compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jackie Pierre.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à minuit.)

1

Ouverture de la session ordinaire de 2015-2016

Mme la présidente. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2015-2016 est ouverte.

2

Article 46 ter (supprimé) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Rappel au règlement

Modernisation de notre système de santé

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé (projet n° 406, texte de la commission n° 654, rapport n° 653 [tomes I et II], avis nos 627 et 628).

Mes chers collègues, je vous propose de siéger jusqu’à zéro heure trente au moins, afin d’avancer l’examen de ce texte et d’éviter de siéger vendredi. La séance sera alors suspendue, pour reprendre à dix heures trente.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour un rappel au règlement.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Article 46 ter (supprimé) (début)

M. Alain Vasselle. Puisque nos méthodes de travail changent à compter de ce jour, je voudrais protester de nouveau contre nos conditions de travail.

Lorsque Philippe Séguin était président de l’Assemblée nationale, le Parlement s’est réuni en Congrès à Versailles pour modifier la Constitution et instaurer la session unique. À l’époque, on nous avait assuré qu’il n’y aurait plus de séances de nuit et que nous ne siégerions plus les lundis ni les vendredis. Or il n’en est rien ! Nous sommes confrontés à une véritable diarrhée législative ! Nous ne cessons de légiférer, et les parlementaires n’ont plus le temps d’être présents dans leur circonscription, auprès de leurs électeurs et concitoyens.

Je souhaiterais donc, madame la présidente, que l’on puisse tirer les enseignements de cette situation. Certes, le Gouvernement fixe l’ordre du jour, mais nous sommes néanmoins maîtres de notre emploi du temps et de notre calendrier. Le président du Sénat devrait à mes yeux se pencher sur cette question.

Mme la présidente. Monsieur Vasselle, permettez-moi de vous répondre.

Il est vrai que nos conditions de travail ne sont pas toujours faciles, mais nous en sommes tous responsables : le Gouvernement, certes, mais nous aussi. Ainsi, plus de 1 200 amendements ont été déposés sur le présent texte. Chacun doit faire des efforts.

M. Alain Vasselle. Ce n’est pas nous qui sommes à l’initiative des projets de loi !

Mme la présidente. Si nous siégeons jour et nuit, nous en sommes tous responsables ! Je le redis, il nous incombe à tous, parlementaires et Gouvernement, de faire des efforts ; alors ne siégerons-nous peut-être pas le samedi, le dimanche ou le lundi…

M. Georges Labazée. Le nouveau règlement s’applique-t-il, madame la présidente ?

Mme la présidente. Les nouveaux temps de parole s’appliquaient déjà, et il n’y a donc pas de changement sur ce point. En revanche, les nouvelles règles concernant la présence s’appliquent à compter de ce jour.

Acte vous est donné de ce rappel au règlement, monsieur Vasselle.

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Nous poursuivons l’examen du texte de la commission.

TITRE IV (suite)

RENFORCER L’EFFICACITÉ DES POLITIQUES PUBLIQUESET LA DÉMOCRATIE SANITAIRE

Chapitre IV (suite)

Associer les usagers à l’élaboration de la politique de santé et renforcer les droits

Mme la présidente. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre IV du titre IV, à l’article 46 ter.

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Article 46 ter (supprimé) (interruption de la discussion)

Article 46 ter (suite)

(Supprimé)

Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de l’amendement n° 1258, présenté par le Gouvernement et dont je rappelle les termes :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Les deuxième à avant-dernier alinéas de l’article L. 1232-1 du code de la santé publique sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité, conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine.

« Ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Ce refus est révocable à tout moment. »

II. – Le 2° de l’article L. 1232-6 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« 2° Les modalités selon lesquelles le refus prévu au dernier alinéa du même article peut être exprimé et révoqué ainsi que les conditions dans lesquelles le public et les usagers du système de santé sont informés de ces modalités ; ».

III. – Les I et II entrent en vigueur six mois après la publication du décret en Conseil d’État prévu au II, et au plus tard le 1er janvier 2017.

Je rappelle que Mme la ministre a déjà présenté cet amendement lors de la précédente séance.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, corapporteur. Lors de l’examen, voilà quelques années, du projet de loi relatif à la bioéthique, j’avais proposé, en tant que rapporteur, de fixer un délai de révision de cinq ans, que le Sénat a finalement porté à sept ans, sur la suggestion de Mme Hermange, tandis que le ministre de la santé de l’époque, M. Xavier Bertrand, ne souhaitait pas que cette loi soit révisable.

En commission mixte paritaire, seuls les députés de droite ont voté contre la révision de la loi au bout de sept ans, c’est-à-dire au plus tard en 2018 : les députés de gauche, parmi lesquels le professeur Touraine, les sénateurs de gauche et les sénateurs de l’UMP ont voté pour.

Or le sujet qui nous occupe maintenant relève directement de la loi relative à la bioéthique. C’est une raison supplémentaire pour ne pas l’aborder aujourd’hui au travers du présent amendement : attendons la révision de cette loi, qui prévoit la consultation de la population et des médecins, devant être suivie de l’élaboration d’un projet de loi.

La commission des affaires sociales a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Comme l’a souligné Mme le ministre, il s’agit ici d’une démarche de conscience, intime, qui touche à la vie familiale.

De fait, cet amendement tend à faire du don d’organes, qui devrait être un geste spontané de partage et de solidarité, une obligation, sauf avis contraire.

Bien sûr, il existe des situations dramatiques liées à l’insuffisance des dons d’organes, mais mettons-nous à la place des familles, à celle des parents qui perdent un enfant jeune, et imaginons le choc psychologique que provoquera un prélèvement d’organes obligatoire en l’absence d’expression d’une volonté contraire du vivant du donneur.

Vous nous dites, madame le ministre, que l’avis de la famille sera sollicité. Or je ne trouve pas trace d’une telle disposition dans le texte de votre amendement. Il y est écrit que les proches du défunt sont informés au préalable, mais pas que leur consentement est demandé.

En conclusion, je partage tout à fait les propos qu’a tenus M. le rapporteur sur les disparités entre territoires et le nécessaire effort d’information du public. Je réitère les propositions qui ont été faites à plusieurs reprises, en particulier par Mme Debré, pour définir un support, qui pourrait être la carte Vitale, sur lequel figurerait notamment l’expression de la volonté de chacun quant au don d’organes, ainsi qu’à la fin de vie. Je pense qu’il faut réfléchir à cette question et entamer, avec les professions de santé, une démarche d’information et de persuasion, plutôt que d’essayer d’avancer comme vous le faites, madame le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. À la lecture du texte en vigueur, à savoir l’article L. 1232–1 du code de la santé publique, il apparaît que, dès 2004, le législateur a inscrit dans le droit une démarche relativement similaire à celle qui nous est présentée ici. Cependant, les mots doivent être regardés dans le détail : le code de la santé publique dispose actuellement que « si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt ». Or l’amendement prévoit simplement que le médecin informe les proches du défunt. Il y a là un glissement sémantique qui n’est tout de même pas neutre.

Par ailleurs, je reconnais que d’autres aspects du dispositif de l’amendement peuvent aller dans le bon sens. Ainsi, je suis d’accord avec vous, madame la ministre, pour considérer que l’inscription sur un registre national ne devrait pas forcément être le seul moyen d’exprimer sa volonté en matière de don d’organes.

Néanmoins, la mention d’une simple information des proches du défunt empêchera malheureusement un certain nombre d’entre nous de voter votre amendement. Peut-être gagneriez-vous à élaguer quelque peu celui-ci pour laisser à la réflexion le temps de mûrir. En l’état actuel des choses, je voterai contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention, madame la ministre. Il m’a semblé vous entendre indiquer que l’on n’irait pas contre l’avis de la famille. Or le texte que vous nous soumettez prévoit seulement que « le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé » : cela signifie que le prélèvement se fera de toute façon, quel que soit l’avis de la famille.

Je serais prêt à voter votre amendement s’il mentionnait la recherche du consentement de la famille au prélèvement. Cela reviendrait, pratiquement, à maintenir le texte en vigueur.

Je suis d’avis, comme M. Milon, qu’il faudrait peut-être renvoyer cette question, parmi d’autres, à la révision de la loi relative à la bioéthique. Il m’a semblé comprendre que vous étiez en fait très favorable à l’obtention du consentement de la famille, mais votre texte n’en parle pas.

Bien entendu, il faut faire un effort de persuasion en direction des familles. À cet égard, l’attitude des services d’urgence et de prélèvement varie parfois beaucoup selon les territoires.

En conclusion, si cet amendement n’est pas rectifié dans le sens que j’ai indiqué, je ne pourrai le voter.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Ce débat est passionnant parce qu’éthique. Je n’ai pas relevé de divergence entre les propos de M. le rapporteur et ceux de Mme la ministre.

Madame la ministre, vous avez clairement indiqué que vous ouvriez le débat sur le difficile problème de faire concorder le principe du consentement présumé et l’obtention de l’accord de la famille pour procéder au prélèvement d’organes.

À mes yeux, l’amendement ne fige rien, même si sa rédaction est peut-être un peu sèche. Nous l’étudions dans un contexte difficile, dans la mesure où notre collègue député le professeur Touraine a exprimé de façon très incisive sa volonté de permettre d’accroître autant que possible le nombre de greffons.

Le débat reste ouvert. Nous aurons toute l’année prochaine pour le poursuivre, avant de parvenir à une décision en 2017, année où nous devrions d’ailleurs être amenés à réviser la loi relative à la bioéthique.

La disparité des taux de refus de prélèvement selon les territoires tient sans doute à celle de la formation des personnels et des conditions d’accueil des familles.

Mme Catherine Génisson. Dans les centres de prélèvement et de greffe, les équipes sont spécialisées et tout est organisé. En revanche, dans les services d’urgence, l’ambiance n’est souvent pas propice au respect du désespoir de la famille du défunt, qui doit se prononcer sur le prélèvement d’organes dans des conditions très difficiles.

Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, ma chère collègue.

Mme Catherine Génisson. Il est fondamental de former les médecins et les personnels soignants à l’accueil des familles et de créer des espaces dédiés à celui-ci.

Mme la présidente. Mes chers collègues, vous êtes très nombreux à vouloir vous exprimer sur cet amendement. Il importe que chacun respecte son temps de parole, tel qu’il est maintenant défini.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Sur un sujet aussi délicat, il est difficile d’exprimer sa pensée en deux minutes trente.

Ma réflexion a évolué depuis le débat que nous avons eu en commission ce matin. En effet, la rédaction de l’amendement du Gouvernement m’avait paru assez maladroite et brutale, mais, dans sa présentation, Mme la ministre a mis l’accent sur le respect de l’avis des proches, le principe du consentement présumé continuant à s’appliquer. Même si cela n’apparaît pas explicitement dans l’amendement, Mme la ministre a indiqué qu’il fallait réfléchir aux moyens de recueillir l’expression de la volonté. Elle a ainsi évoqué, notamment, le registre national des refus et la carte Vitale. Peut-être faudrait-il préciser dans le texte de l’amendement que la réflexion est ouverte sur ce point.

Par ailleurs, il faut bien sûr améliorer la formation des personnels de santé à l’accompagnement des familles. Je partage tout à fait les propos tenus par M. Milon sur ce point.

Eu regard aux garanties qui nous ont été apportées par le Gouvernement, le groupe CRC votera cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.

M. René Danesi. L'amendement du Gouvernement donne toute latitude aux médecins pour effectuer un prélèvement d’organes sur le corps d’une personne en état de mort cérébrale, dès lors que celle-ci n’avait pas fait connaître son opposition à un tel prélèvement en s’inscrivant sur le registre national des refus. Cette lecture se fonde sur le texte de l’amendement, mot pour mot, virgule pour virgule. En d’autres termes, la famille du défunt n’a plus la possibilité de s’opposer au prélèvement, comme c’est actuellement le cas.

Certes, nous sommes face à un problème crucial, celui du manque chronique de greffons, dont des malades ont besoin pour pouvoir mener une vie normale ou, du moins, survivre. Toutefois, je ne pense pas que la solution proposée au travers de l’amendement tel qu’il est rédigé soit la bonne, car ce dernier ouvre la voie à ce qui ressemble tout de même à une « nationalisation » des corps des défunts. Certes, c’est la solution la plus rapide, la plus facile à mettre en œuvre et la plus efficace, mais elle me paraît moralement indéfendable, car le choix de donner ou pas ses organes doit être personnel, libre et, surtout, éclairé. Cela suppose une information et une sensibilisation permanentes, individuelles et collectives, avec des moyens appropriés et par des personnes compétentes, au premier rang desquelles se trouvent les membres du corps médical.

Il faut chercher une solution positive au problème, en mettant l’accent sur la générosité et la solidarité du donneur d’organes.

Les pouvoirs publics doivent non pas chercher à forcer la main des familles, mais au contraire leur prendre la main pour les convaincre d’exprimer leur accord à un prélèvement post mortem.

En conséquence, je voterai contre cet amendement, tel qu’il est rédigé.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier, pour explication de vote.

M. Michel Forissier. Madame la ministre, je vous retourne le reproche que vous avez adressé à certains de nos collègues auteurs d’amendements : le vôtre manque de précision. On ne peut pas élaborer un texte sur ce sujet en éludant le consentement de la famille et en renvoyant à un hypothétique décret. Un élément aussi essentiel doit, à mes yeux, figurer dans la loi.

En l’état actuel de sa rédaction, je ne pourrai voter cet amendement, car il va à l’encontre de mes convictions les plus profondes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Ce texte a pour objectif de favoriser le don d’organes et de le faire accepter par les familles, nos concitoyens et la société tout entière.

Il a été beaucoup fait référence aux familles. À titre personnel, j’estime que l’acceptation ou le refus du don d’organes ne peut pas s’appuyer sur la famille. Qui vise-t-on, d’ailleurs, lorsque l’on évoque la famille ? S’agit-il du conjoint, des enfants, des parents ? Il y a là une ambiguïté et un cas de fin de vie douloureusement célèbre nous montre comment une famille peut en venir à se déchirer devant les tribunaux. La référence à la famille entraînera des conflits générationnels, qui n’ont rien à voir avec le don d’organes. Très souvent, lorsqu’un médecin demande s’il faut poursuivre le traitement d’une personne en fin de vie, la famille est divisée.

Par conséquent, faire référence à la famille ne me semble pas pertinent. Peut-être faudrait-il obliger nos concitoyens à exprimer leur acceptation ou leur refus du prélèvement d’organes, en faisant figurer par exemple cette mention sur la carte Vitale.

Dans la mesure où le Gouvernement me paraît vouloir s’engager dans cette voie, je voterai l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, rapporteur pour avis.

M. André Reichardt, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission des lois a une position particulièrement tranchée en la matière. Pour elle, en effet, le dispositif de l’amendement comporte une remise en cause symbolique de la capacité des proches du défunt à s’opposer au prélèvement d’organes, dans la mesure où il ne prévoit pas l’obligation, pour le médecin, en l’absence de connaissance directe de la volonté du défunt, de s’efforcer de recueillir auprès des proches l’expression d’une éventuelle opposition au don d’organes.

Certes, le refus pouvant être exprimé par tout moyen, et pas seulement par une inscription au registre national automatisé, la consultation des proches par le médecin demeurera implicitement possible, puisque, en l’absence de refus enregistré, la seule façon, pour le médecin, de vérifier que le défunt, de son vivant, ne s’était pas opposé par un autre moyen au don d’organes sera de consulter ses proches.

Cependant, j’y insiste, cette rédaction a une réelle portée symbolique. Elle vise à inciter les médecins à s’attacher davantage au fait que, en l’absence de déclaration expresse de refus du défunt, celui-ci est présumé avoir consenti au don, qu’au fait que les proches puissent faire état d’une opposition aux prélèvements envisagés. La commission des lois n’a pas jugé pertinentes ces modifications. Il ne lui semble pas possible, en l’absence de déclaration expresse de la personne concernée, de tenter de minorer le témoignage de sa famille.

Par ailleurs, la commission des lois a estimé que le renvoi à un décret de la fixation des modalités d’expression et de révocation du refus de prélèvement posait deux problèmes importants.

Tout d’abord, ce renvoi à un décret témoigne du caractère non abouti de la réforme proposée, que votre intervention du 10 avril dernier à l’Assemblée nationale semble d’ailleurs confirmer. En effet, vous avez alors tenu les propos suivants : « Pour moi, il n’y a pas a priori un seul mode d’expression du refus : il peut y en avoir d’autres. Réfléchissons à cela. C’est l’enjeu de la concertation que je propose dans le cadre de l’élaboration du décret d’application. »

Or, dans la mesure où la fixation des modalités d’expression et de révocation du refus de prélèvement est au cœur même du dispositif, la fixation de ces éléments par décret comporte un véritable risque constitutionnel, le législateur se trouvant alors dans une situation d’incompétence négative.

Dès lors, pour permettre qu’un travail de fond soit mené sur ce sujet, la commission des lois n’a pas eu d’autre choix que d’émettre un avis très clairement défavorable sur cet amendement visant à rétablir l’article 46 ter.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Madame le ministre, dans l’exposé des motifs de cet amendement, il est question de « consentement présumé au don d’organes ». Un consentement au don peut-il être présumé ? Pour moi, un acte de cette nature relève par définition d’une décision volontaire, clairement exprimée et positive. Un don qui serait subi ne me semble plus être un don.

Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec le débat sur la fin de vie et l’inscription de directives anticipées dans un registre national : va-t-il maintenant également falloir exprimer nos volontés quant à la manière dont notre corps pourra être utilisé post mortem ? Tout cela me paraît un peu complexe.

Enfin, l’amendement prévoit que « le médecin informe les proches du défunt ». En d’autres termes, la décision a déjà été prise et exclut la famille. Nous ne sommes plus dans le domaine du don.

Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il faut revoir la rédaction de cet amendement. Il est peut-être inspiré par de bonnes intentions, mais, en l’état, il n’est pas acceptable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission des affaires sociales. Certes, l’avis de la famille est important, mais c’est tout de même, à mon sens, la volonté du défunt qui doit primer, sachant que le souhait exprimé par une personne de faire don de ses organes après sa mort peut être totalement incompris de ses proches.

Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement, car il me semble prématuré au regard des réactions quelque peu irrationnelles qu’a suscitées l’amendement présenté par M. Touraine à l’Assemblée nationale.

Il me semble que l’objectif de cette personnalité remarquable qu’est Jean-Louis Touraine, membre de l’Agence de la biomédecine, était de réaffirmer le principe, posé par la loi, du consentement présumé, le prélèvement d’organes étant opéré sauf inscription sur le registre national des refus.

À la suite de l’adoption de son amendement à l’Assemblée nationale, on s’est aperçu que nos concitoyens n’étaient pas du tout au fait de la problématique du don d’organes et du consentement présumé. On a alors constaté un flux important de nouvelles inscriptions sur le registre national des refus.

Je souhaite que l’on traite cette question dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique. Il convient en tout cas de sensibiliser nos concitoyens au don d’organes, compte tenu du manque patent de greffons en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je partage la position et l’analyse de mes collègues Barbier, Cardoux et de Legge.

À ce stade du débat, soit Mme la ministre campe sur sa position et va jusqu’au bout de sa démarche, quitte à susciter des réactions quelque peu radicales, soit elle retire purement et simplement son amendement, soit elle le rectifie pour garantir que le consentement de la famille sera recueilli, comme l’a suggéré notre collègue Gilbert Barbier et conformément à ce qu’elle a indiqué dans son intervention.

Si le texte de l’amendement n’est pas modifié en ce sens, je suivrai l’avis de la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je voudrais faire part de ma perplexité, de mes doutes aussi, au terme d’un débat pourtant éclairant, mais un peu tardif.

Madame la ministre, croyez-vous que les Français savent que le prélèvement d’organes est automatique, sauf refus exprimé de leur vivant ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Question corolaire : faut-il qu’un consentement soit exprimé ou un refus ?

Par ailleurs, pensez-vous que la rédaction de l’amendement concernant la consultation des familles soit bonne ? Elle prévoit que les proches du défunt sont informés par le médecin, alors que vous avez déclaré en substance, lors de votre présentation, qu’une concertation serait engagée avec la famille, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Pour toutes ces raisons, il m’apparaît véritablement nécessaire de prendre le temps de la réflexion, sans doute en attendant, comme l’a suggéré M. Milon, la révision de la loi relative à la bioéthique. En tous cas, je ne voterai pas cet amendement ce soir.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. En conscience, je voterai l’amendement du Gouvernement, pour les raisons qui ont été évoquées, notamment, par Catherine Génisson et Laurence Cohen : la place de la famille est maintenue, même renforcée ; le principe du consentement présumé demeure ; la voie est ouverte à une diversification des modalités d’expression de la volonté des vivants en matière de don d’organes.

Surtout, je voterai cet amendement pour deux raisons plus fortes encore.

La première, c’est que 5 000 greffes sont réalisées chaque année dans notre pays, quand 20 000 malades en attendent une. Chaque année, on réalise 150 greffes de plus, mais on compte 1 200 patients en attente de greffe de plus. Il est donc urgent d’agir.

La seconde raison, c’est que l’adoption de cet amendement ouvrirait une période de débat et de concertation d’un an. Cela répondrait d’ailleurs à nombre d’objections formulées dans cet hémicycle. Ce serait l’occasion d’informer l’ensemble de nos concitoyens sur le don d’organes et de les inciter à s’exprimer sur ce sujet, en leur en donnant les moyens, l’objectif étant, au bout du compte, de sauver des vies.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Un grand nombre de personnes sont en attente d’une greffe. Je comprends donc la volonté du Gouvernement de favoriser une augmentation du nombre des dons d’organes.

Néanmoins, je suivrai l’avis de M. Milon. Je pense, comme M. Gabouty, qu’il faut trouver une solution pour inciter le plus grand nombre possible de nos concitoyens à exprimer leur position, acceptation ou refus, sur le don d’organes.

Enfin, comme l’a dit Gilbert Barbier, il faudrait compléter la rédaction de l’amendement, pour prévoir que « le médecin informe les proches du défunt, qui doivent donner leur consentement ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Un amendement se lit du premier au dernier de ses mots, et chacun d’entre eux a son importance.

Aux termes exacts de l’amendement du Gouvernement, « le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité, conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine ».

Très souvent, dans cet hémicycle, nos collègues sénateurs médecins protestent lorsque l’on met en cause le respect par les médecins de la volonté de leurs patients. Or, dans ce débat, on voudrait nous faire croire que certains médecins imposeront le prélèvement d’organes à des familles plongées dans la détresse… Pour le coup, c’est vous qui placez les médecins dans une situation tout à fait inconfortable, mes chers collègues ! Pour ma part, il ne me semble pas que ce soit ainsi que les choses se passent.

L’amendement du Gouvernement tend également à prévoir que ce « prélèvement peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement ». Il s’agit bien d’une possibilité, non d’une obligation.

Enfin, il est fait mention d’un « refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet ». Cette formulation signifie qu’il existe d’autres possibilités que l’inscription sur le registre national, comme notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne l’a d’ailleurs souligné tout à l’heure. Ajoutons que ce refus « est révocable à tout moment » : il est donc toujours possible de se rétracter.

En conséquence, mes chers collègues, le texte de l’amendement ne comporte aucune obligation, contrairement à ce que vous affirmez. M. Cardoux a évoqué la peine des familles qui perdent un enfant : pensons aussi aux enfants sauvés grâce à une greffe d’organe. Yves Daudigny l’a rappelé, le nombre de dons d’organes est insuffisant en France. Encourageons donc le don d’organes ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)