Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mesdames les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je voudrais avant tout remercier notre rapporteur Jérôme Bignon, qui vient de présenter avec beaucoup de talent, de force et conviction la position de la commission. La tâche n’était pas facile. En effet, alors que le présent texte comporte un très grand nombre de dispositions importantes, notre rapporteur disposait d’un temps très limité pour s’exprimer. Bien plus important encore est le travail énorme qu’il a accompli tout au long de l’année 2015 et jusqu’en 2016, pour étudier chacune des dispositions du projet de loi, rencontrer et entendre l’ensemble des acteurs intéressés, soit près de deux cents personnes.

Je tiens aussi à remercier les rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques et de la commission de la culture, chacun des membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que tous les groupes représentés dans notre assemblée, à qui nous devons ce texte que nous avons adopté grâce à une approche très consensuelle. Merci à Mme la ministre, qui a comme toujours fait preuve de beaucoup d’écoute, et merci aux services de la commission, qui ont accompli un énorme travail.

Ce texte a été adopté à une très large majorité par la commission le 8 juillet dernier. Il intègre de nombreux apports, en provenance de toutes les sensibilités représentées au sein de la commission : pas moins de 222 amendements ont été adoptés au total, soit plus d’un tiers de ceux qui nous avaient été soumis.

C’est donc un travail collectif qui vous est présenté aujourd’hui, un texte équilibré, réaliste, pragmatique et même simplificateur – je le précise à l’attention de mon collègue Rémy Pointereau –, comme nous avions cherché à le faire pour le projet de loi relatif à la transition énergétique, sur l’initiative de notre collègue Louis Nègre.

Je souhaite que notre débat en séance publique se déroule comme celui qui s’est tenu en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, c’est-à-dire sans a priori ou postures idéologiques, avec le seul souci de l’efficacité et de l’écoute et, surtout, avec un objectif permanent d’intérêt général.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire. Ce texte ne doit pas être abordé de manière clivante : majorité contre opposition, défenseurs de l’environnement contre agriculteurs ou chasseurs… Au contraire, ce projet de loi doit nous rassembler par l’importance de ses enjeux.

Ce texte s’inscrit en effet parfaitement dans le prolongement de l’accord historique et universel de Paris sur le climat, signé le 12 décembre dernier, dont nous nous sommes tous félicités dans cet hémicycle. Il faut désormais le mettre en œuvre concrètement et respecter les engagements que nous avons pris devant la communauté internationale pour limiter le réchauffement de la planète.

Le projet de loi que nous examinons est l’un des éléments qui doit y contribuer. La préservation de la biodiversité figure d’ailleurs explicitement dans la résolution adoptée à l’unanimité par le Sénat, le 16 novembre dernier, sur la proposition de Jérôme Bignon.

Les interactions entre biodiversité et climat sont en effet nombreuses. Les modifications de la température, de l’humidité ou de la concentration en CO2 dans l’atmosphère influent – c’est incontestable – sur la biodiversité. Elles ont un impact sur la croissance des animaux et des plantes, ainsi que sur leur cycle de vie. Elles entraînent des migrations d’espèces animales et végétales, voire leur disparition, lorsque ces espèces ne parviennent pas à s’adapter aux nouvelles conditions.

Aussi, du fait de ces évolutions, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, prévoit la disparition, d’ici à 2050, de 20 % à 30 % des espèces végétales et animales. La France est très exposée à ce phénomène du fait de la variété de ses territoires, notamment outre-mer.

Or, en sens inverse, ce sont bien les écosystèmes qui ont influencé les modes de vie des hommes, contribué à dessiner les paysages et permis la diversité des espèces qui y habitent. Ils ont aussi contribué à l’agriculture et à l’alimentation humaine ; ils ont assuré la qualité de notre santé et modelé nos civilisations, notre culture et notre économie.

Aussi, en adoptant des stratégies efficaces de maintien de la biodiversité, par la gestion des habitats et des espèces menacées ou encore par la création d’aires protégées sur terre et en mer, il est possible d’améliorer la résistance des écosystèmes humains et naturels aux changements climatiques.

La biodiversité peut même, grâce à l’agriculture et à la forêt, atténuer la croissance de la quantité de CO2 dans l’atmosphère par la création de puits de carbone. Elle a donc une véritable utilité ; sa préservation est incontestablement nécessaire.

La biodiversité représente aussi un atout économique. En effet, elle contribue aux activités humaines, notamment l’agriculture et la pêche, mais aussi la pharmacopée ou le tourisme. On mesure donc les conséquences que pourraient avoir son altération ou sa disparition. Elle est également source d’innovation : on peut ainsi citer le biomimétisme.

Dans le contexte postérieur à la COP 21, ce projet de loi est donc bienvenu. Il était d’ailleurs attendu : présenté en conseil des ministres le 26 mars 2014, il a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 24 mars 2015 ; nous l’attendions donc ici depuis déjà plusieurs mois.

Ce texte propose une vision plus dynamique de la biodiversité : il rappelle le lien étroit qu’elle entretient avec les activités humaines. Il nous revient d’en adopter une version juste et équilibrée, plus mesurée et pragmatique que celle issue de l’Assemblée nationale, qui pourra fixer le cap pour les prochaines années. Le texte issu de notre commission a cette ambition. Les amendements que nous adopterons en séance devront, selon la commission, préciser et améliorer cet équilibre sans le bouleverser.

C’est une vision positive de la biodiversité que nous voulons inscrire dans la loi. Pour y parvenir, la commission veillera à ce que nos débats soient placés sous le signe du pragmatisme et animés par la recherche du seul intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, quatre ans après la conférence environnementale, nous voici enfin réunis pour débattre du projet de loi visant à la reconquête de la biodiversité.

Nous le savons tous : protéger aujourd’hui la biodiversité, c’est créer les conditions pour assurer demain un avenir à l’humanité.

La France a une responsabilité particulière. Grâce à ses territoires d’outre-mer et à l’importance de son espace maritime, le deuxième au monde – ce n’est pas mon collègue Paul Vergès, que je salue, qui me contredira –, elle est l’un des pays les plus remarquables par la richesse et la diversité de ses paysages et de ses écosystèmes.

Ce texte est attendu. Après la loi fondatrice de 1976, il marque un pas supplémentaire pour la protection de la biodiversité. Nos débats, je l’espère, seront par leur qualité à l’image des travaux de la commission, marqués par un climat constructif sous la houlette de notre rapporteur Jérôme Bignon.

L’entreprise de définition réalisée dans ce texte, notamment au titre Ier, est considérable ; elle constitue un atout important de ce projet de loi. Nous partageons en particulier la définition de la biodiversité comme un système vivant, dynamique et interactif. C’est une avancée importante, qui rompt avec l’approche patrimoniale de la loi de 1976.

Il est par ailleurs bienvenu de placer cette définition dans une vision écosystémique en évolution permanente. Outre la protection des espèces et espaces remarquables, il s’agit aujourd’hui toujours plus de favoriser la biodiversité ordinaire et les corridors écologiques et de permettre aux espèces de faire face aux conséquences du changement climatique ou au morcellement de leur habitat, y compris en milieu urbain. Ces questions sont au cœur de ce texte.

Il y a urgence à agir pour la biodiversité. Les chiffres ont largement été rappelés par Mme la ministre et notre rapporteur, je n’en citerai qu’un : chaque année, 17 000 espèces disparaissent. Les scientifiques parlent d’une sixième crise d’extinction des espèces et estiment que 60 % des services écosystémiques mondiaux sont dégradés.

Nous nous trouvons donc, comme pour la question du climat, à un moment charnière. Il y a dix ans déjà, nous avions organisé ici même un colloque sur cette question, sous la houlette des sénateurs Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, colloque qui avait bénéficié du parrainage d’Hubert Reeves, président de la ligue ROC, devenue Humanité et Biodiversité.

Durant ces dix années, les consciences ont continué de progresser. Le constat que l’activité humaine est à l’origine de la dégradation écologique a été validé. De même, nous savons maintenant que l’humanité en subit les conséquences. L’idée qu’il faut redéfinir ce qu’est le progrès et les conditions qui sont nécessaires pour y conduire émerge de plus en plus fort dans la société. Nicolas Hulot nous appelle d’ailleurs à oser changer la société.

Parmi les mesures phares du présent projet de loi figure, au titre III, la création, initialement prévue au 1er janvier 2016 puis repoussée au 1er janvier 2017, d’une Agence française pour la biodiversité, ou AFB. La création de cet opérateur unique devrait être gage de cohérence et d’efficacité. Elle traduit un changement d’approche et la volonté de cesser de cloisonner biodiversités sèche, humide et aquatique, puisque le vivant est un tout. Cette démarche est la bonne.

Cet établissement public sera chargé d’animer et de coordonner la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de la connaissance, de la prévention, de la conservation et de la protection de la biodiversité.

Aujourd’hui, 225 millions d’euros sont annoncés pour cette agence. Ils correspondent à la simple addition des moyens des entités existantes fusionnées. Les 60 millions d’euros supplémentaires correspondent à des aides apportées dans le cadre des investissements d’avenir. L’appel à projets pour ces aides a été confié par le ministère à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui n’a pas de compétence particulière en interne sur la biodiversité. C’est quelque peu étrange et, finalement, c’est bien peu d’argent ! Rappelons que les premiers travaux de préfiguration de 2013 chiffraient les besoins à 400 millions d’euros par an, chiffre repris par le second rapport de préfiguration, remis en juin dernier.

Une chose est claire : la seule fiscalité de l’eau ne pourra financer l’ensemble de la biodiversité. Or, tel qu’il est prévu, le budget de l’AFB sera pour majeure partie lié aux ressources des agences de l’eau via l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA. Les agences contribueront ainsi à hauteur de 150 millions d’euros.

Or ces ressources proviennent à 80 % des ménages, à travers leurs factures d’eau. Ce financement de la biodiversité par les ménages est particulièrement infondé !

Dans ce cadre, l’élargissement des compétences des agences de l’eau à l’ensemble de la biodiversité, prévu dans un amendement gouvernemental adopté par l’Assemblée nationale, ne peut nous satisfaire.

Nous pouvons comprendre que ces agences financent des projets liés au milieu marin en raison de la continuité des eaux douces, littorales et marines. En revanche, étendre leur compétence à l’ensemble de la biodiversité terrestre va beaucoup plus loin. Cette mesure ouvre en effet la voie à un désengagement financier total de l’État, qui se reposerait sur les seules agences de l’eau. Rappelons que le Grenelle de l’environnement avait formulé l’objectif d’engagement de 300 millions d’euros par an de crédits budgétaires en faveur de la biodiversité. Avec 150 millions d’euros inscrits au budget de 2016, nous en sommes loin !

En outre, ce chiffre ne prend pas en compte la contribution directe des agences de l’eau au budget de l’État par le prélèvement sur leur fonds de roulement. Elles devront faire plus à ressources constantes, tout en continuant d’alimenter le budget de l’État. Comment ne pas craindre, dans ce cadre et faute de ressources supplémentaires, une hausse des redevances pour les usagers ?

La mission de préfiguration renvoie maintenant la question financière au Comité pour l’économie verte. Il faut espérer que ses conclusions ne subiront pas le même sort que celui réservé par Bercy aux préconisations formulées en matière fiscale par le groupe « déchets » de ce comité.

Un débat doit rapidement être ouvert sur les moyens, comme le préconise l’avis rendu en décembre 2013 par le Conseil national de la transition écologique, ou CNTE, sur le présent projet de loi. La conférence nationale de Strasbourg, en mai 2015, consacrée à l’AFB, ainsi que les Assises nationales de la biodiversité, en juin de la même année, ont rappelé la nécessité de ce débat. Nous vous avons alertée, madame la ministre, lors du débat budgétaire, quand bien même nous savons que tout ne dépend pas de vous !

La loi de finances pour 2016 prévoit 76 nouvelles suppressions d’emploi dans les établissements publics de l’État chargés de l’eau et de la biodiversité, dont la moitié dans le périmètre de la future AFB !

L’absence d’un dialogue plus poussé avec les organisations syndicales est un problème. En effet, les personnels de l’environnement vivent la création de l’AFB non comme la chance qu’elle pourrait constituer, mais comme la suppression de l’ONEMA. Nous regrettons que les discussions concernant la situation des contractuels, s’agissant à la fois de leur nouveau statut et des conditions de leur titularisation, soient à l’arrêt. Peut-être des avancées dont vous pourrez nous informer sont-elles intervenues entre-temps, madame la ministre ?

Pour défendre la biodiversité, il faut des agents du service public reconnus et valorisés, dans leurs statuts et dans les conditions d’exercice de leurs missions. Les personnels de l’environnement seront en grève le 4 février prochain, à l’appel de leur intersyndicale. Nous les soutiendrons.

En ce qui concerne la gouvernance, nous estimons que la cohérence, les missions et même les financements de la future AFB pâtiront de l’absence de l’ONCFS en son sein, situation à laquelle certains sont favorables, mais nous pensons que ces deux organismes auront intérêt à être réunis. J’ai bien compris que l’on cherchait pour l’instant à les faire travailler ensemble, mais nous espérons que cette situation évoluera vers une intégration et nous proposerons l’adoption d’un amendement en ce sens, ne serait-ce qu’à titre d’appel.

Si nous avons proposé et fait adopter la création de délégations territoriales de l’agence, disposition sur laquelle vous nous avez indiqué que vous reveniez, madame la ministre, c’est que nous entendions allier la nécessaire proximité et la nécessaire adaptation territoriale de politiques nationales. Le Gouvernement, au travers de l’amendement déposé, organise quant à lui une mutualisation avec les régions volontaires. Vous nous avez expliqué votre souci de pragmatisme, souci que nous comprenons. Nous pensons tout de même qu’il s’agit à terme de déléguer les missions, ce qui ouvre sans doute la voie à un transfert de compétence. Vous le savez, nous ne partageons pas cette philosophie. De plus, une telle situation ajoute de l’incertitude et une inquiétude quant à de possibles redéploiements pour les agents de l’État.

Dans ce cadre, le rapprochement prévu des polices de l’environnement est un signal positif à conforter, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un énième plan pour réduire les moyens, comme ce fut le cas avec la RGPP en 2008.

La concrétisation du projet dépendra donc en définitive d’une clarification des objectifs, de l’engagement des moyens budgétaires supplémentaires de l’État, de l’identification des coopérations entre les services, les établissements publics de l’État et l’ensemble des collectivités territoriales qui, il faut le souligner, jouent un rôle moteur en matière d’investissement en faveur de la biodiversité.

Nous saluons la création, au titre II, du Comité national de la biodiversité, structure commune qui doit permettre à l’ensemble des instances ayant un rapport avec la biodiversité de communiquer et de travailler ensemble.

Le titre IV transpose le protocole de Nagoya, qui modifie la convention sur la diversité biologique de 1992. L’objectif est de prévoir un dispositif d’accès aux ressources génétiques, présentes sur notre territoire, et aux connaissances traditionnelles associées, et de définir les modalités de partage des avantages issus de l’utilisation de ces ressources. Nous proposerons des amendements pour garantir une plus grande équité dans ce partage.

Cependant, ce dispositif est contestable sur le fond. En effet, en 1992, on a fait le choix de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, les « ressources génétiques ». Or nous continuons de penser que ces ressources ne devraient pas être assimilées à des biens marchands. Nous proposerons des amendements sur la notion de « services écosystémiques », le calcul de leur valeur monétaire, la multiplication des brevets sur le vivant, parce que cela participe de la privatisation de la nature et contribue à l’appauvrissement de la notion de bien commun, à laquelle nous tenons beaucoup et qui devrait à notre avis prévaloir.

L’argument est que les marchés ne pourraient pas prendre en compte les biens sans valeur monétaire. Je sais que certains ici se sont résolus à accepter la notion de « ressources génétiques », au motif que ce serait un moindre mal. Pourtant, si tous les pays du monde et l’OMC décidaient de faire de la politique, on pourrait affirmer que l’économie est au service des hommes, et pas le contraire ! Mais je rêve… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Hubert Falco. Continuez à rêver !

Mme Évelyne Didier. Parlons maintenant du titre V.

Le projet de loi crée ou renforce des outils pour la protection de l’environnement, comme les obligations réelles environnementales, la création d’espaces de continuité écologique, l’extension de la protection des espèces à la zone économique exclusive et au plateau continental, les sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité, une cohérence consolidée au sein des documents d’urbanisme des collectivités territoriales, pour ne citer que quelques mesures. C’est considérable, et nous en sommes heureux.

Cependant, nous regrettons l’évolution du débat en commission qui a conduit à la suppression de l’article sur les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes. Nous proposerons son rétablissement.

Concernant le titre VI, qui porte sur les paysages, nous sommes satisfaits de la réécriture effectuée par la commission, car elle permet de conserver pour l’avenir la possibilité de désigner des sites « inscrits ».

J’en viens au sujet qui nous préoccupe particulièrement : les réserves d’actifs naturels.

Les dispositions insérées à l’Assemblée nationale visent à définir les conditions de la compensation en application du principe « ERC », reconnu dans notre droit et prévu dans les traités internationaux, principe selon lequel il convient d’abord d’éviter, puis de réduire, enfin seulement de compenser les effets des activités humaines sur la nature et la biodiversité.

En engageant la réglementation de cette compensation à l’aide d’un dispositif dit de « réserve d’actifs », ce projet de loi fait un pas dans le sens de la financiarisation de la biodiversité : payer pour avoir le droit de polluer, en somme… Nous ne sommes pas certains que ce dispositif ait démontré son efficacité, mais, mon temps de parole étant épuisé, je me bornerai à dire que nous espérons que nos débats permettront de faire évoluer le projet de loi sur ce point.

Voilà, mes chers collègues, les quelques éléments que je voulais évoquer à l’ouverture de nos débats sur un sujet qui mériterait autant d’engagement que le climat.

Madame la ministre, à quand une COP à Paris sur la biodiversité ?

Un sénateur du groupe UDI-UC. Pourquoi à Paris ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Il y en aura une au Mexique en décembre.

Mme Évelyne Didier. Madame la ministre, je salue à cet instant votre engagement, votre écoute et celle de M. le rapporteur. Nos réserves sont réelles, mais elles ne nous empêchent pas d’avoir un regard positif sur le texte en l’état et de reconnaître les progrès accomplis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Poher.

M. Hervé Poher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes au début de la discussion du projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Si je me permets de répéter ce titre, c’est simplement parce que chaque mot est important, chaque mot est essentiel, chaque mot est responsable !

Important dans la démarche, parce que la reconquête est une véritable ambition, et toutes les lois ne parlent pas de reconquête.

Essentiel dans les champs d’intervention : la nature, les paysages, la biodiversité font bien partie de notre environnement commun, de notre patrimoine commun, de notre héritage commun… Héritage en indivision, pourrais-je même ajouter.

Responsable enfin dans les objectifs et les moyens d’y arriver, parce que, quelles que soient nos sensibilités, nous sommes tous d’accord : on ne peut plus se permettre d’attendre et on ne peut pas rester inerte quand on entend parler de sixième extinction.

Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rester sur cette ligne directrice et de vous parler non pas du contenu du projet de loi, que nous aurons l’occasion d’examiner pendant trois jours, mais bien de la démarche, des objectifs et de la philosophie.

Tout d’abord, je ferai une remarque. On reproche souvent aux décideurs et aux politiques de n’avoir ni continuité dans l’action ni logique. C’est un reproche qu’on ne peut sincèrement vous faire, madame la ministre. Loi sur la transition énergétique, mobilisation pour le climat, reconquête de la biodiversité… Il y a une logique ; il y a une continuité ; il y a un fil rouge. Personne ne peut dire le contraire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Ensuite, parlons de la philosophie et du fond.

Dans ce noble palais, et parce que c’est le processus législatif qui le veut, les mots qu’on entend le plus sont « code, procédure, contentieux, portée juridique, droit »… C’est logique, mais je vous demande l’autorisation de rester dans un tout autre registre. Parce que la biodiversité m’y pousse, parce que la biodiversité m’en donne l’occasion et parce que la biodiversité le mérite, je vais essayer de mettre un peu de tendresse dans un océan de pragmatisme. (Ah ! sur les mêmes travées.)

M. Hubert Falco. Très bien !

M. Jean-François Husson. Quelle chance vous avez !

M. Hervé Poher. J’ai eu la chance et l’honneur de présider, dans une vie antérieure et pendant quelques années, un parc naturel régional. Un parc, c’est forcément un territoire d’expérimentation, d’exception et d’excellence. Du moins, ce devrait l’être.

Lors de mon dernier discours de président, je n’ai pas pu m’empêcher de rappeler à mes collègues, élus, responsables, gestionnaires et décideurs, la chose suivante : « N’oubliez jamais que les gens ont besoin qu’on leur raconte une histoire,…

M. Jérôme Bignon, rapporteur. C’est vrai !

M. Hervé Poher. … joyeuse ou triste, vraisemblable ou impossible, réaliste ou fantasmagorique… Peu importe : le principal, c’est qu’on leur raconte une histoire. Si nous, décideurs, nous ne le faisons pas, les gens écriront une histoire eux-mêmes et le résultat ne sera pas toujours ce qu’on aurait souhaité. »

Si je vous dis cela, mes chers collègues, c’est simplement parce que la biodiversité, la nature et les paysages peuvent être et sont, par essence même, des ingrédients formidables pour créer une véritable histoire et inventer une nouvelle et belle aventure. Avec de surcroît le mot « reconquête », que demander de plus ?…

C’est effectivement une belle aventure : Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand ou Jacques Perrin nous l’ont démontré et le démontrent régulièrement. Et c’est tout à fait normal, car, pour chacun d’entre nous, quelles que soient notre personnalité et l’image que l’on veut donner, l’ours, le dauphin et l’éléphant font obligatoirement partie de notre enfance. La fleur, quelle qu’elle soit, est et sera toujours une image de la beauté parfaite. Un coucher de soleil sur un horizon vierge, c’est forcément un moment de plaisir. Et, pour petits et grands, la coccinelle restera toujours la bête à bon Dieu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Ségolène Royal, ministre. C’est beau !

M. Hervé Poher. Comment voulez-vous ne pas inventer de belles histoires avec tout cela ? Même si, je le répète, ce n’est pas forcément une habitude dans cette maison, mais même nous, législateurs, ne devons jamais oublier ce que veulent les gens !

Sur la finalité, sur l’objectif, sur l’ambition, je crois pouvoir dire, madame la ministre, que nous sommes tous d’accord, de droite ou de gauche, vieux ou jeunes, ruraux ou citadins, parce qu’il s’agit d’héritage commun, de patrimoine commun.

Bien sûr, au cours de la discussion, nous verrons apparaître quelques nuances, quelques options, quelques divergences, voire quelques oppositions sur certains articles. C’est logique, c’est la règle du jeu et il est presque normal que certains défendent leur vision de la nature et de sa gestion, de la biodiversité, du fonctionnement et de l’activité de l’homme au sein de son environnement. Je veux, bien entendu, parler du monde agricole et de nos amis chasseurs.

Mais le principal, quand on est d’accord sur l’objectif, c’est d’informer, de parler, d’échanger, en n’oubliant jamais que, la biodiversité, ce n’est pas que des contentieux, du droit et de la procédure. C’est aussi du symbole, de l’image, du vivant. Malheureusement, toutes les lois n’ont pas ces qualités !

Voilà pourquoi, en réunion de commission, lorsque nous avons eu le plaisir de discuter avec vous, madame la ministre, j’ai commencé en vous disant : « Merci de nous avoir fourni un document qui fait travailler nos neurones tout en alimentant notre affectif. » Ce n’était pas qu’une formule de politesse ni une formule de style. C’était le simple remerciement d’un citoyen lambda, praticien de la nature, amoureux des paysages et pleinement conscient du rôle initiatique que doit avoir un grand-père.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très bien !

M. Hervé Poher. Qu’une loi soit le nouveau début d’une grande aventure, avec des victoires et, surtout, des reconquêtes, pourquoi pas ?

Marquer son temps et laisser son empreinte, pour un humain ou pour une loi, c’est quand même une noble ambition. C’est en tout cas tout le malheur que je souhaite au projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)