M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Marc, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis vise à autoriser l’approbation de la décision du Conseil de l’Union européenne du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne. Cette nouvelle décision a vocation à se substituer à la décision du Conseil du 7 juin 2007, mais elle est applicable depuis le 1er janvier 2014, quelle que soit la date de son entrée en vigueur ! Ses effets seront donc rétroactifs.

La décision dont le projet de loi vise à autoriser l’approbation fait suite à l’accord sur les perspectives financières 2014-2020 issu du Conseil européen des 7 et 8 février 2013. Elle constitue le volet relatif aux recettes du cadre financier pluriannuel.

L’autre volet, relatif aux dépenses, a été fixé par un règlement du Conseil du 2 décembre 2013. Ce règlement a par exemple arrêté, pour la période 2014-2020, les plafonds annuels de dépenses et leur composition par catégorie de dépenses, que l’on appelle dorénavant « rubrique » dans le vocabulaire de l’Union européenne.

Comment le budget de l’Union européenne est-il équilibré, puisque recettes et dépenses sont régies par deux textes différents ? En pratique, le principe d’équilibre entre recettes et dépenses conduit à une sorte d’encadrement du budget de l’Union européenne par les règles fixées par ces deux types de textes. Celui qui nous occupe aujourd’hui concerne le système de financement de l’Union européenne, sans préjuger du niveau des dépenses ou de leur répartition. Il s’agit donc d’une « tuyauterie » destinée à alimenter le budget, mais pas d’une autorisation de dépenses.

J’indique toutefois que, pour chacune des années couvertes par le cadre financier pluriannuel, le total des crédits ouverts en dépenses ne peut conduire à un taux d’appel des ressources propres supérieur à un plafond donné, soit 1,23 % du revenu national brut des États membres.

Dans la limite de ces plafonds annuels globaux, le financement de l’Union européenne par ses ressources propres s’ajuste au niveau des dépenses votées chaque année.

Pour mémoire, les perspectives financières 2014-2020 représentent un peu plus de 1 000 milliards d’euros, soit une hausse de 11 % par rapport à la programmation 2007-2013. Il s’agit donc d’un budget annuel de l’Union européenne d’environ 150 milliards d’euros sur la période 2014-2020.

Le calcul des contributions nationales se fait en appliquant une « correction » à la contribution britannique, dite « chèque » ou « rabais », qui consiste à rembourser au Royaume-Uni les deux tiers de la différence entre sa participation au budget communautaire et les retours qu’il perçoit. La charge résultant de cette correction est répartie entre les autres États membres.

Toutefois, d’autres États fortement contributeurs, comme l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas ou l’Autriche, bénéficient d’un « rabais sur le rabais » : leur participation au financement du « chèque » britannique est écrêtée de 75 %. Ils ne payent donc que 25 % du montant qu’ils devraient théoriquement acquitter. D’autres corrections sont appliquées : ces quatre États bénéficient ainsi de taux d’appel de TVA allégés et une réduction forfaitaire des contributions RNB profite aux Pays-Bas et à la Suède.

Toutes ces corrections, qui représentent autant de « manques à gagner » pour le budget européen, sont financées par la ressource RNB, ressource d’équilibre, et, par conséquent, par l’ensemble des autres États membres, au prorata de leur part relative dans le revenu national brut de l’Union européenne.

La France est aujourd’hui le deuxième pays contributeur au budget communautaire, à hauteur d’environ 17 % du total des ressources, derrière l’Allemagne. La France est également contributeur net, au sens où sa contribution au budget communautaire est supérieure aux dépenses de ce budget réalisées sur son sol. Ce solde net négatif s’élevait à 9,4 milliards d’euros en 2013 et il ne cesse de se détériorer : il a ainsi été multiplié par près de vingt-quatre depuis 1999.

La décision du 26 mai 2014, dont il nous est ici demandé d’autoriser l’approbation, ne change pas grand-chose, et il n’est pas faux de dire que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 constitue une occasion de réforme ratée : nous aurions pu, ou dû, supprimer tous ces rabais que je viens d’énumérer, comme le demandait la France et comme l’avait du reste proposé la Commission européenne dans son projet du 29 juin 2011.

La nouvelle décision, telle qu’elle nous est proposée, maintient en effet l’essentiel du système en vigueur, voire renforce ses défauts.

Ainsi, le Danemark bénéficiera d’un nouveau rabais forfaitaire sur sa contribution RNB ; la Suède et les Pays-Bas voient leur rabais forfaitaire sur la contribution RNB augmenter ; l’Autriche a obtenu un nouveau rabais temporaire dégressif pour sa ressource RNB… Autre exemple, le « chèque déguisé » en faveur des gros importateurs, en particulier des Pays-Bas, qui concerne les frais de perception au titre des droits de douane, est maintenu, bien qu’un peu réduit. En effet, les frais de perception retenus par les États membres vont passer de 25 % à 20 %, alors que les frais réels de perception sont de l’ordre de 2 % du produit fiscal.

Au total, la France devra donc contribuer davantage au financement des différents rabais en vertu de ce compromis qui résulte du processus de négociation entamé en 2011 et qui a abouti au Conseil européen de février 2013, puis à la décision du Conseil du 26 mai 2014. Sur la période 2014-2020, la contribution de la France au budget de l’Union européenne devrait s’élever à un peu plus de 153 milliards d’euros, soit environ 22 milliards d’euros en moyenne par an.

Je tiens cependant à souligner que l’évolution des contributions des États membres au budget de l’Union européenne entre 2014 et 2020 résulte surtout de la croissance du budget communautaire, la nouvelle décision sur les ressources propres n’affectant, pour l’essentiel, que les modalités de calcul des contributions.

Il n’en reste pas moins que notre situation de contributeur net devrait probablement encore s’accentuer. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous le confirmer et disposez-vous de simulations concernant l’évolution dans les prochaines années de ce solde négatif pour notre pays ?

En 2016, la date d’entrée en vigueur de la nouvelle décision sur les ressources propres devant être le 1er janvier 2014, notre contribution augmentera de manière plus marquée, en raison d’une application rétroactive des corrections et rabais sur les années 2014 et 2015 : un montant de l’ordre de 22 milliards à 23 milliards d’euros est évoqué pour le projet de loi de finances pour 2016. Peut-être pourrez-vous nous préciser ce chiffre, monsieur le secrétaire d’État ?

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose d’adopter ce projet de loi, en dépit des défauts de la nouvelle DRP. Je rappelle que le mode de fonctionnement de la construction européenne impose d’aboutir à des compromis toujours imparfaits.

Je déplore bien évidemment que nous nous soyons éloignés des traités fondateurs, qui prévoyaient d’abonder le budget européen par le biais de ressources propres, et non par celui de contributions prélevées sur les budgets nationaux des États membres. Le système actuel de financement de l’Union européenne restera, de plus, dénaturé par la multiplicité des rabais et corrections. La France et l’Italie seront, d’ici à 2020, les seuls contributeurs nets à ne pas bénéficier d’un rabais spécifique !

Il faut maintenant poursuivre la réflexion sur la réforme du système des ressources propres à l’horizon de 2020, comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État. Tel est l’enjeu de la création, l’année dernière, du groupe à haut niveau, présidé par Mario Monti, dont l’objectif est de procéder à un réexamen du système des ressources propres en vue de le rendre plus simple, plus transparent et plus responsable.

Dans ces conditions, il serait opportun que le Gouvernement indique au Sénat quelle position la France fera valoir et si elle compte prendre des initiatives en la matière. Dans une déclaration récente, le Président de la République a en effet annoncé qu’il souhaitait que le produit de la future taxe sur les transactions financières soit affecté à la lutte contre le changement climatique. Or le Conseil européen de février 2013 indiquait que cette taxe pourrait aussi servir de base à une nouvelle ressource propre pour le budget de l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser la position de la France sur ce point ?

Au-delà des grandes exigences relatives aux ressources propres que vous avez rappelées – rendement, stabilité, commodité technique, assiette fiable, anticipation des effets sur les agents économiques et proximité avec le RNB –, pouvez-vous nous indiquer la nature des financements que la France souhaite privilégier ?

Bien entendu, nous examinerons avec vigilance le rapport que le groupe à haut niveau rendra en 2016 et nous serons très attentifs aux évolutions indispensables du financement de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. André Gattolin et Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord rappeler des chiffres éloquents, mentionnés par le rapporteur lors des travaux en commission : en 1999, la contribution nette de la France au budget de l’Union européenne était de 400 millions d’euros ; elle est aujourd’hui de près de 10 milliards d’euros.

Cet accroissement considérable, en valeur, de notre contribution au budget européen depuis le passage à la monnaie unique s’explique principalement par l’élargissement aux pays de l’ancien bloc de l’Est, dont les économies sont pour la plupart, et c’est compréhensible, en rattrapage, et qui sont donc des bénéficiaires nets.

La France, qui bénéficie aussi des aides européennes au travers de la politique agricole commune et des fonds structurels, est donc, de loin, l’un des plus gros pays contributeurs de l’Union. Cette réalité mérite d’être rappelée pour que nous puissions aborder sans a priori, mais conscients de notre légitimité, le sujet des ressources propres.

Ce système, dit des « ressources propres de l’Union européenne », a ceci de particulier qu’il reste encore aujourd’hui en grande partie un objectif à atteindre plus qu’une réalité. En effet, l’Union européenne tire pas moins de 75 % de ses revenus de la ressource RNB, ce qui se traduit concrètement par une contribution directe de ses États membres. Pour la France, le montant de cette contribution représente 20,74 milliards d’euros en 2015, ce qui fait de notre pays le deuxième contributeur au budget européen après l’Allemagne. En 2016, ce montant s’élèvera à 22,8 milliards d’euros, soit une hausse de 10 %, en partie causée par l’application rétroactive de la décision sur les ressources propres dont nous nous apprêtons à autoriser l’approbation.

La ressource RNB elle-même est de plus en plus dénaturée par le rabais britannique – le fameux « chèque » de Mme Thatcher – et les nombreux « rabais sur le rabais » obtenus par d’autres pays, essentiellement d’Europe du Nord et de Scandinavie – Allemagne, Autriche, Pays Bas et Suède –, qui ne sont donc pas toujours aussi vertueux que la France et l’Italie, pays dits latins.

Alors qu’il devait supprimer ces rabais, le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 les a, au contraire, reconduits, et même renforcés. La pratique budgétaire communautaire s’écarte donc de plus en plus de ce que prévoient les traités. Cette évolution devient préoccupante, car elle mine toujours davantage le consentement des États et des peuples à poursuivre la construction européenne.

Pourtant, les pistes ne manquent pas pour remédier à cette situation.

En premier lieu, l’idée de la mise en place d’une taxe sur les transactions financière, dont le produit serait consacré au financement du budget communautaire, a été présentée ici même par le RDSE et un temps défendue par la France, mais sa concrétisation tarde à venir, compte tenu des réticences britanniques. Par ailleurs, le Président de la République souhaite désormais affecter son produit à la lutte contre le changement climatique. Monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il exactement ?

En deuxième lieu, la hausse des droits de douane aux frontières de l’Union est une autre hypothèse à envisager sans tabou. Les droits de douane prélevés par les États membres et versés au budget commun constituent l’une des ressources historiques de l’Union européenne. Il s’agissait même à l’origine de sa ressource principale, avant l’abaissement systématique de ces droits par les politiques de libéralisation menées à partir des années quatre-vingt. Les Européens, qui réalisent la majorité de leur commerce avec d’autres partenaires européens, ne devraient pas craindre d’aborder ce sujet et s’inspirer de ce que font déjà les États-Unis ou la Chine, plus conscients de leurs intérêts et surtout plus soucieux de les préserver. Loin d’entraîner un repli protectionniste, la hausse des droits de douane permettrait de financer des politiques ambitieuses d’investissement dans les secteurs et les technologies d’avenir. Gambetta disait que la politique est l’art du possible : ne nous privons donc d’aucune possibilité !

Une troisième piste, plus réaliste à court terme, passe par la réforme de la ressource TVA, qui représente 13 % du budget total de l’Union. Cette ressource pourrait contribuer beaucoup plus au financement de ce dernier si les États s’attaquaient plus sérieusement à la lutte contre la fraude à la TVA, estimée à 150 milliards d’euros, soit ni plus ni moins que le budget annuel de l’Union. La réforme de la ressource TVA permettrait aussi de relancer le débat sur l’harmonisation fiscale au niveau européen.

Enfin, l’Union doit accentuer ses efforts pour mieux taxer les activités liées aux technologies numériques, comme le e-commerce ou la consommation des biens culturels en ligne, et profiter ainsi des dividendes de la révolution numérique. Pour l’heure, la Commission européenne n’en est encore qu’aux balbutiements dans sa tentative d’instaurer un rapport de force avec les géants américains du numérique.

Vous le voyez, mes chers collègues, la décision relative au système des ressources propres de l’Union européenne est profondément, intrinsèquement politique. Afin de respecter la volonté des peuples européens, toutes les évolutions futures devront associer étroitement les parlements nationaux.

Considérant que les parlementaires français doivent laisser la porte ouverte à la possibilité de réformes futures, l’ensemble des membres du RDSE, groupe historiquement et très majoritairement pro-européen, voteront en faveur de l’adoption du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à première vue, ce projet de loi semble ne relever que d’une pure formalité. Nous devons intégrer dans notre droit national la décision du Conseil européen du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres, alors que celle-ci est d’ores et déjà appliquée sur le plan européen.

Pourtant, à y regarder de plus près, ce texte soulève d’importantes questions quant à la dimension politique que nous accordons au budget de l’Union européenne.

Il s’agit de la septième décision de ce type, et pourtant nous restons encore prisonniers d’une architecture budgétaire archaïque qui fragilise l’Union européenne face aux autres grands ensembles continentaux de dimension comparable. Je pense notamment aux États-Unis.

Mme Fabienne Keller. C’est vrai !

M. Yves Pozzo di Borgo. Le budget annuel moyen de l’Union européenne dans le nouveau cadre financier pluriannuel est de 150 milliards d’euros environ, quand le budget fédéral américain pour 2015 est de 1 100 milliards de dollars, soit un peu moins du décuple ! Je n’évoquerai pas le volet de l’endettement, puisque celui-ci est proscrit en Europe par les traités.

Ce volume représente à peine plus d’un point de notre produit continental brut, ce qui est bien trop faible. Les économistes s’accordent à dire qu’il faudrait que le budget de l’Union atteigne au moins cinq points de PIB pour qu’il puisse avoir un vrai poids économique et permette de mener une véritable politique budgétaire au plan continental.

Cette faiblesse budgétaire rend plus difficile le parachèvement politique de l’Union européenne. Sans budget autonome, nous ne pouvons pas amortir les chocs économiques à l’échelle de l’Union, ni mettre en place une défense intégrée. On pourrait multiplier les exemples. Sans budget suffisant, il n’y a tout simplement pas de structure politique viable. À quoi bon, en effet, avoir un ministre européen des finances ou encore un service européen du Trésor si l’Union ne dispose pas d’un budget suffisant ou de la capacité de s’endetter ? Il faudra s’interroger à ce sujet, car l’endettement est un moyen d’accroître l’action de l’Europe, à condition de faire preuve de prudence : les excès de l’endettement aux États-Unis ou dans certains pays européens, comme la France, nous y obligent.

Ces contraintes stimulent au moins la créativité des décideurs européens, qui parviennent encore, malgré elles, à dessiner des perspectives d’avenir pour notre continent.

À ce titre, nous ne pouvons que saluer encore une fois le travail accompli par la Commission Junker concernant le plan d’investissement européen. À défaut de pouvoir s’endetter auprès d’acteurs privés, il faut que l’Union européenne parvienne à faire participer ces derniers au financement de projets d’investissements stratégiques. La démarche est certes innovante, mais plus longue, plus diffuse et soumise à beaucoup plus d’aléas qu’un transfert budgétaire classique.

Le budget de l’Union ne s’est donc pas encore imposé comme l’expression financière d’une politique continentale et fédérale pleinement assumée. Il reste encore trop souvent, je le regrette, le produit des égoïsmes nationaux et pâtit de l’absence de ressources autonomes et dynamiques. On ne peut pourtant pas invoquer la solidarité européenne le matin et jouer un jeu purement individualiste le soir.

Nous avons besoin d’un budget européen significatif et intégré, et même fédéral, comme le souhaitent les centristes, car nos sociétés devront faire face, dans les prochaines années, à des défis que les seules capacités d’action des États membres ne permettront pas de relever.

Nous savons déjà que notre sécurité et que la lutte contre le terrorisme international se jouent sur le plan européen. Il en va de même pour la crise migratoire, la lutte contre le réchauffement climatique ou même le règlement définitif de la crise grecque.

La mise en place d’un budget fédéral n’est donc pas un simple ornement politique ; c’est une nécessité pratique et incontournable, face à laquelle les égoïsmes nationaux n’ont pas leur place.

À ce stade, l’Union européenne dispose de deux types de ressources propres : des ressources fiscales autonomes issues de la TVA et des droits de douane, d’une part, et des recettes liées au revenu national brut des États, d’autre part, représentant respectivement un peu moins de 30 % et 70 % du budget de l’Union.

Concernant la recette RNB, son évaluation est devenue l’occasion de l’expression la plus aboutie des égoïsmes nationaux. M. Marc a très justement dressé, dans son rapport, la liste des « rabais », des arrangements financiers, voire des « rabais sur le rabais » qui contribuent à amoindrir le poids de la politique budgétaire de l’Union. Nous pourrions revenir sur les rabais britannique, danois ou allemand ; l’inventaire serait finalement assez proche de la liste des contributeurs nets au financement de l’Union européenne. In fine, seules l’Italie et la France demeurent des contributeurs nets ne bénéficiant d’aucune contrepartie financière d’aucune sorte. D’aucuns pourraient crier au scandale ; pour ma part, je me réjouis que la France joue pleinement le jeu du financement de l’Union européenne.

Concernant les recettes autonomes, elles ne pourront se développer qu’en reconsidérant la portée du principe de subsidiarité entre l’Union et les États membres.

Les États et les gouvernements ne transmettent jamais que des ressources archaïques et trop peu dynamiques. Il faut donc imaginer des recettes nouvelles pour asseoir l’autorité politique de l’Europe.

La taxe sur les transactions financières a longtemps été évoquée comme une potentielle ressource d’avenir. Là encore, les interrogations sont trop nombreuses. Depuis longtemps, les centristes appellent de leurs vœux la création d’une telle taxe, au plan européen d’abord, mondial ensuite. Toutefois, toutes les nations européennes ne sont pas prêtes à jouer ce jeu. Le Royaume-Uni y est fortement opposé, pour des raisons évidentes : selon Les Échos de jeudi dernier, la place financière de Londres est passée devant celle de New York, tandis que Paris se classe au trente-septième rang… Ajoutons que Londres est devenu le paradis fiscal légal le plus important du monde : c’est ainsi ! L’Allemagne, quant à elle, est très faiblement attachée à la création d’une telle taxe, puisque les principales banques allemandes sont cotées en Angleterre.

Enfin, au-delà de la seule question de l’assiette territoriale de cette taxe, se pose celle de sa destination. Son produit doit-il alimenter le budget de l’Union européenne ? Doit-il, comme l’a évoqué le Président de la République, financer la politique environnementale ? Doit-il, comme je l’avais proposé au nom du groupe UDI-UC lors de l’examen du collectif budgétaire de l’été 2014, financer la lutte contre le sous-développement via l’Organisation des Nations unies ? La question n’est pas encore tranchée, et je crois qu’elle n’est pas inscrite à l’agenda européen.

Cela pose, plus largement, la question d’une imposition directe par l’Union européenne. Un prélèvement européen supplémentaire serait actuellement mal perçu par nos concitoyens, après les hausses d’impôts nationaux de ces dernières années. Retenir cette option serait d’autant plus mal vécu que rarement le sentiment de défiance à l’égard de l’Union européenne a été aussi répandu.

En outre, la création d’une telle ressource imposerait de profondes réformes institutionnelles au sein même des organes de l’Union, afin de faire davantage de place au Parlement européen face à la Commission et au Conseil. On imagine en effet mal un parlement qui voterait l’impôt ou exprimerait le consentement des citoyens sans bénéficier de davantage de prérogatives institutionnelles.

Il faut donc prendre le problème à la racine. Le Gouvernement demande la disparition de tous les rabais : cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant.

L’instauration d’un vrai budget européen suppose de reconsidérer la portée même du principe de subsidiarité. Pour qu’un budget politique de l’Union émerge, il faudrait, schématiquement, que les États fassent moins, pour que l’Union fasse plus. Dès lors, l’Union serait fondée à capter à due concurrence les recettes nécessaires à l’exercice de ses nouvelles compétences. Tel est le modèle qui prévaut dans tous les États fédéraux de dimension continentale, tels les États-Unis ou le Brésil. Si nous souhaitons que l’Europe fasse le saut qualitatif dont nous avons besoin, c’est dans cette direction que nous devons nous orienter.

En l’espèce, le présent projet de loi ne répond pas à ces questions. Il tend à s’accommoder de ce qui existe déjà et à l’aménager à la marge. Ce n’est pas à la hauteur d’une véritable ambition européenne, mais cela suffit à sauvegarder l’ordinaire. Le groupe UDI-UC, fort de sa profonde conviction européenne, ne peut donc que soutenir ce texte, même s’il manque cruellement de dimension politique pour l’Européen convaincu et exigeant que je suis. (Mme Fabienne Keller, MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur les ressources propres de l’Union européenne est récurrent. Je rejoindrai à peu de choses près l’analyse et les conclusions des orateurs qui m’ont précédé.

Les difficultés sont connues, les arguments sont répétés, mais rien ne bouge. Chaque négociation aboutit à des ajustements à la marge. Pis, les défauts pourtant dénoncés s’aggravent !

La négociation sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 n’a pas échappé à ce triste constat. Comme le souligne notre collègue François Marc, dont je salue le rapport, le Conseil européen de février 2013 a décidé de maintenir pour l’essentiel le système en vigueur. La nouvelle décision relative au système des ressources propres en aggravera même les défauts.

On ne peut aborder la question des ressources propres sans relever au préalable deux spécificités du débat budgétaire européen.

Première observation, ce débat budgétaire est quelque peu tronqué. Les dépenses sont votées annuellement, dans les limites, certes, d’un cadre financier pluriannuel programmé sur sept ans. Le système de financement est, quant à lui, déterminé par une décision relative au système des ressources propres qui est calée sur la durée du cadre financier. Elle ne fait donc l’objet d’une révision qu’au terme de chaque cadre financier.

Ainsi, la précédente décision « ressources propres » remonte à 2007. Le volet « recettes » est en quelque sorte subsidiaire, puisqu’il n’est traité que tous les sept ans. Il reste, en outre, entièrement entre les mains des États membres. Si l’on ajoute que la règle de l’unanimité s’applique pour l’adoption des décisions « ressources propres », on comprend que la structure du financement de l’Union européenne ne peut évoluer que très lentement !

Ma seconde observation préalable portera sur la faiblesse du budget européen. Nous le disons depuis longtemps, mais comment traiter des ressources du budget européen sans, à nouveau, constater la modestie de celui-ci ? Après de laborieuses négociations, le Conseil européen a retenu, en 2013, un montant de quelque 1 000 milliards d’euros sur sept ans, soit un budget annuel de quelque 150 milliards d’euros, représentant seulement environ 1 % du produit intérieur brut européen. Il y a donc un décalage manifeste entre les grandes ambitions affichées dans les traités et les moyens financiers mobilisés pour les concrétiser.

Je pense que le discrédit dont souffre l’Union européenne aux yeux de nos concitoyens est en partie dû à l’insuffisance de ses moyens financiers au regard des actions à mener. Yves Pozzo di Borgo a fait tout à l’heure un parallèle avec les États-Unis : l’architecture n’est certes pas tout à fait la même, mais il reste que les budgets sont sans commune mesure.

J’en viens plus directement au financement du budget européen. Depuis la décision du Conseil du 21 avril 1970, celui-ci doit, en principe, reposer sur des ressources propres. M. le rapporteur a rappelé quelles en étaient les principales composantes. Qu’a-t-on observé dans la pratique ? La part des ressources traditionnelles est toujours plus marginale. La ressource TVA, qui représentait 57 % des ressources propres en 1984, a elle aussi baissé continuellement : elle constituait 13 % des recettes en 2013. En revanche, la ressource RNB n’a cessé d’augmenter : elle représente désormais 75 % du financement total du budget européen. On est ainsi revenu à la situation qui prévalait avant 1970 !

Disons-le clairement, cette situation est contraire à la fois à la lettre et à l’esprit des traités : à la lettre, puisque le traité prévoit que « le budget est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres » et qu’« il est possible d’établir de nouvelles catégories de ressources propres » ; à l’esprit, car les traités impliquent que les objectifs qu’ils assignent aux politiques européennes soient financés de façon autonome.

Cette incapacité de l’Union à se doter de véritables ressources propres n’a fait qu’attiser le débat périlleux sur le « juste retour » et les « soldes nets ». Le débat sur le financement de l’Union s’est transformé en discussion de boutiquiers. Les rabais et corrections ont gangrené le dispositif. Ce que l’on appelle le « chèque » britannique s’est sans cesse complexifié. Il a aussi fait tache d’huile : de plus en plus d’États membres contributeurs nets ont obtenu des compensations au nom du « juste retour ».

Or ce débat sur le « juste retour » a un effet délétère. Le « solde net » est devenu un point de fixation. Il met en cause le principe de solidarité. Il rabaisse le projet européen à un jeu comptable. Chaque État scrute le budget européen pour évaluer, ligne par ligne, son juste taux de retour, là où, au contraire, les politiques européennes devraient être conçues et appliquées en fonction de la plus-value globale qu’elles apportent à l’Union dans son ensemble.

Au passage, nous devons nous préoccuper de la situation de la France dans ce mode de financement du budget européen. Notre pays est le seul contributeur net avec l’Italie à ne pas bénéficier d’un rabais spécifique.

Comme l’a expliqué François Marc, la France, opposée par principe aux rabais, n’avait pas souhaité en demander pour elle-même pendant les négociations. Or elle se trouve aujourd’hui être le principal financeur du « chèque » britannique, cela dans un contexte où la contribution française au budget européen augmente depuis trente ans. Elle a ainsi été multipliée par cinq depuis 1982. La France est le deuxième contributeur au budget européen derrière l’Allemagne. Il est vrai qu’elle est le deuxième bénéficiaire des dépenses de l’Union derrière la Pologne, grâce aux dépenses de la politique agricole commune. Cependant, elle affiche un solde net négatif de plus de 9 milliards d’euros, qui ne cesse de se détériorer. J’ajoute que nous avons tout lieu d’être inquiets de l’évolution qui pourrait résulter de la position britannique sur la politique agricole commune. Si celle-ci devait être fragilisée, la situation de la France serait encore plus délicate.

En définitive, même si nous voterons le texte qui nous est soumis, lequel reflète le compromis trouvé entre les États membres au sein du Conseil européen, nous voyons bien que ce système à la fois opaque et obsolète doit évoluer.

Constatons que l’adoption du « paquet législatif » proposé par la Commission européenne en 2011 aurait permis de faire bouger les lignes. Au total, dans le dispositif envisagé par la Commission et selon ses estimations, les ressources RNB auraient été ramenées autour de 40 % en 2020. En outre, la Commission proposait une simplification radicale des rabais.

On ne peut que prendre acte du choix des États membres de ne pas donner suite à ces propositions de la Commission européenne. Toutefois, le dossier n’est pas clos, tant le système actuel présente de défauts. Il faut donc porter au crédit du Parlement européen d’avoir obtenu la mise en place d’un groupe de haut niveau interinstitutionnel. C’était, avec la flexibilité dans les dépenses, la condition posée par le Parlement pour approuver le cadre financier pluriannuel. Il revient à ce groupe, présidé par Mario Monti, de procéder à un réexamen général du système des ressources propres. Un premier rapport d’évaluation a été présenté en décembre 2014. Nous attendons maintenant, pour 2016, le second rapport, qui devra formuler des recommandations. Ce sera un moment important, puisque ces recommandations seront examinées dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel.

Dans cette perspective, il nous semble que la démarche doit être ambitieuse. Elle doit permettre d’aller réellement dans le sens de la simplification et de la transparence. Elle doit aussi permettre de répondre aux dispositions des traités en augmentant très sensiblement la part des ressources propres dans le financement européen et en réduisant d’autant celle de la ressource d’équilibre RNB.

Pour cela, il faut explorer toutes les pistes. C’est ce qu’a fait la commission des affaires européennes sur les rapports successifs de François Marc et de notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.

Il faudra aussi lever les incertitudes. La discussion relative à la création d’une taxe sur les transactions financières semble avoir progressé dans le cadre d’une coopération renforcée. C’est une première avancée. Le Conseil européen avait envisagé, en 2013, que son produit pourrait alimenter le budget européen. Toutefois, comme l’a relevé le rapporteur général Albéric de Montgolfier, le Président de la République a, quant à lui, indiqué que cette taxe pourrait financer la lutte contre le changement climatique, qui est une autre urgence ! Monsieur le secrétaire d'État, une clarification est donc indispensable, car l’appréciation que nos concitoyens portent sur l’Union européenne est à l’aune des moyens financiers dont elle dispose pour mener un certain nombre de politiques.

Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, nous voterons le projet de loi qui nous est soumis. Nous en arrivons à ce paradoxe d’être pratiquement tous d’accord pour voter un texte dont nous soulignons tous l’imperfection ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)