification des compétences. Où est la logique ? Pourquoi vouloir conserver au département les petites lignes ferroviaires qu’il n’a nullement les moyens de rouvrir ? Le principe est-il : « c’est à moi, donc je le garde » ? C’est aller, en définitive, contre l’efficacité de l’action publique. Je le redis, il n’y a aucune raison aujourd’hui de ne pas transférer aux régions les compétences des départements autres que celles relevant du champ social.

Nous avons compris qu’il apparaissait rassurant de maintenir des compétences départementales en matière d’égalité des territoires dans le cadre de la création de ces « méga-régions », qui a, de fait, un peu chamboulé le débat, ce que l’on peut d’ailleurs regretter. Cela étant, j’y insiste, le maintien de telles compétences pour les départements est à double tranchant, puisque ce sont bien les régions qui seront chargées de l’aménagement durable et de l’égalité des territoires dans le cadre des schémas régionaux prescriptifs. Ce partage des compétences en matière d’égalité territoriale peut ainsi permettre à certaines méga-régions de se défausser de celles-ci, en renvoyant la responsabilité d’assurer la solidarité et l’égalité des territoires aux départements, dont les moyens financiers sont pourtant faibles et qui n’ont pas, contrairement aux régions, la main sur la coordination de l’action des autres niveaux de collectivités.

Ce qui apparaît à certains comme une « garantie » peut être un piège, alors que le débat entre nous aurait davantage dû porter sur un renforcement de la péréquation, de la répartition des richesses produites, notamment dans les métropoles, au bénéfice de l’ensemble des territoires. Je crois que le Sénat fait fausse route en adoptant une attitude défensive, en mettant en scène la méfiance entre territoires, y compris très proches.

Un point en lien avec l’aménagement du territoire concerne justement les transports et les routes : les régions seront chargées, demain, de mettre en œuvre un schéma de développement économique et un schéma d’aménagement du territoire, englobant lui-même un schéma de mobilité. Or maintenir la voirie, les ports ou les lignes ferroviaires dans le champ des compétences des départements ne permet pas de donner la cohérence nécessaire aux politiques de mobilité. Il s’agit là de traiter des enjeux majeurs d’accessibilité, d’environnement et de lutte contre le changement climatique. Cette mise en cohérence à travers les schémas régionaux est partiellement remise en cause, au détriment de l’efficacité de l’action publique et, en définitive, des territoires les plus fragiles.

Autre exemple d’incohérence du texte tel qu’il a été remanié : le refus d’inclure dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET, la thématique de l’environnement et de la protection de la biodiversité.

La protection de la biodiversité a pourtant vocation à être intégrée pleinement dans la stratégie régionale d’aménagement du territoire, au même titre que les transports, la maîtrise de l’énergie ou la prévention des déchets. Le refus que j’évoquais est également contradictoire avec le fait que les régions élaborent déjà des schémas régionaux de cohérence écologique alors que le SRADDET a vocation à intégrer tous les schémas sectoriels. Nous sommes, une fois encore, restés au milieu du gué.

Dans le même domaine, la suppression de la consultation du Comité national « trames verte et bleue » pour l’élaboration du schéma régional d’aménagement du territoire est une incohérence supplémentaire. Comment peut-on vouloir créer et maintenir des continuités écologiques et, en même temps, ne pas s’assurer que les régions élaborent des schémas cohérents avec une trame nationale ? Tout cela m’interpelle, et c’est un euphémisme !

Pour ce qui concerne le renforcement des intercommunalités, le relèvement du seuil à 20 000 habitants vient également d’être supprimé en commission. Quel est l’intérêt d’une telle décision ? Les députés avaient déjà créé des dérogations qui répondaient aux difficultés concrètes d’application existant dans un certain nombre de territoires, et il faut des intercommunalités d’une taille suffisante pour renforcer la cohérence et l’efficacité de l’action publique.

En revanche, en matière de mutualisations de services, quelques avancées sont à saluer. Elles seront plus faciles à mettre en œuvre, ce qui répond à une demande très forte des élus locaux.

Le renforcement par les députés des droits de l’opposition dans le cadre du scrutin municipal et l’abaissement à 1 000 habitants du seuil de population pour l’application de ces droits sont un autre point positif à souligner. Je défendrai des amendements tendant à compléter cette évolution importante pour la vie démocratique dans les petites communes. Nous devrions pouvoir trouver quelques points de consensus. Je ne perds donc pas totalement espoir !

Nous reviendrons également plus en détail, au fil de l’examen du texte, sur d’autres avancées démocratiques dont le groupe écologiste souhaite le rétablissement, relatives notamment au droit d’adaptation législative des régions, au rôle des conseils de développement et des conseils économiques, sociaux et environnementaux, les CESER : autant de dispositions introduites par nos collègues députés, mais supprimées, hélas, par la commission des lois du Sénat.

Nos concitoyens nous regardent, chers collègues, et ce n’est pas en revenant sur des progrès démocratiques que nous répondrons à la grave crise de défiance à l’encontre de la classe politique que nous observons actuellement !

Aussi, malgré les réelles avancées que comportait initialement ce texte, s’agissant de la création des schémas prescriptifs régionaux et du renforcement des intercommunalités, c’est avec le sentiment d’un travail inachevé et d’une occasion manquée que le groupe écologiste aborde cette deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. René Vandierendonck, corapporteur, et Michel Delebarre applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au moment d’entamer la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, chacun de nous peut témoigner combien la population, les élus locaux et les agents territoriaux sont, pour le moins, interrogatifs devant un tel bouleversement de nos institutions locales et inquiets du sort qui leur sera réservé.

Avec la concentration des pouvoirs, conséquence des premières réformes mises en place en 2010 et en 2014, avec la création des nouvelles intercommunalités et des métropoles, avec les répercussions des baisses drastiques des dotations de l’État, nos concitoyens ont de plus en plus de mal à savoir où l’on va et si les réformes en cours répondront bien à leurs besoins.

La réponse à la fameuse question : « qui fait quoi ? » devient de plus en plus opaque. Les services publics locaux sont partout fragilisés. Les finances locales sont exsangues. Le pire est que nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre de cette action locale low cost qui aboutira, si rien ne change, à réduire encore la voilure au cours des prochaines années.

L’opacité tient au fait que les changements de cap incessants rendent illisible le rôle de chacune des collectivités locales de la République.

La fragilisation des services publics locaux et de l’action locale est liée notamment à la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions. C’est une atteinte très grave portée au principe décentralisateur de libre administration des collectivités locales.

Enfin, la situation très préoccupante des finances locales s’explique par les coupes claires opérées dans les dotations de l’État aux collectivités locales : 28 milliards d’euros en moins sur quatre ans !

Cette politique d’austérité constitue une absurdité totale. Elle permet de financer les cadeaux fiscaux offerts aux grandes entreprises, mais à quel coût pour le pays !

Ce coût s’exprime en termes de recul de l’emploi, dans le bâtiment et les travaux publics en conséquence de la baisse de l’investissement public local, et au sein des collectivités territoriales avec les partants non remplacés et les menaces qui pèsent sur les personnels contractuels.

Il s’exprime en termes de perte de pouvoir d’achat, avec les hausses d’impôts locaux et de tarifs des prestations que les collectivités locales sont contraintes de décider.

Il s’exprime en termes de délitement de la cohésion sociale, du fait de la diminution des subventions aux associations, à la culture, au sport.

Il s’exprime en termes de restriction du périmètre des services publics locaux, celle-ci prenant une ampleur très préoccupante.

Il se traduit sur le plan démocratique, enfin, par l’éloignement des citoyens des centres de décision et la diminution du pouvoir d’intervention des élus locaux.

Tout cela constitue le produit de l’austérité imposée par le Gouvernement à l’action locale d’aujourd’hui et de demain. Le résultat de ces réformes se situe ainsi à l’exact opposé des objectifs annoncés et va à l’encontre des attentes des uns et des autres. Au final, cette démarche recentralisatrice et technocratique engendre inquiétude et incompréhension, et alimente, hélas, les formes les plus préoccupantes de populisme.

Le projet de loi que nous examinons poursuit dans la même voie et renforce même les aspects les plus négatifs de la situation actuelle. Cette réforme de nos institutions locales mêle, dans un même mouvement, diminution de la dépense publique locale et affaiblissement de la démocratie locale.

Le projet de loi NOTRe, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale avec votre soutien, madame la ministre, amplifie les dérives actuelles et conduit tout droit à la disparition des collectivités territoriales de proximité que sont les départements et les communes.

Ce texte, je suis au regret de le dire, est à la décentralisation ce que la Restauration fut à la Révolution française : un retour en arrière très inquiétant.

Dans le même temps, il bouleverse la hiérarchie des normes institutionnelles, faisant de la région la collectivité « responsable », pilotant l’action des autres collectivités, dorénavant placées de fait sous sa tutelle. Il octroie à la région un pouvoir réglementaire élargi, en lieu et place de l’État. Ainsi, un processus de changement de République est en cours, sans que les objectifs soient clairement affichés et sans que le peuple soit en mesure de se prononcer.

Nous ne cessons de dénoncer ce processus qui transforme, doucement mais sûrement, notre pays en une République fédérale intégrée à une Europe supranationale, avec un État recentré sur ses seules missions régaliennes, des communes qui disparaissent au profit des intercommunalités, des départements écartelés entre les métropoles et les régions, avant que ne soit prononcé leur acte de décès.

Si nous étions bien seuls, au début, à dénoncer ces dérives institutionnelles, une certaine prise de conscience gagne aujourd’hui du terrain, jusqu’au sein de l’Association des maires de France, qui craint une disparition programmée des communes.

À de nombreuses occasions, nous avons débattu de ces questions dans cet hémicycle. Sur toutes les travées, des paroles fortes de soutien à nos communes ont été prononcées, mais, dans les textes et dans vos votes, mes chers collègues, il en va tout autrement.

Le regroupement autoritaire de communes au sein d’EPCI à fiscalité propre a été décidé et est appelé à se poursuivre encore, avec des intercommunalités de plus en plus grandes.

Les transferts de compétences obligatoires des communes vers les intercommunalités ont été renforcés, et ce mouvement continue.

Le regroupement au sein de communes nouvelles a été encouragé par un relèvement des dotations. En cette période de restriction budgétaire, c’est plus qu’une incitation.

La rationalisation des services se fera toujours au détriment des services municipaux, sur la base du plus petit dénominateur commun.

La mise en place de maisons de services au public – et non de maisons de services publics ! – dans tous nos territoires se fera sans aucune concertation avec les communes.

Avec ce texte, les communes seront incitées, demain, à ne plus décider seules du taux d’imposition locale, perdant ainsi tout pouvoir fiscal au profit, encore et toujours, des intercommunalités.

Au travers de la réforme de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, il est envisagé de transférer le versement de cette dernière de la commune à l’intercommunalité.

Enfin – cerise sur le gâteau ! –, vous soutenez, madame la ministre, l’introduction par l’Assemblée nationale de l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct.

Ainsi, les intercommunalités, initialement conçues comme des instruments entre les mains des communes, au service de leurs projets, deviendront en fait des collectivités de plein exercice qui feront de nos communes des arrondissements administratifs de seconde zone, sans aucun pouvoir.

En outre, ces intercommunalités élargies, dont la population sera dorénavant nécessairement supérieure à 20 000 habitants, se transforment en chevaux de Troie dirigés contre nos départements. Ce qui commence par des transferts autoritaires de compétences vers les métropoles risque de se poursuivre par la transformation des départements en simples assemblées des intercommunalités. Certains envisagent même de transférer les compétences sociales des départements aux nouvelles intercommunalités.

Ainsi, une nouvelle fois, en dehors de tout débat démocratique, se mettent en place les structures locales de demain, à savoir les régions et les intercommunalités, en lieu et place de nos communes et de nos départements.

Dans le même esprit, votre texte traduit la volonté de limiter la démocratie locale, en supprimant des possibilités d’expression de notre peuple. Ainsi, la modification du périmètre de nos régions a été décidée sans que l’on demande l’avis des citoyens.

Quant à l’obligation d’organiser un référendum dans certains cas de modification des institutions locales, elle a été retirée, et vous voulez imposer par la loi, madame la ministre, la constitution d’une assemblée unique de Corse, alors que les citoyens de cette région l’ont refusée par référendum il y a quelques années.

Mes chers collègues, l’ensemble des dispositions de ce projet de loi reflète des choix politiques que nous contestons. Il ne s’agit pas de simples mesures d’adaptation pragmatiques, visant à prendre en compte les évolutions de notre société : elles sont l’expression d’orientations profondément libérales faisant de la mise en concurrence l’alpha et l’oméga de toutes les évolutions, en tous domaines.

Vous accroissez la taille de toutes nos institutions locales afin d’en faire des éléments de cette mise en concurrence, au risque d’engendrer des monstres technocratiques, à l’image de la métropole du Grand Paris et de ses 7 millions d’habitants, qui, au travers des propositions que vous formulez, devient une « usine à gaz » incompréhensible.

Vous réduisez la place et le rôle des élus en renforçant le pouvoir des exécutifs. Vous créez les conditions de l’instauration d’un partenariat public-privé au service des actionnaires et au détriment des services publics, qui sont la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.

Vous allez donc « caporaliser » nos collectivités locales en faisant disparaître celles qui sont le plus proches des citoyens, interviennent au plus près de leurs besoins et favorisent leur participation à la chose publique.

En définitive, les dispositions de ce texte restent bien éloignées des préoccupations de nos concitoyens, de leur volonté d’exprimer des choix en faveur de la mise en œuvre, au plus près de leur quotidien et de leurs préoccupations, de politiques publiques qui leur soient utiles et répondent à leurs besoins. En fait, de cela, nous ne parlons que très rarement dans cet hémicycle, alors qu’il s’agit pourtant de l’essentiel. C’est bien dommage !

Certes, la France des territoires a besoin d’être revivifiée au travers d’un renforcement de la démocratie locale, d’une décentralisation repensée et d’une coopération plus étendue, mais nos 36 000 communes sont une richesse, et nos 500 000 élus l’expression de la diversité démocratique qui fait la France.

Ce n’est pas de moins de démocratie et de moins de proximité que notre pays a besoin. Au contraire, nos concitoyens et nos élus locaux attendent davantage d’écoute, d’accompagnement et de soutien.

D’ailleurs, les premiers reculs auxquels le Gouvernement a été contraint – je pense à l’abandon, lors de la première lecture, du transfert des collèges et des routes des départements aux régions – traduisent bien la fébrilité et l’impréparation qui ont présidé à l’élaboration de ce projet de loi.

Le bon sens, le principe de réalité commandent de ne pas éloigner des citoyens la gestion publique et d’éviter de la concentrer à l’échelon de territoires trop étendus.

La commission des lois du Sénat a de nouveau rejeté le transfert aux régions des transports scolaires et des ports. C’est là une bonne chose. Cette décision va dans le bon sens, celui de l’avènement, que nous appelons de nos vœux, d’une République démocratique et décentralisée, à l’écoute des besoins des territoires et de leurs habitants, soucieuse d’utilité sociale et de développement des services publics, d’une République où l’action publique locale disposerait des moyens de mener à bien ses missions, au service de l’intérêt général.

Telle est notre vision de ce que pourrait être une nouvelle étape de la décentralisation. C’est pourquoi, madame la ministre, à l’entame de cette deuxième lecture, je conserve l’espoir que d’autres choix puissent être faits, inspirés par les conclusions des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en 2011. En tout cas, le groupe CRC ne pourra évidemment pas voter ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est-ce la conclusion de la réforme territoriale ? Je ne le crois pas, tant l’exécutif a oublié que le meilleur chemin pour aller d’un point à un autre est la ligne droite ! Or, madame la ministre, ce texte est plutôt l’œuvre de gauchers contrariés. (Sourires.) Heureusement, le travail remarquable, conjoint et solidaire de nos deux rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, a permis de rectifier la trajectoire, aussitôt perdue par l’Assemblée nationale et son rapporteur.

Vous avez eu l’idée, madame la ministre, d’appeler ce projet de loi « NOTRe ». À mes yeux, il s’agit plutôt du projet de loi « LEURRE » (Sourires.), parce que c’est le vôtre et, surtout, parce qu’il ne répond pas vraiment aux attentes des élus locaux, qui finissent par y perdre le latin que, pour nombre d’entre eux, ils avaient eu la chance d’apprendre ! (Nouveaux sourires.)

Certes, dans ce cycle de réformes territoriales, nombre de dispositions importantes ont été votées par notre groupe, à commencer par la loi MAPTAM, et une majorité d’entre nous a toujours voté les propositions de clarification des compétences, avec la restriction de la clause de compétence générale.

Cependant, que désirions-nous en réalité ?

Premièrement, nous aurions souhaité un texte unique, global, et non une succession de textes sans articulation et parfois contradictoires, des régions et des métropoles régionales en nombre restreint, de taille européenne – comme le préconisait le rapport Raffarin-Krattinger –, qui soient de nature à devenir des locomotives pour l’ensemble des territoires, et non des machines à absorber la substance vitale des territoires interstitiels. En effet, ce sont les villes moyennes et les territoires ruraux qui sont victimes de ces réformes ! (M. Daniel Dubois applaudit.)

Deuxièmement, nous aurions souhaité un texte élaboré en cohérence avec la réforme des ressources financières des collectivités, qu’il s’agisse de la fiscalité ou de la baisse générale des dotations de l’État. Il n’y a, à ce jour, aucune réelle adéquation entre la réforme des structures des collectivités et leur financement. Vous modifiez les périmètres des territoires et l’articulation de leurs compétences sans synchronisation avec la nécessaire réforme des ressources : c’est stupéfiant, et inexplicable à nos élus locaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées de l’UMP.)

Troisièmement, nous aurions voulu une simplification et de la liberté pour les collectivités locales. Or, sur bien des points, vous nous proposez une complexification, par l’accumulation des conférences, des comités, des hauts et des bas conseils, sous couvert de coopération alors qu’en fait s’instaurera, au mépris de la Constitution, une tutelle des nouvelles régions, aux mains de grands féodaux, sur les autres collectivités.

Madame la ministre, vous avez eu l’amabilité, lors de la première lecture, de rappeler que j’avais préconisé la suppression de nombre de syndicats mixtes, d’agences, d’associations parapubliques : je maintiens cette proposition !

Le défaut fondamental de notre architecture territoriale tient non pas à l’existence des trois étages constitués par les communes, les départements et les régions, mais à la prolifération des métastases que constituent ces syndicats mixtes, ces sociétés d’économie mixtes, ces agences, ces associations parapubliques… Si certains sont indispensables, nombre d’entre eux peuvent être réintégrés sans difficulté au sein de chacun des niveaux de collectivités. Force est de constater que certaines dispositions législatives entraînent de facto la création de nouvelles structures. Par exemple, comment réaliser un schéma de cohérence territoriale ou un pôle d’équilibre territorial sans créer un syndicat mixte ?

Quant aux fameux pays, votre opiniâtreté à les maintenir n’a d’égale que celle du Sénat à les supprimer !

S’agissant des normes, devenues une hantise pour la plupart des exécutifs locaux, nous saluons les déclarations unanimes visant à en diminuer le nombre, mais tant que les administrations centrales seront les véritables rédacteurs de tous les textes législatifs et réglementaires, cela restera un vœu pieux. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) La France vue de Bercy, de la Direction générale des collectivités locales, de l’École nationale d’administration ou du Conseil d’État n’est manifestement pas celle dans laquelle vivent les élus locaux et les citoyens… (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées de l'UMP.)

Laissez-nous respirer, redonnez une réalité au contrôle de légalité, et de la liberté aux collectivités ! (MM. Daniel Gremillet et Jackie Pierre applaudissent.)

Pourquoi tant de contradictions, voire d’incohérences, dans l’élaboration de vos textes ? Je crois qu’une partie de l’exécutif et de son parti dominant rêvent d’une France sans Sénat, sans départements et sans communes, d’une France avec une seule chambre – l’Assemblée nationale –, de grandes régions et, à la place des départements, de grandes intercommunalités. Cela peut se concevoir, c’est respectable, mais alors il faut l’assumer !