M. Roger Karoutchi. Avec quel argent ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. La deuxième priorité du Gouvernement est le soutien à la création, dans sa diversité et dans son renouvellement. Elle est cohérente avec la reconnaissance législative du régime de l’intermittence, qui prend en compte la spécificité des métiers du spectacle.

Ainsi, l’intervention de l’État en faveur de la création s’élèvera à 400 millions d’euros, dont 365 millions d’euros pour le spectacle vivant et 35 millions d’euros pour les arts plastiques. C’est 4 % de plus qu’en 2015.

Nous avons affecté ces crédits en priorité à la jeunesse, en consacrant en particulier plus de 7 millions d’euros à la mise en œuvre des conclusions des Assises de la jeune création.

Les moyens que nous dédions à la formation des artistes seront en hausse de 4,9 millions d’euros. Pour accompagner un recrutement plus juste et plus diversifié, cette hausse viendra, entre autres mesures, financer la mise en place de classes préparatoires aux écoles de l’enseignement supérieur « Culture » et l’accès aux bourses et à un logement universitaire pour les élèves de ces classes. Ainsi, nous entendons réparer une injustice sociale manifeste.

Je dirai quelques mots sur les musiques actuelles et le cirque, en réponse à Mme Marie-Christine Blandin.

L’État consacre chaque année plus de 25 millions d’euros aux musiques actuelles, pour le soutien à la création, aux structures de diffusion, aux festivals et aux ensembles musicaux. Ces crédits vont augmenter de 2 millions d’euros en 2016 pour achever le plan de développement des scènes de musiques actuelles, ou plan SMAC, et atteindre l’objectif d’une centaine de structures labellisées sur l’ensemble du territoire.

Cela étant, madame Blandin, j’entends évidemment votre interpellation sur le rééquilibrage nécessaire des crédits en faveur d’esthétiques qui, jusqu’à présent, ont pu être moins considérées que les autres.

Par ailleurs, deux nouveaux pôles nationaux des arts du cirque – Auch depuis 2014 et Châlons-en-Champagne l’an prochain – viennent renforcer le réseau des institutions dédiées au cirque. J’ai en outre consacré 4 millions d’euros de crédits à la rénovation du Centre national des arts du cirque, afin que notre école nationale ait les moyens de rester l’une des premières au monde, garante de la formation des artistes de demain.

Enfin, nous financerons à hauteur de 1 million d’euros la programmation « Avant les murs » du projet Médicis Clichy-Montfermeil, qui est emblématique de la politique menée par le Gouvernement en faveur des arts et de la culture : hybridation des esthétiques, renouvellement de la création, accès de tous aux œuvres et aux pratiques culturelles.

Nous continuerons également de protéger la diversité du cinéma et d’améliorer sa compétitivité en France, en stabilisant les financements que nous lui consacrons et en élargissant les crédits d’impôt.

Ainsi les moyens du CNC seront-ils stabilisés en 2016 : il n’y aura ni ponction ni plafonnement des taxes prélevées sur le marché de la diffusion audiovisuelle.

En 2016, le crédit d’impôt sera amélioré, pour mieux soutenir les entreprises françaises du cinéma et relocaliser les tournages sur notre territoire. Il vous est notamment proposé de l’élargir aux œuvres tournées en langue étrangère pour des raisons artistiques – en particulier pour respecter le scénario –, aux films d’animation et aux films à fort effet visuel.

Le taux sera majoré à 30 % pour les œuvres tournées en français, et le plafond, pour une même œuvre, sera relevé à 30 millions d’euros, contre 4 millions d’euros auparavant.

Enfin, la troisième priorité du Gouvernement est de donner à mon ministère les moyens de son ambition à long terme.

Préparer l’avenir, c’est sécuriser les outils de financement, en particulier pour l’archéologie préventive. Afin de stabiliser le financement des activités de diagnostic réalisées par l’INRAP, le projet de loi de finances prévoit de budgétiser la redevance d’archéologie préventive.

Préparer l’avenir, c’est préserver les crédits consacrés aux investissements. L’an prochain, ils seront portés à 524 millions d’euros, soit 1,5 % de plus qu’en 2015.

Pour la troisième année consécutive, nous maintiendrons nos efforts en faveur des monuments historiques. Malgré les 5 millions d’euros de rabot votés par l’Assemblée nationale, les crédits de paiement seront quasi stabilisés l’an prochain à 308 millions d’euros, et les autorisations d’engagement portées à 333 millions d’euros.

Les crédits bénéficiant aux territoires, via les services déconcentrés, ne seront pas pénalisés. Dans un contexte où certaines collectivités territoriales se désengagent de la politique de soutien aux monuments historiques, je veillerai à ce que l’intervention de l’État soit strictement préservée. Le rabot sera appliqué avec discernement. Il portera sur de grosses opérations engagées sur les monuments dont la responsabilité relève de l’État.

Compte tenu de la complexité technique des chantiers en question, un glissement naturel des opérations dans le temps est courant. Dans d’autres cas, les fonds de roulement des établissements publics concernés par ces chantiers permettront d’absorber ce rabot.

Nous continuerons enfin à lancer ou à poursuivre des chantiers importants : archives, schémas directeurs du château de Versailles, de celui de Fontainebleau, du Centre Pompidou, lancement des études consacrées au relogement du Centre national des arts plastiques, réaménagement des Ateliers Berthier...

Ce budget, mesdames, messieurs les sénateurs, est ambitieux, et je suis fière d’appartenir à un gouvernement qui a fait le choix de la culture et qui assume ses priorités, comme s’y était engagé le Premier ministre, Manuel Valls, dans ce contexte si difficile.

À l’heure où des pays voisins s’engagent à leur tour dans une offensive culturelle, n’oublions pas que nous avons la chance d’avoir, en France, le ministère de la culture le plus puissant et le mieux doté d’Europe. Et réjouissons-nous que certains de nos partenaires se reconnaissent dans la voie que nous avons prise.

La culture apporte des réponses essentielles pour l’avenir de notre pays. Si elle est un remède contre l’obscurantisme – je l’ai évoqué, et vous avez été nombreux à le redire aujourd’hui –, elle est aussi très précieuse pour mettre à distance les peurs qui parfois nous assaillent, ces peurs dont se nourrissent les marchands de fausses solutions qui n’attendent que l’occasion d’entonner à nouveau le chant du repli. Notre responsabilité – la mienne, la vôtre – est bien de leur opposer toujours plus de culture.

C’est donc avec la pleine conscience de tout cela que je vous soumets ce projet de budget, avec l’espoir qu’il puisse être très largement adopté par votre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du RDSE.)

culture

Culture
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2016
Etat B (interruption de la discussion)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Culture », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Culture

2 778 056 054

2 739 484 474

Patrimoines

907 404 207

868 644 490

Création

735 674 038

745 815 794

Transmission des savoirs et démocratisation de la culture

1 134 977 809

1 125 024 190

Dont titre 2

668 755 781

668 755 781

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° II-156 est présenté par M. Gattolin, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° II-244 est présenté par Mmes Blandin, Bouchoux, Aïchi, Archimbaud et Benbassa et MM. Dantec, Desessard, Labbé et Placé.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Patrimoines

5 000 000

5 000 000

Création

Transmission des savoirs et démocratisation de la culturedont titre 2

TOTAL

5 000 000

5 000 000

SOLDE

+ 5 000 000

+ 5 000 000

La parole est à M. André Gattolin, rapporteur spécial, pour présenter l’amendement n° II-156.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. Comme je l’ai rappelé dans la discussion générale, l’Assemblée nationale, en seconde délibération, a adopté un amendement du Gouvernement visant à minorer les crédits de la mission « Culture » de 10 millions d’euros.

Cette réduction de crédits porte, pour 5 millions d’euros, sur le programme 175 « Patrimoines », l’objet de l’amendement indiquant que « cette diminution est permise par une priorisation sur les subventions finançant la restauration des monuments historiques ». Mme la ministre nous a en partie répondu, précisant que les crédits déconcentrés du programme « Patrimoines » n’affecteraient pas ces travaux, mais une partie concentrée de ces crédits concerne les monuments historiques de province. Sans aller trop loin dans la rhétorique et la technique financière, je rappelle que ces décisions ne sont pas sans effet, tant s’en faut, sur la politique patrimoniale.

Le présent amendement vise à limiter la réduction des crédits de la mission « Culture » à 5 millions d’euros, au lieu de 10 millions d’euros, en rétablissant les crédits du programme 175 « Patrimoines ». En effet, nous nous interrogeons sur les critères de la « priorisation » mentionnée et souhaiterions obtenir des informations du Gouvernement à cet égard.

En outre, la préservation de crédits dédiés à la protection et à la valorisation du patrimoine, notamment au niveau déconcentré, a constitué pour la commission des finances un élément important dans sa décision d’adopter les crédits de la mission « Culture ». Par cohérence, il est donc important de rétablir ces crédits.

Plus généralement, la baisse globale des crédits adoptée à l’issue de la seconde délibération représente 0,17 % des dépenses du budget général, tandis que la réduction de 10 millions d’euros des crédits de la mission « Culture » représente 0,36 % de ses dépenses. Si on limite la baisse des crédits à 5 millions d’euros, cette proportion retombe à 0,18 %, ce qui paraît plus équitable au regard de la proportion de la baisse globale des dépenses du budget général résultant des amendements adoptés par l’Assemblée nationale en seconde délibération.

Pour toutes ces raisons, la commission des finances vous propose d’adopter cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° II-244.

Mme Marie-Christine Blandin. Puisque cet amendement est identique au précédent et que je n’ai pas la technicité budgétaire de la commission des finances, je me contenterai de dire que les écologistes soutiennent cette rectification.

Nous nous intéressons à la nature, et donc aux matériaux, à la géologie ou à la botanique, qui permettent de constituer notre patrimoine. La culture, le patrimoine immatériel des savoir-faire de tous ceux qui exercent la restauration d’art, tout cela nous concerne également.

J’indique cependant que, pour restaurer le patrimoine, il faut organiser des tours de table entre l’État et différentes collectivités autour de projets souvent validés par les Architectes des bâtiments de France. Toute régression dans une subvention a pour conséquence de remettre en route le tour de table, provoquant parfois des retards de un à deux ans.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. L’Assemblée nationale a adopté, en première lecture de la seconde partie du projet de loi de finances, un amendement visant à l’équilibre des comptes publics et mettant à contribution le programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture », à hauteur de 5 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous inquiétez de son impact sur le parc des monuments protégés, notamment au niveau déconcentré. Bien évidemment, j’aurais préféré que le programme « Patrimoines » puisse conserver ses crédits. Toutefois, après le vote de l’Assemblée nationale, les crédits affectés aux monuments historiques s’élèvent à 333 millions d’euros en autorisations d’engagements, soit une hausse de 5 millions d’euros par rapport à 2015, et à 308 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 3 millions d’euros par rapport à 2015.

Le niveau des crédits déconcentrés destinés aux monuments historiques sera, en revanche, maintenu à 227 millions d’euros en autorisations d’engagement, dont 149 millions d’euros pour les monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés, et à 224 millions d’euros en crédits de paiement, dont 159 millions d’euros pour les monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés.

J’ai choisi de ne pas pénaliser ces crédits déconcentrés, je le répète, car la conservation et la restauration des monuments historiques pour leur transmission aux générations futures sont au cœur des missions patrimoniales de l’État. Ces actions participent à l’attractivité territoriale de notre pays et créent de l’activité économique directe et indirecte.

Le ministère veillera à préserver strictement l’intervention de l’État sur les territoires, notamment dans un contexte où l’on constate malheureusement le désengagement de certaines collectivités territoriales dans la politique de soutien aux monuments historiques.

Le rabot de 5 millions d’euros du programme « Patrimoines » sera donc appliqué avec discernement, sur de grosses opérations visant des monuments historiques appartenant à l’État et financées par des crédits centraux : soit ces opérations feront l’objet d’un glissement naturel dans le temps compte tenu de la complexité technique des chantiers en question, soit les fonds de roulement des établissements publics concernés par ces chantiers permettront d’absorber ce rabot.

Dans ces conditions, j’émets un avis défavorable, à regret, vous l’aurez compris, sur ces amendements identiques.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Nous sommes tous ici, comme Mme la ministre, convaincus que, si l’on pouvait faire plus pour le budget de la culture, qui est déjà en augmentation, ce serait encore mieux.

La mission est très large, mais les sénateurs et sénatrices de droite, durant les débats au sein de la commission de la culture, ont trouvé dans cette seule ponction la justification de leur rejet de l’ensemble des crédits de la culture ! (Mme Françoise Férat le conteste.) Mais si ! Nous verrons bien l’issue du vote des crédits de la mission, mais j’ai bien compris que certains envisageaient de ne pas les voter, quel que soit le sort de ces amendements identiques.

Mme la ministre elle-même aurait souhaité éviter ce rabot, mais, si l’on sait ce qu’est un arbitrage, on a compris que les choix opérés ont été globalement favorables à la culture, qui disposera de moyens plus importants, en dépit de quelques concessions probables, ici ou là.

Face à ces amendements identiques, et dans l’hésitation où nous nous trouvons les uns et les autres, je veux plaider un autre choix.

Comme cela a été souligné à de multiples reprises, nous vivons depuis ces attentats une situation exceptionnelle, qui a inévitablement suscité le besoin de lever des fonds exceptionnels pour soutenir les lieux culturels dont la billetterie est en baisse et pour mieux les sécuriser, aussi.

Aujourd’hui, un secteur est très durement menacé et, si nous devons demander des crédits supplémentaires et soutenir Mme la ministre, notamment au moment des prochains arbitrages après la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, ce n’est pas pour abonder ce programme de 5 millions ou de 10 millions d’euros. À mon sens, si négociation il doit y avoir, elle doit concerner de manière privilégiée cette aide exceptionnelle décidée, pour l’année en cours, en faveur des salles de spectacle, du spectacle vivant, de la musique, sans oublier les galeries d’art, qui ont vu aussi leur affluence baisser de manière significative.

Évidemment, nous aurions apprécié, comme Mme la ministre, que ce coup de rabot n’ait pas lieu, mais si l’arbitrage reste en faveur d’une augmentation du budget de la culture, nous préférons que la négociation de 5 millions d’euros supplémentaires porte aujourd’hui sur cette aide exceptionnelle, et pas sur autre chose.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Assouline.

M. David Assouline. Nous nous abstiendrons donc sur ces amendements identiques.

Quant à ceux qui, au titre de nos divergences politiques, ont pris l’habitude de nous reprocher de ne pas assez sortir de Paris, qu’ils cessent cette démagogie, au moment où c’est Paris qui est principalement touchée !

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.

M. Michel Bouvard. Madame la ministre, nous avons bien compris que, selon vous, la conservation patrimoniale était une mission centrale de l’État.

J’ai en revanche été quelque peu étonné de votre charge répétée contre les collectivités territoriales qui se désengageraient. Un certain nombre d’entre elles, aujourd’hui, s’interrogent pour prendre la compétence « patrimoine », quand la région, qui peut la prendre prioritairement, ne le fait pas.

Envisageant de prendre cette compétence pour les deux départements savoyards, nous avons été amenés à demander un inventaire et une estimation des crédits consacrés par l’État au patrimoine de la région Rhône-Alpes, et singulièrement de nos deux départements.

Vos propres services, madame la ministre, ont attiré notre attention sur le fait que, dans le cadre des fusions de régions, nous n’étions pas sûrs d’obtenir de l’État des crédits équivalents dans les années à venir, si l’État conserve la compétence « patrimoine ». En effet, il faudrait rattraper des retards très importants dans la région Auvergne – je le dis très amicalement à la Mme la présidente de la commission des finances –, retards représentant plusieurs années de programmation.

Cela met en évidence les besoins importants qui sont les nôtres aujourd’hui. Malheureusement, et la Cour des comptes a rédigé plusieurs rapports sur ce thème, l’état du patrimoine français, de nos monuments, continue de se dégrader. C’est un constat. Qui en est responsable ? Nous n’allons pas faire de l’archéologie politique pour le savoir…

Nous avons donc besoin de crédits pour le patrimoine, à la fois pour assurer des sauvetages et pour garantir l’activité des filières des métiers du patrimoine, lesquelles se sont d’ailleurs retrouvées au centre des Journées du patrimoine voilà quelques années. Les emplois dans ces filières sont non délocalisables et ils sont hautement qualifiés, et ceux qui sont actuellement en formation dans ces métiers ont besoin de savoir que les investissements continueront. C’est le signal qu’il faut leur adresser.

C’est la raison pour laquelle je soutiens pleinement cette proposition de la commission des finances, en souhaitant d’ailleurs que l’on ne s’inscrive pas – ce serait le pire ! – dans une logique d’arbitrage en obligeant à sacrifier le patrimoine pour le spectacle vivant ou à laisser mourir ce dernier, qui connaît effectivement de graves difficultés. C’est un mauvais débat dans lequel il ne faut surtout pas s’engager !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je vous l’avoue, la tonalité de ce débat m’étonne un peu.

Certains ont dénoncé le désengagement de telle ou telle collectivité – de droite, naturellement ! Pour ma part, j’appartiens à une collectivité de gauche, la région d’Île-de-France, qui a fait de même,…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est le cas un peu partout…

M. Roger Karoutchi. … pour une simple et bonne raison : lorsque l’État réduit ses dotations, il faut bien trouver des économies où l’on peut !

Monsieur Laurent, l’année dernière, la région d’Île-de-France a perdu environ 100 millions d’euros de dotations à ce titre. Elle perd 100 millions d’euros supplémentaires cette année. Qu’a fait l’exécutif régional, qui, je le répète, est de gauche ? Il a tenté de maintenir à niveau les crédits consacrés au spectacle vivant, à la vie culturelle stricto sensu. En revanche, il a abaissé son degré d’intervention en faveur du patrimoine.

M. Roger Karoutchi. C’est pour ainsi dire la mesure la plus simple : limiter, faute de moyens, les actions dans un certain nombre de châteaux ou de domaines.

Madame la ministre, vous déclarez avoir peu ou prou réussi à maintenir les crédits à leur niveau. Mais ce n’est pas vrai ! Si l’on examine dans leur globalité les fonds affectés à la culture dans notre pays, on constate la part considérable assumée par les collectivités territoriales. Or ces dernières ont moins de moyens à lui consacrer du fait de la baisse très importante des dotations. Dans certains cas, elles n’en ont même plus du tout !

Même si elles souhaitent continuer à financer la vie culturelle quotidienne, les collectivités territoriales prélèvent des crédits au détriment du patrimoine.

M. Roger Karoutchi. Voilà pourquoi les fonds consacrés au patrimoine se sont amenuisés dès 2014. Leur réduction s’est poursuivie en 2015 et elle continuera en 2016.

Nous allons, logiquement, voter ces amendements : toute mesure permettant d’augmenter un tant soit peu les crédits consacrés au patrimoine est la bienvenue. Mais, même avec 5 millions d’euros supplémentaires, le compte n’y sera pas !

M. Assouline attire notre attention sur les nouveaux impératifs de sécurité. Toutefois, la protection renforcée des musées, des théâtres et plus largement des lieux publics relèvera d’un plan global financé via les crédits de la sécurité. S’il faut reprendre de l’argent sur chaque mission, nous n’y arriverons pas ! (M. David Assouline manifeste sa circonspection.)

Bref, sécurisons sur le chapitre « sécurité » et, parallèlement, dégageons des moyens supplémentaires en faveur du patrimoine, qui est la première victime de la baisse des dotations aux collectivités et du quasi-gel des crédits de la culture.

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Mes chers collègues, pour notre part, nous soutiendrons ces amendements identiques. En effet, nous ne pouvons pas, aussitôt après avoir salué unanimement la volonté de redresser le budget de la culture, accepter le grignotage d’un effort qui n’est déjà pas si manifeste.

Par ailleurs, monsieur Karoutchi, vous le savez très bien, nous débattons en l’occurrence de deux questions différentes.

Certes, il faut faire la part des contraintes budgétaires ; vous savez d’ailleurs ce que je pense des baisses de dotations aux collectivités territoriales. Vous continuez d’ailleurs de les prôner, et dans des proportions bien supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui, même si, dans le même temps, vous tenez des propos démagogiques quand vous êtes dans l’opposition... (M. Roger Karoutchi manifeste son incompréhension.)

M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis. C’est faux !

M. Pierre Laurent. Quoi qu’il en soit, il faut également faire la part des choix politiques. La suppression tant du Forum du Blanc-Mesnil que du Festival de jazz de Saint-Ouen n’est pas liée à des impératifs budgétaires : ce sont des décisions politiques argumentées, s’inscrivant dans une réduction délibérée des politiques culturelles localement suivies.

Mme Sylvie Robert. Absolument !

M. Pierre Laurent. Or il s’agit de deux villes dont la droite a pris la direction !

C’est tout particulièrement ces situations que je visais, il y a quelques instants, à la tribune.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Différents orateurs l’ont rappelé, la France compte plus de 44 000 monuments historiques classés ou inscrits, dont un grand nombre d’églises. C’est une véritable richesse nationale. Beaucoup de communes, petites, moyennes ou grandes, ont, sur leur territoire, des édifices de cette nature. Il faut se donner les moyens de les entretenir ; à ce titre, une somme de 5 millions d’euros peut paraître modeste, mais elle constituerait malgré tout une augmentation substantielle des crédits dédiés au patrimoine.

Madame la ministre, aux côtés des collectivités territoriales dont, en particulier les communes, l’État est l’un des partenaires de cette politique. Il finance des actions en faveur du patrimoine depuis de nombreuses années : vous l’avez rappelé en septembre dernier à Charleville-Mézières – je saisis cette occasion pour vous remercier de nouveau de votre venue dans les Ardennes –, où l’État soutient le musée Rimbaud et le festival mondial des théâtres de marionnettes. En effet, il faut prendre en compte la culture sous toutes ses formes !

Naturellement, je soutiens ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la ministre, la commission des finances travaillant dans une logique de responsabilité, elle n’a pas voté le rétablissement systématique des crédits réduits par nos collègues députés.

En l’occurrence, nous avons choisi à l’unanimité de rétablir ces crédits-ci, pour des raisons que les uns et les autres ont évoquées.

Michel Bouvard vient de mentionner l’impact sur l’emploi. À l’heure actuelle, le secteur du patrimoine connaît encore de graves difficultés. Cette année, de très grandes entreprises spécialisées dans la restauration et l’entretien des monuments historiques ont déposé le bilan.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On a déjà vu des difficultés similaires par le passé, dans des périodes de très basses eaux : les crédits étaient alors descendus très nettement sous le seuil des 300 millions d’euros, et la France a alors, comme à l’heure actuelle, connu des dépôts de bilan et des faillites. Or, on le sait, lorsque ces emplois spécialisés disparaissent, les savoir-faire correspondants sont perdus à jamais ! (M. André Gattolin, rapporteur spécial, acquiesce.)

Il est donc capital de préserver un niveau constant d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement pour préserver des emplois extrêmement spécialisés et, avec eux, des compétences que l’on ne pourrait sinon retrouver par la suite. J’insiste sur ce point, d’autant que la France dispose en la matière d’un savoir-faire que le monde entier lui envie.

Au reste, les retombées économiques de ce secteur dépassent largement les seules entreprises liées aux monuments historiques.

Le Gouvernement affiche, à très juste titre, de grandes ambitions en matière de tourisme. À l’heure où nous éprouvons quelques difficultés pour attirer des visiteurs étrangers, nous devons insister encore davantage sur l’atout que représente notre patrimoine. À travers le monde, la France et l’Italie sont les deux pays qui peuvent le mieux mettre en avant leur richesse patrimoniale comme l’une des principales sources de leur attractivité.

La commission des finances ne se prononce pas toujours à l’unanimité.