M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en janvier dernier, mon groupe politique a lancé le débat autour d'une question assez basique, j'en conviens : la médecine française est-elle toujours la meilleure du monde ?

Ce débat, certes limité dans le temps, s'est cependant révélé très intéressant. Malheureusement, vous n'aviez pas pu y assister, madame la ministre, mais Mme Ségolène Neuville l'a clos en ces termes : « Le Gouvernement compte sur le Parlement, sur le Sénat en particulier […], pour enrichir et améliorer le projet de loi de santé qui viendra prochainement en discussion devant la Haute Assemblée et qui sera défendu par Marisol Touraine. »

Nous y voilà, madame la ministre ! Nous sommes réunis pour débattre du dossier fort complexe de l'adaptation de notre système de santé aux évolutions de la société et de la science. Il me semble cependant que cette discussion ne s'ouvre pas sous les meilleurs auspices, et, à ce stade, je ferai simplement part de quelques observations générales qui m'inquiètent par rapport à cette volonté de dialogue.

Ma première observation porte sur la méthode parlementaire retenue, à savoir la procédure accélérée. C'est faire fi du Parlement que de lui demander d'expédier un texte aussi dense, aussi divers, aussi important dans son application en une seule navette. Un texte qui, des 57 articles que vous avez présentés, est passé à 209 à l'Assemblée nationale. Un texte qui, à mes yeux, s'il devait en rester là, porterait une atteinte gravissime à notre système. Même si ce dernier se doit d'être adapté aux changements de la médecine, une telle évolution ne peut se faire de cette manière.

Ma deuxième observation porte sur un autre problème formel. L'inscription de cette discussion à l'ordre du jour de la session extraordinaire ne peut être considérée comme satisfaisante, d’autres orateurs l’ont relevé, notamment parce qu’elle a obligé la commission à travailler « le pied au plancher », à la fin du mois de juillet dernier.

De plus, le temps de débat en séance publique est bien limité, étalé sur deux semaines, entrecoupé d'une semaine d'interruption et de débats, certes urgents et nécessaires, mais qui renvoient notre discussion sur ce dossier au second plan. Le temps consacré à l'étude des 1 200 amendements déposés ne sera guère supérieur à 35 heures, soit plus de 30 amendements à l'heure. Monsieur le président, il faudra être très vigilant !

M. le président. J’y veillerai, mon cher collègue.

M. Gilbert Barbier. Ce n’est ni crédible ni sérieux, et cela va encore aggraver l'antiparlementarisme, tout particulièrement au détriment de notre assemblée, dont on sait bien qu'elle est toujours dans le viseur du Gouvernement.

Ma troisième observation porte encore sur la forme et sur la manière dont ce projet de loi a été élaboré. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la ministre, les représentants de nombreuses professions concernées – j’en ai rencontré beaucoup – pointent l’absence de concertation, et parfois même de simple consultation. Cela explique le flot de demandes et de remarques suscitées par le projet de loi, dont toutes ne sont sans doute pas justifiées, mais qui méritaient au moins une écoute, une explication, un dialogue.

Votre absence le week-end dernier au congrès de la CSMF, la Confédération des syndicats médicaux français, alors même que celle-ci ne passe pas pour la plus hostile à vos idées, a d’ailleurs été particulièrement remarquée.

J'en viens au fond. Ce projet est dominé par votre cheval de bataille, votre hobby horse, à savoir le tiers payant généralisé. Par cette proposition, vous espérez certainement mettre l’opinion publique derrière vous. Les soins gratuits pour tous, quelle aubaine ! Quelle conquête sociale !

Je pense au contraire que nos concitoyens aspirent avant tout à une prise en charge optimale de leur maladie. Le patient recherche l’excellence dans le soin dont il a besoin. Si les moyens de communication modernes lui permettent aujourd’hui de viser cette légitime optimisation, ce n'est pas une telle gratuité déguisée qui lui en apportera la certitude.

Selon moi, l’une des principales inégalités en la matière tient dans la possibilité d'accéder aux avancées les plus performantes des différentes spécialités, et non dans les contingences matérielles, qui sont importantes, mais qui ne constituent pas un critère déterminant.

Ce tiers payant généralisé aura permis au Gouvernement le très rare exploit de réunir dans le rejet de cette disposition tous les organes représentatifs de la profession médicale. Cette performance mérite d'être soulignée !

Toutefois, derrière votre obstination sur ce point, que se cache-t-il, sinon une volonté de mettre à bas le régime libéral qui, depuis plus d'un siècle, a rendu la médecine française performante, efficace, humaniste, en instaurant un dialogue singulier entre le médecin et son patient ? En effet, cette relation est indispensable pour établir une confiance mutuelle, à partir d'un maître mot : liberté – liberté du soignant, liberté du soigné.

L'adjectif « libéral » vient bien de « liberté ». La médecine libérale n'est rien d'autre que l'exercice de ce droit.

Ce que nos concitoyens doivent comprendre, c'est qu'en portant atteinte à la liberté de l'un, on fait disparaître celle de l'autre. La liberté du soignant est fondamentale dans la recherche de l'excellence revendiquée par le soigné. Par le biais du tiers payant généralisé, votre projet enferme dans un carcan étatique la dispensation des soins au nom d'un égalitarisme illusoire. Il conduira in fine à sa paupérisation.

Les expériences de médecine étatisée conduites dans un certain nombre de pays ont montré la limite de ce système. Que la médecine libérale ambulatoire ou hospitalière ait à évoluer, notamment par l'implication du citoyen dans son parcours de santé, personne n'en doute, mais ce n'est que grâce à un dialogue permanent qu'une réforme efficace peut aboutir.

Votre obstination sur ce point va occulter le reste du projet, qui comporte pourtant quelques avancées intéressantes, j'en conviens.

En matière de prévention, les intentions sont bonnes et généreuses. Il serait d'ailleurs souhaitable de distinguer les objectifs généraux des priorités, sachant que tout ne peut se faire en même temps, en raison de la situation financière tant de la sécurité sociale que de l'État. De grâce, soyons réalistes sur ce point !

Pour le reste, comme c’était déjà le cas pour certaines réformes antérieures, je ne vois pas poindre les mesures urgentes et nécessaires pour moderniser l’hospitalisation, notamment publique. Celle-ci est encore régie par la loi de 1970, voire celle de 1958 en ce qui concerne les centres hospitaliers universitaires, les CHU.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Barbier.

M. Gilbert Barbier. Ces lois ont eu leurs mérites, mais elles sont, pour une grande part, obsolètes au regard de l’évolution des pratiques médicales.

Les autres sujets qui fâchent sont passés sous silence : le numerus clausus, la validation des connaissances de certains praticiens exerçant dans les hôpitaux généraux, la surcapacité hospitalière, l’obsolescence de certains plateaux techniques, l’échec de la classification commune des actes médicaux – la CCAM –, le peu d’efficacité de la rémunération sur objectifs de santé publique – la ROSP –, et bien d’autres.

Au cours de ces débats, mes collègues du groupe RDSE et moi-même, dans notre diversité, essaierons de vous aider à bâtir une loi susceptible de répondre à un seul objectif : mieux prévenir, mieux soigner et mieux gérer le formidable potentiel humain que constitue le monde de la santé dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si le système de santé français fait notre fierté, c’est davantage grâce aux hommes et aux femmes qui y œuvrent chaque jour au service des autres avec dévouement, voire abnégation, auxquels il convient de rendre ici hommage, qu’en raison de son organisation et de son financement.

Ce projet de loi, présenté – c’est l’habitude ! – comme ambitieux, notamment dans sa nouvelle dénomination, comporte, dans la version issue de l’Assemblée nationale, des mesures organisationnelles correspondant bien à l’intitulé du texte, mais qui ont été passablement chahutées par une grande partie des professionnels de santé, quelques mesures d’ordre sanitaire et, bien évidemment, comme dans tout bon projet de loi socialiste, un certain nombre de mesures idéologiques. (Mme Catherine Génisson s’exclame.) Je me félicite du fait que le passage du texte en commission ait permis de supprimer la plupart de ces mesures idéologiques qui ne modernisent en rien notre système de santé, mais qui, au contraire, l’enferment dans une étatisation grandissante (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), ou ces mesures qui accentuent la perte de repères morale de notre société, en particulier de sa jeunesse. Mais je me rassure : ce sont les derniers soubresauts de soixante-huitards sur le déclin, Dieu merci ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Je suis heureux que les concernés se soient reconnus ! (Mme Catherine Procaccia rit.)

La fronde d’une grande partie du monde médical contre ce projet de loi illustre, madame le ministre, le caractère idéologique de vos réformes. Il est pourtant impensable d’agir sur notre système de santé sans une réelle concertation avec l’ensemble des acteurs, en premier chef ceux qui œuvrent chaque jour auprès des malades.

Notre système de santé doit reposer sur une juste répartition entre le secteur public et le secteur privé, entre les hôpitaux, les cliniques et les libéraux, qu’ils soient médecins, infirmiers ou paramédicaux.

Il doit également reposer, j’y insiste fortement, sur une responsabilisation du patient et, plus largement, de tous les bénéficiaires. La santé a un coût et bien que ce soit l’État qui paie, ça ne coûte pas rien !

Mme Catherine Génisson. C’est faux, ce n’est pas l’État qui paie !

M. David Rachline. Les déficits de notre système de santé diminueront d’abord par une prise de conscience collective et par la responsabilisation de chacun. Le risque est grand, aujourd’hui, qu’à force de générosité pour tous avec l’argent des Français, et qu’à force d’accepter un véritable gaspillage des prestations de santé, notre système de santé, dont nous sommes si fiers, ne s’effondre.

Je doute que la généralisation du tiers payant, au-delà de la difficulté technique de sa mise en œuvre, constitue un moyen de responsabiliser les patients. Le fait d’avancer les frais médicaux permet en effet de prendre conscience de leur coût. Il est d’ailleurs étonnant que ceux qui rechignent à avancer les quelques euros d’une consultation soient souvent ceux qui possèdent le dernier téléphone à la mode (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), quand ce n’est pas – cela arrive aussi parfois – la dernière BMW ! (Même mouvement.)

Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Caricatural !

M. David Rachline. Les personnes qui souffrent de précarité sont en effet déjà assurées de bénéficier du tiers payant.

Nous connaissons votre propension à infantiliser nos citoyens et à imposer dans leur vie l’omniprésence de l’État, mais nous, nous croyons en la responsabilisation de chacun. Il est temps, particulièrement dans le domaine de la santé, de laisser nos concitoyens redevenir pleinement adulte et se prendre en main, ce qui n’exclut bien évidemment en rien le principe de solidarité.

De surcroît, je ne trouve pas dans ce projet de loi de mesures visant à lutter contre la fraude, qui, nous le savons tous, est un fléau pour les finances de notre système de santé.

M. Dominique Watrin. Voilà bien un discours de droite extrême !

Mme Éliane Assassi. C’est votre ritournelle favorite, qui revient avec chacune de vos interventions !

M. David Rachline. Notre système de santé est aujourd’hui déficitaire. Pour restaurer l’équilibre des comptes sociaux, il me semble nécessaire de donner la priorité aux Français. Cela pourrait commencer par l’instauration d’un délai de carence d’un an de résidence et de cotisation continue en France pour bénéficier de tous les avantages de la sécurité sociale, ou encore par une aide médicale d’urgence, ou AME, réservée aux seuls cas d’urgence vitale, mais également par la récupération des sommes dues par d’autres États à nos caisses.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Rachline.

M. David Rachline. Je conclus.

Le roi d’Arabie Saoudite, entre deux bains sur nos plages privatisées, gardées et masculinisées, a-t-il remboursé les millions que son pays nous doit ?

Ce n’est qu’en responsabilisant les bénéficiaires et en accordant la priorité à nos propres compatriotes que nous parviendrons à préserver et à moderniser notre système de santé ! (Mme Evelyne Yonnet s’exclame.)

Mme Éliane Assassi. Qu’entendez-vous donc par « propres » ?

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales et rapporteur, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord avoir quelques mots d’amitié et de soutien envers notre collègue René-Paul Savary, qui aurait dû intervenir à la tribune en tant qu’orateur du groupe mais qui a hélas subi un accident il y a quelques jours. Je lui souhaite un prompt et complet rétablissement. Son travail et son engagement dans la préparation de l’examen du projet de loi de santé ont été indispensables tant pour la commission des affaires sociales que pour notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Debré. C’est vrai ! Bravo !

Mme Corinne Imbert. Il va bien, je m’en réjouis. J’ai tenu à l’associer à mon projet d’intervention afin qu’il puisse s’exprimer à travers moi. Il y aura donc un peu de René-Paul Savary dans mes propos.

La Haute Assemblée s’apprête à discuter d’un projet de loi qui sort tout juste d’une convalescence estivale. Lors de son examen en juillet dernier par les commissaires aux affaires sociales, la majorité sénatoriale s’est en effet employée à soigner un grand corps malade. Je salue à ce propos l’investissement essentiel des trois rapporteurs, le président Milon et les sénatrices Deroche et Doineau.

Comme ce gouvernement en est devenu coutumier, le texte présenté est un véritable inventaire, où se mêlent dispositifs de prévention, de santé publique et de formation, touchant aux professions, aux missions, aux établissements et aux structures de santé.

C’est un arsenal qui n’a de modernisation du système que l’intitulé : dans les faits, il étatise et bureaucratise l’existant. Je ne voudrais pas qu’il conduise à envelopper notre système de santé dans un épais brouillard qui lui serait nocif.

Les professionnels de santé se sont élevés unanimement contre les dispositions initiales, qui ont provoqué un tollé et entraîné des manifestations massives. Tous les acteurs concernés par cette réforme ont vécu l’autisme du Gouvernement comme un signe de mépris, les concertations n’ayant commencé qu’après le dépôt du texte à l’Assemblée nationale.

La majorité sénatoriale a pris ses responsabilités et s’est engagée dans un processus de réécriture du projet de loi, afin qu’il n’oppose pas, mais qu’il rassemble et rationalise.

Concernant la prévention et la promotion de la santé, ce texte aborde l’accès des jeunes à la contraception d’urgence, la lutte contre la consommation excessive d’alcool, la promotion d’une alimentation équilibrée, mais aussi la lutte contre la maigreur excessive et la lutte contre le tabac et vous proposez d’expérimenter ce que l’on appelle communément des « salles de shoot ». Certaines de ces dispositions ne nous posent pas de problème.

Les articles relatifs aux actions de promotion de la santé en milieu scolaire ne permettent toutefois aucun progrès concret en la matière. Les textes législatifs et réglementaires en vigueur assignent déjà une double mission à l’école : suivre l’état de santé des élèves et contribuer à leur éducation à la santé. On ne voit donc pas quel objectif poursuivent ces nouvelles dispositions qui se superposent à l’existant, sinon le seul affichage politique.

Il en va de même en ce qui concerne la prohibition de la publicité concernant l’abus d’alcool. L’amendement porté par notre collègue Gérard César, sénateur de la Gironde, au cours de l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité sera de nouveau discuté durant ce débat. Il ne vise aucunement à remettre en question la loi Evin ni à contester l’excès de la consommation d’alcool, notamment chez les jeunes.

Les dispositions relatives à la nutrition nous paraissent discutables. Les symboles ou les indicateurs de couleur pour les denrées alimentaires en sont un exemple : deviendrons-nous obèses délibérément en ne consommant que des produits rouges ? Serons-nous en pleine santé en ne consommant que du vert ? L’intention semble louable, mais ce dispositif n’offrira qu’un indicateur, et son effet dans la lutte contre l’obésité restera très marginal : une couleur ne change pas un comportement, même si elle peut y contribuer.

Enfin, il y a lieu de rappeler ici qu’il ne faut pas confondre maigreur et anorexie. Dans les dispositions concernant le mannequinat, l’instauration d’un critère unique, comme l’indice de masse corporelle, ou IMC, peut apparaître inefficace. Nous allons vous proposer d’avoir recours à la médecine du travail pour poser un regard expert et régulier sur les professionnels de la mode.

Mme Corinne Imbert. Venons-en à votre projet de paquet neutre. Chacun est bien sûr conscient de la nocivité du tabac et nul ne peut ignorer ses effets directs et néfastes sur la santé. Est-il cependant pertinent d’instaurer le paquet neutre alors même que la directive européenne prévoit un cadre en contraignant déjà les fabricants à respecter de nouvelles normes sur les emballages de cigarettes ? Bien évidemment, non ! D’autant que cette mesure emportera deux effets négatifs : elle encouragera l’achat des cigarettes aux frontières ou au marché noir et elle aggravera les difficultés des buralistes, qui constituent aujourd’hui l’un des derniers réseaux de commerçants d’une telle dimension à l’échelle nationale et que nous devons accompagner dans l’évolution de leur profession.

Oui, fumer tue, madame la ministre, mais mal réformer asphyxie ! Pourquoi s’inscrire dans une démarche de surtransposition des directives européennes ?

Nous assumons notre choix de supprimer le paquet neutre au profit du texte européen, qui conduira à recouvrir à 65 % le paquet de messages dissuasifs, au lieu de 40 % actuellement.

Vous auriez fait preuve d’un vrai courage en abordant la problématique de l’uniformisation européenne des tarifs du tabac. C’est aussi en menant une politique de prévention globale à l’échelle européenne que nous pourrons obtenir des résultats tangibles, plutôt qu’en sanctionnant à outrance en France.

Concernant les salles de consommation à moindre risque, dites « salles de shoot », la commission des affaires sociales a souhaité maintenir leur expérimentation. Nous vous proposerons d’informer les maires et de les associer avant de prendre les décisions d’expérimentation. Celles-ci n’excluant pas le contrôle, nous ferons preuve d’une extrême vigilance quant aux résultats des créations de ces espaces qui devront être très encadrés.

La grande variété des sujets abordés par le texte du Gouvernement est aussi symbolisée par les mesures relatives, notamment, à l’interruption volontaire de grossesse, ou IVG. Cela a été déjà largement évoqué.

Nous avons ainsi relevé, non sans surprise, la suppression du délai de réflexion de sept jours pour une IVG, la possibilité offerte aux centres de santé de pratiquer des IVG chirurgicales, la compétence accordée aux sages-femmes pour la réalisation des IVG médicamenteuses et la réforme du don d’organe.

Si nous ne contestons pas l’intérêt de certaines de ces mesures, nous considérons qu’elles méritent un large débat. À nos yeux, ces dispositions n’ont pas leur place au sein du présent projet de loi qui prétend moderniser notre système de santé, elles auraient davantage leur place dans une loi bioéthique.

Venons-en à présent au passage en force à l’étatisation systématisée, érigée en véritable socle idéologique et dogmatique de cette réforme. L’évolution des agences régionales de santé, ou ARS, symbolise cette orientation. Elles sont promises à un bel avenir, voire à une promotion certaine : elles deviendront peut-être demain des préfectures régionales de santé.

Ainsi, les ARS deviennent des superstructures bureaucratiques, dans le but essentiel de contrôler, d’imposer les cadres d’exercice de la médecine libérale et hospitalière.

Mme Catherine Génisson. Mais non, c’est faux !

Mme Corinne Imbert. Nous sommes, bien entendu, farouchement opposés à toute perte de liberté, de quelque ampleur soit-elle, car il s’agit d’une garantie de qualité et de continuité pour les soins comme pour le suivi des patients.

Opposer sans cesse le secteur public au secteur privé est une erreur : ils sont complémentaires et ils doivent interagir pour être efficaces.

M. Gilbert Barbier. Très bien !

Mme Corinne Imbert. La commission propose donc de redonner aux établissements privés la possibilité d’effectuer des missions de service public.

Mme Catherine Génisson. C’est fait !

Mme Corinne Imbert. Vous dites, madame la ministre, que la désertification médicale en milieu rural constitue aujourd’hui un sujet prioritaire. Vous avez raison, et c’est également le cas dans certains secteurs urbains. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. C’est une vraie question d’aménagement du territoire. Que proposez-vous ? La suppression des pôles de santé, pour les remplacer par des communautés professionnelles de santé !

La commission et la majorité sénatoriale ont réintroduit les pôles de santé, véritables outils de coopération, et souhaité les renforcer. Ils fonctionneront d’autant mieux qu’ils correspondront à des projets élaborés par les professionnels eux-mêmes. Il est indispensable d’améliorer l’offre de soins à partir de ces instruments. Souvenez-vous que ceux qui soignent, ce ne sont ni les murs ni les dispositifs, mais les professionnels de santé.

Je tiens également à soutenir la mesure adoptée par notre commission, sur proposition des rapporteurs, relative à l’obligation de négocier, dans le cadre de la convention médicale, autour de l’installation des médecins en zone dite « sous-dotée ».

Enfin, nous souhaitons que le contrat d’engagement de service public destiné aux étudiants et aux internes soit développé, mieux connu et plus attractif. Toutes ces mesures montrent qu’il est possible de concilier liberté d’installation et prise en compte des besoins des territoires, et surtout des patients.

Ainsi, la liberté de choix du patient doit être préservée. La garantie d’être soigné par un praticien qui ne soit pas commis d’office est primordiale. L’accès aux soins ne doit pas être concentré et contraint, il doit être, avant tout, structuré pour être performant.

Via un amendement de notre rapporteur Catherine Deroche, la commission a également fait le choix de préserver l’activité des médecins libéraux, et notamment celle des associations de permanence des soins, dans l’organisation de la permanence des soins ambulatoires.

En effet, cette mission de service public est assurée par les médecins libéraux, en collaboration avec les établissements de santé. Mais certaines ARS avaient décidé de supprimer la permanence des soins ambulatoires entre minuit et huit heures du matin, ce qui allait à l’encontre du dispositif prévu.

La commission a également maintenu la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT, tout en modifiant le paradigme initial : le projet médical doit être partagé entre les professionnels, et non pas être la résultante d’une décision imposée par l’unique volonté de l’ARS.

Fait inédit qui peut nous inciter à la vigilance concernant cette mesure, les ARS reçoivent depuis janvier 2015 des injonctions pour mettre en place des GHT sans projet médical préalable, alors que la loi n’est même pas votée. Quel sens de l’anticipation ! Votre volonté de rationaliser les coûts, que nous pouvons comprendre et que nous partageons, tout en maintenant des services adaptés aux soins, ne doit pas vous conduire à inverser les rôles !

Mme Corinne Imbert. Les commissaires ont également fait le choix de valoriser au sein du projet de loi les professionnels de la santé, en rétablissant, par exemple, l’ordre infirmier. Un ordre est garant de l’éthique d’une profession et de ses bonnes pratiques ; qui pourrait s’en plaindre ?

En tant que pharmacienne d’officine, j’approuve les dispositions visant à innover pour la qualité des bonnes pratiques, le bon usage du médicament et la sécurité des soins. Je rappelle que la loi de répartition qui régit notre installation permet un remarquable aménagement du territoire, garant de la proximité, mais que ce réseau devient fragile.

Je souhaite aussi vous appeler à une grande vigilance, madame la ministre, concernant le développement de la pharmacie numérique. Il n’y a pas lieu d’aller au-delà de ce qui se fait aujourd’hui. Un développement trop important et mal encadré serait une porte ouverte dans notre pays à la mise sur le marché de faux médicaments, fléau mondial dont vous n’ignorez pas l’existence et qui est aujourd’hui plus rémunérateur que le trafic de drogues.

Enfin, comment évoquer ce projet de loi sans parler de la généralisation du tiers payant ?

C’est une fausse bonne idée, une promesse vaine, un choix de facilité et non de responsabilité, une perte de conscience du coût réel de la santé. Oui, nous souhaitons maintenir ce dispositif pour les patients les plus fragiles. Mais il est totalement déraisonnable de généraliser ce mécanisme.

Dans le cadre du parcours de soins, le projet de loi oublie les nouvelles technologies liées à la télémédecine ou à la télétransmission des examens, qu’il faut encadrer. C’est aussi par ces voies nouvelles de l’innovation technologique que l’on pourra tendre vers l’équité de la prise en charge des patients.

On nous dit qu’il n’y a jamais eu autant de médecins, mais qu’ils seraient mal répartis. C’est donc bien l’organisation qu’il faudrait revoir.

La formation des médecins n’est pas toujours en adéquation avec les besoins de la population et des territoires. Plus on technocratise l’organisation, plus on aura besoin de médecins. C’est la conséquence évidente de cette loi.

Les économistes disent volontiers que la médecine à l’acte produit trop d’actes et que la médecine salariée n’en produit pas assez. Cette loi va dans le sens d’une médecine salariée, ce qui veut bien dire qu’il faudra former davantage de médecins. Et je rejoins la pensée de notre collègue René-Paul Savary, qui est intervenu de nombreuses fois sur ce sujet : étatiser la médecine conduit inévitablement à augmenter le numerus clausus.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, mon groupe défend le maintien de la médecine libérale, la complémentarité du secteur privé et du secteur public, ainsi que la liberté d’initiative. En ce qui concerne le coût de la santé, ce projet de loi ne règle en rien le problème économique, à savoir que la sécurité sociale est en déficit structurel et que les complémentaires sont excédentaires. Le tiers payant généralisé ne fera qu’accroître ce différentiel entre secteur déficitaire et secteur excédentaire !

Madame la ministre, vous remettez en cause, à terme, le libre choix du patient puisqu’il est prévu, derrière ce texte, que le parcours de soins sera organisé par ceux qui auront le pouvoir financier, à savoir les complémentaires !

La liberté, c’est avant tout le choix de leur médecin pour les patients et le choix de leur installation pour les médecins. Avec toutes ces remises en cause, les patients seront pénalisés et les médecins, démotivés.

Ce sera une atteinte au choix, une atteinte à la liberté du patient, donc l’amplification d’une médecine à deux vitesses. Vous jouez là un jeu dangereux !

Mes chers collègues, ce projet de loi hospitalo-centré dont nous nous apprêtons à discuter, au-delà du fait qu’il ne règle en rien les problèmes de santé qui nous préoccupent tous, est un véritable « fourre-tout » ne proposant aucune modernisation, pas plus aux patients qu’aux professionnels de santé.

Souvenez-vous de cette question que se posait déjà Socrate en son temps : « Existe-il pour l’homme un bien plus précieux que la santé ? »

À ce titre, nous ne pouvons pas laisser passer ces mesures insidieuses qui bouleverseraient profondément notre système de santé, sauf à constater dans quelques années qu’il serait trop tard pour sauver la médecine libérale. Je n’ose imaginer la situation que nous connaîtrions alors : les meilleurs spécialistes partis à l’étranger, un secteur public hospitalier vidé de ses meilleurs éléments et un secteur privé bridé dans ses initiatives.