M. François Grosdidier. L’article 3 et les suivants visent à doter l’État de moyens nouveaux indispensables pour mener cette guerre nouvelle.

Nous sommes face à un ennemi à la conception du monde on ne peut plus primitive, régressive et barbare, mais aux techniques de propagande et de recrutement on ne peut plus modernes.

Avec un couteau et un smartphone, en médiatisant une décapitation, Daech a pu produire dans l’humanité entière une déflagration largement comparable à celle d’une explosion nucléaire.

Au travers de la Toile, Daech dispose, mieux que d’un réseau, de milliers de bureaux de recrutement. Il récupère des foules de délinquants, souvent jeunes mais au long passé d’incivilités et de délits, le plus souvent doublés de conduites addictives : consommation de drogue, d’alcool… Nous sommes très loin du religieux ! Ces jeunes se trouvent un alibi religieux et croient donner un sens à leur vie par cet engagement. C’est le plus souvent par internet qu’ils sont recrutés, même dans les prisons, où les smartphones abondent alors que les aumôniers manquent.

Je connais aussi le cas d’adolescents de quinze ou seize ans n’ayant jamais causé de problèmes, n’ayant jamais connu de rupture familiale ni d’échec scolaire, n’ayant jamais commis d’incivilités, qui ne traînaient pas dans la rue et qui ont été happés dans leur chambre, par le biais de l’ordinateur, à l’insu de leurs familles. Les parents ne s’en sont rendu compte que lorsque ces adolescents ont cherché à partir en Syrie, et ils se sont alors empressés de les signaler aux autorités.

Cela me rappelle un vieux film d’épouvante où le diable s’infiltrait comme un ectoplasme par les interstices de la fenêtre pour voler les enfants dans leur chambre.

Nous ne pouvons lutter contre ce terrorisme démoniaque sans l’affronter sur les terrains qu’il a choisis, en premier lieu la Toile. Il ne s’agit pas d’attenter à la vie privée, comme je l’ai entendu dire lors de la discussion générale. Nous avions déjà entendu ce genre de critiques à propos de la vidéoprotection des espaces publics, et pourtant l’encadrement strict du visionnage a empêché toute dérive. Des centaines de villes de France en sont aujourd’hui équipées. Nous avions entendu les mêmes critiques à propos de la lutte contre la pédophilie.

La lutte contre le terrorisme doit être menée avec discernement. Elle repose donc d’abord sur la collecte de renseignements, selon les modalités prévues aux articles 3 et suivants.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, sur l'article.

M. Alain Richard. Cet article porte sur un sujet dont nous avons déjà assez amplement débattu.

En particulier, lors de l’examen, il y a un peu plus d’un an et demi, de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, Jean-Jacques Hyest et moi-même, corapporteurs, avions préconisé de ne pas reprendre le dispositif de la perquisition en ce qui concerne la saisie de données informatiques. La proposition de loi dont nous débattons tient compte de cette volonté de distinguer.

Il n’empêche que la saisie de données informatiques est une intervention particulièrement intrusive dans la vie personnelle des individus. Conformément au schéma nuancé que nous avons suivi pour l’article 2, il me semble nécessaire que les conditions d’intervention pour procéder à la saisie de données informatiques et ensuite à leur exploitation soient entourées de précisions quant aux finalités de l’enquête, d’une part, et de garanties de procédure, d’autre part.

Il nous apparaît que, en l’état actuel du texte, le cadre de mise en œuvre de la saisie de données informatiques ne répond pas à ces exigences. Nous sommes convaincus que le projet de loi annoncé, préparé par toute une série de consultations et de vérifications juridiques, nous apportera plus d’assurances à cet égard.

Nous sommes donc réservés sur l’article 3.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je suis ouvert à la réflexion sur le quantum des peines figurant dans l’article ; c’est effectivement un vrai sujet.

Le Gouvernement émet des réserves sur la rédaction du dispositif, qui comporte notamment des références aux « officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire », alors qu’il s’agit de dispositions diligentées par les parquets.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur la forme. Nous pensons que le texte du projet de loi répondra mieux aux besoins, grâce un mécanisme similaire, mais que nous croyons plus précis.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants ; nous reprendrons la discussion de cette proposition de loi après les questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste
Discussion générale

9

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Je rappelle également que l'auteur de la question dispose de deux minutes, de même que la ou le ministre pour sa réponse.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, un dernier mot : la vitalité de nos échanges ne saurait empêcher la convivialité et le respect mutuel. (Bravo ! et applaudissements.)

loi de modernisation de notre système de santé

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Madame la ministre, comme il fallait s’y attendre, le Conseil constitutionnel a invalidé une partie de la mesure phare du projet de loi de modernisation de notre système de santé que vous avez présenté aux assemblées à la fin de l’année.

La logique juridique contredit, à bon droit, la logique politicienne.

Dès le début, j’avais souligné en séance publique que le tiers payant généralisé me semblait répondre davantage à une volonté gouvernementale qu’aux besoins de nos concitoyens et aux évolutions de notre système de santé.

Concernant les personnes les plus fragiles, nous avons toujours été favorables au principe du tiers payant.

Toutefois, fallait-il le commuer en une punition à l’endroit des médecins, qui y voient là une nouvelle façon d’attaquer la médecine libérale ?

Cette mesure va à l’encontre de deux libertés indissociables de la qualité de notre médecine : liberté, pour le patient, de choisir son médecin ; liberté, pour le médecin, de prescrire librement.

Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il en irait autrement, et les médecins s’en réjouissent.

Madame la ministre, ma question est la suivante : allez-vous vous conformer à la raison dictée par les Sages, et revenir sur l’idée du tiers payant généralisé, ou allez-vous persévérer, envers et contre tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président Alain Milon, nous avons eu des débats intéressants, fructueux, sur la loi de modernisation de notre système de santé. À cet égard, je salue votre implication sur ce texte, celle de la commission des affaires sociales et, au-delà, des sénateurs.

Mais le tiers payant n’est pas une mesure qui résulte du bon vouloir de tel ou tel : c’est une mesure de justice sociale, et ses principes ont d’ailleurs été confortés par le Conseil constitutionnel, monsieur le sénateur.

Le tiers payant ne porte évidemment atteinte ni à la liberté des patients de choisir leur médecin, principe réaffirmé dans la loi, ni à la liberté des médecins de prescrire ce qui leur paraît bon et nécessaire pour leurs patients, principe, lui aussi, réinscrit dans la loi.

Qu’a dit le Conseil constitutionnel ? Que le tiers payant pouvait se mettre en place selon le rythme et le calendrier qui avaient été définis, progressivement.

Ainsi, à compter du 1er juillet prochain, les personnes qui consultent le plus, celles qui sont prises en charge à 100 % par l’assurance maladie, notamment les femmes enceintes et les personnes souffrant de maladies chroniques, pourront bénéficier du tiers payant intégral, comme cela a été prévu.

Pour les autres, à partir de 2017, le tiers payant s’appliquera de manière obligatoire sur la partie remboursée par l’assurance maladie, et les médecins décideront de le proposer, ou non, pour la partie remboursée par les complémentaires santé.

Le système que nous allons mettre en place a pour objectif d’être le plus simple possible : les médecins doivent se dire que cela vaut vraiment la peine de s’engager dans cette direction ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement va bien mettre en œuvre cette politique, une politique de justice sociale qui préserve les principes fondamentaux de la médecine libérale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Madame la ministre, notre recours était tout de même fondé. En effet, la décision du Conseil constitutionnel repose sur l’argument suivant : « Le dispositif est mal encadré. Et le législateur a méconnu l’étendue de ses compétences. »

Cela nous conforte dans l’idée qu’il nous faudra abroger cette loi. Nous la remplacerons par le contre-projet, élaboré en concertation avec les médecins, que nous vous avons soumis ici, dans cette enceinte, et que vous avez malheureusement méthodiquement rejeté. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

grippe aviaire

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

Pour éradiquer l’épizootie de grippe aviaire qui touche le Sud-Ouest, les élevages de palmipèdes des dix-huit départements concernés devront « geler » leur production – c’est une première en France ! –, et ce durant plusieurs mois, avec la mise en place d’un vide sanitaire. Cette mesure consiste à ne plus faire naître et à ne pas introduire de canetons durant une période d’au moins quatre mois.

Face à cette situation, et sans remettre en cause la nécessité de lutter contre l’épizootie, je souhaite néanmoins insister sur une autre nécessité, celle de sauver cette production du Sud-Ouest, attachée à la qualité, aux méthodes traditionnelles et aux produits sous labels issus des filières courtes.

Tout en saluant le soutien financier apporté par l’État, à hauteur de 130 millions d’euros, en faveur des éleveurs et des accouveurs du Sud-Ouest, et dans l’attente des aides de l’Europe et des régions, je propose deux mesures spécifiques.

La première consisterait à permettre l’entrée, après le vide sanitaire, d’animaux issus de régions indemnes de la grippe aviaire et prêts à gaver, au lieu de repartir avec de petits canetons, ce qui permettrait de gagner jusqu’à douze semaines.

La seconde serait de prendre en compte tous les acteurs de la filière aval touchés par cet arrêt de la production - abatteurs, conserveurs et commercialisateurs -, en leur apportant une compensation financière, sans oublier les charges fixes, en cette période bien sombre pour la filière « gras ».

Monsieur le ministre, comment accueillez-vous ces deux propositions ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l’influenza aviaire, qui touche toute une région et la filière de palmipèdes à foie gras, une filière qui fait aussi la renommée de notre agriculture.

J’ai réuni l’ensemble des professionnels de cette filière – tous ! –, les industriels, le syndicat représentant l’ensemble de l’interprofession, les accouveurs et les éleveurs petits, moyens et grands !

Concernant votre proposition de faire entrer des canards prêts au gavage, la réponse est très simple : si l’on veut réussir à éradiquer l’influenza aviaire – et tel est l’objectif ! – , il ne faut appliquer que des mesures relevant d’un vide sanitaire strict. Si on laisse à penser que l’on va pouvoir faire venir des canards prêts à gaver de zones indemnes ou d’ailleurs – les canards importés d’autres pays font aussi partie du débat, je le sais ! –, on prend un risque, alors que, encore une fois, tout doit être fait pour réaliser ce vide sanitaire et ainsi éradiquer la grippe aviaire. C’est pourquoi je réponds « non » à votre première suggestion.

D’ailleurs, lorsque j’ai posé la question à tous les professionnels – c’est moi qui ai fait cette proposition ! –, tous ont affirmé qu’il valait mieux s’appliquer à réussir le vide sanitaire, en reprenant la production avec des canetons.

Concernant votre seconde proposition, il va bien sûr falloir tenir compte des industries liées à l’ensemble de cette filière.

La première chose que nous avons faite, c’est débloquer 130 millions d’euros pour les éleveurs et les accouveurs : les premiers touchés aujourd’hui par la grippe aviaire sont les producteurs de canetons - et de poussins, d’ailleurs, car les producteurs de volaille sont aussi concernés.

Ensuite, nous réaliserons avec les régions – j’ai rencontré les deux présidents de région, Carole Delga et Alain Rousset –…

M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. … une évaluation et, au cas par cas, le remboursement de ce qu’aura été le coût pour l’ensemble de la filière agricole liée à la production du foie gras. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, je regrette que vous n’acceptiez pas le recours aux canards prêts à gaver, ce qui aurait permis de raccourcir les délais d’interruption du gavage.

En conclusion, et en réponse à la venue - malvenue, mais très médiatisée -, de Pamela Anderson à l'Assemblée nationale (Exclamations amusées.), permettez-moi de dire simplement que, si elle est contre le gavage, moi, je suis contre le silicone et contre le Botox (Rires et applaudissements.),…

M. le président. Et moi, je suis pour le respect du temps de parole ! (Sourires.) Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Requier. … ce Botox qui, injecté dans les rides, finit non pas dans le foie, mais dans le cerveau ! (Rires et applaudissements sur les travées du RDSE, sur quelques travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

crise agricole

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.

M. Joël Labbé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

Elle s’en passerait bien, mais notre agriculture fait encore l’actualité, car elle va mal : il faut le rappeler, elle a perdu plus de 350 000 emplois en dix ans. Et si la logique infernale actuelle se poursuit, ce n’est pas fini.

On entend encore et toujours la même rengaine : modernisation, concentration des exploitations, investissements, surinvestissements et donc endettement. Ce modèle de développement, pourtant extrêmement subventionné, est à bout de souffle.

Dans le contexte actuel d’une agriculture productiviste et exportatrice, on observe la succession des plans de sauvetage, qui répondent aux urgences, aux aléas, aux manifestations, à la grogne, souvent légitime, des agriculteurs, qui se sentent abandonnés, floués…

Les agriculteurs réclament une juste rémunération de leur travail plutôt que des subventions. Si celles-ci sont nécessaires dans l’urgence, il convient d’en faire l’évaluation, de vérifier leur efficacité et leur pertinence. Il faut également vérifier à qui ces aides profitent !

Selon une récente note du Conseil d’analyse économique : « Préserver le capital naturel doit devenir un axe central de la politique agricole : c’est tant un enjeu environnemental qu’une condition de la réussite économique de l’agriculture elle-même. »

L’exploitation familiale de taille moyenne organisée sur un territoire en polyculture-élevage est à même de répondre à cet enjeu, et elle le prouve.

Aussi, il est urgent de prendre le temps de la réflexion, car on a aujourd'hui du mal à entrevoir une stratégie pour l’avenir !

En écho à la détresse paysanne, les frémissements d’une rébellion des consciences commencent à se faire entendre dans une partie grandissante de la population.

Ma question est simple, sérieuse et ambitieuse : monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager, avec le Gouvernement, à organiser en 2016 un grand débat national, en lien avec les agriculteurs et l’ensemble des acteurs directement concernés, mais aussi avec les chercheurs, les experts, les sociologues, les ONG, …

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Joël Labbé. … les associations de citoyens et de consommateurs pour que nous puissions – enfin ! – tracer ensemble un horizon clair pour notre agriculture et notre alimentation ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez souvent évoqué, dans le cadre des débats qui se sont déroulés ici, au Sénat, les grands choix stratégiques de l’agriculture, avec, d’un côté, ce que vous appelez « le modèle productiviste et exportateur » et, de l’autre, le modèle familial, qui serait lié à la production locale et au marché local.

Je veux vous répéter ce que j’ai dit à chaque fois : l’agriculture française a, bien sûr, vocation à aller chercher tous les marchés et toutes les niches disponibles à tous les niveaux, local, national, européen et international.

Pour prendre l’exemple de la viticulture, qui oserait dire qu’il ne faut pas exporter certains produits ? Au contraire, d’autres produits ont vocation à être dans les circuits courts, car ils contribuent à la structuration d’un réseau de production et de consommation local.

Tous ces produits composent la diversité de notre agriculture.

Après, vient le choix stratégique. On en a débattu, ici, au Sénat. Prenez l’agroécologie, et cette idée qui consiste à dire que l’on doit aujourd'hui combiner trois types de performance : la performance économique – les agriculteurs ne peuvent pas assurer la pérennité de leur activité agricole s’ils ne dégagent pas un revenu ; la performance environnementale, souvent liée aussi à la performance économique – moins de consommations intermédiaires, moins de gains de productivité distribués ou à l’amont ou à l’aval – et enfin la performance sociale. En effet, compte tenu des innovations en cours, si vous n’avez pas une organisation sociale sur le terrain capable de les mettre en œuvre, d’assurer les innovations de demain, de prendre en compte les nouvelles connaissances, d’assurer le lien avec la recherche, vous n’aurez pas la capacité de créer cette mutation qui prendra plusieurs années.

C’est ce projet dont nous avons discuté et que nous portons. D’ailleurs, il trouve aujourd'hui sa concrétisation. Toutefois, entre cette mutation, qui prendra du temps, et la conjoncture actuelle, nous sommes obligés – c’est notre devoir ! – de venir en aide aux agriculteurs qui connaissent des difficultés.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Les deux sont nécessaires et indispensables pour construire un avenir à notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

crise agricole en bretagne

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour le groupe CRC.

M. Michel Le Scouarnec. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

La crise frappe les campagnes au cœur. Les producteurs sont mobilisés pour défendre leurs emplois et, surtout, une juste rémunération de leur travail. Beaucoup d’entre eux travaillent dur pour ne rien gagner. Ils ne s’en sortent plus, à cause de prix d’achat en chute, des prix déjà trop bas et depuis trop longtemps.

Pour notre seule Bretagne, le nombre d’exploitations est passé, en quarante ans, de 150 000 à 35 000 aujourd’hui. Jusqu’où irons-nous ?

Les éleveurs manifestent, car leurs produits – lait, porcs, bovins – sont achetés à un prix très en dessous de celui qui leur permettrait de vivre normalement. Les causes sont bien connues : démantèlement des outils de régulation, libéralisation des marchés, dumping social, concentration de l’agriculture au profit des géants de l’agroalimentaire, des centrales d’achat et de la grande distribution.

En Europe, la régulation n’existe plus ! Mais cette logique purement libérale n’est-elle pas une impasse, une voie sans issue pour eux ?

Il faut travailler d’urgence avec l’ensemble des professionnels des filières pour sécuriser une profession en proie au doute.

Un nouveau plan de soutien de 290 millions d’euros, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant ! Monsieur le ministre, quand et comment comptez-vous attaquer les pratiques abusives des grands groupes ? Mettrez-vous en place une conférence des prix ?

Soutiendrez-vous les filières alimentaires relocalisées et l’étiquetage des produits, très attendu pour reconquérir notre marché intérieur ?

Il nous faut renforcer le rapport de force en faveur des producteurs et, pour cela, l’État doit s’investir pleinement, en tant qu’organisateur et régulateur. Quels marchés, quels prix, quelle organisation, quel avenir pour ces filières ?

Pensez-vous pouvoir orienter la politique de l’Union européenne dans un sens plus favorable à nos agriculteurs ?

Plus que jamais, notre pays a besoin de ses agriculteurs. Il faut tout faire pour qu’ils restent debout ; c’est urgent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous venez d’évoquer les grands enjeux liés à ce que l’on peut appeler « l’économie agricole ». Vous insistez en particulier sur la question de la fixation par l’État de prix rémunérateurs.

Le ministre que je suis est comptable de choix qui non seulement n’ont pas été faits hier, avant notre arrivée au Gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),

M. Francis Delattre. Cela nous manquait !

M. François Grosdidier. Monsieur le ministre, le quinquennat est presque terminé, tout de même…

M. Stéphane Le Foll, ministre. … mais qui n’ont pas non plus été faits durant des années, et je vise ici tous les gouvernements de la France qui se sont succédé.

L’économie de marché, ce n’est pas l’actuel ministre de l’agriculture qui l’a inventée ! Les règles qui s’appliquent, en particulier pour ce qui concerne les prix, sont extrêmement claires.

Au printemps, avant l’été, nous avions organisé des tables rondes successives, des médiations, visant à prendre en compte les coûts de production agricole. Vous vous en souvenez, monsieur le sénateur, puisque vous êtes de Bretagne. Et que s’est-il passé sur le marché de Plérin, après que les prix ont été redressés ? Un certain nombre d’acteurs économiques, ceux qui achètent les cochons – ce n’est donc pas le ministre ! –, ont décidé de se retirer de ce marché. J’en suis désolé, mais je ne peux pas, moi, ministre de l’agriculture, donner des injonctions à ces acteurs économiques.

À chaque fois que nous avons eu à travailler sur ces questions, nous avons été obligés d’appuyer ce qui avait été voté dans la loi : assurer des médiations et peser sur les négociations commerciales. Le Premier ministre en a décidé ainsi, la DGCCRF, Emmanuel Macron et Martine Pinville seront chargés de contrôler le risque de vente à perte et les règles de négociation commerciale en vigueur aujourd'hui et aux termes desquelles les partenaires qui négocient entre eux, à savoir la grande distribution…

M. Alain Fouché. Il faudrait vraiment contrôler le comportement de la grande distribution !

M. Stéphane Le Foll, ministre. … et les industriels, doivent prendre en compte, cette fois-ci de manière correcte, la situation des éleveurs en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)

situation de l'agriculture

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Yannick Botrel. Ma question s'adresse également à M. le ministre de l'agriculture. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, l’agriculture est en crise. Les mesures que vous avez prises en faveur des agriculteurs ont globalement répondu aux demandes urgentes (Mêmes mouvements.), même s’il peut y avoir des difficultés d’application, liées en particulier aux délais de versement des aides, qui n’arrivent pas suffisamment vite. Je vous suggère d’être vigilant sur ce point.

S’agissant des cours, les mesures négociées de soutien aux prix du porc et du lait, acceptées dans un premier temps, vous l’avez dit, n’ont malheureusement pas été appliquées durablement par les partenaires.

Désormais, les agriculteurs interpellent et réclament des mesures structurelles, qui sont nécessaires. Ils évoquent en premier lieu les distorsions de concurrence liées aux différences de coûts de main-d’œuvre et de charges sociales, voire de règles de fiscalité, plus favorables chez nos principaux partenaires européens. En second lieu, ils mettent en avant l’application de la réglementation sanitaire et environnementale, variable, selon eux, suivant les pays.

Ces points, qui reviennent souvent dans les discussions, doivent être précisés et éclaircis. Qu’en est-il vraiment de leur réalité ?

Les agriculteurs ont le sentiment que les options très libérales du commissaire européen tiennent lieu désormais de feuille de route. Dans ce contexte, ils se demandent s’il existe une volonté de réorienter une politique ayant pour effet de détruire des exploitations, année après année.

Monsieur le ministre, j’ai deux questions à vous poser.

La première question concerne la place des producteurs dans le partage des marges. Vous avez commencé à y répondre. Comment agir en France pour plus d’équité, afin que les producteurs ne soient pas perpétuellement la variable d’ajustement face aux industriels, d’une part, et à la grande distribution, d’autre part ?

Ma seconde question porte sur l’Europe et la politique agricole commune, qui est dans l’impasse. Afin de proposer un autre destin aux agriculteurs européens, qui sont tous en crise, quelles initiatives peuvent être portées, afin de reconstruire une politique agricole respectant leur travail, réintroduisant la régulation, répondant aux attentes de l’ensemble des citoyens européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, la première de vos deux questions porte sur le plan de soutien et la vigilance nécessaire à la mise en œuvre des aides qui ont été décidées, et qui ont été réévaluées. Un sujet revêt, à juste raison, une importance particulière aux yeux des exploitants agricoles. Je veux parler de « l’année blanche », à savoir la possibilité de reporter plus loin dans le temps une partie des annuités de remboursement.

Cette année blanche est au cœur des discussions au sein des cellules d’urgence de chaque département. Elle doit aussi mobiliser, je le dis, les acteurs bancaires. L’État a remis et remettra de l’argent - 25 millions d’euros supplémentaires. La date limite de dépôt des dossiers, fixée au 31 janvier dernier, a été reportée au mois de juin, afin que l’on puisse réétudier tous les dossiers et apporter, sur cette question des remboursements, des aides efficaces aux agriculteurs.

Vous m’avez ensuite interrogé sur le niveau européen. Je prendrai un exemple. Selon l’Observatoire européen du marché du lait, organisme émanant de la Commission et créé à la demande de la France au moment de la fin des quotas laitiers, l’augmentation continue de la production laitière dans plusieurs pays européens, au-delà de 3 %, n’est pas durable dans le contexte actuel d’une offre excédentaire de lait à l’échelle mondiale, compte tenu du fait que les débouchés potentiels à l’exportation sont moins importants que ce qui avait été anticipé.

Je ferai, d’ici à la fin de la semaine, une proposition de mémorandum, sur lequel reposeront un certain nombre de pistes pour la régulation de ces marchés, afin de faire bouger les choses à l’échelle européenne. Mais, vous le savez, à ce niveau-là, de nombreux analystes très libéraux pensent que le marché réglera tout. Ce n’est pas ce que je pense ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

intervention en libye

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)