M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons s’inscrit dans la lignée de l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi et du projet de loi Macron : il conduit, en effet, à de nouveaux reculs pour les droits des salariés !

Ce projet de loi vient en débat alors que le Gouvernement annonce de nouvelles mesures qui visent notamment à davantage exonérer les employeurs de leurs responsabilités, telles que la suppression de certains seuils sociaux, privant ainsi les collectivités territoriales de 500 millions d’euros de versement transport – qui paiera d’ailleurs cette générosité ? –, ou encore le gel pendant trois ans des effets du franchissement des seuils de cinquante salariés.

Monsieur le ministre, derrière la volonté apparente de moderniser le dialogue social dans les entreprises, qui se traduit ici par la modification des règles de représentation des salariés, vous affaiblissez davantage encore les droits des salariés, notamment celui de se défendre au sein de l’entreprise.

Lorsque vous mettez en avant la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les 4,6 millions de salariés travaillant dans les très petites entreprises, vous oubliez de préciser que ces commissions seront extrêmement éloignées géographiquement des salariés et que les membres de ces commissions auront, en réalité, très peu de pouvoirs.

En outre, vous portez un coup supplémentaire aux salariés en étendant la délégation unique du personnel, la DUP, aux entreprises de moins de trois cents salariés ! En effet, ceux-ci verront probablement disparaître, à terme, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, au profit de cette délégation unique.

À tout le moins, le rôle des comités sera affaibli, car, au sein de la nouvelle DUP, les mêmes élus, pourtant moins nombreux et dotés d’un crédit d’heures de délégation moins élevé, devront tenir tous les rôles : celui de délégué du comité d’entreprise, de délégué du personnel et de membre du CHSCT. Chacun devra donc acquérir des compétences dans des domaines aussi techniques et divers que l’analyse du budget d’une entreprise, la maîtrise du droit du travail, de la santé, de la sécurité et des conditions de travail.

Le risque est donc grand que ces différents sujets, particulièrement la santé, la sécurité et les conditions de travail, soient traités d’une manière moins approfondie qu’auparavant.

Enfin, en renvoyant à un décret le détail des moyens alloués aux différentes instances représentatives du personnel, vous ne nous rassurez pas sur la réalité de vos objectifs !

Par conséquent, nous déposerons des amendements visant à inscrire dans le texte que le nombre d’heures de délégation et de représentation des salariés sera le même dans le cadre de la DUP qu’avant le regroupement.

Nous souhaitons également nous opposer fortement à la suppression de l’autonomie et de l’indépendance des CHSCT. C’est un véritable enjeu pour les employeurs que de restreindre les possibilités et les moyens dont dispose ce comité pour mettre en évidence les risques qu’encourent les salariés.

Actuellement, le CHSCT ne dispose d’aucun budget propre. En conséquence, c’est à l’employeur qu’il revient de fournir au comité les moyens nécessaires à son fonctionnement dans le cadre des missions qui lui sont confiées. Demain, ce ne sera plus le cas, puisque le budget du CHSCT sera intégré au budget de la délégation unique, et les prérogatives nécessairement limitées. À titre d’exemple, les missions d’expertise, qui sont actuellement réalisées, soit à l’initiative du comité d’entreprise, soit à l’initiative du CHSCT, seront soumises à des délais restreints et limitées par la prise en charge financière de l’employeur, à hauteur de 20 %.

Monsieur le ministre, en rassemblant les négociations obligatoires en trois séquences – rémunération et temps de travail, qualité de vie au travail, et emploi –, vous avez écarté de facto des sujets importants comme celui de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes !

Malgré la mobilisation des associations féministes et de personnalités politiques, le rapport annuel de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, obligatoire depuis 1983 pour les entreprises de plus de cinquante salariés, a été supprimé et n’a pas été rétabli pour le moment. Ce n’est pas avec la création d’une simple rubrique sur l’égalité professionnelle dans la base de données économiques et sociales que les droits des femmes avanceront véritablement dans l’entreprise. Nous déposerons donc des amendements qui visent à créer des dispositifs en faveur de l’égalité professionnelle, notamment le rétablissement de la négociation consacrée à l’égalité professionnelle, accompagnée de sanctions.

Ce texte prévoit aussi la création d’une prime d’activité, dont l’enveloppe financière, qui reste pourtant constante, doit couvrir un nombre plus élevé de bénéficiaires que pour la prime pour l’emploi et le RSA activité, auxquels elle se substitue. Cette prime, qui tient compte des ressources du foyer fiscal, est considérée comme un soutien au pouvoir d’achat et un encouragement à la reprise d’emploi. Toutefois, sa montée en charge financière nous semble aléatoire, car elle dépendra du taux de recours, dont on sait qu’il est très bas pour le RSA actuel et dont il faut souhaiter qu’il remonte, évidemment !

Nous sommes convaincus que cette mesure sera en fait d’une portée limitée, et qu’elle ne pourra pas régler la question, fondamentale, de la progression de la pauvreté dans le salariat, le phénomène des travailleurs pauvres. Or l’explosion des contrats courts et atypiques, le nivellement par le bas des salaires sont une réalité, aujourd’hui, de plus en plus prégnante !

Nous pensons, pour notre part, que le Gouvernement aurait dû donner la priorité à la revalorisation des salaires, en premier lieu à celle du SMIC, et à la reconnaissance par les entreprises des compétences, des diplômes et des qualifications, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, en particulier pour les jeunes.

Enfin, en ce qui concerne le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle, lors de l’examen du texte en commission, la droite sénatoriale a supprimé le dispositif prévu pour l’élaboration des règles des annexes VIII et X, en votant un dispositif de concertation renforcée, ce qui ne correspond pas à l’accord trouvé par les organisations du spectacle. Sur ce point comme sur d’autres, nous avons trop souvent pu constater la proximité idéologique entre la droite et le Gouvernement !

Si nous sommes favorables à une modernisation de la représentation des salariés au sein des entreprises, elle ne peut conduire qu’à des droits nouveaux pour les représentants des salariés ! Nous montrerons, tout au long des débats, notre volonté de nous opposer à toutes les tentatives – d’où qu’elles émanent ! – de réduire les droits des salariés et leur pouvoir d’intervention. C’est pourquoi nous avons déposé 85 amendements sur ce projet de loi.

Sur le fond, nous combattrons la posture idéologique qui veut que la participation des salariés à la vie de leur entreprise, leur consultation et leurs droits d’intervention, soient, eux aussi, des contraintes, alors qu’il s’agit au contraire de leviers incontournables de la performance économique !

Je regrette sur ce point les revirements du groupe socialiste et du ministre, sous le prétexte, trop facile, de la simplification ou de la rationalisation.

Pour notre part, nous resterons fidèles aux idées de la gauche et voterons contre ce texte qui, en l’état, consacre des reculs graves en matière de droit d’information et d’intervention des salariés dans les entreprises. (Applaudissements sur les travées du CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, alors que les enjeux économiques et sociaux n’ont jamais été aussi prégnants, compte tenu de la fragilisation de la cohésion sociale et, donc, de la cohésion nationale, nous voici réunis autour de ce projet de loi relatif au « dialogue social et à l’emploi » !

L’intitulé de ce texte, monsieur le ministre, reconnaissons-le, est à la fois un peu réducteur et assez pompeux, car nous sommes, en réalité, en présence d’un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre social, comme Mme le rapporteur l’a souligné dans son rapport.

D’un point de vue méthodologique, on aurait d’ailleurs pu penser que vous « muscleriez » ce projet de loi en intégrant la plupart des mesures annoncées le 9 juin dernier. Il n’en est rien ! Ce texte ne constituera que le vecteur accessoire de ces annonces – vous n’avez déposé que deux amendements, l’un sur le renouvellement des contrats à durée déterminée, l’autre sur les deux mois de période d’essai des apprentis –, puisque nombre des dispositifs que le Gouvernement a annoncés figureront dans la loi dite « Macron ».

On a même l’impression que le Gouvernement n’a peut-être pas tout programmé. En effet, au-delà des titres des mesures et de leur déclinaison au travers de quelques formules-chocs dans le dossier de presse, il n’y a pas toujours de dispositif concret ! Je pense, en particulier, aux volets relatifs à « l’accompagnement de la gestion des ressources humaines » ou à « l’entrepreneuriat des jeunes », dont la formulation reste très générale par rapport aux annonces du 9 juin dernier.

Si je souligne ce décalage, c’est parce que nous vivons une période marquée par une atmosphère de défiance vis-à-vis de la parole publique. Communiquer ou présenter ce qui semble être un beau package, c’est bien, mais gare à la déception et au retour de manivelle si les actes ne suivent pas les paroles !

Je prendrai un exemple très concret, celui de la communication gouvernementale orchestrée autour de la neutralisation des seuils pendant trois ans. En y regardant de plus près, cela ne concerne en réalité que les prélèvements fiscaux et sociaux. Toutes les autres obligations qu’entraîne le franchissement des seuils demeurent… On risque ainsi d’induire en erreur un certain nombre de nos concitoyens !

Tout cela pour vous dire, monsieur le ministre, que les salariés, les chefs d’entreprises et les chômeurs attendent beaucoup de notre part sur ce dossier de l’emploi et du dialogue social. Les enjeux sont importants au regard de la situation de l’emploi. Notre pays compte en effet 3,5 millions de demandeurs d’emploi – pour ne parler que des chômeurs de catégorie A –, dont 615 000 chômeurs supplémentaires enregistrés depuis 2012, soit l’équivalent de mille « Florange » : ce n’est pas rien !

Il est donc urgent d’introduire de la souplesse dans le fonctionnement des TPE, des PME et des ETI, c’est-à-dire les entreprises qui créent de l’emploi.

En effet, plus le temps passe, plus le marché du travail se segmente entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas.

M. Jean Desessard. C’est relatif !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Oui, mais tout de même ! Les premiers sont de mieux en mieux protégés, au détriment des seconds, qui connaissent des difficultés grandissantes à retrouver le chemin de l’emploi. Le statut de ceux que l’on appelle les insiders s’améliore peu à peu, mais cela accentue les difficultés d’insertion des outsiders. C’est ainsi que l’on fabrique de la précarité ou que naît la crainte de tomber dans le chômage sans jamais pouvoir rebondir. Chacun d’entre nous a pu le constater dans sa circonscription, dans son département ou même dans son entourage.

Cette situation aurait dû inciter les partenaires sociaux à trouver un accord pour rénover le dialogue social. Or il n’en a malheureusement rien été puisque, le 22 janvier dernier, les syndicats de salariés et les syndicats patronaux ont acté l’échec de leurs négociations. Lorsque le dialogue social au niveau interprofessionnel ne peut aboutir sur le thème… du dialogue social, on se trouve tout de même dans une situation hallucinante ! Si l’on veut filer la métaphore professionnelle, c’est un peu comme si un garagiste avait renoncé à réparer des voitures, ou un médecin à soigner ses patients !

Triste symbole, en vérité, qui montre combien le renouvellement démocratique, que les Français semblent pourtant appeler de leurs vœux, est une nécessité qui ne concerne pas que la classe politique – loin de là ! – et qu’un certain nombre d’instances seraient également bien inspirées de tenir compte des attentes de nos concitoyens !

En effet, le dialogue social au niveau interprofessionnel nous rappelle la formule que le regretté Edgar Faure, sans doute trop sévère à l’égard de nos assemblées, appliquait au Sénat ; je veux parler du fameux triptyque : litanie, liturgie, léthargie.

Oui, il y a bien une liturgie du dialogue social – je le dis, monsieur le président, pour celles et ceux qui n’ont pas eu le bonheur de participer aux réunions de commission et qui nous rejoignent aujourd’hui ! – avec ses portes claquées, ses accords trouvés, ou non. Ce qui signifie qu’il peut y avoir accord…pour ne pas trouver d’accord ! Car « c’est compliqué, tu sais », nous dira-t-on sur le ton de la confidence.(M. Roger Karoutchi sourit.)

De ce fait, au niveau interprofessionnel, tout accord est souvent trouvé sur la base du plus petit dénominateur commun : il est donc sans ambition véritable. À l’inverse, lorsqu’il y a désaccord, le dialogue est bloqué.

Cette situation n’est pas satisfaisante et, au-delà des mesures ponctuelles que vous proposez, monsieur le ministre, il est temps de repenser le dialogue social « de la cave au grenier » ! Mener à bien un tel chantier prendra sûrement les deux ans à venir. Les Français devront trancher, mais cela ne doit pas nous interdire d’en tracer les perspectives pour alimenter le débat.

Alors que faire, pour reprendre l’interrogation de Vladimir Ilitch Oulianov? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Il s’agit d’un clin d’œil, mes chers collègues ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Un clin d’œil à qui ? Pas à nous en tout cas !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. À l’Histoire ! (Nouveaux sourires.)

Pour ma part, je pense que le temps des décisions verticales, partant du haut vers le bas, est révolu. Cela correspondait à l’ancien ordre social, celui du XXe siècle. Aujourd’hui, dans la société « horizontale » qui est la nôtre, la priorité doit être au contraire donnée à la base, au terrain, et ce dans tous les domaines. Du reste, l’échec du 22 janvier dernier ne doit pas masquer les 36 000 accords d’entreprises conclus en 2014.

Inversons donc le paradigme ! Laissons en priorité le dialogue social se renforcer à la base en lui confiant un champ toujours plus vaste. Mieux vaut, en effet, un bon accord au niveau local qu’un mauvais accord au niveau national. De ce point de vue, je trouve la notion de subsidiarité intéressante : elle peut aussi bien s’appliquer à l’organisation politique qu’à la démocratie sociale. Il me faut évoquer ici Pierre-Joseph Proudhon, penseur disparu voilà cent cinquante ans dont nous pouvons regretter la richesse et la fécondité de l’œuvre.

M. François Rebsamen, ministre. C’est surtout un penseur pour la classe ouvrière !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Vous le voyez, monsieur le ministre, mon socialisme ne pouvait être qu’autogestionnaire ! (Nouveaux sourires.)

Pierre-Joseph Proudhon a tenu sur le fédéralisme des propos qui peuvent nourrir aujourd'hui notre réflexion sur la démocratie sociale, au prix d’une certaine adaptation – nous ne sommes plus au XIXe siècle.

Le code du travail comprend un appareil de normes très dense. Retenons-en les principes fondamentaux –l’Organisation internationale du travail indique bien la voie de ce point de vue – et permettons, dans le cadre du dialogue au sein de l’entreprise, des dérogations sur des sujets lourds par accord majoritaire.

D'ailleurs, ce débat sur un code du travail plus accessible, plus efficient et mieux adapté aux réalités du terrain a été relancé récemment par l’essai rédigé par l’éminent Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Selon notre ancien collègue, « si nous ne parvenons pas à dissiper la défiance actuelle et si nous continuons à penser que c’est à coup de lois successives qu’on réduira le chômage, nous continuerons sur la voie où nous sommes. Une voie qui nous mène, hélas, vers un avenir politique et social menaçant. » Ces paroles me semblent empreintes de sagesse !

Vous le voyez, monsieur le ministre, il s’agit non pas de lubies, de dogmatisme, mais d’efficacité économique et sociale, au travers d’un renouveau du dialogue social.

Le projet de loi, à l’aune de ces perspectives révolutionnaires, au sens où l’on inverse totalement la méthode, reste un peu conservateur.

Ainsi, comme Mme la rapporteur l’a souligné, la question des seuils a été effleurée, mais pas traitée au fond. Pourtant, j’ai en tête les propos volontaristes tenus par le Président de la République lors de sa rentrée sociale du 20 août 2014 : il avait alors appelé chacun à « admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous ». Vous-même et votre collègue le ministre de l’économie étiez d’ailleurs initialement très ambitieux en matière de rehaussement et de simplification des seuils…

Aujourd’hui, qu’en est-il ? Certes, la délégation unique du personnel, la DUP, est rendue possible pour les entreprises de 200 à 300 personnes, mais cela ne concerne potentiellement que 3 000 entreprises et 600 000 salariés. Certes, un organe sui generis pourra voir le jour pour les entreprises employant plus de 300 personnes, mais rien n’est prévu pour les entreprises de 50 à 300 salariés. Quant aux entreprises comptant moins de 11 salariés, la création législative des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, les CPRI, est un peu perçue comme un chiffon rouge.

On le voit, la souplesse introduite pour les entreprises de plus de 200 salariés a pour contrepartie l’immobilisme ou la création de nouveaux dispositifs s’appliquant aux entreprises en deçà de ce seuil.

Les entreprises de 1 à 50 salariés auront à faire face à pas moins d’une soixantaine de nouvelles obligations, aux termes du dossier de presse distribué lors de votre conférence du 9 juin dernier, monsieur le ministre. Ce « changement de monde » effraie légitimement de nombreux chefs d’entreprise.

En outre, soyons attentifs à ne pas alourdir les dispositions relatives à la DUP. Je pense en particulier au fait que les suppléants pourront siéger aux côtés des titulaires, à la suite de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale. Tout cela a un coût, à la charge de l’employeur. Il ne faudrait pas « tuer le produit » avec des dispositions qui constitueraient des freins. Pour ma part, je proposerai, au contraire, d’accélérer la mise en place des DUP, au travers d’un amendement qui a été adopté par la commission des affaires sociales.

Venons-en aux commissions paritaires régionales, dispositif dont l’introduction dès l’article 1er du projet de loi a valeur de symbole, y compris pour les chefs d’entreprise concernés. Nombre d’entre eux conduisent le dialogue social au quotidien et accompagnent même volontiers leurs salariés dans leurs démarches pour se loger ou régler des questions administratives. En effet, il est dans leur intérêt de contribuer au bien-être de salariés dont le savoir-faire est précieux et qu’ils ont souvent formés.

La création des commissions paritaires régionales est perçue comme une contrainte supplémentaire par 66 % de ces chefs d’entreprise. Si, sur le papier, le dispositif que vous avez imaginé semble imposer peu de contraintes, reste le problème de l’effet cliquet ! Toute nouvelle instance cherche à établir sa légitimité et à renforcer ses pouvoirs. Le législateur peut tout à fait décider demain de leur attribuer des prérogatives qu’il n’entend pas leur confier aujourd'hui… Cette situation explique les inquiétudes des chefs d’entreprise.

D'ailleurs, la CFDT, à l’issue de la présentation de votre projet de loi, a publié un communiqué de presse, dans lequel elle se réjouissait de la création des commissions paritaires, mais demandait qu’une mission de médiation leur soit confiée. Et voilà que, par le biais de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale, cette demande a été satisfaite… De la même manière, le texte prévoit désormais l’accès aux locaux de l’entreprise.

À cet égard, j’ai eu la surprise de recevoir un courrier recommandé avec accusé de réception adressé par une centrale syndicale, qui entendait porter ainsi à la connaissance du parlementaire que je suis ses arguments dans la perspective de l’examen du présent projet de loi. J’ai trouvé la méthode un peu spéciale… Si c’est ainsi que l’on s’adresse aux parlementaires, je n’ose imaginer comment sont traités les chefs d’entreprise !

Nous défendrons un amendement de suppression de l’article 1er. À tout le moins, cet article devra être récrit totalement. D'ailleurs, Mme la rapporteur s’est attelée à cette tâche, en élaborant une rédaction qui fait confiance aux partenaires sur le terrain.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Merci !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’évoquerai brièvement cet objet législatif non identifié qu’est le compte personnel d’activité. L’article qui en traite est très déclaratif. En réalité, il n’était pas nécessaire de recourir à la loi : il s’agissait plutôt en l’occurrence d’obtenir un effet d’annonce, lié à la préparation d’un certain congrès… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Rebsamen, ministre. Pas du tout !

M. Didier Guillaume. Chacun prépare ses congrès comme il peut ! (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Les considérations tactiques qui ont inspiré cet article ne nous ont pas échappé !

Plus sérieusement, je pense qu’il faut faire attention à ne pas créer une usine à gaz. En outre, un certain nombre de questions demeurent en suspens : qui va payer la portabilité de ces droits ? Comment le partage va-t-il se faire entre l’entreprise quittée par le salarié et celle qui l’accueille ? On le voit, beaucoup de points restent à éclaircir, au-delà de la déclaration de principe.

Un économiste qui n’est pourtant pas connu pour des prises de position libérales ou droitières a déclaré, lors de son audition par la commission, que ce texte marquait un « pas de fourmi ». Il nous revient de vous aider à allonger le pas, monsieur le ministre ! Le travail précis accompli par la commission des affaires sociales, sous la houlette de son président et de Mme Procaccia, va dans ce sens. Nul doute que les débats feront émerger des avancées pour donner à ce texte l’ambition qu’il aurait dû avoir dès le début. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Monsieur le ministre, il y a près d’un an, vous invitiez les partenaires sociaux à ouvrir une négociation pour revivifier le dialogue social au sein des entreprises. Vous aviez pour but de renforcer la qualité du dialogue social, pour en faire un outil encore plus efficace, au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation des salariés.

Cinq mois plus tard, devant l’échec des négociations entre partenaires sociaux, vous voulez imposer par la loi votre vision de la modernisation du dialogue social.

M. Jean Desessard. C’est normal !

M. Olivier Cadic. Voilà qui est bien emblématique d’une vision totalement dépassée du dialogue social (M. Jean Desessard s’exclame.), selon laquelle celui-ci se fait sous la contrainte, sous la menace du couperet législatif.

Lorsque l’on sait que le Gouvernement interviendra pour imposer ses vues en cas d’échec des négociations, que se passe-t-il ? Soit les accords sont bâclés, soit c’est l’échec. Nous nous situons dans ce second cas de figure.

Une fois de plus, dans notre pays, le jacobinisme prend le pas sur le dialogue décentralisé. Cette conception rigide et contrainte du dialogue social a pour corollaire que l’on se trompe totalement sur la vitalité de ce dernier.

On a tendance à croire que le nombre d’accords collectifs conclus en France est la marque de cette vitalité.

M. Didier Guillaume. C’est le cas !

M. Olivier Cadic. De fait, 30 000 accords ont été signés en 2013. Doit-on s’en réjouir ?

Mme Maryvonne Blondin et M. Didier Guillaume. Oui !

M. Olivier Cadic. Non, car en fait, paradoxalement, c’est parce qu’il y a beaucoup de contraintes législatives que beaucoup d’accords sont signés : pour être en règle, les entreprises sont obligées de négocier tous azimuts.

Le grand nombre d’accords conclus ne signifie pas que ceux-ci sont de bonne facture ni, surtout, qu’ils sont de nature à produire un dialogue social fructueux et apaisé, bien au contraire !

Le résultat, c’est qu’il ne se passe plus une semaine sans qu’une personnalité politique ou du monde des affaires ne s’alarme publiquement de l’obésité sclérosante du code du travail. Pas plus tard que ce week-end, c’est notre ancien collègue, estimé de tous, Robert Badinter qui s’en est pris au sacro-saint code du travail.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Saint Badinter…

M. Olivier Cadic. Le présent projet de loi ne déroge pas à la règle : force est de constater qu’il a été considérablement allongé et politisé, le nombre de ses articles passant de vingt-sept à cinquante-sept à l’issue de son examen par l’Assemblée nationale.

Représentation des salariés des TPE, modernisation des institutions représentatives du personnel, dispositions relatives à la santé des travailleurs et au compte personnel de prévention de la pénibilité, indemnisation des intermittents du spectacle, sans parler de diverses mesures comme la création de la prime d’activité : ce catalogue de dispositions fourre-tout, dont on discerne mal la cohérence, n’est pas exempt, nous l’avouons, de mesures de souplesse et de simplification, que nous soutiendrons.

M. François Rebsamen, ministre. C’est bien !

M. Olivier Cadic. Je pense, par exemple, à la fusion des instances représentatives du personnel dans les entreprises de plus de 50 salariés ou aux dispositions relatives au compte personnel de prévention de la pénibilité, véritable sparadrap législatif digne du capitaine Haddock… (Sourires.) Le voilà au moins simplifié : nous ne pouvons que nous en réjouir.

Néanmoins, l’article 1er demeure inacceptable pour un certain nombre de membres du groupe UDI-UC. Alors que notre économie se meurt littéralement, alors que nos entreprises sont proprement asphyxiées par les règles, les contraintes et les taxes, alors que les PME, qui représentent 95 % du tissu des entreprises françaises, ne réclament qu’une chose, de la simplification, que faisons-nous ? Nous créons des commissions paritaires régionales interprofessionnelles… Alors que les TPE-PME ne nous demandent qu’une chose, de la souplesse, nous voici réunis pour créer un nouveau « machin ». On marche littéralement sur la tête ! C’est le monde des Shadoks !

À quoi vont servir les CPRI ?

Si elles interviennent dans le dialogue social, ce sera catastrophique. En effet, dans les PME, le dialogue social doit se tenir directement et exclusivement entre le dirigeant et les salariés.

Si elles n’ont qu’un rôle d’information, pourquoi imposer leur création ? Les branches peuvent déjà volontairement les créer.