M. Jean Desessard. Elles ont déjà refait leurs marges !

M. Gérard Dériot, rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Utiliser de tels subterfuges pour diminuer le déficit de la branche maladie n’est pas très honnête, vous en conviendrez. C’est pourquoi, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, vous ne serez pas surpris que la commission des affaires sociales ait émis un avis défavorable à l’adoption des objectifs de dépenses de la branche AT-MP pour 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Francis Delattre, rapporteur pour avis de la commission des finances. Mme la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en 2016 comme chaque année, le caractère complémentaire des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale ne se dément pas.

Ce caractère d’imbrication de plus en plus prononcé se manifeste dans le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale par deux dispositions intéressantes, lesquelles constituent même les principales mesures intéressantes du texte.

Il est normal, compte tenu du poids des administrations sociales dans l’ensemble de la dépense publique de notre pays, que la commission des finances émette un avis, et ce alors même que Mmes et MM. les rapporteurs de la commission des affaires sociales ont déjà émis un certain nombre de remarques très avisées.

M. Gérard Dériot, rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Nous mériterions de siéger à la commission des finances... (Sourires.)

M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. Je souhaiterais revenir, tout d’abord, sur le rôle déterminant des administrations de sécurité sociale dans la stratégie de redressement des comptes public.

Aujourd’hui, quelque 42 % de la dépense publique proviennent du bloc social. Or les quelques remarques que je ferai sur ce point fondamental seraient de nature à altérer l’optimiste de M. le secrétaire d’État chargé du budget, si toutefois celui-ci avait bien voulu demeurer parmi nous.

Le principal objectif budgétaire du Gouvernement réside désormais dans un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du produit intérieur brut en 2017. Chacun connaît désormais les ressorts de ces fameux 3 % et la difficulté d’atteindre cet objectif.

Si l’on considère l’ensemble des administrations de sécurité sociale, les ASSO, dont il était prévu un retour global à l’équilibre dès 2016, force est de constater que ce retard aura un impact sur l’ensemble du dispositif visant au retour du déficit effectif en deçà de 3 %, et donc sur le respect de nos engagements internationaux.

L’amélioration des comptes sociaux serait essentiellement permise par la réalisation d’environ 20 milliards d’euros d’économies entre 2015 et 2017, ce qui représente quelque 40 % du programme global d’économies de 50 milliards d’euros qui a été annoncé par le Gouvernement dans le Pacte de responsabilité et de solidarité.

L’importance de la contribution des administrations de sécurité sociale s’explique par le poids de leurs dépenses, lesquelles dépassent largement celles de l’État.

Il s’agit de savoir si l’objectif de 7,4 milliards d’euros d’économies qui nous est présenté est réaliste et, surtout, réalisable. Telle est l’une des questions centrales qui se posent à la lecture du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour l’année 2016, je le répète, les administrations de la sécurité sociale devraient donc réaliser quelque 7,4 milliards d’euros d’économies. Devant l’Assemblée nationale, le 20 octobre dernier, le secrétaire d’État chargé au budget, M. Christian Eckert, a précisé le contenu de ces économies. Je vais vous donner, assez brièvement, l’avis de la commission des finances à cet égard.

Tout d’abord, l’objectif de 3,4 milliards d’euros d’économies nécessaires pour respecter le taux d’évolution de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, de 1,75 % représente un effort certes considérable, mais réalisable. Il semble en effet possible de suivre le rythme de progression proposé. Nous ne contestons donc pas cet objectif. De même, il semble crédible que les mesures déjà engagées, les années passées, en matière de politique familiale et de retraites permettent d’infléchir la dépense de 1 milliard d’euros.

Cependant, permettez-moi d’émettre des doutes s’agissant des 500 millions d’euros d’économies annoncés en matière de gestion des organismes de protection sociale, alors même que la Caisse nationale des allocations familiales vient d’être autorisée à renouveler 500 emplois et à en créer environ 420 en 2016, tout cela pour faire face aux nouvelles charges introduites par la réforme de l’ensemble du dispositif des allocations familiales que nous connaissons tous.

Enfin, quelque 1,8 milliard d’euros d’économies proviendraient de l’assurance chômage – vous comprendrez que, dès l’abord, cela soulève de vraies interrogations – et de la réforme des retraites complémentaires AGIRC-ARRCO, sur laquelle il faut bien se rendre compte, mes chers collègues, que le Gouvernement n’a aucun moyen d’intervenir. Je regrette d’avoir à le dire, mais il ne dispose d’aucun levier et n’a aucune prise directe en la matière.

Je souhaitais, bien évidemment, demander des précisions à M. le secrétaire d'État chargé du budget, pour qu’il nous explique comment l’accord relatif à l’AGIRC-ARRCO peut nous amener à réaliser 1,5 milliard d’euros d’économies, si ce n’est en anticipant sur le fait que, entre malus et bonus, celles et ceux de nos concitoyens qui s’engagent dans la projection de leur retraite en viennent à penser qu’ils attendront un ou deux ans de plus. C’est finalement une façon assez astucieuse d’amorcer un prolongement de l’âge de la retraite, mais il serait tout de même bon que, sur un sujet essentiel comme celui-ci, nous puissions connaître l’avis du Gouvernement.

En raison des fragilités de ce plan d’économies, il est permis de s’interroger sur le redressement véritable des comptes sociaux annoncé en 2016. En fait, le chiffre des économies réalisables que nous atteindrons à l’arrivée est plus près des 5 milliards d’euros que des 7,4 milliards d’euros.

L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, qui concerne un périmètre plus restreint, ne permet pas de dissiper ces doutes.

Tout d'abord, ce projet de loi de financement vient à nouveau confirmer l’abandon de l’objectif d’un retour à l’équilibre dès 2016, cette ambition étant reportée au-delà de 2019 !

Ensuite, nous nous trouvons face à un paradoxe : alors même que le Gouvernement annonce un taux d’évolution de l’ONDAM le plus faible jamais fixé et que la croissance tendancielle des dépenses sociales ralentit, un déficit global de 9,3 milliards d’euros subsisterait en 2016, malgré un plan annonçant, d’un côté, 7,4 milliards d’euros d’économies, et, de l’autre, 9,3 milliards d’euros de déficit global – autre paradoxe !

Permettez-moi de dire, mes chers collègues, qu’identifier ce qui relève des économies à l’intérieur du déficit tient plus de la géolocalisation que de la comptabilité (M. Jean Desessard s’esclaffe.), car nous avons bien des difficultés à discerner où se situent vraiment les économies.

Si le Gouvernement peut se prévaloir d’un retour à l’équilibre de la branche vieillesse – cela, en grande partie, grâce à la réforme des retraites de 2010 qui a été votée par la précédente majorité et que le Gouvernement oublie systématiquement –, ainsi que d’une réduction du déficit de la branche famille au détriment de plus de 600 000 familles, la situation de l’assurance maladie et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, demeure inquiétante, puisque leurs déficits respectifs atteindraient 6,2 milliards d’euros et 3,7 milliards d’euros.

Qu’en est-il exactement de l’évolution du poste important de l’assurance maladie ?

En réalité, monsieur le rapporteur, nous notons des économies de quelque 300 millions d’euros en 2014 et un creusement prévisible pour l’année 2015 qui atteint le milliard d’euros. De tels chiffres, sur un poste aussi déterminant, ne nous encouragent pas à faire preuve d’un optimisme béat. (M. Jean Desessard s’exclame.)

En outre, le transfert, très discret dans un premier temps, du déficit de trésorerie de 23,6 milliards d’euros de l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, à la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, sous prétexte d’anticipation, selon le secrétaire d'État chargé du budget, m’amène à vous préciser que la consolidation par prêt d’un trou de trésorerie d’un montant aussi élevé, nous place, de facto, dans la dette maastrichtienne.

Il s’agit bien d’un ajout à la dette, et ce n’est pas une anticipation parce que, en réalité, il s’agit de la reprise des déficits des années 2013 et 2014 sur le FSV, mais aussi sur la branche famille, l’un pour 4,4 milliards d’euros, l’autre pour 18,9 milliards d’euros. Ce n’est donc pas l’anticipation de déficits futurs, mais la prise en compte de déficits qui existent vraiment. Cette explication très académique ne nous a donc pas vraiment trompés.

Notre inquiétude majeure est la dette sociale : quelque 219 milliards d’euros en 2016 ! Nous constatons que le one shot qui a été utilisé l’an dernier l’est à nouveau cette année.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est donc plus un one shot ! C’est une Winchester ! (Sourires.)

M. Francis Delattre, rapporteur pour avis. Toutefois, sachez, mes chers collègues, que la CADES arrive à saturation. Vous savez très bien ce que cela signifie. Pour l’année 2016 qui s’annonce, ce sont quelque 24 milliards d’euros de déficit qu’il nous faudra prendre en compte au titre de l’ACOSS.

Vous comprendrez que, pour toutes ces raisons, nous aurons de nombreux amendements à vous proposer, pour faire en sorte que la réalité apparaisse plus clairement et que nous puissions dégager des solutions susceptibles d’améliorer la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je dirai quelques mots, après l’intervention de nos rapporteurs, pour résumer le sentiment de la commission des affaires sociales sur ce PLFSS pour 2016.

Ce projet de loi, nous dit le Gouvernement, s’inscrit dans une trajectoire de réduction du déficit de la sécurité sociale. Comme l’a indiqué le rapporteur général, nous ne le nions pas, mais nous relativisons l’ampleur des résultats obtenus et nous contestons un certain nombre des moyens utilisés pour y parvenir.

J’évoquerai tout d’abord les résultats obtenus. Il s'agit d’une diminution d’un tiers du déficit en trois ans, soit un peu plus de 6 milliards d’euros. Ce n’est pas rien, il faut en convenir, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour rétablir l’équilibre. Constatons simplement que, trois ans après, nous sommes loin de l’engagement n° 9 du Président de la République, à savoir des déficits publics ramenés à 3 % du PIB dès 2013, pour un équilibre en 2017.

Les objectifs ont été décalés dans le temps, pour l’État comme pour les comptes sociaux, malgré les prélèvements supplémentaires décidés depuis 2012 en matière sociale. Je n’en citerai que quelques-uns : deux hausses successives des cotisations vieillesse, une hausse des cotisations accidents du travail, une hausse du forfait social, une hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, enfin la création de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, affectée deux années de suite à la sécurité sociale, tout comme lui a été affecté le produit de la réduction du quotient familial.

Non seulement ces mesures, et toutes les autres que je n’ai pas citées, n’ont pas produit le rendement escompté, mais elles traduisent, et c’est ce que nous contestons, un recours privilégié à l’impôt.

Le pacte de responsabilité, avec les allégements de charges amorcés cette année, marque sans doute un changement d’approche. Néanmoins, sa mise en œuvre renforce à nos yeux la nécessité de réduire, en parallèle, le rythme d’évolution des dépenses.

De ce point de vue, la mesure la plus significative prise depuis trois ans nous paraît totalement inopportune. Je veux parler de la modulation des allocations familiales selon le revenu, et je n’ajouterai rien à ce qu’a très bien dit, à ce sujet, notre rapporteur pour la branche famille.

En matière de retraite, l’action sur les dépenses a principalement été menée en 2010, avec une réforme dont les bénéfices ont été contrariés par l’élargissement des possibilités de départ anticipé, décidé à l’été 2012. Nous avons été surpris que, à quelques jours d’intervalle, le Gouvernement laisse entendre que le problème d’équilibre des régimes de base ne se posait plus, puis se réjouisse d’un accord sur les régimes complémentaires prévoyant, pour la grande majorité des salariés, un report à 63 ans de l’âge de départ avec le bénéfice du taux plein.

Nos concitoyens sont pleinement conscients des réalités démographiques, me semble-t-il. Beaucoup d’entre eux s’inquiètent que le financement à moyen terme de leur retraite ne soit pas aujourd’hui véritablement garanti. Rares sont ceux à ne pas être convaincus qu’un nouveau relèvement de l’âge de départ est inéluctable pour tenir compte des gains d’espérance de vie. Notre commission estime qu’il ne faut pas renvoyer les décisions à plus tard et propose donc une réponse dès ce PLFSS.

En matière d’assurance maladie, le Gouvernement se félicite de faire progresser les droits, de ne pas avoir réduit les remboursements ni élargi les franchises, de voir le reste à charge diminuer. Soit, mais tout cela au prix d’un déficit reporté sur les contribuables de demain et d’après-demain ! Celui-ci atteindra cette année son plus haut niveau depuis 2012, soit quelque 7,5 milliards d’euros.

Nous constatons d’ailleurs que, en 2015, comme en 2014, comme en 2013, les résultats de l’assurance maladie seront dégradés par rapport aux prévisions de la loi de financement initiale ; cela nous laisse prudents quant à la légère amélioration envisagée pour 2016 et sceptiques quant à celle, plus importante, qui est annoncée au-delà de l’actuelle législature.

En 2016, l’augmentation de l’ONDAM sera certes limitée à 1,75 %. C’est peu ou prou ce que le Sénat proposait, sans succès, l’an dernier. Erreur hier au palais du Luxembourg, vérité aujourd’hui avenue de Ségur ! Or on peut douter que la généralisation du tiers payant, si elle est mise en œuvre, facilite la réalisation d’un objectif qui impose, au contraire, de réduire les facteurs inflationnistes.

Par ailleurs, était-il bien opportun, par cette mesure, de susciter des crispations alors que le concours des professionnels est indispensable pour une coordination des soins plus efficiente ?

Dès lors, comment cette modération de l’ONDAM sera-t-elle obtenue ? Passons sur la ponction, malvenue, aux dépens de la branche accidents du travail, que notre rapporteur vient de signaler. Une part majeure des économies annoncées portera de nouveau sur les dépenses du médicament.

Il faut bien entendu s’en tenir à une juste prescription et tirer les conséquences des évaluations médico-économiques conduites par les instances compétentes. Veillons toutefois à ne pas fragiliser l’innovation, avec les bénéfices dont elle est porteuse à moyen terme en matière d’efficacité des traitements, mais aussi de pérennité des compétences développées par notre pays dans ce domaine.

En revanche, il est un volet qui paraît absent des actions que nous propose le Gouvernement. Nous avons suivi avec attention les difficiles négociations sur le temps de travail à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. Il y a là un enjeu important pour l’ensemble du système hospitalier, un levier pour améliorer son organisation et mieux maîtriser ses dépenses. Toutefois, sur ce plan, le statu quo semble prévaloir, bien que l’on puisse difficilement le juger satisfaisant.

Le présent PLFSS comporte en revanche, une fois encore, plusieurs dispositions relatives aux assurances complémentaires. Nous assistons depuis deux ans à une addition de mesures susceptibles de modifier en profondeur l’organisation et le fonctionnement de la protection maladie. Ces changements interviennent par touches successives, sans que l’on perçoive véritablement leur cohérence d’ensemble, ni la finalité visée. S’agit-il de renforcer le rôle des organismes complémentaires, quitte à réduire le libre choix des assurés ? S’agit-il, dès lors qu’ils assureront une couverture généralisée, de regrouper les intervenants du secteur en réduisant leur nombre ?

Ne devra-t-on pas se poser la question du maintien d’un double niveau d’assurance, de base et complémentaire ? Des voix s’élèvent déjà pour appeler à une simplification drastique, au sein d’un régime universel d’assurance maladie, avec, à la clef, une économie sur les coûts de gestion.

Comme la commission, tous les groupes politiques de notre assemblée, sauf un, souhaitent la suppression de l’article 21 du projet de loi. Cette disposition suscite la controverse, malgré l’objectif de progrès qu’elle affiche. C’est le signe, me semble-t-il, que les clarifications nécessaires n’ont pas été apportées et que les impacts sont difficiles à mesurer.

Voilà, mes chers collègues, les raisons, très brièvement résumées, pour lesquelles la commission des affaires sociales propose au Sénat de rejeter les objectifs de recettes et de dépenses du PLFSS pour 2016. Elle présentera des amendements sur plusieurs articles et vous demandera d’adopter un projet modifié, car elle ne saurait valider les orientations proposées par le Gouvernement.

Enfin, permettez-moi d’ajouter qu’il s’agit du douzième PLFSS sur lequel je suis amené à me prononcer. Comme souvent, il comporte des mesures intéressantes et d’autres que certains qualifieront de « mesurettes ». Comme toujours, il vise une meilleure maîtrise des dépenses de soins, mais le déficit de l’assurance maladie perdure à un niveau très élevé.

Les PLFSS se succèdent donc sans que soit garanti un financement de notre système de santé à la fois pérenne et moins pénalisant pour la compétitivité de nos entreprises. Or, au-delà des ajustements opérés d’une année sur l’autre, il faudra bien un jour, me semble-t-il, traiter globalement cette question, en utilisant de manière beaucoup plus rationnelle des moyens aujourd’hui dispersés entre les caisses de sécurité sociale et les organismes complémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016
Question préalable (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’une motion n° 442.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2016 (n° 128, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Dominique Watrin, pour la motion.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je montrerai dans mon intervention qu’il n’y a pas lieu de débattre d’un budget qui contredit sur bien des points les fondements mêmes de notre système de protection sociale.

Je veux toutefois dire d’abord un mot du contexte de travail dans lequel nous évoluons depuis le 14 septembre dernier, date de reprise de nos travaux. En moins de deux mois, nous avons étudié quatre textes complexes et parfois sensibles relevant de la commission des affaires sociales : le projet de loi relatif à la santé, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement et la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Nous avons ainsi examiné – si l’on peut dire – quelque 2 031 amendements ! Or voici que, pris dans ce tourbillon de réunions, d’auditions, de commissions diverses et variées s’enchevêtrant d’ailleurs les unes les autres, nous devons examiner ce texte structurant qu’est le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Mes chers collègues, où est le recul nécessaire qui faisait la qualité des travaux de la Haute Assemblée ?

En outre, parallèlement, force est de constater que bien des sujets d’importance échappent au Parlement. Ainsi, nous découvrons dans la presse, comme tout un chacun, le contenu d’un accord sur les retraites complémentaires qui plombera encore les revenus des retraités et futurs pensionnés et fera porter sur eux seuls les efforts de redressement des comptes sociaux.

De même, nous découvrons un accord qui allonge d’un an la durée de cotisation nécessaire pour avoir effectivement le droit de partir à la retraite ; quand on peut perdre presque une mensualité de prestation en partant à la retraite à 62 ans plutôt qu’à 63 ans, qui, à part peut-être le Président de la République, oserait soutenir que l’on a un droit d’option ?

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dite « loi Fillon », avait institué ce rendez-vous particulier, qui donne en fait la main au Medef, et c’est son application qui bafoue aujourd’hui le Parlement. Pourtant, le Gouvernement se félicite de ce nouveau recul et la droite veut même le généraliser…

Par ailleurs, mes chers collègues, ce PLFSS ne répond pas aux vraies questions. Notre système de sécurité sociale distribue certes des prestations pour un montant supérieur au budget de l’État, mais on exagère toujours la gravité de sa situation financière, afin de justifier de nouvelles réductions des prestations fournies aux salariés, aux assurés sociaux, aux familles ou encore aux retraités.

Selon vos propres chiffres, madame la ministre, le régime général de sécurité sociale devrait présenter en 2015 un déficit de 9 milliards d’euros pour un montant prévu de dépenses de 348 milliards d’euros. Cela correspond environ à un déficit de 2,6 %, c’est-à-dire l’équivalent d’un découvert bancaire de moins de 40 euros pour un salarié percevant 1 500 euros mensuels nets ! Tout est dit…

La vraie question qui se pose à la sécurité sociale ne réside pas dans l’excès de dépenses, même s’il faut agir plus fortement sur les prix de médicaments pratiqués par un certain nombre de groupes pharmaceutiques. La vraie question est bien celle des recettes, victimes à la fois de la fiscalisation des ressources et de la multiplication des allégements de cotisations sociales patronales.

Or ces allégements continuent d’exploser. En effet, écoutez ces chiffres, mes chers collègues : de 23 milliards d’euros en 2015, ils vont passer à 33 milliards d’euros en 2016, avant d’atteindre 41 milliards d’euros en 2017, dans le cadre du pacte de responsabilité ; voilà la vraie raison du « trou de la sécurité sociale » ! Et quels résultats ont ces exonérations de cotisations patronales ? Quelque 6 millions de chômeurs !

Ambroise Croizat, le père de cette institution – le métallurgiste savoyard communiste devenu, à la Libération, le ministre communiste du travail du général de Gaulle – le disait déjà : « Faire appel au budget de l’État, c’est inévitablement subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières, qui risqueraient de paralyser les efforts accomplis. » Nous partageons toujours, pour notre part, cette méfiance du fondateur de la sécurité sociale à l’endroit de l’intervention de l’État dans le financement et la gestion de la sécurité sociale.

Assujettir la sécurité sociale à la trop fameuse « trajectoire des finances publiques » contenue dans le pacte budgétaire européen et traduite, dans notre pays, dans la loi de programmation des finances publiques, c’est faire fi de ce qui est l’essence même de son existence : une contribution décisive, sous forme de prestations, au bien-être de l’ensemble de la population, ces prestations participant elles-mêmes à la croissance économique et au progrès social. Voilà un cercle qui serait vertueux !

En effet, le redressement économique de la France après la Libération a aussi été la conséquence du choix opéré par notre pays de disposer d’une sécurité sociale de haut niveau et de caractère universel. Ce système palliait les accidents et les événements de la vie et évitait tant aux salariés qu’à leur famille de sombrer dans la misère si l’emploi avait été perdu ou si l’âge de la retraite avait sonné.

A contrario, avez-vous remarqué, mes chers collègues, madame la ministre, que toutes les lois ayant conduit au recul des droits sociaux ont apporté des périodes de récession ou de ralentissement économiques ? Et que, au cours des deux dernières décennies, nos comptes sociaux n’ont retrouvé – de manière temporaire – la voie de l’équilibre, voire de l’excédent, que pendant la période comprise entre 1997 et 2001, pendant laquelle les lois de réduction et d’aménagement du temps de travail ont eu des effets décisifs ?

Il a suffi que François Fillon, durant le premier gouvernement Raffarin, déconnecte l’exonération de cotisations sociales et la réduction du temps de travail pour que l’on observe de nouveau, d’une part, un décalage entre les dépenses et les recettes de la sécurité sociale, et, d’autre part, les premières mesures d’austérité.

Le PLFSS pour 2016 n’échappe malheureusement pas à ces travers. Entre des objectifs de dépenses intenables et irréalistes, niant les réalités déjà très contraintes des hôpitaux, par exemple, des objectifs flous de santé publique, alors même que la fameuse compétitivité de notre économie dépend fondamentalement de la situation sanitaire de la population salariée, et diverses « mesurettes » d’ajustement de fiscalité, où est la visée ? Où est l’objectif ?

Sur quoi peut se fonder la discussion d’un texte qui, pour ne donner que quelques exemples, ne conteste pas l’assujettissement des retraites à la contribution sociale généralisée – la CSG – et à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, ce qui finit par rendre complexe l’adhésion obligatoire aux organismes de protection sociale complémentaire et à mettre en cause le caractère positif, pourtant évident, du tiers payant ?

Si l’on excepte quelques mesures favorables, telles que la gratuité totale de la contraception, la prévention infantile de l’obésité, la prise en charge intégrale du dépistage du cancer du sein ou encore la généralisation de la garantie contre les pensions impayées, ce projet de budget est surtout marqué par la logique de réduction de la dépense publique. Or, je le répète, cela entre en contradiction totale avec l’ambition originelle de la sécurité sociale, qui visait à assurer le bien-être de tous, de la naissance à la mort.

Nous ne connaissons que trop les piteux résultats de cette orientation : des retards dans le traitement des dossiers de retraite dans certaines régions, comme celle dont je suis l’élu, d’où des retards dans la perception des pensions et des allocations des plus modestes et des économies sur les prestations sociales, avec des coupes claires dans les allocations familiales et les dépenses d’assurance maladie – quelque 3,4 milliards d’euros, notamment pour les hôpitaux publics, qui sont pourtant déjà exsangues. Ma collègue Laurence Cohen vous en parlera plus en détail lors de son intervention.

Ainsi, la droite n’a plus eu qu’à s’engouffrer dans ce sillon déjà tracé pour imposer en commission le report à 63 ans de l’âge de la retraite et l’abrogation des jours de carence pour le personnel hospitalier, pourtant déjà bien à la tâche.

Vous l’aurez compris, pour nous, ce PLFSS est trop marqué par de mauvais choix. En outre, parallèlement, le Gouvernement, cédant au MEDEF, décide de nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux au patronat, et refuse de lutter contre la fraude à la déclaration de certains employeurs, qui coûte pourtant, selon la Cour des comptes, quelque 20 milliards d’euros par an à la sécurité sociale.

J’ose espérer, madame la ministre, que le Gouvernement n’utilisera pas l’excédent possible de la branche accidents du travail-maladies professionnelles pour diminuer les cotisations des employeurs, alors qu’il reste tant à faire pour répondre aux besoins des victimes du travail. Nous attendons de vous une réponse claire sur ce point.

Nous vous proposons donc, mes chers collègues, d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable, seul moyen de revoir l’architecture générale de cette construction budgétaire dans son ensemble et de revenir aux fondements humanistes de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)