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Dépôt d’un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif aux formations biqualifiantes dans les établissements d’enseignement agricole – Le cas des métiers du sport et de l’animation – État des lieux et conditions de développement.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renseignement.

La liste des candidats a été publiée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Philippe Bas, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne, Jean-Pierre Sueur, Michel Boutant et Mme Cécile Cukierman ;

Suppléants : MM. Pierre-Yves Collombat, Michel Delebarre, Mme Catherine di Folco, MM. Christophe-André Frassa, Michel Mercier, Alain Richard et Jean-Pierre Vial.

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Gel de la réglementation concernant les entreprises

Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, de la question orale avec débat n° 11 de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Élisabeth Lamure attire l’attention de M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

« La délégation sénatoriale aux entreprises, créée en novembre 2014, est chargée d’informer le Sénat sur la situation et les perspectives de développement des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à favoriser l’esprit d’entreprise et à simplifier les normes applicables à l’activité économique, en vue d’encourager la croissance et l’emploi dans les territoires. À cette fin, elle a entrepris d’aller à la rencontre des entrepreneurs et effectué ses premiers déplacements en Vendée, dans la Drôme, le Rhône et l’Hérault. Elle s’est aussi rendue à Londres le 13 avril 2015 afin de comparer l’environnement des entreprises de part et d’autre de la Manche.

« Lors de tous ses déplacements, la délégation a pu recueillir les témoignages convergents des entrepreneurs, dénonçant la lourdeur, la complexité et l’instabilité du cadre réglementaire. Elle a aussi relevé que le Royaume-Uni avait adopté en mars 2015 une loi relative aux petites et moyennes entreprises – PME – et à l’emploi – Small business, enterprise and employment act – qui comprend une règle visant la déflation législative : désormais, le gouvernement du Royaume-Uni devra respecter, sur la durée de la législature – cinq ans –, un objectif de simplification réglementaire, destiné à favoriser la croissance des entreprises et fixé au début de chaque législature.

« Si la France ne s’est pas encore dotée d’une telle disposition d’ordre législatif, son Premier ministre a publié une circulaire relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation, datée du 17 juillet 2013 ; elle prévoit qu’"un projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour […] les entreprises […] ne pourra être adopté que s’il s’accompagne, à titre de « gage », d’une simplification équivalente".

« Soucieuse de faciliter la vie des entreprises afin de soutenir l’emploi et la croissance dans nos territoires, elle souhaite le solliciter, au nom de la délégation aux entreprises, afin qu’il présente au Sénat le bilan d’application, par les ministres et secrétaires d’État, de la règle posée par cette circulaire, selon laquelle un projet de texte réglementaire créant des charges pour les entreprises ne pourra être adopté que s’il est accompagné d’une simplification correspondante. »

La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question.

Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, mes chers collègues, le chômage en France n’en finit pas d’augmenter. Aujourd’hui, 3 536 000 Français se trouvent sans activité. C’est un triste record pour notre pays, et ce malgré l’euro faible, malgré la politique accommodante de la Banque centrale européenne, malgré le prix bas du pétrole, malgré les prémices de reprise…

Or nous sommes nombreux à avoir la conviction que les entreprises détiennent la clé de l’emploi et de la croissance sur notre territoire. C’est pourquoi le président Gérard Larcher a proposé au bureau du Sénat, à la fin de l’année dernière, de créer une délégation aux entreprises. Cette délégation, que j’ai l’honneur de présider, est précisément chargée de recenser les obstacles au développement des entreprises et de proposer des mesures visant à simplifier les normes applicables à l’activité économique.

C’est à cette fin que les sénateurs de la délégation aux entreprises vont à la rencontre des entrepreneurs depuis six mois. Dans les différents départements dans lesquels nous nous sommes rendus, nous avons écouté une centaine d’entre eux, à la tête d’entreprises de taille petite, moyenne ou intermédiaire qui font vivre nos territoires. Tous nous ont alertés sur le poids de la réglementation et sur l’énergie qu’ils doivent y consacrer, au détriment des projets d’avenir pour leur entreprise.

Je ne pourrai pas rapporter ici la richesse de nos échanges ni les nuances locales, mais il me semble important de vous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, l’élément clé qui en ressort. Ce que nous ont essentiellement dit les entrepreneurs, c’est : « Laissez-nous travailler ! » En effet, la complexité des règles à appliquer, conjuguée à leur instabilité, prend un temps considérable aux entreprises – cette part est de 20 % à 30 %, nous a précisé un entrepreneur de la Drôme.

Les normes sont trop nombreuses dans tous les domaines, à commencer par le domaine social. Le code du travail, on le sait, est particulièrement épais en France. Une entreprise nous a d’ailleurs indiqué que l’embauche du cinquantième salarié entraînait tellement d’obligations qu’elle imposait le recrutement d’un cinquante et unième salarié pour tout gérer. Une autre a pointé la lourdeur de la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés. Toutes dénoncent en outre la complexité du compte pénibilité.

Dans le domaine de la construction, les normes s’empilent également, au nom du principe de précaution : prévention des risques technologiques, normes antisismiques, protection de l’environnement, etc.

En matière fiscale, le maquis réglementaire est tel que nombre d’entreprises appellent de leurs vœux une généralisation du rescrit.

De surcroît, la complexité de la transmission d’entreprise nous a souvent été rapportée. Une entreprise familiale nous a dit songer à monter une holding pour faciliter sa transmission !

La prolifération des normes soulève des questions juridiques, mais, je tiens à le souligner, elle constitue également un sujet économique majeur. Non seulement ces normes engendrent des coûts élevés, estimés à 60 milliards d’euros par la commission Attali, en 2008, mais elles pèsent aussi sur l’attractivité de notre pays. Notre ancien collègue Alain Lambert et notre collègue Jean-Claude Boulard ont dénoncé cette situation dans un rapport percutant remis en mars 2013 au Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault.

Le Gouvernement en a pris acte. C’est ainsi que, le 17 juillet 2013, M. Ayrault a adressé une circulaire aux membres du Gouvernement pour les inviter à geler la réglementation. Ce texte indique notamment que toute norme créée doit s’accompagner d’une simplification équivalente. Ce système de gage vise à la fois les collectivités territoriales et les entreprises. Ce sont naturellement ces dernières qui préoccupent notre délégation. Voilà pourquoi nous vous demandons, monsieur le secrétaire d’État, de nous présenter aujourd’hui le bilan d’application de cette circulaire, dont je ne suis pas tout à fait certaine que les entreprises ressentent les effets.

Ainsi, quelle méthodologie le Gouvernement suit-il pour mettre cette règle en application ? Chacun de ses membres a-t-il recensé les textes applicables dans son champ de compétences, évalué le coût de ces normes et repéré les dispositions obsolètes ou inutiles susceptibles d’être supprimées ? Comment sont précisément évaluées les charges induites, pour les entreprises, par chaque disposition existante ou envisagée, et avec quels outils ? Vérifie-t-on, norme pour norme, que la réduction de charges permise par la suppression de l’une compense l’augmentation de charges résultant de l’adoption de l’autre ? Ce travail est-il effectué à une échelle consolidée par ministère ou bien au niveau de l’ensemble de notre corpus juridique ? Comment le secrétariat général du Gouvernement supervise-t-il la mise en œuvre de cette circulaire ? Les administrations centrales et déconcentrées sont-elles responsabilisées et mobilisées pour atteindre le but fixé ? Surtout, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure cet objectif a été atteint ?

Vous ne l’ignorez pas, d’autres grands pays européens peuvent inspirer notre action en ce domaine. Ainsi, l’Allemagne a son Normenkontrollrat. Cet organe indépendant a été créé en 2006 par le gouvernement allemand pour réduire la bureaucratie. Il offre une évaluation précise et transparente de la charge induite par toute nouvelle disposition, avant son adoption.

De même, le Royaume-Uni dispose du Regulatory Policy Committee, créé en 2009 et chargé de vérifier les estimations des coûts et bénéfices de chaque norme envisagée, en termes économiques, sociaux et environnementaux. Cet organe accompagne le gouvernement britannique dans l’application de la règle qu’il s’est fixée pour réduire le poids des normes.

Au reste, le Conseil de la simplification pour les entreprises d’avril 2014 avait préconisé, en priorité, la création d’une instance équivalente pour la France : la semaine dernière, vous avez annoncé sa mise en place au 1er juillet. Pouvez-vous nous le confirmer ?

À l’origine, la règle britannique ressemblait à celle fixée dans la circulaire dont nous débattons aujourd’hui : « one-in, one-out ». Mais le gouvernement britannique a revu, en 2013, son ambition à la hausse, avec le mot d’ordre « one-in, two-out » : une livre sterling de charges créées par l’adoption d’une nouvelle norme doit s’accompagner de la suppression, non plus d’une, mais de deux livres sterling de charges existantes. Cette ambition de déflation législative est désormais gravée dans le marbre de la loi. En effet, lors de notre déplacement à Londres, en avril dernier, nous avons appris que le Royaume-Uni venait d’adopter, le mois précédent, une loi relative aux PME et à l’emploi. Ce texte contraint le gouvernement à respecter, sur la durée de la législature, un objectif de simplification réglementaire destiné à favoriser la croissance des entreprises.

L’enjeu de la prolifération normative n’est pas strictement quantitatif : il implique une plus profonde évolution, d’ordre qualitatif. Il s’agit d’entrer dans une culture du résultat ; cela signifie évaluer les effets des dispositions applicables, en aval, pour éventuellement les réajuster, mais aussi, en amont, mieux documenter les études d’impact. Certes, les projets de loi doivent déjà être assortis d’une étude d’impact, mais ces documents se révèlent souvent trop légers. Le Conseil d’État lui-même a récemment dressé ce constat : dans sa délibération du 8 décembre 2014 relative au projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, il n’a pu que « déplorer, à la date de sa saisine du projet de loi, le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l’étude d’impact sur nombre de dispositions du projet ».

La délégation sénatoriale aux entreprises éprouve le besoin de disposer d’études ciblées et documentées, pour être à même d’assurer convenablement la mission d’« examiner les dispositions des projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux entreprises » que lui a confiée le bureau du Sénat. La délégation a également reçu du bureau du Sénat la mission de « proposer des mesures visant à favoriser l’esprit d’entreprise et à simplifier les normes applicables à l’activité économique, en vue d’encourager la croissance et l’emploi dans les territoires ». Elle a donc besoin d’évaluer les conséquences des mesures proposées par les entrepreneurs qu’elle rencontre sur le terrain. C’est pourquoi nous envisageons de recourir à des études d’impact au cours des prochaines années.

La commission Juncker plaide elle aussi en ce sens au niveau européen. Monsieur le secrétaire d’État, comment le gouvernement auquel vous appartenez entend-il prendre sa part dans cette évolution ?

Enfin, j’aborderai la question du poids des normes pour nos entreprises sous un angle plus large.

De nos échanges avec les entrepreneurs français implantés dans nos territoires, il ressort que les normes leur pèsent tout autant par leur nombre et leur instabilité que par l’état d’esprit qui anime l’administration chargée de leur application.

Tout d’abord, notre administration se comporte comme un contrôleur de l’application des normes, au lieu d’accompagner ou de conseiller les entreprises, afin qu’elles s’y conforment. Partout où nous les avons rencontrés, les entrepreneurs nous ont lancé : « Faites-nous confiance ! »

Depuis quelques mois, le Premier ministre déclare dans toutes les langues qu’il aime les entreprises.

M. Jean-Claude Lenoir. Il aime aussi le football !

Mme Élisabeth Lamure. Toutefois, pour notre part, nous avons senti une forme de dépit amoureux chez les entrepreneurs. Ces derniers se sentent soupçonnés d’emblée. Ainsi, l’un d’eux a reçu, à titre purement préventif, un courrier l’informant que si d’aventure son entreprise ne respectait pas les 35 heures, il s’exposerait à des poursuites pénales.

Plusieurs chefs d’entreprise déplorent, par exemple, de n’être pas jugés assez responsables pour assurer la sécurité de leurs apprentis, au point de la garantir par des règles si contraignantes qu’elles en deviennent absurdes et paralysantes. D’ailleurs, le Gouvernement a bien été obligé de les revoir récemment. Faisons confiance aux entreprises, au lieu de les présumer coupables !

La délégation aux entreprises l’a constaté en se rendant à Londres, les sociétés qui ont un pied de chaque côté de la Manche nous ont fait part de la différence d’approche fondamentale entre les administrations nationales. La confiance que l’administration britannique accorde aux entreprises libère l’élan entrepreneurial, ce qui ne l’empêche pas de sanctionner sans états d’âme les cas d’infraction. En France, nombre de ceux qui ont par exemple sollicité un crédit d’impôt recherche ont témoigné avoir subi, dans la foulée, un contrôle fiscal.

Mme Élisabeth Lamure. Comme si l’on était suspect dès lors que l’on innove !

Ainsi, trop occupée à contrôler plutôt qu’à accompagner, notre administration a trop souvent tendance à pécher par excès de zèle dans son interprétation des normes.

Sur le terrain, de nombreuses entreprises attestent de la concurrence déloyale qu’elles subissent de la part de leurs compétiteurs, même européens, soumis à des normes moins sévères. Comment expliquer cette situation, sinon par une naïveté européenne dans les négociations commerciales et par une surtransposition française des directives communautaires ? La circulaire dont nous examinons l’application avait elle-même identifié cette difficulté précise, puisqu’elle invitait l’administration à justifier expressément toute règle plus exigeante imposée par la France. À l’occasion du bilan que nous en dressons aujourd’hui, pouvez-vous nous dire ce qu’il est advenu de cette mesure, que vous avez annoncée à nouveau la semaine dernière alors qu’elle figurait déjà dans la circulaire de 2013 ?

Au demeurant, la nouvelle Commission européenne vient de proposer, dans son paquet « Mieux légiférer », que chaque État membre opère une claire distinction entre ce qui est décidé à Bruxelles et ce qui est ajouté au niveau national, régional ou local.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Voilà !

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les entreprises sont le berceau de la croissance et de l’emploi pour nos territoires. Il ne suffit pas de les aimer ; nous devons tous chercher à leur simplifier la vie, pour leur laisser le temps de travailler et d’innover et leur permettre d’être plus compétitives.

Nous devons engager un changement d’état d’esprit et faire confiance par principe aux entreprises. C’est une dimension importante de notre combat contre le chômage ! Les règles, les protections, les normes rassurent, certes, mais notre ambition, ce n’est pas de nous cramponner. Notre enjeu, ce n’est pas simplement de maintenir les emplois, c’est d’en créer. Faisons des normes un facteur de croissance et de compétitivité, pour que la France tienne une place solide dans l’économie mondiale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les entrepreneurs sont unanimes pour saluer le bien-fondé de la création de liens forts entre les parlementaires et le monde de l’entreprise. C’est une démarche dans laquelle je me suis moi-même engagé dès mon élection, en lançant un tour des entreprises du département dont je suis l’élu, l’Hérault, pour aller au plus près de la réalité économique.

Je tiens à remercier notre collègue Élisabeth Lamure de la manière dont elle anime la délégation sénatoriale aux entreprises, dont elle est la présidente. L’action de la délégation s’appuie sur la rencontre avec les PME et les TPE, qui représentent 99,8 % des entreprises françaises et emploient 50 % des salariés. Ce faisant, nous sommes au plus près des territoires grâce à nos déplacements sur le terrain.

La majorité des entrepreneurs ont exposé des problématiques récurrentes, quels que soient les territoires. Le contraire aurait été étonnant, compte tenu du marasme économique actuel. Cependant, quand un entrepreneur fait preuve d’audace et d’écoute dans son management, on peut encore trouver, en France, des patrons et des salariés heureux. À Valrhona, dans la Drôme, nous avons été accueillis par une banderole portant cette inscription : « Bienvenue aux sénateurs dans une entreprise où tout va bien ! » Derrière cette phrase teintée d’humour, il y a une démarche de ressources humaines. En effet, 84 % des salariés sont heureux de travailler dans cette société, 11e au classement national Great place to work.

Évidemment, mon but n’est pas de vous faire croire que tous les problèmes sont déjà résolus dans notre pays. Nos multiples échanges avec le monde de l’entreprise nous ont permis d’identifier une véritable soif de simplification. C’est un combat mené par le Gouvernement.

Alors que la majorité précédente ne devait ses mouvements de simplification qu’à l’action courageuse de certains parlementaires, le gouvernement actuel s’est saisi pleinement de cette thématique en accompagnant, pour la première fois, l’action parlementaire par un secrétariat d’État dédié.

M. Martial Bourquin. Très juste !

M. Henri Cabanel. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre engagement et de votre travail.

Résultat : plus de 200 mesures de simplification concernant les entreprises ont été prises depuis avril 2014.

M. Martial Bourquin. Il était temps d’agir !

M. Henri Cabanel. Pour preuve du lien étroit entre l’action menée par le Gouvernement et les requêtes exprimées par les entreprises, je citerai les demandes des entreprises de l’Hérault, que nous avons visitées, et les réponses apportées via les récentes annonces faites par le Premier ministre et par vous-même.

La surtransposition des normes constitue un premier sujet. Force est de l’admettre, nous vivons dans un pays où l’on aime bien ajouter des normes aux normes, en particulier aux normes européennes. Une entreprise de charcuterie, Les Brasérades, nous a saisis du problème du bisulfite. Interdit en France et autorisé dans d’autres États d’Europe, ce composé chimique est employé pour accroître la durée de conservation de produits qui peuvent être, dans un second temps, vendus dans notre pays. En résulte une iniquité au niveau de la concurrence.

Le Gouvernement vient d’annoncer des mesures très claires encadrant les dispositions françaises, lorsqu’elles sont plus contraignantes que les exigences européennes : commencer par tester les textes européens sur des panels d’entreprises ; mettre en place des processus d’explication et de justification obligatoires en cas de surtransposition ; réexaminer les surtranspositions antérieures dans les mêmes conditions.

Deuxième sujet : l’apprentissage. La société d’intérêt collectif agricole des Vergers de Mauguio a soulevé la problématique très connue des escabeaux. Nous sommes là face à l’exemple caricatural d’une norme sans doute pensée par des personnes n’ayant jamais vu d’arbres fruitiers, ni de près ni de loin.

M. Roland Courteau. C’est bien possible !

M. Henri Cabanel. Annoncés par François Rebsamen au Sénat et lors des Assises de l’apprentissage, deux décrets importants, datés du 17 avril 2015, sont entrés en vigueur le 2 mai dernier. Ils simplifient la procédure de dérogation aux travaux interdits.

Avec le premier décret, les jeunes de quinze à dix-huit ans – apprentis, titulaires de contrats professionnels, stagiaires, élèves, étudiants – peuvent désormais utiliser des échelles, des escabeaux et des marchepieds, dans les conditions prévues par les dispositions de droit commun du code du travail.

M. Roland Courteau. Eh bien voilà !

M. Henri Cabanel. Le second décret entoure le travail et la formation des jeunes munis d’un équipement de protection individuelle.

Nous espérons que cet assouplissement, couplé au financement par l’État des charges des jeunes apprentis la première année de leur contrat, favorisera leur embauche.

Troisième sujet : l’interprétation du cadre législatif par les services de l’État. Au-delà des entreprises rencontrées par la délégation sénatoriale dans l’Hérault, de nombreux entrepreneurs, comme EDF Énergies nouvelles, la société Quadran ou Irrifrance, ont témoigné de l’interprétation des textes législatifs par les fonctionnaires de l’État, notamment en ce qui concerne les projets d’énergies renouvelables. Là encore, l’enjeu est l’équité.

Le Gouvernement, conscient de ce problème de cloisonnement entre les administrations, vient d’annoncer que des doctrines nationales seront clairement affichées pour chaque corps de contrôle, dans un souci de partage transversal de pratiques et de connaissances. Les décisions d’interprétation devront être publiées régulièrement et rendues facilement accessibles à l’ensemble des entreprises.

Quatrième sujet : les seuils sociaux. Les responsables de l’entreprise héraultaise Médithau, spécialisée dans la production et la vente de coquillages – c’est certainement celle à laquelle Mme Lamure faisait référence dans son propos –, nous ont expliqué qu’ils avaient créé une autre société pour éviter de dépasser le seuil de cinquante salariés.

Le Gouvernement a annoncé hier deux mesures phares : la suppression des deux premiers seuils pour commencer avec un seuil de onze salariés et le gel des prélèvements fiscaux et sociaux pendant trois ans concernant le seuil de cinquante salariés, afin de permettre aux entreprises de s’adapter. Ces mesures ont pour objectif de doper l’embauche au sein des TPE et des PME, comme l’aide de 4 000 euros promise aux TPE embauchant un premier salarié en CDI ou en CDD de plus de douze mois.

Cinquième sujet : l’agriculture. Lors de notre visite de la cave coopérative Terroirs de la voie domitienne, nos interlocuteurs ont principalement évoqué les problèmes posés par la lourdeur administrative. Sur ce point encore, les réponses du Gouvernement sont concrètes, avec la dématérialisation de nombreuses formalités telles que les déclarations ou les autorisations de plantation et la mise en place du nouveau titre emploi-service agricole, qui permettra une extension importante du champ des bénéficiaires. En outre, la majorité des contrôles sur le lieu de l’exploitation seront remplacés par des contrôles sur la base de pièces justificatives. Les caves coopératives souhaitent cependant se voir offrir la possibilité de ne faire qu’une seule déclaration de récolte par entité, plutôt que des déclarations individuelles, comme c’est le cas aujourd’hui.

Ce chantier de la simplification n’est pas achevé, mais il faut saluer le travail déjà effectué. Notre rôle de parlementaire nous impose non seulement de communiquer sans modération sur ces nouvelles mesures auprès des entrepreneurs, mais aussi d’en faire le bilan avec eux dans quelques mois, peut-être dans le cadre de la délégation aux entreprises. Je nourris l’espoir que les déplacements à venir de la délégation sénatoriale soient accueillis par de nombreuses banderoles comme celle que nous avons vue dans la Drôme : « Bienvenue dans une entreprise où tout va bien ! » Cela sera le signe que notre travail aura porté ses fruits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette question de l’application du gel de la réglementation, surtout en direction des entreprises, posée par la circulaire du 17 juillet 2013, prolonge le débat que nous avons eu il y a peu dans cet hémicycle au sujet du Conseil national d’évaluation des normes. À cet égard, je partage les propos de ma collègue Cécile Cukierman. Malgré le flot de critiques, la prolifération normative et l’insécurité juridique qui en résulte s’accentuent, notamment avec le projet de loi Macron. Près de 300 articles nous ont été soumis, de surcroît en procédure accélérée. En somme, pour faire moins de normes, faisons plus de normes !

Nous ne pensons pas que cette inflation soit due au « zèle normatif » des administrations centrales ou déconcentrées de l’État. Cette vision caricaturale minimise l’exigence de clarté du droit, inscrite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En réalité, il n’y a pas de « volonté perverse de quelques administrateurs » mais une volonté de produire la norme la meilleure, et ce au service de la sécurité juridique. Un rapport d’information de la commission des lois d’avril dernier intitulé Droit des entreprises : enjeux d’attractivité internationale, enjeux de souveraineté précise d’ailleurs que « la situation des entreprises françaises n’est pas préoccupante du point de vue du droit qui leur est applicable ».

En réalité, il est délicat de concilier simplification administrative et légitimité de l’action publique au service d’une société solidaire et de progrès. Si la norme peut être contraignante à l’égard de certains, à plus long terme, elle en protège d’autres. Derrière le leitmotiv de la simplification ne se cache-t-il pas une volonté pure et simple de dérégulation ?

Nous ne nions pas les difficultés rencontrées par nos entreprises. Nous voudrions rappeler que leur exacerbation est en grande partie liée à l’insuffisance des moyens financiers au service des PME et des TPE ainsi qu’au retrait de l’État et à la diminution du nombre de fonctionnaires, les restructurations des services administratifs s’intensifiant par la réduction en personnel, par les mutualisations, par les privatisations larvées de services publics.

Quant à la dérégulation et au « moins d’État » qui se profilent souvent derrière une démarche dite de « simplification », la circulaire du 17 juillet 2013 n’échappe pas à la règle : tout nouveau texte réglementaire créant des charges pour les collectivités, les entreprises ou le public « ne pourra être adopté que s’il s’accompagne, à titre de "gage", d’une simplification équivalente ». Selon le vocabulaire même de la circulaire, les normes, juridiques, administratives et techniques, sont donc considérées comme de simples marchandises dont il faudrait « vérifier les volumes, peser les poids, évaluer les validités jusqu’à signifier les dates de préemption », pour reprendre les termes du professeur Geneviève Koubi. C’est là où nous pensons qu’il faut être particulièrement vigilant, car, selon la circulaire, toute réglementation nouvelle doit désormais contribuer positivement à l’effort de simplification du droit. Est-ce vraiment ainsi qu’on relancera les entreprises ? Ne serait-ce pas plutôt en améliorant leur carnet de commandes ?

De plus, toujours selon la circulaire, « il importe que l’évaluation financière soit correctement renseignée, qu’il s’agisse des charges significatives créées par la réglementation ou d’allégements qu’il y serait apporté ». Or ce qui est perçu comme complexité par les gouvernements successifs – il suffit d’entendre ici certains orateurs –, c’est le droit du travail, le droit fiscal et, plus largement, les droits porteurs d’une certaine justice sociale. À cet égard, le rapport que j’évoquais est particulièrement éclairant, puisque les mesures de complexité évoquées sont l’obligation d’informer préalablement les salariés en cas de cession de leur entreprise, en vue de leur permettre de présenter une offre de reprise, sous peine d’annulation de la cession, ou encore la mise en place de la procédure d’action de groupe en matière de consommation et de concurrence, dont la mise en œuvre effective nécessitera – c’est normal – une réglementation.

Enfin, la mise au point de cette politique de simplification dépendrait, selon la circulaire, de « méthodes de consultation participatives ». Si l’idée de la participation doit être encouragée, nous devons garder à l’esprit que seuls le législateur et le Gouvernement ont en charge la définition de l’intérêt général, lequel ne saurait se résumer à la somme des intérêts particuliers, aussi légitimes soient-ils. De plus, il ne faudrait pas sous-estimer les limites de l’évaluation économique systématique du droit. Or c’est en ces termes que la circulaire du 17 juillet envisage la simplification normative.

En guise de conclusion, je voudrais rappeler que le nombre de normes risque de continuer à croître. En effet, les citoyens et les entreprises attendent – et c’est bien normal ! – toujours plus de sécurité. Cette demande est relayée par les médias, et les pouvoirs publics y répondent forcément par l’adoption de normes.

Comme le soulignait le Conseil d’État, « la multiplication des sources externes, le droit européen en particulier, en même temps que l’apparition de nouveaux domaines » sont des facteurs de la complexité croissante du droit. Citons la progression, qui va de pair avec la libéralisation économique, de la régulation par des autorités administratives de pans entiers du droit : le droit boursier par l’Autorité des marchés financiers, le droit de l’énergie par la Commission de régulation de l’énergie, le droit des télécommunications par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, sans oublier la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Il faut également souligner l’apparition de nouveaux domaines de législation complexes, comme le droit de la concurrence, le droit monétaire et financier dans un contexte ouvert ou encore les biotechnologies, qui accompagnent de fait une logique de libéralisation.

Ce débat, nous le disons fortement, n’est pas politiquement neutre. Dans tous les cas, nous devons veiller à ce que l’évaluation qualitative l’emporte sur une évaluation faussement comptable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)