M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(L’article 3 n’est pas adopté.)

M. le président. Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi favorisant l’accès au logement social pour le plus grand nombre n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi favorisant l'accès au logement social pour le plus grand nombre
 

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Dépôt d’un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et à celle des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

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Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes

Adoption d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (proposition n° 225, texte de la commission n° 333, rapport n° 332, avis n° 313) et de la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (proposition n° 226, texte de la commission n° 334, rapport n° 332, avis n° 313), présentées par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard.

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer ma profonde satisfaction de vous présenter aujourd’hui la proposition de loi organique et la proposition de loi relatives aux autorités administratives indépendantes ainsi qu’aux autorités publiques indépendantes, textes que j’ai cosignés avec MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard. En effet, leur inscription à l’ordre du jour du Sénat en cette semaine d’initiative parlementaire illustre la trajectoire quasi parfaite d’un travail de contrôle.

Cette proposition de loi et cette proposition de loi organique traduisent sur le plan législatif les propositions formulées dans le rapport de la commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, qui a été créée en mai 2015 sur l’initiative du groupe du RDSE et que j’ai eu l’honneur de présider. Je veux rendre ici hommage à la qualité du travail accompli par son rapporteur, Jacques Mézard. Nous avons conduit les investigations de la commission en partageant les mêmes convictions quant à la manière de procéder : pas de chasse aux sorcières mais une revue de détail. Ainsi, à travers plus de quarante-deux auditions et l’élaboration d’un questionnaire approfondi sur les modalités de création, de fonctionnement et de contrôle des autorités administratives indépendantes, ainsi que sur les règles de leur composition, nous sommes parvenus à formuler des conclusions et à des préconisations qui ont été adoptées à l’unanimité des membres de la commission d’enquête.

L’adoption de ces deux propositions de loi, aujourd’hui au Sénat et – pourquoi pas ? – demain à l’Assemblée nationale, donnerait tout son sens à la fonction de contrôle du Parlement.

Comme je l’ai dit il y a un instant, nous entendions non pas mener une chasse aux sorcières, mais bien plutôt nous inscrire dans le droit fil des travaux du doyen Patrice Gélard, notre ancien collègue ; celui-ci, à travers deux rapports remis respectivement en 2006 et en 2014, s’inquiétait de la prolifération de ces autorités dépourvues de véritable définition juridique.

Le constat est en effet peu satisfaisant. Depuis la création, en 1978, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, plus de quarante autorités ont vu le jour sans corpus juridique et déontologique commun, alors même que certaines d’entre elles exercent des prérogatives considérables dans des secteurs clés. Les raisons d’être de ces organes sont variées et loin d’être toutes justifiées. Parfois, il s’agissait de garantir l’exercice de libertés publiques : tel est l’objet de la CNIL, du Défenseur des droits ou encore du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Dans d’autres cas, il convenait de réguler des secteurs économiques s’ouvrant à la concurrence et dans lesquels l’État constituait un acteur historique de poids. On peut citer l’Autorité de la concurrence, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou encore l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Dans ces deux derniers cas, l’État « contrôleur » veille à travers l’autorité administrative indépendante au respect des règles définies par l’État « acteur » au titre de ses compétences régaliennes ou en tant qu’acteur économique. La création d’une autorité administrative indépendante répondait aussi parfois à des obligations internationales ou européennes.

Force a été de constater que toutes ces autorités ne répondent pas à des critères juridiques bien identifiés. Le Conseil d’État lui-même, dans son rapport public de 2001, invoquait autant la nécessité que le hasard pour justifier la création d’un certain nombre d’entre elles. Depuis lors, ce glissement n’a fait que s’accélérer : certaines autorités indépendantes ont été créées pour permettre à l’État, en quelque sorte, de se défausser. Il s’agissait de répondre à un scandale politique, avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ou encore de ne pas assumer des décisions impopulaires, avec la HADOPI ou le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Mme Corinne Bouchoux. Ça, c’est vrai !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bien plus, le mode de création de ces autorités ne respecte aucune règle juridique précise : une autorité administrative indépendante peut certes être créée par la loi, qui la qualifie comme telle d’emblée, mais le législateur peut aussi accorder cette qualification a posteriori. Le juge administratif ou constitutionnel peut également reconnaître cette qualification à travers un faisceau d’indices. Enfin, de façon plus surprenante, cette qualification peut résulter de la doctrine, au motif de la volonté supposée du législateur. Celui-ci, tel M. Jourdain, aurait créé des autorités administratives indépendantes sans le savoir…

Pour mettre fin à cette situation peu satisfaisante, l’article 1er de la proposition de loi organique reprend la proposition n° 1 de la commission d’enquête et dispose, en application de l’article 34 de la Constitution, que toute autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante est instituée par la loi. Celle-ci fixe également les règles relatives à leur composition, leurs attributions, ainsi que les principes fondamentaux relatifs à leur organisation et à leur fonctionnement.

La proposition de loi établit donc un statut général pour ces autorités.

Sans entrer dans le détail, j’insisterai ici sur trois points qui m’apparaissent particulièrement importants.

Les règles applicables au mandat des membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont harmonisées : la durée du mandat est fixée à six ans ; il est non révocable et non renouvelable.

Les règles déontologiques sont renforcées – s’agissant notamment des incompatibilités ou des déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale – et harmonisées, tant pour les membres que pour les personnels de ces autorités.

Les modalités de leur contrôle sont précisées, afin que le Parlement puisse effectivement l’exercer. Le texte prévoit notamment la remise au Gouvernement et au Parlement d’un rapport annuel, qui constituerait le support d’un débat en séance publique. Il est également demandé au Gouvernement de présenter, en annexe générale au projet de loi de finances pour l’année, un rapport sur la gestion de ces autorités, construit sur des critères détaillés permettant d’établir des comparaisons et un suivi. Il s’agit là d’un élargissement bienvenu tant du périmètre que du contenu du « jaune budgétaire » actuel.

Je souligne en outre que le contrôle du Parlement pourra s’exercer également à travers la procédure de nomination du président de ces autorités administratives indépendantes. La proposition de loi organique complète le tableau annexé à la loi organique du 23 juillet 2010, afin que l’ensemble des présidents de ces autorités soient soumis à la procédure de nomination prévue par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

En conclusion, je souhaite insister sur un point – nous y reviendrons dans le débat. Il s’agit, évidemment, de la liste des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes figurant en annexe de la proposition de loi.

Cette liste comprend vingt autorités et a été élaborée après un examen attentif par la commission d’enquête. Il s’agit bien ici de simplifier le paysage administratif afin de rendre plus lisible l’action de l’État et plus opérant le contrôle du Parlement. La liste retient des autorités réellement indépendantes, dotées d’un pouvoir normatif effectif de régulation ou de sanction. Celles qui ne sont pas retenues ne sont pas supprimées pour autant, tant s’en faut. Elles doivent pouvoir être requalifiées. Le titre importe peu : agence, observatoire, voire commission…

Il est évident que les avis sur les instances qui méritent l’appellation d’autorité administrative indépendante seront nuancés selon que l’on s’intéresse plus spécifiquement à tel ou tel secteur. Mais n’oublions pas, mes chers collègues, l’objectif général : la simplification. Celui-ci doit constituer, pour nous, une ardente obligation. Le débat est ouvert – et sera animé par la discussion de plusieurs amendements – ; mais, avec cette liste de vingt autorités, nous ne sommes pas loin de la vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais moi aussi dire ma satisfaction qu’au terme des travaux de la commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, menés dans les derniers mois de l’année 2015, nous puissions dès aujourd’hui donner une traduction législative aux propositions qu’elle a formulées. C’est la démonstration que le Sénat peut travailler vite et bien, et pas simplement après engagement de la procédure accélérée…

Nous vous présentons aujourd’hui, Marie-Hélène Des Esgaulx – qui a présidé avec talent la commission d’enquête et vient de parfaitement résumer l’essentiel de nos objectifs –, Jean-Léonce Dupont et moi-même, deux textes qui, s’ils sont, comme je le souhaite, adoptés par le Sénat, devraient avoir ensuite une vie législative à l’Assemblée nationale. Il y va en effet de l’intérêt général, lequel exige plus de simplification et plus de transparence. Ces deux objectifs devraient être partagés par tous, y compris par les membres du Gouvernement…

Je ne reviendrai pas sur le constat que la commission d’enquête a mis en lumière : la prolifération, depuis trente ans, des autorités administratives indépendantes, sous des formulations diverses, place le Parlement face à une mosaïque d’organismes aux budgets, aux compétences et aux pouvoirs d’une variété sans commune mesure. Si les juristes avaient le même goût que les botanistes pour les herbiers, ils collectionneraient, avec les AAI, une flore insoupçonnée, que nous avons eue, quant à nous, l’occasion de découvrir.

Face à cette situation, notre ancien collègue, le doyen Gélard, avait frayé dès 2006 un chemin, dont il avait rappelé les contours, avant de quitter le Sénat, en 2014. Dresser la liste des AAI et des API par la loi et leur conférer un statut général qui, sans nier leur spécificité, forme un corpus commun de règles : telles sont les préconisations que la commission d’enquête a faites siennes et que la commission des lois a unanimement approuvées. Je tiens d’ailleurs à remercier mes collègues de tous les groupes, qui ont participé à cette commission d’enquête avec un esprit constructif jamais démenti.

L’attribution au législateur de la compétence exclusive pour créer une AAI ou une API relève d’une évidence qui s’est d’ailleurs imposée progressivement dans la pratique, même si cette règle a connu une exception, avec la création d’une autorité par le pouvoir réglementaire sans fondement législatif. En effet, dès lors que la création d’une autorité indépendante a des implications indéniables en matière d’organisation administrative et – n’ayons pas peur de le dire – en matière de séparation des pouvoirs, il est normal que le consentement du Parlement soit requis.

On peut difficilement admettre que le Gouvernement décide seul de créer une telle autorité ou de reconnaître a posteriori qu’une autorité échappe à sa tutelle : cela reviendrait à priver le Parlement de la possibilité de demander à un ministre de rendre compte d’une mission qui désormais lui échappe. Si une autorité indépendante se « détache », en quelque sorte, du Gouvernement, tout en demeurant au sein du pouvoir exécutif, elle ne peut en revanche être exonérée d’un contrôle parlementaire. C’est, dans notre République, la condition de toute légitimité démocratique : si un organe ne procède pas du suffrage universel, il doit à tout le moins être responsable devant la représentation nationale.

La responsabilité n’emprunte certes pas, s’agissant de ces autorités, les mêmes voies que celles qui président au contrôle du Gouvernement par le Parlement. Pour autant, on ne peut, à l’inverse, en conclure qu’elles doivent en être exonérées – bien que certaines le revendiquent expressément. Ce contrôle doit s’exercer de manière d’autant plus complète qu’il incombe à certaines de ces autorités la responsabilité de conduire un pan entier des politiques publiques. Qui nierait aujourd’hui que le CSA est devenu le véritable « ministère de la communication » ou que la politique en matière de concurrence relève pleinement de l’Autorité de la concurrence ?

Au vu des conséquences de la décision qui consiste à reconnaître la qualité d’AAI ou d’API à un organisme, cette prérogative doit être réservée au législateur. Ce principe est posé à l’article 1er de la proposition de loi organique ; l’article 1er de la proposition de loi en prévoit la mise en œuvre : ses auteurs y dressent une liste que le débat en séance publique permettra d’examiner avec attention.

La commission des lois s’est accordée sur la nécessité de rendre une homogénéité à la catégorie de ces autorités indépendantes, en y incluant les autorités dont les caractéristiques, sans être identiques, sont suffisamment proches.

Votre commission a considéré que recevoir la qualité d’AAI supposait, comme l’expression le commande, d’une part, d’être une autorité administrative et, d’autre part, de disposer d’une indépendance à l’égard du Gouvernement. Les auteurs de la liste retenue par la commission d’enquête et figurant en annexe de la présente proposition de loi ont ainsi pris soin d’écarter les organes qui ne disposaient pas de pouvoirs de décision ou de contrainte à l’égard de tiers. La simple fonction consultative ou de médiation ne justifie pas la qualité d’autorité administrative indépendante. Loin de constituer une remise en cause du bien-fondé de la mission confiée aux autorités auxquelles n’est pas reconnue cette qualité, ce principe se borne au constat selon lequel le pouvoir de recommander, de proposer ou d’interpeller publiquement ne s’analyse pas en un pouvoir contraignant.

Lorsqu’une autorité satisfait à ce critère, il appartient au législateur de décider s’il souhaite lui conférer la qualité d’autorité administrative indépendante ou d’autorité publique indépendante. Le Parlement possède une compétence discrétionnaire, sans être arbitraire, pour juger quel organisme doit – ou ne doit pas – figurer sur cette liste. Dès lors, cette liste est toujours susceptible d’évolution, dans un sens ou dans un autre. Il n’existe aucun droit acquis à être une AAI.

Je voudrais, à cet égard, dissiper un malentendu sur la liste : celui qui consiste à penser que la qualification d’AAI résulte de manière automatique d’obligations européennes ou internationales contractées par la France. Le rapport de la commission d’enquête prouve incontestablement que face à une même exigence européenne ou internationale, les États concernés ont traduit l’impératif d’indépendance par des formules juridiques tout à fait variées. Là encore, être indépendant ne signifie pas forcément être une AAI, au contraire de ce qu’un raccourci facile peut suggérer.

Je voudrais également lever certaines craintes relatives aux effets de cette liste. Les membres de plusieurs autorités qui n’y figurent pas – pour certaines, parce que la loi ne les a jamais expressément qualifiées d’AAI – ont ressenti cette absence comme un « désaveu », voire comme une « déchéance » ou une éviction. Gardons-nous d’adopter une approche si peu rationnelle et observons la situation avec la distance nécessaire.

Je voudrais rappeler que, contrairement à ce qui a pu être avancé, l’exclusion de la catégorie des AAI ne signifie pas la disparition de l’organisme, ni même la fin de son indépendance. D’une part, les textes adoptés par la commission ne remettent en cause l’existence d’aucune autorité. Mieux, ils ne modifient les attributions et les prérogatives d’aucune d’entre elles – tel n’était d’ailleurs pas l’objectif de la commission d’enquête. D’autre part, l’indépendance n’est pas la prérogative exclusive des organismes possédant le statut d’AAI. Dans le cas contraire, il faudrait admettre que la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations ou encore le Haut Conseil des finances publiques ne sont pas indépendants, au seul motif qu’ils ne sont pas des AAI. Nous savons qu’il n’en est rien.

À côté des AAI et des API, dont le statut répond à des critères particuliers, peuvent exister des organismes qui, sans appartenir à ces catégories, présentent des gages d’indépendance, par leur antériorité, par leur composition, par l’absence de directives gouvernementales dans la conduite de leurs travaux.

Bref, que certains organismes ne figurent pas au sein de cette liste ne signifie nullement leur anéantissement. Formes abouties de l’indépendance, les AAI et les API n’en ont pas le monopole. Toutes doivent, quoi qu’il en soit, respecter une limite intangible : l’indépendance ne peut se concevoir à l’égard du Parlement. Représentants du peuple, les parlementaires doivent pouvoir demander à tout organe non juridictionnel de rendre compte de son administration devant eux.

J’en viens à la deuxième mission à laquelle s’est attachée la commission des lois lors de l’établissement du texte : fixer pour ces autorités un statut général, suffisamment ambitieux pour être utile, mais suffisamment général pour ne pas entraver le fonctionnement habituel de ces autorités dans le carcan de règles trop précises. La création d’un statut général est, au fond, l’aboutissement logique d’une convergence progressive que le législateur a engagée lorsqu’il s’est agi de fixer, par rapprochement, les règles applicables à plusieurs nouvelles autorités.

Peut-on pour autant se satisfaire de cette situation, où les règles, éclatées au sein de différents codes et lois, se trouveraient harmonisées de manière contingente ? Le secrétaire général du Gouvernement le croit, comme il me l’a confirmé lors de son audition, et ne manquera pas, j’en suis sûr, de renouveler sa position par votre voix, monsieur le secrétaire d’État. Telle n’est pas notre position, et le débat que nous aurons, à travers la discussion des articles, aura le mérite de « remettre à plat » des règles décidées au regard des particularités d’une seule autorité, sans réflexion d’ensemble. Ces règles sont aujourd’hui considérées comme normales ; mais lorsqu’elles sont inscrites dans un statut général, elles suscitent la discussion – preuve que le débat parlementaire n’est pas inutile.

La création d’un statut général est également le moyen de comparer les règles qui garantissent l’indépendance de ces autorités, pour constater que si certains statuts répondent aux « canons » de l’indépendance – je pense au CSA ou à la HATVP –, d’autres sont pour le moins lacunaires, pour ne pas dire surprenants. Peut-on, par exemple, se satisfaire que la durée du mandat du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et les règles déontologiques qui lui sont applicables relèvent d’un simple décret ? Peut-on admettre que le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers soit agréé par le ministre avant sa nomination ? Ces exemples, pris isolément, peuvent susciter une compréhension passagère, mais ils constituent des curiosités juridiques que l’élaboration d’un statut général met particulièrement en lumière.

Une précision s’impose pour clarifier l’articulation de ce statut général avec les statuts particuliers de chaque autorité : le statut général, comme le précise l’article 3 de la proposition de loi, a vocation à s’appliquer « sauf disposition contraire ». Il s’agit là de la garantie la plus forte contre toute visée d’uniformisation.

Avec ce statut général, la commission s’est accordée sur quelques règles essentielles.

Un membre d’une AAI ou d’une API doit disposer d’un mandat non révocable et non renouvelable. Ce mandat doit lui assurer un droit à rémunération et à indemnité dès lors que des fonctions importantes lui sont confiées.

Un même membre ne peut exercer, par opposition à certaines situations révélées par la commission d’enquête, plusieurs fonctions au sein de plusieurs autorités. Pour répondre aux observations formulées par plusieurs AAI, je souhaite souligner qu’une telle incompatibilité ne fait pas obstacle à la présence de membres d’une autorité dans le collège d’une autre lorsque la loi le prévoit expressément, comme entre la CNIL et la CADA. Ce n’est ici que l’application de la règle selon laquelle les lois spéciales dérogent aux lois générales.

Mes chers collègues, les dispositions que nous avons prévues permettront, de manière démocratique, d’aboutir à une harmonisation souhaitable, voire indispensable. Ainsi, l’incompatibilité générale entre le mandat au sein d’une AAI et la détention d’intérêts au sein du secteur régulé, laquelle a suscité des réactions, présente certes des risques. Il est cependant nécessaire, pour des raisons de principe, d’aller dans ce sens. Reste que les soupçons ne sont pas infondés quand on connaît les difficultés rencontrées par la HATVP pour contrôler le respect des obligations déontologiques en matière d’instruments financiers ou quand l’on songe que, à la date du 8 octobre 2015, 20 % des membres de l’Autorité de la concurrence n’étaient pas en règle au regard de leurs obligations déclaratives à l’égard de la HATVP !

M. Jacques Mézard, rapporteur. C’est un exemple parmi d’autres…

La proposition de loi et la proposition de loi organique que nous soumettons à votre examen vont dans un sens de simplification et de transparence et sont nécessaires au bon fonctionnement de nos institutions. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes et la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes représentent la traduction législative des conclusions d’une récente commission d’enquête sénatoriale, dont nous venons d’entendre deux des prestigieux animateurs.

Ces conclusions ont livré une analyse sévère de ces structures, jugées trop nombreuses, insuffisamment contrôlées et propices à un recrutement endogamique, à une sorte d’« entre soi », pour reprendre les termes employés dans le rapport. Ces éléments ont été excellemment développés par les deux précédents orateurs.

Les textes que nous examinons aujourd’hui encadrent et clarifient, à juste titre, les autorités administratives indépendantes. Ils identifient celles pour lesquelles ce statut apparaît légitime, supprimant en conséquence cette qualité aux autres.

Plusieurs de ces autorités interviennent dans les secteurs de compétence de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui s’est en conséquence saisie pour avis, dans le respect des prérogatives de la commission des lois, de plusieurs articles traitant respectivement de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, de la Commission nationale d’aménagement cinématographique, la CNAC, de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, de l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, et du Haut Conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le HCERES.

La commission de la culture a suivi les coauteurs des deux textes que nous examinons, en admettant la pertinence du retrait de la liste annexée à l’article 1er de quatre des institutions concernées.

Nos propositions ayant été retenues ou satisfaites par la commission des lois, lors de sa réunion du 27 janvier dernier, pour ce qui concerne le CSA, le HCERES et les conditions de l’indépendance des médiateurs du cinéma, du livre – en attendant celui de la musique, dont nous parlerons la semaine prochaine à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine –, je limiterai mon intervention aux difficultés que pose le présent texte s’agissant de l’ARDP et de la HADOPI. Je précise que la commission des lois a souhaité que les amendements déposés sur ces deux questions soient examinés en séance.

La commission de la culture a jugé qu’il était essentiel que l’ARDP, autorité de régulation de la presse écrite, demeure libre à l’égard des éditeurs de presse et qu’elle continue à être une AAI, statut qui lui a été conféré récemment, et à l’unanimité, par la loi du 17 avril 2015.

Son coût est limité pour le budget de l’État et sa nouvelle mission, fort délicate, d’homologation des barèmes des messageries de presse et de régulation des conventions régissant les réseaux et différents niveaux de distribution de la presse écrite, nécessite une indépendance accrue vis-à-vis des acteurs de la distribution. Le renforcement de son rôle a d’ailleurs été accepté par tous les acteurs concernés. Vous pouvez lire le rapport de 2015 qui a été publié à cet égard.

La Cour d’appel de Paris en 2013, puis en 2015, et surtout le Conseil constitutionnel dans une décision du 7 janvier 2016 se sont d’ailleurs fait l’écho de cette indispensable indépendance. Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, retenu la qualification d’AAI.

J’ajoute, pour gagner du temps sur le débat d’amendements, qu’en arrière-plan de l’ARDP il y a la loi Bichet du 2 avril 1947, qui a organisé la solidarité entre les différents formats de presse écrite et qui garantit la pérennité de la presse d’information politique et générale, dite IPG. Nous touchons donc là à des sujets d’importance en termes d’exercice des libertés publiques.

Quant à la HADOPI, notre commission estime que son indépendance constitue la condition indispensable à l’établissement d’un équilibre entre les intérêts antagonistes des ayants droit et des consommateurs d’œuvres culturelles sur internet et à la garantie de la sécurité juridique nécessaire à la mise en œuvre de la réponse graduée, notamment pour ce qui concerne la protection des données personnelles des internautes et la régulation des mesures techniques de protection, les MTP. Sur ce point, la HADOPI dispose de pouvoirs précontentieux, ce qui nécessite de recourir au statut d’AAI, y compris dans le cadre fixé par la proposition de loi et par la proposition de loi organique.

Au travers de trois amendements, la commission de la culture souhaite donc rétablir ces deux autorités, l’ARDP et la HADOPI, dans leur statut existant, en les intégrant à la liste annexée à l’article 1er et en modifiant en conséquence l’article 25 de la proposition de loi. (Applaudissements.)