M. le président. Je vous le confirme !

M. Jérôme Bignon. La politique maritime de la France constitue un enjeu central, car il y va de la compétitivité, de la croissance, et donc de l’emploi de notre pays.

Cette politique concerne certes la mer, mais aussi la terre, au travers de son volet « aménagement du territoire », compte tenu de la nécessaire connectivité des moyens intermodaux. Si on ne pense qu’à la mer, on passe à côté du sujet. Si on ne pense qu’à la terre, il en va de même. Il faut donc réfléchir aux deux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous n’avons de cesse de mettre en avant un patrimoine immense et remarquable, des acteurs économiques de grande qualité, une industrie innovante et respectueuse de l’environnement.

Malheureusement, et cela sera probablement dit à plusieurs reprises lors de l’examen de ce texte, les politiques menées depuis des années ne permettent pas à la France de s’assumer pleinement en tant que puissance maritime.

Que faisons-nous pour que cette économie puisse enfin offrir tout ce qu’elle promet ?

L’auteur de la proposition de loi pour l’économie bleue cherche à atteindre deux objectifs : non seulement améliorer la compétitivité des entreprises concernées, mais également simplifier et moderniser la réglementation applicable aux activités maritimes. Il s’agit de deux objectifs louables, et même fondamentaux.

Nous ne pouvons pas nier la sincérité de la démarche, mais je tiens à faire remarquer ici qu’une proposition de loi semble être un vecteur bien modeste eu égard aux immenses besoins du secteur.

Le Gouvernement aurait pu développer un véritable projet, avec pour ambition la définition d’une politique maritime intégrée. Il aurait pu s’inspirer des conclusions du Grenelle de la mer, qui avait été l’occasion d’une très large consultation sur ce sujet, sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo.

Ces conclusions portaient sur l’ensemble des composantes d’une politique maritime : connaissances scientifiques, protection de l’environnement, développement des filières d’avenir, modernisation de la flotte. Mais l’on se contente depuis des années de lois d’ajustements techniques, juridiques et administratifs.

Je n’irai pas plus loin dans ce registre, mes chers collègues : nos rapporteurs, dont je salue le travail, ont su exprimer justement et précisément en quoi, sur ces questions, le manque d’ambition politique était criant en France. Je félicite tout particulièrement notre collègue vendéen Didier Mandelli pour son analyse et son travail de simplification de cette proposition de loi.

Le Sénat a procédé à des améliorations notables sur ce texte, et ce malgré un calendrier de travail inutilement contraint. C’est à se demander parfois si nous n’avons pas peur de prendre le temps de la réflexion…

Mme Annick Billon. Nous souhaitons aller plus loin sur plusieurs points.

Le secteur des pêches maritimes est l’un des plus emblématiques de l’économie bleue. Les pêcheurs ont considérablement amélioré leurs pratiques et se sont adaptés aux nouvelles exigences en matière de gestion durable des ressources halieutiques. Malgré leurs efforts, malgré l’amélioration des stocks, malgré un prix du poisson stable, ce secteur connaît des difficultés qui tiennent avant tout à l’état de la flotte et au déficit de main-d’œuvre.

En métropole, nos marins pêcheurs travaillent sur des navires vieux de vingt-six ans en moyenne. C’est notamment le cas en Bretagne, comme le constate Michel Canevet. Faute de renouvellement de cette flotte, il n’est pas possible d’améliorer convenablement les performances, ce qui passe par une meilleure sélectivité tout en assurant la sécurité des équipages. De même, comment attirer des matelots et patrons, quand on connaît la vétusté des navires et le prix d’un navire neuf ?

C’est pour soutenir ce secteur que nous avons déposé plusieurs amendements visant à encourager la constitution de sociétés de pêche artisanale, à préciser la condition de moralité dans le recrutement des marins, notamment du chef mécanicien, à mieux intégrer la pêche à pied, à clarifier les règles sociales applicables aux marins pêcheurs, ou encore à encourager le développement des formations pratiques.

Parce que la protection de l’environnement doit également faire partie du développement d’une économie bleue, je veux mentionner ici un amendement déposé par Chantal Jouanno qui vise à réduire les émissions de polluants atmosphériques par les navires de croisière accostant dans les ports français, conformément à une recommandation du Grenelle de la mer.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Annick Billon. Je me félicite de l’instauration, par cette proposition de loi, d’un droit de port dévolu au financement des associations d’accueil des marins en escale.

J’ai eu l’occasion de rencontrer ces associations en Vendée. Elles font un travail remarquable au service de ces marins, en leur donnant accès à un lieu de partage, de détente et d’écoute. Cependant, elles affichent régulièrement des déficits, faute de moyens financiers pérennes. J’espère que cette nouvelle solution leur permettra de poursuivre leur action.

Je souhaite également, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que nos discussions sur cette proposition de loi nous donnent l’occasion d’évoquer l’application de la loi Littoral.

Cette loi repose sur un équilibre essentiel entre la protection de l’environnement littoral et le développement des activités économiques maritimes, dans un souci de développement durable. Un rapport rédigé par nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet a mis en avant plusieurs difficultés d’application de ce texte, qui conduisent notamment à ce que des collectivités littorales ne puissent plus se développer. Je suis régulièrement alertée sur des dérives touchant l’interprétation de ces dispositions, et je ne pense pas être la seule.

Par ailleurs, comment expliquer, si ce n’est par la lourdeur des règles applicables en la matière, que l’aquaculture ne soit pas plus développée en France ? Notre pays est le deuxième producteur européen de produits aquacoles, mais il peine à développer ses élevages marins. Il faut bien avoir à l’esprit les chiffres rappelés dans le rapport pour avis de notre collègue Michel Le Scouarnec : en 2030, la production aquacole devra avoir doublé pour pouvoir satisfaire la demande planétaire. Cela est possible, tout en préservant l’environnement.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi, sans être une grande réforme pour l’économie bleue, n’en demeure pas moins une initiative intéressante, qui sera utile aux acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par des remarques de méthode, eu égard à la procédure d’examen de ce texte, laquelle est particulièrement étrange, voire anormale.

En effet, tout nous conduit à affirmer qu’il s’agit d’un projet de loi, puisque, si la proposition de loi est examinée dans le cadre des niches parlementaires, son examen se poursuit, à la demande du Gouvernement, dans le cadre de la semaine de contrôle. L’utilisation d’une proposition de loi a l’avantage non négligeable d’exonérer le Gouvernement d’un avis en Conseil d’État et d’une étude d’impact, ce qui est regrettable sur un sujet aussi important.

Par ailleurs, ce texte a triplé de volume entre son dépôt et son examen par le Sénat. Tous les sujets sont abordés, de la sécurité aux conditions sociales, en passant par les conditions de fiscalité. Nous considérons que ces dispositions auraient mérité un examen par les autres commissions permanentes du Sénat ou qu’une commission spéciale aurait pu être créée.

J’en viens au contenu.

La politique maritime française est à la croisée des chemins, et le Président Hollande avait pris l’engagement d’agir pour son développement.

C'est un secteur qui souffre, qu’il s’agisse de la marine marchande ou de la pêche. Entre 2006 et 2012, 10 000 emplois ont été perdus selon l’INSEE. La situation est donc des plus préoccupantes. C’est ce que certains ont appelé l’« effacement maritime français ».

Depuis des décennies, nous assistons à la dégradation de l’emploi et des conditions sociales des gens de mer sous l’effet de l’intensification de la concurrence internationale et de la diminution des protections collectives.

Parallèlement, ces politiques ont conduit à la dégradation des écosystèmes marins par une exploitation excessive des ressources. À l’échelle du globe, les populations d’animaux marins ont diminué de moitié depuis 1970. La surpêche est une pratique courante, et peu de mesures sont prises pour y remédier.

Ajoutons qu’il s’agit d’un secteur où la politique communautaire est très forte, et basée essentiellement sur les principes de libre concurrence et de libre circulation. Il s’ensuit un fort dumping social et fiscal, accompagné par les politiques nationales.

Cette proposition de loi, dans la droite ligne du rapport Osons la mer, rendu en 2013 par Arnaud Leroy, son rapporteur à l’Assemblée nationale, vise à accroître la compétitivité de ce secteur avec toujours la même recette : plus de libéralisme et moins de réglementation. En témoigne notamment l’élargissement du recours au RIF, le registre international français, créé en 2005 et reconnu comme un pavillon de complaisance, alors que nous devrions au contraire promouvoir le premier registre.

Ces dispositions ont d’ailleurs été aggravées en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, puisque des amendements revenant sur des aspects sociaux importants, comme la protection des délégués de bord ou encore la consultation des organisations syndicales, ont été adoptés.

Nous ne partageons pas cette philosophie et nous sommes particulièrement opposés à de nombreuses dispositions du titre Ier, qui, sous couvert de simplification et d’efficacité, sont en fait des régressions du droit social.

Nous contestons la logique selon laquelle la suppression des charges sociales permettrait de relancer l’emploi. Ces mêmes politiques sont menées depuis de nombreuses années dans tous les secteurs d’activité, sans qu’aucun effet sur l’emploi ne puisse être prouvé, des études en attestent. Pis, puisque nous trouverons toujours une main-d’œuvre moins chère ici ou là, c’est le cycle infernal du déclin qui est engagé.

Ces points fondamentaux fondent en grande partie notre position sur ce texte.

Pour relancer l’emploi maritime, les solutions sont donc ailleurs. La mer constitue un formidable gisement d’emplois et de ressources, à condition de prendre le tournant du développement durable.

Il faut, par exemple, s’engager vers plus d’intermodalité entre les différents modes de transports de marchandises. Les ports français doivent disposer des infrastructures permettant, une fois les marchandises débarquées, de poursuivre leur acheminement par train ou voie fluviale. Aujourd’hui, contrairement aux grands ports européens, nos ports ne disposent pas de ces infrastructures. Voilà une priorité pour l’action publique.

Autre possibilité de développement : la création d’une filière propre de démantèlement des navires.

Gagner en compétitivité, comme nous y invite cette loi, ce n’est pas libéraliser un peu plus. C’est surtout investir dans l’outil de production, dans les ports, les criées ; c’est investir dans la recherche pour la production de navires performants. Or cette proposition de loi n’aborde ces questions qu’à la marge, avec la création d’une commission des investissements au sein des conseils de développement des ports. Nous rappelons que c’est l’investissement public qui fait aujourd'hui cruellement défaut.

Nous regrettons par ailleurs que les dispositions visant à la création d’une flotte stratégique permettant de garantir la sécurité d’approvisionnement aient été vidées de leur substance. Cette création, a fortiori sous pavillon du premier registre, aurait permis de conserver des compétences, une filière d’officiers et de marins français, ainsi qu’une flotte à la hauteur des besoins nationaux. À ce sujet, le décret paru récemment nous inquiète particulièrement, puisqu'aucune exigence n’est fixée. Nous proposerons par amendement de revenir sur ce point.

Le titre II, qui vise les pêches maritimes et les cultures marines, est pour sa part plutôt positif. Il permet une reconnaissance renforcée de l’aquaculture. Nous soutenons également les dispositions ayant trait à une meilleure traçabilité des produits de la mer.

Enfin, et pour conclure, nous contestons très fortement l’insertion de mesures destinées à lutter contre le terrorisme, qui n’ont rien à faire dans cette proposition de loi. Les questions de sécurité des installations et des navires sont trop importantes pour être traitées de cette manière, en mélangeant lutte contre le terrorisme et lutte contre l’immigration illégale. Ces amalgames sont à nos yeux indignes.

Mme Éliane Assassi. Ils deviennent une habitude !

Mme Évelyne Didier. Mes chers collègues, voilà, brièvement exposées, les raisons qui nous conduiront à voter contre cette proposition de loi. (Mme Éliane Assassi et M. le rapporteur pour avis applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à saluer cette proposition de loi, qui s’inscrit dans l’ambition du Gouvernement de valoriser et de moderniser nos espaces maritimes. À l’heure où notre pays cherche des solutions d’avenir, tant pour la réduction du chômage que pour la préservation de nos conditions de vie, l’économie bleue apparaît comme une ressource porteuse de formidables potentialités économiques, énergétiques et environnementales.

Cette proposition de loi utile vient fort à propos, dans une période où il est urgent de réfléchir à la relance de notre économie et à nos performances dans ce monde concurrentiel qu’est l’économie maritime. Et nous, ultramarins, sommes bien placés pour en parler, étant donné les forts différentiels de compétitivité que nous subissons dans chacun de nos bassins régionaux.

La France est la deuxième puissance maritime au monde, et ce grâce à la présence – il n’est jamais inutile de le rappeler dans cet hémicycle – des outre-mer aux quatre coins du globe. En effet, 97 % de la zone économique exclusive se trouve en outre-mer. La stratégie politique de l’économie maritime est donc aussi essentielle pour nos territoires qu’elle est vitale pour la France.

Cette proposition de loi prend en compte l’ensemble des secteurs liés à l’économie maritime. Mon excellente collègue Odette Herviaux ayant déjà évoqué le titre Ier, j’ai plus précisément porté mon attention sur le titre II, qui vise à « soutenir les pêches maritimes et les cultures marines », et sur les quelques dispositions spécifiques aux outre-mer.

Les différentes mesures visant à renforcer la place de l’aquaculture dans notre politique des pêches et à moderniser la gouvernance des comités de pêche, notamment par la création d’un fonds d’indemnisation des pertes économiques, sont très positives. Ce fonds de mutualisation est une assurance nécessaire pour des professions soumises aux aléas climatiques, plus encore dans nos régions ultrapériphériques fréquemment touchées par des phénomènes météorologiques extrêmes. Les répercussions de ces mesures sur l’emploi, la qualité de vie et le développement de l’activité des professionnels de ces filières seront notables. Les moyens mis au service d’une aquaculture durable sont également à saluer.

Le travail mené par nos collègues députés ultramarins, notamment Huguette Bello et Serge Letchimy, avec le rapporteur à l’Assemblée nationale Arnaud Leroy, a permis de faire reconnaître dans cette proposition de loi les spécificités des outre-mer, notamment en accordant à leurs collectivités un rôle important en matière de gestion des ressources halieutiques. Je tiens donc à les remercier pour ces avancées, car, hélas ! une fois de plus, le texte initial ne faisait que très peu référence aux outre-mer, pourtant si stratégiques.

J’espère que le Sénat fera également preuve d’écoute s’agissant de nos contraintes et problématiques particulières, afin d’avancer plus avant encore dans la valorisation de nos territoires, où la pêche est un enjeu fondamental, y compris en Guyane, seul territoire non insulaire. Je rappelle que la pêche ultramarine représente une part importante de l’activité nationale de pêche, avec près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs.

Même si les principales lignes dans ce domaine sont déterminées par la politique commune de la pêche, la PCP, nous aurons l’occasion, lors de nos débats, d’évoquer et de préciser certaines particularités, comme l’état de la ressource, la structure de la flotte ou encore les techniques de pêche et la sociologie du monde de la pêche. Comme dans d’autres domaines économiques, cette activité est marquée par la diversité des situations, selon les bassins maritimes et les collectivités considérées, et par de fortes différences avec les pratiques de pêche des flottes hexagonales.

J’insisterai encore sur un point : l’enjeu est crucial pour les collectivités ultramarines, dont le rôle dans la valorisation des espaces maritimes a toujours été minoré. La faute en incombe peut-être, pour partie, aux outre-mer eux-mêmes, qui, à l’exception de la Polynésie, sont historiquement et culturellement tournés vers leurs territoires terrestres.

Le Gouvernement doit veiller à définir une vision intégrée, en concertation avec tous les partenaires concernés, notamment les comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins. Il doit également associer plus avant les outre-mer à la définition d’une stratégie maritime, alors même qu’ils sont en première ligne dans tous les océans. Je l’invite notamment à se référer au rapport d’avril 2014 de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, intitulé Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité, qui s’employait à tracer des perspectives stratégiques pour le court, le moyen et le long terme.

Ces potentialités exceptionnelles ne doivent pas être négligées : notre pays ne doit pas rester une grande puissance maritime qui s’ignore. Les moyens mis au service de l’enseignement maritime et de la recherche sont des leviers cruciaux pour la préservation et l’exploitation raisonnée des océans. Des ressources halieutiques au développement de l’aquaculture, en passant par l’exploitation des énergies marines renouvelables, la recherche constitue le premier maillon d’un cercle vertueux, porteur de croissance et d’emplois pour nos outre-mer et notre pays tout entier. Dans un contexte mondial où l’avenir de l’humanité se joue sur les océans, nous avons le devoir et l’impérieuse obligation de les faire fructifier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si, d’un point de vue géographique, la vocation maritime de la France semble une évidence, force est de constater que ce potentiel n’a jamais été véritablement pris en compte.

La proposition de loi pour l’économie bleue qui nous rassemble aujourd’hui aurait pu nous donner l’occasion de traiter l’un des prochains défis de notre pays : l’inscription durable des ports français dans les échanges maritimes mondiaux. Aujourd’hui, 72 % des importations et exportations de la France s’effectuent par voie maritime. Or le port le plus actif ne se situe pas en France ; il se trouve en Asie, à Singapour.

La mondialisation des échanges, la masse des volumes échangés, l’augmentation de la taille des navires, la fusion des grands transporteurs maritimes, le rôle capital des ports dans les chaînes logistiques et l’émergence de grands opérateurs de terminaux ont fortement fait évoluer la cartographie portuaire. La concurrence se situe donc désormais, non plus à l’échelle régionale, mais à l’échelle européenne et mondiale. Nous devons aujourd’hui changer de paradigme et prendre la mesure de ces enjeux.

Le défi majeur que nos ports et nos territoires ont à relever nous invite à réfléchir sur trois points particuliers.

Premier point : la nécessité d’élaborer et de porter une véritable stratégie maritime et portuaire pour la France.

Au mois de janvier dernier, les opérateurs, mais aussi la direction et le conseil de surveillance du port du Havre lançaient un appel au Président de la République en faveur d’un plan Marshall pour les ports. Cet appel, très significatif de par son intitulé, en dit long sur leur demande : des investissements à long terme, adaptés à la demande des clients consommateurs ; une dynamique créée par une stratégie ambitieuse, visant à inscrire les grands ports français dans le classement des ports internationaux.

La nécessité d’une stratégie maritime et portuaire à l’échelle nationale est évidente. Il s’agit de transcender les problématiques locales pour inscrire chaque territoire et chaque port dans un schéma global leur offrant la capacité de saisir de nouvelles opportunités et de s’intégrer à la compétition mondiale. L’État devrait non seulement remplir cette mission d’impulsion et de coordination entre les différents acteurs, mais aussi faire office de négociateur à l’échelle européenne et internationale dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de captation des flux de marchandises au bénéfice de nos ports français.

Deuxième point : la qualité de la connexion des ports aux réseaux de transport.

Comme cela a déjà été évoqué, à juste titre, l’économie maritime ne peut être envisagée sans l’économie terrestre : le développement d’un port dépend avant tout de son hinterland. Aussi une vision stratégique nationale et européenne est-elle essentielle pour concevoir des investissements cohérents au regard des territoires, de l’attractivité des zones portuaires, du lien avec l’hinterland et des grands axes d’échanges à l’échelle de l’Europe et de la planète. Le développement des réseaux routiers, fluviaux et ferroviaires est crucial pour la compétitivité des ports. Par exemple, la modernisation de la ligne ferroviaire entre Serqueux et Gisors est, en Normandie, un point prégnant pour relier les ports de l’axe Seine, notamment celui du Havre, à l’hinterland européen et leur donner l’envergure aujourd'hui nécessaire.

Troisième point : l’adaptation de la gouvernance, élément à part entière de la compétitivité de nos ports.

La question est particulièrement complexe, car elle mêle à la fois des intérêts divergents – publics ou privés – et des problématiques d’occupation du domaine public et de réserves foncières. Elle traduit aussi, comme mon collègue Charles Revet l’a justement souligné, le passage d’un modèle du « port outil », dans lequel l’autorité portuaire assurait elle-même les activités d’exploitation et de manutention, au modèle du « port propriétaire », caractérisé par une distinction nette entre l’autorité portuaire publique, gérant les infrastructures, l’aménagement et la politique tarifaire, et le secteur privé, chargé des services portuaires.

La gouvernance a été refondée en 2008. Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin, en associant les acteurs privés à la définition du projet stratégique et des projets d’investissements. La nouvelle commission des investissements, telle que prévue par l’article 3 de la proposition de loi, réunira opérateurs privés et acteurs publics autour de cette définition de projets. C’est une évolution qui me paraît aller dans le bon sens, dans la mesure où elle contribue à l’élaboration d’une politique de long terme. La question essentielle reste, bien entendu, celle de l’équilibre entre les acteurs : d’une part, entre les acteurs publics et privés – grâce à la parité au sein des grandes instances – et, d’autre part, entre les acteurs publics nationaux et locaux.

L’évolution des enjeux portuaires impose une gouvernance fondée sur le dialogue permanent et la construction des projets locaux des ports, ces projets devant s’inscrire dans une politique maritime et portuaire ambitieuse, portée au niveau national. C’est en travaillant en synergie que nous relèverons le défi de la mondialisation portuaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer le travail réalisé par notre rapporteur, Didier Mandelli. Ce dernier a procédé à de nombreuses auditions, qu’il a ouvertes à ses collègues de la commission du développement durable et du groupe d’études mer et littoral, et j’ai eu beaucoup de plaisir, je dois le dire, à participer à bon nombre d’entre elles.

Notre rapporteur a rappelé, comme c’est d’ailleurs souvent fait, que l’économie maritime est un atout majeur pour notre pays et une formidable source de croissance et d’emplois, pour peu qu’il y ait une volonté gouvernementale. Or, au lieu d’un grand texte porteur pour le développement économique de toute la filière, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État, a opté pour une politique des petits pas.

Voici donc le troisième texte, depuis 2012, à porter sur l’économie maritime ! Auparavant, il y avait eu la loi du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires, pour laquelle notre collègue Odette Herviaux avait assuré la charge de rapporteur au nom de notre commission, et la loi du 8 décembre 2015 tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes, sur laquelle j’avais eu l’honneur d’être nommé rapporteur.

À nouveau, c’est une proposition de loi… Encore une façon, pour le Gouvernement, de contourner l’exigence de réalisation d’une étude d’impact préalable, exigence associée aux seuls projets de loi ! Au moment de l’examen par notre assemblée de la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes, j’avais souligné combien cette absence d’étude d’impact était à mon sens regrettable ; je le signale une nouvelle fois aujourd’hui.

Il me semble que la France possède, non pas le deuxième, mais le premier domaine maritime mondial après celui des États-Unis. Mais je ne confonds pas domaine maritime et puissance maritime : ce sont des notions très différentes ! Notre pays est en tout cas loin d’en tirer la valorisation écologique, économique et touristique à laquelle il pourrait prétendre. Doit-on rappeler que ce territoire maritime est d’ailleurs essentiellement extra-métropolitain ? Cela a été dit par plusieurs orateurs.

Ce gisement de richesses exigerait que l’on examine un texte global, s’appuyant sur une vision stratégique, dont l’origine serait clairement gouvernementale et les enjeux pesés au travers d’études d’impact. Le secteur aurait sans doute aussi besoin d’un ministre dédié, tant les problématiques liées à la mer sont nombreuses. Il faudrait également, par exemple, qu’une liste des différents régimes d’autorisations délivrées par l’État soit systématiquement établie.

Malgré tout, cette proposition de loi sera utile aux acteurs de la filière. Il y est question de simplification de procédures, de lutte contre le dumping social, d’élargissement du périmètre des exonérations de charges sociales bénéficiant au secteur maritime. Le texte a été en outre considérablement enrichi par les amendements de notre rapporteur, Didier Mandelli, dans le sens de la simplification, pour alléger le quotidien des professionnels concernés et, surtout, renforcer la compétitivité française.

Évidemment, le Gouvernement manque d’ambition – je ne suis pas le premier à le dénoncer. Le fait que celui-ci ait engagé la procédure accélérée et, donc, imposé une seule lecture ne permet pas de transformer, par voie d’amendements, la nature d’un texte qui, malheureusement, ne crée pas les conditions d’une exploitation optimale de notre domaine maritime. Pour ma part, j’ai déposé un amendement sur le développement des bateaux amphibies, un amendement sur le sujet ayant été trop rapidement abordé et rejeté à l’Assemblée nationale. Nous en reparlerons tout à l’heure. J’ai également déposé deux amendements au sujet de la mise en place et du financement de la filière de déconstruction des navires créée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Pour conclure, je dirai un mot de la protection du littoral, qui n’est pas abordée par ce texte – sans doute n’était-ce d’ailleurs pas sa vocation…

Loin de moi la volonté de remettre en cause la loi Littoral, dont l’intitulé exact, je le rappelle, était loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. Bon nombre de rapports sur le sujet ont été produits. Le dernier, l’excellent rapport de nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet, est resté comme beaucoup dans les tiroirs des ministères, suivant les volontés de certains fonctionnaires de la haute administration.

Monsieur le secrétaire d’État, les maires des communes littorales – en dehors des grandes villes, pour lesquelles le sujet est moins prégnant –, chargés de délivrer les documents d’urbanisme, n’en peuvent plus d’être dans une insécurité juridique permanente. Ce n’est pas aux tribunaux administratifs de se substituer au législateur ! La commune de Penvénan, dans mon département, qui compte 2 600 habitants, a une indemnité se comptant en millions d’euros en guise d’épée de Damoclès au-dessus de la tête, dans l’attente d’un jugement. Je ne prends que cet exemple, mais il y en a quantité d’autres partout sur le littoral.

La raison doit l’emporter. Nous devons préciser les quatre ou cinq points qui posent problème dans l’application de cette loi, suite aux décisions des tribunaux administratifs souvent contradictoires. Les associations d’élus le souhaitent. Une large majorité pourrait se dégager au Sénat, car, bien entendu, ce sujet touche les maires, toutes sensibilités confondues.

Je m’emploie donc, dans le cadre du groupe d’études mer et littoral du Sénat, avec les associations concernées, à proposer des améliorations et des précisions dans la loi pour que celles et ceux qui délivrent des certificats d’urbanisme disposent d’une sécurité, tant sur le plan juridique qu’en matière d’indemnisation pour leur commune. J’espère vivement que le Gouvernement sera attentif à notre démarche, absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)