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reconquête de la Biodiversité, de la nature et des paysages

Suite de la discussion d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.

La discussion générale commune a été close.

Nous passons à l’examen du texte de la commission relatif au projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

TITRE Ier

PRINCIPES FONDAMENTAUX

 
Dossier législatif : projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Articles additionnels après l'article 1er

Article 1er

Le I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Après le mot : « naturels », sont insérés les mots : « terrestres et marins » ;

2° et 3° (Supprimés)

4° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les processus biologiques et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.

« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, l’ensemble des organismes vivants ainsi que les interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes, leurs habitats naturels et leurs milieux de vie. »

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.

Mme Marie-Christine Blandin. Depuis le 28 décembre 2015, les arrêtés de protection des géotopes sont publiés. Madame la ministre, vous avez respecté vos engagements face aux géologues et aux enseignants-chercheurs du Muséum.

Mieux, cette prise de conscience se retrouve désormais dans l’article 1er du présent projet de loi qui inclut dans le patrimoine la « géodiversité ». Il y va de nos paysages, des essences de nos forêts, des cultures et, pour prendre un exemple qui motive souvent le Sénat, des viticultures.

Ainsi, à exposition semblable, à altitude égale, à pente semblable, selon que le sous-sol est jurassique moyen ou jurassique supérieur, et son sol associé, vous aurez du vin Côtes de Nuits ou Côtes de Beaune… Et s’il y a de petites huîtres fossiles, ou Ostrea, l’appellation Chablis vous sera refusée…

Au-delà de ces incidences économiques et gastronomiques, l’attention portée au patrimoine géologique a toute son importance en matière de rôle joué par les sols et leur faune : tout comme notre organisme héberge deux kilogrammes de micro-organismes, biodiversité indispensable à notre santé, les sols non empoisonnés abritent une masse d’animaux et de bactéries contributeurs de fertilité et de résilience, dont le poids dépasse celui des troupeaux qui pâturent en surface.

Recevez donc, madame la ministre, la gratitude des géologues, des pédologues et des défenseurs de l’humus, et permettez-nous d’espérer pour les amendements nos 457 rectifié, 121 rectifié bis et 525 rectifié bis, qui ont reçu un avis négatif de M. Bignon, mais qui visent pourtant simplement à mentionner l’importance des sols dans le patrimoine pour la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l’article.

M. Joël Guerriau. Nous avons la responsabilité de mener une politique qui vise à protéger et entretenir notre écosystème trop souvent mis à mal par l’homme. La reconquête de la nature et des paysages est essentielle pour l’humanité et son devenir. Aussi, préserver la diversité de la vie naturelle, de la faune, de la flore, terrestre ou marine, doit être notre priorité.

À ce titre, l’article 1er permet d’enrichir le code de l’environnement par des concepts et un vocabulaire renouvelé et raisonné. Il donne une définition plus affinée de la biodiversité en intégrant l’ensemble des êtres vivants dans une dynamique.

Cet article contribue à rassembler, organiser et clarifier ce qui fait la biodiversité en tenant compte de l’avis des chercheurs.

La chaîne du vivant dont nous dépendons mérite que l’on soit d’accord sur l’évolution du code de l’environnement, sans pour autant omettre l’énorme chemin qu’il reste à parcourir pour préserver l’écosystème de notre planète.

Le groupe UDI-UC soutient la rédaction de cet article issue des travaux de la commission.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.

M. Roland Courteau. Cet article 1er permet de compléter la notion de patrimoine commun de la nation, telle que définie à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

Reconnaître que les espaces, ressources et milieux naturels sont issus à la fois des mondes terrestre et maritime me semble par exemple une évidence, car la biodiversité englobe effectivement des espaces, ressources et milieux naturels tant terrestres que marins. Ainsi, la Méditerranée abrite près de 10 % des espèces marines connues dans le monde.

Mais, selon moi, la biodiversité inclut également les sites et paysages diurnes et nocturnes. Oui, il y a des paysages nocturnes affectés par la pollution causée par l’excès de lumière artificielle, ce qui touche directement la biodiversité et la vie des insectes, par exemple.

Pour moi, les paysages, tant diurnes que nocturnes, font donc partie du patrimoine commun de la nation et je regrette que cette référence ait été supprimée lors des travaux de la commission au Sénat.

Je regrette également que les sols ne figurent plus dans le texte de la commission. Je présenterai d’ailleurs des amendements sur ce sujet, car nous devons les considérer comme un bien commun, à l’instar de l’eau et de l’air, non dans leur seule et unique valeur foncière. Ce n’est pas un hasard si l’ONU a déclaré 2015 l’année internationale du sol.

Les sols – faut-il le rappeler ? – abritent un quart des espèces de la planète, font pousser nos forêts, nos fruits et nos légumes, stockent carbone et gaz à effet de serre et luttent contre les inondations. Ils rendent une multitude de services à l’humanité. Or nous détruisons ou dégradons nos sols agricoles dans l’indifférence générale. Entre 2006 et 2014, près de 500 000 hectares ont été artificialisés en France, soit l’équivalent d’un département ! Cette imperméabilisation empêche la circulation de l’air et de l’eau qui constituent des éléments vitaux pour les milliards d’organismes qui vivent dans les sols.

Nos sols sont aussi dégradés par l’épuisement des substances nutritives, l’acidification, la salinisation ou les pollutions. Cela entraîne une perte de fertilité et une réduction de la biodiversité.

Le phénomène est mondial : 33% des sols, dans le monde, sont dégradés.

Bref, la biodiversité est un tout et l’article 1er permet de renouveler et de préciser sa définition.

Je vous remercie, madame la ministre, d’attirer notre attention, par ce projet de loi, sur cette situation alarmante.

On apprend ainsi, dans une étude lancée sur l’initiative des Nations unies, que les espèces vivantes s’éteignent à un rythme 1 000 fois plus intense que celui dont font état les paléontologues pour les dernières 65 millions d’années… Qui pourrait rester inerte, alors que le monde est entré dans une sixième extinction de masse ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de la tenue de ce débat sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Il témoigne d’une volonté de donner une indispensable ampleur à la politique de protection de la nature et de mieux appréhender la diversité et la complexité de la biodiversité.

Comme vous le savez, ce sujet nous préoccupe au plus haut point, puisque les territoires français d’outre-mer sont riches d’espèces animales et végétales endémiques avec 3 600 plantes et 240 vertébrés.

Cette biodiversité foisonnante, unique, représente 1,4 % des plantes du monde, 3 % des mollusques, 2 % des poissons d’eau douce, 1 % des reptiles et 0,6 % des oiseaux. En outre, les récifs coralliens couvrent 55 000 kilomètres carrés et représentent 10 % de ceux qui existent dans le monde.

La biodiversité ultramarine représente 80 % de la biodiversité française. Le patrimoine naturel des collectivités françaises d’outre-mer est donc exceptionnel, tant par sa diversité que par son haut niveau d’endémisme.

Si ce tableau succinct témoigne de la place irremplaçable de l’outre-mer au sein de l’ensemble français, il ne peut occulter la fragilité de cette richesse patrimoniale, menacée par la surexploitation, la destruction et la fragmentation des habitats, l’introduction d’espèces invasives et les pollutions.

Le projet de loi qui nous est soumis a l’incontestable mérite de mettre en valeur une vision dynamique des écosystèmes, de valoriser le concept de solidarité écologique et, surtout, d’apporter des réponses pertinentes mobilisant les acteurs publics au service de la protection et de la restauration. Parmi ces réponses, je pense en particulier à la création d’un opérateur intégré, l’Agence française pour la biodiversité.

Vous avez déjà été sensibilisée, madame la ministre, à l’intérêt de la mise en place de délégations ultramarines, aux périmètres et aux compétences variables, qui auraient vocation à exercer tout ou partie des missions dévolues à la nouvelle agence.

En ce sens, l’article 32 du présent projet de loi prévoit la constitution d’établissements publics de coopération environnementale, ou EPCE, chargés d’accroître et d’améliorer les connaissances sur l’environnement ainsi que leur diffusion, la sensibilisation et l’information des publics et d’assurer la conservation d’espèces ou la mise en œuvre d’actions de restauration des milieux.

Dans ce cadre, vous aviez été réceptive à l’idée de la mise en place d’une préfiguration de l’agence, qui conduirait à la création d’un établissement public de coopération environnementale en Martinique. Je m’inscris dans cette perspective de faire de la Martinique un EPCE pilote.

À ce titre, il me paraît vivement souhaitable que soient clarifiés par voie réglementaire le champ des missions de l’EPCE, les financements nécessaires, les mutualisations de moyens humains, la coopération avec les états de la Caraïbe, le mode de gouvernance et ses incidences sur celui des établissements publics que l’EPCE serait amené à intégrer, ainsi que les liens organiques entre l’EPCE et l’Agence française pour la biodiversité.

Je ne développe pas davantage cette question, sachant que j’y reviendrai lors de l’examen de l’article 32. (M. Joël Labbé applaudit.)

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de la biodiversité est parfois tourné en dérision. Je crois d’ailleurs avoir perçu quelques sarcasmes lors de la discussion générale, mais j’ai dû mal entendre… Toutefois, il est vrai que les urgences économiques et sécuritaires tendent à reléguer au second plan les défis écologiques, la biodiversité encore plus que le climat.

En outre, on oppose encore, parfois, environnement et développement, écologie et économie, nature et humanité. Or nous ne devons pas cliver nos débats, même si cette question peut faire appel aux fondements idéologiques, voire philosophiques, de notre engagement personnel.

Chers amis de la majorité, nous nous revendiquons, dans notre famille politique, d’une éthique de la responsabilité. Pour ma part, et sans craindre d’être taxé de conservateur, je crois que nous devons, avant tout, transmettre à nos enfants ce que nous ont légué nos parents. Davantage si nous pouvons, en tout cas pas moins ! La biodiversité, qui est décrite dans l’article 1er du projet de loi comme notre patrimoine commun, fait partie de cet héritage.

Alors que, dans la discussion générale, certains ont ri au sujet des ours, nous ne pourrions pas imaginer un monde sans lions, sans tigres ou sans éléphants.

M. Jean-Louis Carrère. Il en reste, des éléphants !

M. François Grosdidier. Nous demandons aux peuples du tiers-monde de préserver ces fauves et pachydermes, beaucoup plus dangereux pour l’homme que les 30 ours et les 300 loups avec lesquels nous sommes manifestement incapables, en France, de cohabiter…

Même si vous ne partagez pas ce point de vue philosophique, plaçons-nous d’un point de vue purement utilitariste et anthropocentriste !

La biodiversité nous apporte d’infinis services, comme la pollinisation, mais elle est surtout le premier gisement de la pharmacopée. L’organisme animal ou végétal même le plus insignifiant contient en effet la molécule qui a sauvé, ou qui sauvera demain, des foules d’êtres humains.

Au cours de la discussion générale, plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont rendu hommage à Hubert Reeves. Vous me permettrez de rendre, pour ma part, hommage au botaniste Jean-Marie Pelt, qui nous a quittés juste avant Noël. Il nous rappelait à quel point la biodiversité est une question essentielle pour l’humanité, en même temps qu’elle constitue, en faisant appel à notre esprit de responsabilité et à notre sentiment d’empathie, un test pour notre propre humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, nous abordons le titre Ier du projet de loi dont je vous voudrais, en quelques mots, souligner la portée.

Ce titre contient d’abord trois grandes idées nouvelles.

Il affirme le principe selon lequel la biodiversité fait partie du patrimoine commun de la nation, comme cela a été rappelé lors de la discussion générale, de grande qualité, ce dont je vous remercie.

Il affirme également que la biodiversité génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. Elle est donc indispensable à notre vie, que ce soit, par exemple, sur un plan économique ou du point de vue de la santé publique.

Enfin, le titre Ier inscrit explicitement dans notre droit le triptyque éviter, réduire, compenser.

Je voudrais aussi rappeler que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a inséré un article 2 bis, qui crée trois articles dans le code civil et est très important. Il est en effet relatif à la responsabilité environnementale. Bien évidemment, le Gouvernement soutient pleinement cet enrichissement du texte.

Les articles 3, 3 bis et 3 ter ajoutent les notions de continuité écologique et de pollution lumineuse, ainsi qu’un inventaire pédologique à la liste des inventaires du patrimoine naturel. Ce sont également des avancées.

L’article 4 définit le rôle de l’Agence française pour la biodiversité dans la stratégie nationale et sa contribution aux stratégies régionales.

Pour ce qui concerne l’article 1er que nous abordons maintenant, je souhaite préciser qu’il apporte des modifications très importantes à notre droit.

D’abord, il précise qu’il y a des milieux naturels qui sont terrestres et d’autres qui sont marins.

Ensuite, il inscrit dans le droit la notion de biodiversité. Par rapport au texte émanant de l’Assemblée nationale, qui avait repris la quasi-totalité de la définition issue de la convention internationale pour la diversité biologique telle qu’adoptée en 1992, la commission a simplifié la définition de la biodiversité. Cette dernière définition, qui fait consensus parmi les milieux associatifs et scientifiques, est également soutenue par le Gouvernement.

L’article 1er rappelle par ailleurs que la biodiversité est à la fois le produit de processus biologiques et de la géodiversité. C’est une vision plus dynamique que celle qui est en vigueur. Il est en effet essentiel de préserver les capacités d’évolution et d’adaptation des espèces et des écosystèmes, notamment dans le contexte du changement climatique.

Le patrimoine géologique, aussi appelé « géotope », est également pris en compte, comme vient de le souligner Marie-Christine Blandin.

Les discussions à l’Assemblée nationale ont abordé la question de la présence des sols dans les processus biologiques et la géodiversité. Les sols se situent effectivement exactement entre ces processus et la roche inerte ; ils constituent l’interface entre les deux.

La commission a retiré les sols du texte et nous aurons un débat sur ce sujet.

Des inquiétudes se sont manifestées pour ce qui concerne le droit de propriété et les activités agricoles. Nous devrons rassurer sur ces questions. Les sols sont bien des lieux majeurs de biodiversité. Ainsi, il existe en moyenne 260 millions d’animaux dans un mètre cube de prairie permanente et un hectare de sols forestiers compte davantage d’organismes vivants que la Terre compte d’êtres humains… En outre, la biomasse animale moyenne du sol est estimée à 2,5 tonnes par hectare. Certes, il s’agit largement de micro-organismes, mais les enjeux sont considérables.

Nous devons donc lever les inquiétudes relatives au droit de propriété et aux activités agricoles, car les sols font bien partie de la biodiversité. Je serai très à l’écoute du débat qui aura lieu dans quelques instants sur ce point.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 456 est présenté par M. Dantec, Mme Blandin, M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 524 rectifié est présenté par MM. Mézard, Amiel, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :

2° Les mots : « sites et paysages » sont remplacés par les mots : « sites, les paysages diurnes et nocturnes » ;

La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 456.

M. Ronan Dantec. En ajoutant, dès cet article, les adjectifs « diurnes et nocturnes » au mot « paysages », il s’agit de permettre d’engager une lutte active contre les pollutions lumineuses et ainsi de préserver l’environnement nocturne. À nos yeux, l’importance des paysages s’apprécie de jour comme de nuit, et non pas uniquement de manière spatiale.

Par ailleurs, en commission, nous avons émis un avis favorable sur l’amendement n° 149 à l’article 3, qui a pour objet d’introduire dans le texte un objectif de sauvegarde de l’environnement nocturne. L’amendement n° 456 est donc pratiquement un amendement de cohérence par anticipation…

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, pour présenter l’amendement n° 524 rectifié.

M. Raymond Vall. Cet amendement a pour objet de rétablir la précision introduite par l’Assemblée nationale.

L’alternance entre le jour et la nuit conditionne de nombreuses fonctions physiologiques, or la pollution lumineuse la met en cause, alors que 28 % des vertébrés et 64 % des invertébrés vivent partiellement ou totalement la nuit. Nous souhaitons donc préciser que les paysages tant diurnes que nocturnes font partie du patrimoine commun de la nation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. La commission a émis un avis défavorable.

Je rappelle à la Haute Assemblée que l’article L. 110-1 du livre Ier du code de l’environnement sur lequel nous travaillons est le premier article du code. Il s’agit non pas d’un article isolé dans un texte lointain, mais du premier article d’un code qui fonde le droit de l’environnement.

Si nous commençons à qualifier les sites et paysages, nous risquons de ne pas nous en sortir : il faudrait aussi parler des paysages montagnards, des paysages maritimes, des paysages vallonnés, avant ou après le coucher du soleil (Sourires.), et j’en passe.

On comprend bien le souci des auteurs, et l’idée est sympathique, encore que je ne sois pas complètement convaincu, car sait-on réellement ce qu’est un paysage nocturne ? Mais même si je prends pour argent comptant cette précision, elle n’a pas sa place ici.

Pour autant, les débats d’une assemblée parlementaire servent à enrichir la réflexion et chacun se souviendra que vous avez voulu sous-entendre que les paysages diurnes et nocturnes étaient concernés par le texte, ce à quoi la commission n’est pas hostile si la mention n’est pas expressément inscrite dans l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement est favorable à ces amendements, par cohérence avec le vote de l’Assemblée nationale.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 456 et 524 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas les amendements.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 121 rectifié bis est présenté par MM. Courteau et M. Bourquin et Mme Bataille.

L'amendement n° 457 rectifié est présenté par M. Dantec, Mme Blandin, M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 525 rectifié bis est présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Après le mot : « végétales », sont insérés les mots : « , les sols » ;

La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l’amendement n° 121 rectifié bis.

M. Roland Courteau. Cet amendement vise à restaurer la mention des sols parmi les éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation. En effet, ces derniers ont des fonctions écologiques, économiques et sociales inestimables.

Tout d’abord, ils constituent un patrimoine génétique immense à protéger : au moins 25 % de la biodiversité terrestre se trouve dans les sols, dont la grande majorité reste inconnue.

Ensuite, les services qu’ils fournissent sont très nombreux : le stockage et la transformation d’éléments nutritifs, le filtrage de l’eau, la production de biomasse, notamment pour l’agriculture et la foresterie ; ils jouent également un rôle important comme réservoirs de carbone ou encore dans la conservation du patrimoine géologique, archéologique et architectural.

En définitive, les sols sont le support du vivant. Or, selon le dernier rapport sur l’état des sols publié le 5 décembre 2015 par le Partenariat mondial sur les sols, 33 % des sols dans le monde sont dégradés par l’érosion, l’épuisement des substances nutritives, l’acidification, la salinisation, le tassement et la pollution chimique provoqués par les activités humaines.

En France, le constat est également alarmant, avec 11 millions d’hectares sur 56 millions, soit près de 20 % du territoire, qui sont aujourd’hui touchés par l’érosion, et 610 000 hectares qui sont urbanisés chaque année, soit l’équivalent d’un département comme l’Hérault artificialisé tous les sept ans, alors que 75 millions de Français attendront que l’agriculture pourvoie à leur alimentation en 2025.

Ainsi, reconnaître en France la composante des sols comme faisant partie du patrimoine national est un premier pas pour rappeler l’importance de la préservation de ces sols, avec tout le potentiel agronomique qu’ils représentent.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 457 rectifié.

M. Ronan Dantec. Si l’amendement n° 456 n’était pas essentiel, il n’en va pas de même ici, car il me paraît pour le coup impossible de préserver la biodiversité sans préserver les sols. Comme l’a dit Roland Courteau, l’une des principales atteintes à la biodiversité est aujourd’hui la destruction des sols, notamment agricoles, la perte de ces derniers constituant un enjeu majeur.

Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas dans cet article d’indication précise sur ce point absolument central pour la biodiversité, qui ne doit surtout pas être vu comme une contrainte par rapport aux activités. En effet, l’enjeu principal aujourd’hui n’est pas tant le déficit de réserves naturelles que la destruction des terres agricoles.

La préservation des sols doit donc figurer dès l’article 1er. Tel est le sens de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 525 rectifié bis.

M. Jean-Claude Requier. Essentielles pour l’agriculture et la forêt, la production de biomasse ou encore le stockage de carbone, les fonctions écologiques, économiques et sociales des sols sont d’une importance qui mérite d’être soulignée dans le cadre de l’examen du présent projet de loi, d’autant plus que ces sols font l’objet d’une dégradation inquiétante.

En effet, l’érosion, l’acidification, la salinisation, le tassement ou encore la pollution chimique et l’épuisement des substances nutritives concernent, comme l’a dit Roland Courteau, 33 % des sols dans le monde et près de 20 % dans notre pays.

Le présent amendement vise donc à rétablir la rédaction de l’Assemblée nationale, qui mentionne les sols parmi les éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation.

Nous avons décidé de déposer le même amendement que les écologistes.

M. Ronan Dantec. Et ce n’est pas tous les jours ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Requier. Pour cet article, Mézard, Dantec, même combat ! (Nouveaux sourires.) C’est assez rare pour être signalé !

Pourtant, pour paraphraser Clemenceau, pour qui la guerre était une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires, je dirai que l’écologie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls écologistes… (Rires. Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Cornu. Il a raison !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable, cette référence ayant été supprimée tant sur mon initiative que sur celle de nombreux collègues.

Nous ne contestons pas l’intérêt des sols, mais la géodiversité qui est visée dans le texte inclut les sols. Si elle ne l’incluait pas, je comprendrais ces amendements, mais, selon les dictionnaires et les nombreux scientifiques que nous avons consultés, la géodiversité représente bien l’ensemble des éléments des sous-sols, sols et paysages, qui, assemblés les uns aux autres, constituent des systèmes organisés, issus de processus géologiques.

La notion de « géodiversité » est donc plus vaste que celle de « sols », mais elle comprend cette dernière, avec aussi les roches, les minéraux, les formes du relief, etc.

Nous avons retenu cette approche quasi sémantique pour supprimer la référence aux sols.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Comme je l’ai souligné, les sols font partie de la biodiversité, les espèces animales et végétales pouvant se trouver dans ou sur les sols.

À mon sens, toutefois, intégrer les sols dans le texte aurait une portée normative assez limitée. Compte tenu des objections que nous avons entendues, s’agissant notamment de l’instabilité juridique que ferait peser la question des sols sur l’activité agricole et le droit de propriété, je le répète, je m’en remets à la sagesse du Sénat.

Certes, les sols sont par définition très importants par la richesse de la biodiversité, mais ils sont inclus dans la définition même du patrimoine naturel, telle qu’elle est rédigée de façon très complète dans le code de l’environnement et dans l’article qui vous est soumis.