M. le président. La parole est à M. Alain Duran, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Alain Duran. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son rapport publié en novembre 2014 sur la situation de la filière française du bois, la Cour des comptes a dressé un bilan critique et appelé à une amélioration de son fonctionnement.

Les constats qu’elle a dressés à l’égard d’une filière qui accuse un déficit commercial structurel très important trouvèrent un écho en 2015 dans deux nouveaux rapports d’information parlementaires, l’un émanant de l’Assemblée nationale et l’autre de nos collègues Alain Houpert et Yannick Botrel.

À chaque occasion, il a été souligné que l’enjeu principal de la politique forestière n’était plus nécessairement aujourd’hui l’accroissement de la surface forestière, mais bien une meilleure gestion de celle-ci. La forêt française est en effet globalement sous-exploitée et elle est insuffisamment entretenue au regard d’une gestion sylvicole durable. Il en résulte que la France n’est pas la puissance forestière qu’elle pourrait être.

Le morcellement très important de la forêt française, qui est privée à 75 %, est le premier facteur de cette sous-exploitation. Les propriétés sont en effet, le plus souvent, de taille trop modeste pour être exploitées de manière rentable.

La forêt ariégeoise, que je connais bien, donne à cette problématique une illustration significative. Apte à produire différentes qualités, allant du bois d’œuvre au bois d’énergie, elle est pourtant de plus en plus difficilement valorisable. La récolte de bois est très faible au regard de l’accroissement naturel de la surface forestière : 18 % seulement de la production annuelle est prélevée chaque année.

Surexploitée aux XVIIIe et XIXe siècles pour l’usage des forges catalanes et des industries, la forêt ariégeoise a progressivement, au cours du XXe siècle, regagné des pans entiers du territoire, du fait de l’exode rural et de la transformation de l’agriculture.

Cette situation issue de la déprise agricole a occasionné un morcellement très important. Aujourd’hui, alors que le taux de boisement du département dépasse les 50 %, plus de 90 % des parcelles sont inférieures à 4 hectares. Cet émiettement du foncier ne permet pas aux propriétaires d’avoir une approche économique de leur patrimoine.

Confronté à un accroissement biologique très important et insuffisamment géré, le département est aujourd’hui exposé à « un vrai risque d’avalanche végétale ». Vous le savez, mes chers collègues, une forêt mal gérée se dégrade, maintient des peuplements dans un état insuffisant pour produire de la qualité, amoindrit la qualité paysagère et assure avec moins d’efficacité ses fonctions écologiques.

Dès lors, l’amélioration du foncier forestier représente un enjeu majeur pour la mobilisation et la gestion durable de cette ressource.

À ce titre, la nouvelle assemblée départementale, élue en mars 2015, a mis en place un projet forestier global à l’horizon de 2050 visant à améliorer la qualité de la forêt ariégeoise. Désormais amorcé, il encourage notamment les regroupements par l’accompagnement et le conseil aux propriétaires, et par l’installation de gestionnaires exploitants sylviculteurs.

La constitution d’unités de gestion viables permet de mutualiser les moyens de production, de rationaliser les politiques de coupe et d’engendrer des économies d’échelle importantes. Pour ce faire, le conseil départemental s’appuie notamment sur les dispositions de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, laquelle favorise la constitution de groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, et simplifie les regroupements forestiers. Un groupement d’intérêt public, ou GIP, rassemblant les divers acteurs concernés du département – le conseil départemental, l’État via la direction départementale des territoires, la Fédération pastorale de l’Ariège, la chambre d’agriculture, le parc naturel régional et le centre de formation pour la promotion agricole, le CFPPA –, permettra d’instituer un lieu de régulation et de coordination en vue d’une gouvernance partagée et d’une mutualisation des moyens et personnels, dans le contexte de la fin de la clause de compétence générale issue de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.

Cette gestion proactive des parcelles forestières recèle de nombreux effets positifs. Le travail en amont au niveau de la production favorise le développement de la filière en aval, offrant des débouchés en circuit court pour les propriétaires forestiers – ce sont souvent des agriculteurs –, qui en tirent des compléments de revenus. Ce cercle vertueux est porteur d’une relocalisation économique de l’ensemble de la filière, dont nos territoires ruraux ont besoin pour créer des emplois et de la valeur ajoutée.

Le développement de la sylviculture et une gestion durable des forêts assurent, en outre, des progrès substantiels en termes de qualité environnementale, et contribuent à améliorer la qualité de vie des habitants et à accroître l’attrait touristique d’un territoire.

Parce que nous connaissons le terrain, ainsi que nos administrés, lesquels sont souvent des propriétaires, notre rôle en tant qu’élus proches des territoires est, dès lors, primordial pour soutenir le déclenchement de telles démarches et jouer un rôle de médiateur entre les attentes individuelles et les intérêts collectifs au travers de ces microprojets.

Grâce à de nouvelles méthodes d’aménagement du territoire, la forêt pourrait certainement être perçue comme l’un des moteurs de l’économie de nos territoires ruraux de montagne, et non plus, faute d’être exploitée, comme un danger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer l’initiative de notre collègue Philippe Leroy du groupe Les Républicains et sa volonté de débattre au sein de la Haute Assemblée de la filière bois.

La forêt française souffre. L’équation de notre filière bois est simple : avec 16 millions d’hectares, soit 30 % de notre territoire, nous possédons l’une des plus vastes forêts d’Europe, et ce bois est de qualité. Nous exportons beaucoup, très souvent à bas prix, et nous importons très souvent à prix d’or.

M. Guy-Dominique Kennel. C’est vrai !

Mme Nicole Duranton. Le résultat est alarmant : le déficit commercial de la filière atteint près de 5 milliards d’euros par an.

Dans un contexte budgétaire très compliqué – le Gouvernement soumet les Français à une forte pression fiscale et réduit drastiquement les dotations des collectivités –, le déficit commercial de la filière, au regard de sa qualité, est inacceptable.

Pour réduire ce déficit commercial, nous devons mieux exploiter nos forêts. Je n’invente rien. Le dernier rapport de la Cour des comptes nous informe des lacunes de la gouvernance publique de la filière : nous exploitons notre forêt à la manière d’un pays en voie de développement…

C’est au Gouvernement, au travers de la mise en œuvre d’une politique, de jouer un rôle majeur pour la filière forêt-bois.

C’est au Gouvernement de fixer le cap.

C’est au Gouvernement de veiller à ce que les différents acteurs de la filière agissent de façon cohérente et efficace pour atteindre leurs objectifs.

Aussi, je ne puis m’empêcher de nous comparer avec nos amis allemands.

L’Allemagne possède 11 millions d’hectares de forêt, constituée principalement de résineux, contre 16 millions pour notre pays. La filière outre-Rhin affiche un chiffre d’affaires de plus de 117 milliards d’euros, quand la France dépasse difficilement les 60 milliards.

Chez nous, environ 400 000 à 500 000 personnes travaillent pour l’ensemble de la filière, contre près de 1,5 million d’Allemands, qui, surtout, font vivre correctement la filière forêt-bois.

Après de nombreux rapports publiés depuis 2009, le temps est venu de trouver des solutions.

Il est primordial d’améliorer, pour ne pas dire créer, la gouvernance de la filière forêt-bois. Il paraît invraisemblable que cinq ministères mettent en œuvre une politique concernant cette filière. Chaque ministère adopte sa propre vision des enjeux et des objectifs prioritaires, ce qui a inévitablement pour conséquence les divergences ayant mené la filière bois dans une impasse. Aucune stratégie cohérente, aucune décision interministérielle, aucun dialogue construit entre les ministères : voilà ce que constate la Cour des comptes. Quand allons-nous prendre en considération les observations qu’elle formule ?

C’est pourquoi il est urgent de créer une instance interministérielle de pilotage stratégique de la filière.

Mme Nicole Duranton. Ce lieu de décision sera le garant de l’efficacité, en réunissant tous les acteurs de la filière. Il faut un chef de file au niveau interministériel. Une clarification et la mise en place d’une stratégie cohérente sont nécessaires.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne peut pas imposer un véritable big-bang territorial, avec la fusion des régions et des intercommunalités, la création de communes nouvelles et la clarification des compétences des collectivités, pour éviter précisément des doublons de compétences et ainsi clarifier l’action publique territoriale, sans appliquer ces principes au niveau de l’État.

La filière bois a besoin d’une simplification au plus haut niveau. Il importe que l’on clarifie et que l’on simplifie sa gouvernance. La réforme de l’État et la simplification a connu, depuis 2012, un ministre et deux secrétaires d’État : les résultats se font encore attendre.

La création d’une délégation interministérielle permettrait d’améliorer la cohérence et la transparence. Les politiques des ministères seraient mieux articulées, ce qui favoriserait également une meilleure compréhension des différents acteurs. La principale mission du délégué interministériel serait de valoriser la forêt et le bois, dans leur dimension économique et dans le respect du développement durable.

Structurer la filière, c’est la rendre compétitive.

Structurer la filière permettrait de mieux définir les besoins et les ressources de l’amont forestier, tout en ayant connaissance des besoins et des débouchés de l’aval industriel.

Structurer la filière conduirait aussi à faciliter le rapprochement éventuel des deux principales interprofessions, à savoir France Bois Forêt et France Bois Industries Entreprises. Ce regroupement a d’ailleurs été recommandé par la Cour des comptes dans son rapport.

Enfin, comme je l’ai évoqué, la création d’une véritable gouvernance doit inévitablement redonner une dimension économique à la filière. Aujourd’hui, nous exportons une matière première sans plus-value, alors que celle-ci peut mettre plus d’un siècle à repousser.

Alors que la filière est sous-exploitée, nous importons nos panneaux de bois, nos portes, nos fenêtres, notre pâte à papier, et nous perdons une scierie tous les trois jours depuis maintenant trente ans. Le bilan financier est catastrophique. Nous vendons le mètre cube de chêne brut environ 80 euros, alors qu’une fois séché et scié, nous le réimportons à 500 euros, et parfois même à plus de 2 000 euros lorsqu’il est transformé en meuble.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Duranton. Comment expliquer que les constructeurs de maisons en bois n’utilisent que 40 % de bois français ?

Clarifions la stratégie, grâce à une instance interministérielle qui aura, au moins, le mérite d’éviter une opposition systématique entre le ministère de l’écologie et les ministères de l’agriculture et de l’industrie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera brève. Elle a pour but de mettre en évidence les attentes fortes des communes forestières.

Oui, monsieur le ministre, ces communes ont besoin d’être rassurées : elles doivent l’être sur les modalités futures de calcul de leur DGF réformée, sur les conséquences de l’adoption du nouveau contrat d’objectifs et de performance 2016-2020, le COP, signé le 17 décembre dernier avec l’ONF, et, enfin, sur le respect des engagements que vous avez pris à Nancy.

La signature de ce COP a confirmé l’ONF dans son rôle de gestionnaire unique des forêts publiques et dans son statut d’EPIC doté de missions de service public et d’activités concurrentielles.

Certes, les communes forestières se sont montrées majoritairement favorables à la signature de ce contrat, car il répond à des attentes fortes que vous avez su, monsieur le ministre, prendre en compte.

À cet égard, je citerai, d’abord, l’absence de hausse des contributions et paiements supplémentaires pour les communes ; ensuite, la stabilisation des effectifs de l’ONF ; et, enfin, le maintien d’un versement compensateur sur la durée du COP à hauteur de 140,4 millions d’euros.

Pour autant, de nombreuses fédérations régionales, notamment celle du Languedoc-Roussillon, se sont inquiétées de l’insuffisance de cette convention sur certains points, et non des moindres : la diminution du service rendu aux communes par l’ONF – simplification des aménagements, présentation triennale des coupes, regroupement de la gestion – ; l’absence de réformes structurelles, afin de faire évoluer l’ONF dans son statut, son fonctionnement et son financement, des réformes qu’appellent pourtant de leurs vœux de nombreux acteurs de la forêt.

Les communes forestières signataires ont réaffirmé leur soutien au régime forestier, parce qu’il apporte un cadre réglementaire et un ensemble de garanties pour préserver les forêts sur le long terme.

S’il est évident pour nous tous que la gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques repose sur ce régime, il convient aujourd’hui de rassurer les communes forestières, ou COFOR, sur son bien-fondé, afin de mettre un terme à la volonté exprimée dernièrement par certaines d’entre elles d’en sortir ou de ne pas contractualiser.

Pour ce faire, il existe des solutions. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas associer ces communes à l’élaboration de nouveaux dispositifs, systèmes et documents cadres ? Je pense à de nouveaux modèles de plans d’aménagement, à la mise en place de possibilités de synergie et de mutualisation au niveau d’un massif, à la rédaction de la charte de la forêt communale. Certes, ce sont des outils de communication, mais ils permettraient d’opérer une mobilisation collective qui aurait du sens.

Je vous sais favorable à certaines de ces idées, puisque vous avez rappelé à Nancy, le 2 octobre dernier, la nécessité de mutualiser les moyens de collecte, notamment en matière de débardage et de ramassage. C’est d’ailleurs lors de ce congrès national que vous avez exprimé votre volonté de faire du COP un contrat ambitieux et réaliste qui assurera et pérennisera la place de la forêt et de l’ONF pour les dix ans à venir.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir permis de ne pas retomber dans l’erreur du précédent COP, pour lequel des objectifs mirobolants avaient été fixés,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Eh oui !

Mme Gisèle Jourda. … qui n’ont pas été atteints. L’État fait de nombreux efforts, et il importe d’en prendre conscience au quotidien. Le COP a été signé. Il convient aujourd’hui de rassurer les parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat sur la forêt, organisé sur l’initiative de M. Leroy, est bienvenu, car le sujet est d’actualité. La discussion a été de qualité, et je répondrai à certains intervenants qui ont donné l’impression que rien n’était fait.

Sauf à être de véritables spécialistes, nous faisons tous les mêmes constats : morcellement de la forêt privée française, déficit commercial de la filière, perte de valorisation de l’industrie forestière sur l’ensemble du territoire, question du devenir de la forêt dans les domaines de la transformation du bois ou de l’utilisation du bois-énergie. Ces questions ont toujours été posées. Faut-il y apporter des réponses ?

Je tiens tout d’abord à rappeler que le déficit commercial de la filière s’élève à environ 6 milliards d’euros, dont 2 milliards pour les meubles et 2 milliards pour la pâte à papier. Nous sommes en effet d’importants consommateurs de papier, mais nous avons fait le choix, par le passé, d’importer du bois pour produire ce papier au lieu d’utiliser le nôtre. Telle est la base du constat.

Ensuite, comme cela a été rappelé, la forêt française est la quatrième forêt d’Europe en surface, et la troisième si l’on y ajoute les départements et régions d’outre-mer. Au regard des questions qui sont posées, il est intéressant de relever que la France, dont la surface forestière est plus importante que celle de l’Allemagne, a 2,6 milliards de mètres cubes de bois sur pied.

Avec une surface forestière de 11 millions d’hectares, l’Allemagne a 3,6 milliards de mètres cubes de bois sur pied, soit presque 1 milliard de mètres cubes de plus que la France pour une surface inférieure. Ce facteur explique aussi, pour partie, sa capacité à pouvoir mieux valoriser son bois.

Quant à la Suède, elle a 2,9 milliards de mètres cubes de bois sur pied pour une surface supérieure à celle de la France ou de l’Allemagne.

La problématique de la filière bois dans son ensemble doit tenir compte de tous ces éléments, mais aussi du fait – cela vaut en particulier pour le COP, le contrat d’objectifs et de performance, et la FNCOFOR, la Fédération nationale des communes forestières – de la question du Fonds forestier national.

Entre les communes qui ont à leur disposition des forêts – je pense au grand Est de la France – sur lesquelles elles peuvent percevoir des recettes et celles qui, dans le sud – j’ai bien entendu les propos qui ont été tenus à ce sujet – ont des difficultés à dégager de telles ressources eu égard à la spécificité de leur forêt, il y a des différences. C’est non pas à « une » forêt française que nous avons affaire, mais à « des » forêts françaises, auxquelles il faut trouver, par grands bassins, des destins et des organisations spécifiques.

Nous avons tous fait le constat du morcellement et des difficultés d’organisation de la forêt française. Ont même été évoquées les questions d’interprofessions.

Le bassin historique forestier des Landes est bien organisé et structuré ; je l’ai dit aux professionnels, qui ont d’ailleurs plutôt tendance à voir les choses sous un angle positif. Mais l’organisation globale mériterait d’être revue pour tenir compte de la diversité des forêts. Tel était l’objectif de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, madame Duranton.

Ces constats, nous les avons tous établis, et nous en avons tiré un certain nombre de conclusions nuitamment ici au Sénat ; je pense en particulier à l’équilibre sylvo-cynégétique, dont M. Leroy se souvient certainement.

Il faut donc avoir une stratégie, ainsi que vous l’avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, et organiser les choses parce qu’elles ne le sont pas. Il ne s’agit pas simplement d’un problème avec l’ONF. Quand celui-ci était bien plus important et présent, le problème de la forêt se posait déjà.

Ne nous trompons pas de diagnostic ou d’objectif ! Je reviendrai ultérieurement sur le COP. Il faut se préoccuper de l’organisation, de la structuration. Depuis trois ans que je suis à la tête du ministère de l’agriculture et de la forêt – je tiens à ce titre dans son entier ! –, j’ai cherché avec vous, et avec tous ceux qui s’y sont intéressés, les moyens d’organiser et de structurer la filière.

Nous sommes à la veille de la présentation du programme national de la forêt et du bois, un sujet dont nous avions débattu en vue de retenir des objectifs, fixer un cadre et élaborer une stratégie pour la forêt française. Ce programme est en cours de finalisation et sera présenté au Conseil supérieur de la forêt et du bois en février prochain, c’est-à-dire dans quelques semaines.

Cette stratégie que vous appelez de vos vœux, il fallait la construire avec tous les acteurs de la forêt, qu’ils soient producteurs, transformateurs, patrons de scieries ou futurs utilisateurs, et mettre tout le monde d’accord. Cela a pris un peu de temps depuis l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, mais le programme sera présenté, je le répète, en ce début d’année. C’est ce que nous devions faire pour donner de la perspective et élaborer une stratégie.

En effet, s’il est très facile de dresser le constat que tout va mal, il est plus difficile, en revanche, de travailler pour réorganiser les choses, afin de faire en sorte que la situation s’améliore.

Tel est l’objectif du programme national de la forêt et du bois, qui sera décliné en programmes régionaux. D’ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a également mis en place le Fonds stratégique de la forêt et du bois, sur lequel je reviendrai.

Tel est aussi l’objectif du contrat de filière du Comité stratégique de la filière bois qui a été signé par l’ensemble des acteurs et des ministères concernés. Sur ce sujet, j’entends bien aussi garder la main.

Même si plusieurs ministères sont concernés, la création d’un délégué interministériel supplémentaire ne simplifierait pas les choses, madame Duranton, et ne permettrait pas d’avancer plus vite. Il est toujours facile de penser que, en créant un poste supplémentaire, on résoudra les problèmes. Mais non, c’est en se mettant d’accord, autour d’une table !

Et tel est l’objectif du contrat stratégique de filière qui a été signé par mon ministère, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, celui de l’économie, de l’industrie et du numérique et celui du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Il est prévu d’en faire le bilan après un an de mise en œuvre, lors de la prochaine réunion du Comité stratégique de la filière bois, au cours de laquelle la Fédération nationale du bois signera le contrat.

Par ailleurs, la négociation du prochain contrat d’objectifs et de performance 2016-2020, qui a largement été évoqué, représente un sujet important pour les communes forestières, les COFOR, et l’ONF. Je l’ai toujours dit, je suis attaché au Fonds forestier national parce qu’on doit mutualiser. En effet, on le sait bien, sans un outil permettant aux forêts publiques d’être gérées et valorisées partout, dans toutes les communes, il y aura d’énormes différences entre les forêts. D’où l’importance de ce fonds.

Pour ce faire, il fallait négocier ce nouveau COP, tout en conciliant l’objectif de réduction des coûts de fonctionnement de l’ONF, la stabilisation, pour la première fois, de ses effectifs et la volonté de ne solliciter en aucune manière les communes forestières, comme je l’ai dit à Nancy. Ce nouveau COP assure ainsi la viabilité de l’ONF et permet aux COFOR de gérer leurs forêts publiques.

Vous l’avez souligné, madame Jourda, le volume ciblé de bois mobilisé est objectivement atteignable, alors qu’il était irréaliste auparavant. Il s’élève ainsi à 15 millions de mètres cubes : 8,5 millions de mètres cubes pour la forêt communale et 6,5 millions de mètres cubes pour la forêt domaniale. La discussion a été ardue, mais elle était nécessaire. L’objectif, je l’ai rappelé, visait à définir des objectifs en matière de mobilisation des recettes, afin d’équilibrer aussi le budget de l’ONF ; on en a besoin pour maintenir la forêt publique, en particulier pour ce qui concerne les communes forestières. Nous avons, en outre, tenu compte de l’ensemble des contributions des communes, et nous ne les avons pas augmentées.

C’est pourquoi ce COP, qui stabilise, je le répète, les effectifs de l’ONF, offre de la visibilité à cet organisme. Bien sûr, tout cela peut être discuté, et il aurait peut-être été possible d’aller plus loin. Mais, dans le contexte actuel, il définit les objectifs et donne les moyens de maintenir les services de l’ONF, tout en répondant aux attentes des communes forestières.

Pour en revenir au programme national de la forêt et du bois, les questions de M. Leroy sont essentielles : quelles sont les perspectives ? Que sortira-t-il de ce programme au cours des semaines à venir ?

Tout d’abord, concernant la grande question du bois-énergie, l’appel à manifestation d’intérêt DYNAMIC bois a été une réussite et sera renouvelé. Je le dis, chaque forêt a ses spécificités. Aussi, il conviendra de poursuivre la réflexion pour développer l’exploitation du bois-énergie dans certaines forêts.

En effet, au regard de la diversité des forêts françaises, certaines d’entre elles ont été historiquement consacrées à la production et d’autres ont gagné sur la déprise agricole. On peut considérer ces dernières comme étant potentiellement productrices d’énergie renouvelable. Mais encore faut-il que l’on s’organise à cette fin !

C’est pourquoi je souhaite combiner dans ces zones-là, au sein des groupements d’intérêt économique et environnemental forestier, les GIEEF, les enjeux liés à la forêt publique et à la forêt privée pour regrouper l’offre. On conduira des expériences de regroupements qui, contrairement à ce que la loi prévoit, ne concerneront plus uniquement la forêt publique, mais également la forêt privée, en particulier dans les forêts où l’on a besoin de produire du bois-énergie.

Ensuite, un autre enjeu majeur réside dans la question du repeuplement et de l’utilisation du Fonds stratégique de la forêt et du bois. M. Leroy l’a souvent relevé, il s’agit là du renouvellement de la forêt et de son adaptation au réchauffement climatique. Tous les forestiers en discutent, dans toutes les zones de France. Au nord de la Loire, se posent aussi ces questions.

En 2015, le Fonds stratégique de la forêt et du bois était doté de 15 millions d’euros. En 2016, selon les prévisions, il pourrait être abondé à hauteur de 25 millions d’euros environ, notamment avec les centimes forestiers et les compensations financières en cas de défrichement. De surcroît, un cofinancement du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, pourrait s’y ajouter – entre 40 millions et 50 millions d’euros –, mais cela fera aussi l’objet d’un débat avec les régions.

Puisque nous traitons de la question du repeuplement, un sujet important à mes yeux, permettez-moi de vous faire une proposition, mesdames, messieurs les sénateurs. Fixons-nous comme objectif de mobiliser – ce fonds peut être utilisé pour le repeuplement ou les infrastructures de collecte du bois –, 100 millions d’euros, en 2016, afin d’engager une stratégie de repeuplement, dont il faudra, ensuite, discuter ; et c’est ce que nous ferons.

Cette enveloppe se décomposerait en quatre abondements égaux de 25 millions d’euros issus du Fonds stratégique de la forêt et du bois, du FEADER, du programme d’investissements d’avenir et d’un financement privé. En effet, le volet concernant la forêt et le bois du plan « Agriculture-innovation 2025 » prévoit des financements innovants. À cette fin, on peut mobiliser – et on doit le faire ! – 100 millions d’euros en 2016 pour engager le repeuplement à l’échelle nationale, un vrai sujet, qui est souvent abordé, en fixant des objectifs et en se donnant les moyens de les atteindre. Telle est la proposition que je vous fais cet après-midi. C’est important, tant la question du repeuplement demeure essentielle, aux yeux des forestiers, pour l’avenir de la forêt.

Comme l’a très bien dit Joël Labbé, en citant ce beau proverbe chinois – je ne sais pas où il l’a trouvé ni d’ailleurs à quel grand Chinois il faisait référence ! (Sourires.) – : « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a vingt ans. Le deuxième meilleur moment est maintenant. » La forêt d’aujourd’hui a même été plantée il y a quarante ou cinquante ans, et il faut, bien sûr, planter maintenant. Ce sont nos actions actuelles qui feront la forêt mature dans quarante ou cinquante ans. Nous devons donc être ambitieux et cohérents en matière de stratégie de repeuplement.

Par ailleurs, se pose aussi la question de l’approvisionnement des secteurs de première et de deuxième transformations. Cela rejoint le constat que je faisais précédemment à propos du faible volume de bois à l’hectare, qui doit avoir des conséquences sur la transformation. Nous devons être plus offensifs.

Cela passe, d’une part, par le label « Union européenne » apposé sur les lots de bois vendus par l’ONF depuis septembre 2015, une mesure qui, il faut le rappeler, commence à porter ses fruits, et, d’autre part, par le renforcement de la réglementation sanitaire en matière de certification à l’export. Une telle action, tout en ayant une influence sanitaire forte sur le bois, nous évitera d’être un producteur de matière première qui exporte des billes de bois, au lieu de les transformer, et qui importe des meubles – nous sommes en train de mettre au point un dispositif à ce sujet.

Enfin, la question du soutien au matériau bois dans la construction, deuxième objectif majeur, est posée.

Nous devons en effet ouvrir des perspectives de débouchés, en particulier pour les feuillus. Tel est l’objet de l’appel à manifestation d’intérêt pour les immeubles de grande hauteur en bois que j’avais lancé et qui est financé par le commissariat général à l’investissement à hauteur de 5 millions ou 6 millions d’euros.

Cela conduira des acteurs à manifester concrètement leur intérêt pour ces tours en bois dans chaque territoire. Nous sommes en train de procéder au recensement des projets. Je vous le dis, mesdames, messieurs les sénateurs, car vous pouvez être intéressés par la construction de tours en bois dans vos territoires. Les bâtiments ainsi construits utiliseront des feuillus – nous en avons déjà quelques exemples – et seront innovants. Cette action entre dans le cadre de la stratégie industrielle de la filière du bois présentée voilà deux ans, qui trouve concrètement aujourd’hui un débouché.

En effet, il faut des débouchés pour produire et valoriser la production. Je suis donc très heureux de vous annoncer que cet appel à projets, qui concerne tant les territoires ruraux que les villes, apporte une réponse à la construction d’immeubles de grande hauteur. Il s’agit d’un dossier important, sur lequel je m’impliquerai personnellement. Nous organiserons d’ailleurs un concours international d’architecture : en utilisant ce matériau, on doit faire du beau, on doit attirer l’œil. Cela démontrera que le bois peut favoriser l’architecture et le logement, et qu’il renouvelle ainsi la construction. Cela fait partie des choix stratégiques sur lesquels nous devons travailler.

Toutes ces actions sont en œuvre. Aussi, il importe que l’ensemble des ministères concernés poursuivent leur implication : il faut regrouper et organiser ces actions. D’où les dispositifs fiscaux évoqués lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dont certains sont d’ores et déjà applicables, comme le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement, le DEFI, qui est garanti et revalorisé, le compte d’investissement forestier et d’assurance, le CIFA, qui permet de mobiliser le bois dans les forêts privées, ainsi que les GIEEF ou les appels à projets.

Certes, on peut aller au-delà – c’est toujours possible ! –, mais on a déjà beaucoup fait. Il convient maintenant de procéder à l’évaluation des mesures en vigueur – je propose que le Sénat participe à ces travaux –, afin d’envisager d’autres mécanismes fiscaux, dont l’effet de cliquet serait encore plus incitatif, en vue de mobiliser la ressource bois. Toutefois, le DEFI et le CIFA sont d’ores et déjà des outils opérationnels et sont très importants pour ce secteur.

Du reste, nous devons favoriser l’investissement et l’innovation.

Je l’ai dit tout à l’heure à propos du volume de bois et de l’organisation de la production, nous devons favoriser les regroupements pour mutualiser les coûts, notamment en matière de collecte. Mais cette filière a aussi besoin d’innovation technique. Certains d’entre vous l’ont souligné, à juste titre, il faut se méfier de la monoculture ou encore des coupes rases. La vieille technique du taillis sous futaie existe depuis très longtemps. Elle a toujours été contestée, mais elle dure depuis 300 ou 400 ans, et elle est durable puisque nous avons encore des forêts parfaitement entretenues aujourd’hui.

Néanmoins, il faut aussi être techniquement capable d’évoluer sur ce sujet. Le stockage du carbone par les sols agricoles, que nous avons soutenu dans le cadre de la COP21, vaut aussi pour les sols forestiers. En effet, ces derniers peuvent aussi y contribuer, avec le bois qui pousse dessus, à condition que la forêt ait aussi une vocation économique : on peut passer de vingt mètres cubes à l’hectare à trois mètres cubes à l’hectare. Or plus il y a de mètres cubes de bois à l’hectare, plus on peut stocker de carbone ; mais plus on a de bois, plus il faut le valoriser et plus nombreux doivent être les débouchés. Tout cela se tient.

Aussi, nous serons attentifs aux stratégies de mutualisation au travers des regroupements, notamment les GIEEF, car l’innovation est un sujet très important.

Voilà pourquoi nous avons mis en place une mission innovation forêt-bois 2025, comme nous l’avions précédemment fait pour l’agriculture. Cette mission regroupe cinq ministères, dont le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, qui, j’y insiste, en est à l’initiative, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. Tous les ministères concernés sont représentés.

Dans la feuille de route stratégique, l’un des objectifs de cette mission est de réfléchir à la manière d’utiliser tous les outils qui sont à notre disposition dès aujourd'hui et, surtout, qui le seront demain. Je pense, en particulier, aux réflexions que nous devons conduire sur les systèmes innovants de collecte et de regroupement de celle-ci que j’ai vus et dont j’ai entendu parler.

Sur ce plan, j’essaierai d’œuvrer en faveur du développement de la collecte de bois par dirigeable. En effet, la mise en place d’infrastructures pour aller chercher le bois coûte très cher, notamment dans les zones montagneuses, et cela limite la mobilisation du bois. Toutefois, la mise en œuvre des innovations existant en matière de collecte et de ramassage du bois nécessite aussi que l’on soit capable de regrouper la production, car ces innovations ne peuvent fonctionner qu’à la condition que l’on ait, au sol, suffisamment de bois à collecter.

Les objectifs en la matière devront être formalisés.

D’autres objectifs seront définis concernant les innovations en matière de financement. Comme je le disais précédemment, il faudra consacrer 25 millions d’euros, sur les 100 millions d’euros mobilisés dans le cadre à la fois du fonds stratégique, du PIA et du FEADER, aux innovations dans ce domaine. En effet, de plus en plus de fonds peuvent être intéressés à la forêt, compte tenu de l’enjeu stratégique que représente celle-ci dans le contexte de la COP 21, comme cela a d'ailleurs été dit par une sénatrice.

La mobilisation de fonds nouveaux contribuera à la réalisation de l’objectif de repeuplement.

C’est aussi l’objet de la mission innovation forêt-bois 2025, dont les résultats devraient être connus d’ici au mois de mars prochain. Ceux-ci seront présentés au Sénat. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble très important que vous disposiez des grands éléments qui permettront d’identifier les projets innovants d’ici à dix ou quinze ans et d’établir un plan d’action sur le financement, en mobilisant tous les outils de financement existants. L’innovation passe aussi par la mobilisation des fonds disponibles sur le PIA 3 pour 2016, qui constitue également un enjeu pour la forêt.

Au-delà des constats – ils sont connus –, il fallait se donner les moyens et les outils d’organiser une filière. L’histoire a montré que ce n’est pas si simple… La prise en compte de spécificités, en particulier pour ce qui concerne les grandes forêts résineuses – suivez mon regard…–, n’empêchera pas la mise en place d’interprofessions et l’organisation de la filière bois-forêt de manière générale. Cette évolution est très importante : elle permettra que les interprofessions aient aussi la capacité de lever les CVO, les fameuses contributions volontaires obligatoires, et, ainsi, d’intégrer dans les financements les moyens de lutter contre les problèmes sanitaires, de manière à gérer l’avenir. Cette possibilité existe déjà du côté de la forêt des Landes. Elle devrait être élargie. À cet égard, le programme national de la forêt et du bois, dont les grands axes seront présentés au début du mois de février, permettra de mobiliser stratégiquement les acteurs.

Organiser la filière, fixer les grands objectifs stratégiques, jouer sur les grandes innovations de demain, disposer de nouveaux débouchés, avec, en particulier, les bâtiments de grande hauteur, tout cela fait partie de la stratégie forestière qui vise à redonner à la forêt française, en métropole comme en outre-mer, au-delà de la dimension patrimoniale qu’on lui connaît, de son importance environnementale, de son rôle en matière de biodiversité, de son caractère multifonctionnel, qu’elle doit conserver, une fonction économique. En effet, la forêt est un élément de développement de nos territoires. Nous en sommes tous convaincus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)