compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

M. Jean-Pierre Leleux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d'un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis un vote favorable (22 voix pour, 2 voix contre, 4 bulletins blancs ou nuls) pour la nomination de M. Jean-Christophe Niel aux fonctions de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

3

Demandes d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de loi organique, d'une proposition de loi et des conclusions d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a tout d’abord demandé l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 31 mars, le matin, en semaine gouvernementale, des nouvelles lectures de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.

Acte est donné de cette demande.

Ces deux textes feront l’objet d’une discussion générale commune, d’une durée d’une heure.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sera fixé à l’ouverture de la discussion générale commune.

En outre, le Gouvernement a sollicité l’inscription à l’ordre du jour du mardi 5 avril, le soir, en semaine sénatoriale, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 23 mars 2016, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’obligation de distribution des services d’initiative publique locale (n° 2015-529 QPC) ; les modalités d’appréciation de la condition de nationalité française pour le bénéfice du droit à pension en cas de dommage physique du fait d’attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d’Algérie (n° 2015-530 QPC).

Acte est donné de ces communications.

5

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, j’ai le grand plaisir de saluer la présence d’une délégation de députés de la Knesset conduite par M. Elie Elalouf, président du groupe d’amitié Israël-France et président de la commission des affaires sociales de cette assemblée. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.)

La délégation est accueillie par notre collègue M. Philippe Dallier, président du groupe d’amitié France-Israël, et par nos collègues membres de ce groupe.

Sa venue traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux assemblées et de lui donner un nouvel élan. Gageons que cette journée de travail et d’échanges sera riche de promesses et d’engagements, et qu’elle permettra de donner toute son ampleur au lien si particulier qui existe entre nos deux pays.

Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, applaudissent.)

6

Mise au point au sujet d'un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, lors du scrutin n° 184, Mme Caroline Cayeux a été déclarée votant contre, alors qu’elle souhaitait voter pour. Aussi, je vous remercie de bien vouloir prendre en considération cette demande de rectification de vote.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

7

Moyens consacrés au renseignement intérieur

Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les conclusions du rapport d’information de la commission des finances sur les moyens consacrés au renseignement intérieur (rapport d’information n° 36).

La parole est M. Philippe Dominati, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Philippe Dominati, au nom du groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’ouverture de cette séance, nos pensées vont bien évidemment à nos amis belges, aux victimes et aux forces de l’ordre, auxquels nous ne pouvons qu’associer les victimes que nous avons eues à déplorer en 2015 sur le territoire national. Nous pensons aussi aux forces contribuant à la lutte contre le terrorisme, qui sont sous tension depuis quinze mois, placées sous votre autorité, monsieur le ministre.

L’inscription de ce débat à notre ordre du jour, à la demande de mon groupe et du président du Sénat, démontre que la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité pour les Français. Cette préoccupation est évidemment partagée par tous les groupes dans cet hémicycle.

La mission d’information m’avait été confiée par la commission des finances dans un contexte particulièrement lourd et pesant : à la suite des attentats de janvier 2015, mes collègues voulaient connaître les moyens dont disposaient nos services de renseignement intérieur et leur efficacité. J’ai essayé de répondre à cette demande durant le premier semestre de l’année dernière, en auditionnant tous les responsables des services de sécurité et un certain nombre de syndicalistes.

Sur le premier point, aucun responsable ne s’est plaint d’un manque de moyens concernant la sécurité intérieure de notre pays.

En effet, la France est l’une des démocraties européennes comptant le plus d’agents affectés à la sécurité intérieure par rapport au nombre d’habitants : avec 6 200 agents, la moyenne est de 9,1 agents pour 100 000 habitants. Chez nos amis allemands, c'est presque trois fois moins et deux fois moins pour nos amis britanniques.

En revanche, notre renseignement intérieur a la particularité d’être éclaté entre plusieurs services et d’avoir des moyens dispersés. En ce qui concerne l’efficacité, nous avons constaté qu’il y avait des agents de liaison pratiquement à tous les niveaux. On nous a affirmé que le dispositif fonctionnait, mais il y a forcément une déperdition.

Dans le domaine qui nous intéresse, deux réformes majeures sont intervenues : l’une en 2008, l’autre en 2013. Mais, en réalité, on s’aperçoit que l’organisation d’aujourd’hui n’est probablement pas la plus satisfaisante.

Le rapport d’information que j’ai remis en octobre dernier contient dix recommandations.

La première vise à accélérer le mouvement, compte tenu du changement d’échelle de la menace terroriste. Or, monsieur le ministre, ce changement n’est pas vraiment apparu dans le budget tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale, puisque la hausse des crédits était initialement, je le rappelle, de 0,9 %, avant que ne survienne le séisme du 13 novembre.

Vous connaissez tous le malheureux bilan de ces attentats, qui ont porté à près de 150 morts et plus de 350 blessés le nombre des victimes du terrorisme sur le territoire national. S’est ensuivie une réaction de la part du chef de l’État que je qualifierais de « tardive », mais qui correspond à certaines orientations du rapport.

La première réponse apportée au séisme du 13 novembre est un amendement déposé en urgence lors de la discussion budgétaire pour pallier certaines insuffisances, en termes de moyens, de nos services de renseignement : vous avez présenté, monsieur le ministre, un avenant de 340 millions d’euros, qui avait été annoncé par le Président de la République au Congrès, afin de donner de nouveaux moyens pour mettre fin aux défaillances observées ici ou là, notamment dans le renseignement de proximité.

La deuxième réponse a été apportée à l’échelle européenne, avec un conseil des ministres exceptionnel le 20 novembre 2015 et des décisions portant sur l’espace Schengen, le PNR, ou Passenger Name Record, et le trafic d’armes.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé hier, au cours de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – mais vous aurez l’occasion d’y revenir –, le chemin diplomatique laborieux pour mettre en place le PNR et les difficultés auxquelles vous avez été confronté. Je reviens sur ce point, car nous sommes impatients. Cette affaire dure tout de même depuis quelques mois ! Vous aurez, me semble-t-il, toutes les formations politiques à vos côtés pour essayer de faire aboutir le PNR sur le terrain diplomatique.

La deuxième recommandation du rapport est relative à « l’architecture » des services, dont j’ai évoqué l’éclatement. Sur ce point, un arbitrage du Président de la République est intervenu : ce dernier vous a délégué tous les pouvoirs en janvier dernier lors d’une réunion du Conseil national du renseignement pour que vous soyez le coordinateur du renseignement intérieur. Une question fondamentale se pose : l’éclatement des services n’a-t-il pas entraîné ici ou là des difficultés en termes de fonctionnement ou un manque de lisibilité de l’action de nos services ?

Je voudrais également mentionner le rôle nouveau du Parlement dans un domaine qui, il faut bien le reconnaître, ne relevait pas des usages parlementaires. À partir du moment où cela devient la principale préoccupation des Français, le Parlement s’est automatiquement saisi des lois en la matière – plusieurs lois sur le terrorisme ont été examinées et une réforme de la Constitution est même envisagée.

Il faut aussi évoquer le contrôle budgétaire du Parlement.

Sur ce plan, deux recommandations traduisent le malaise que nous avions ressenti face à l’architecture budgétaire. Nous serons, je le pense, plusieurs à aborder cette question.

Pour les services de renseignement extérieur, qui dépendent du ministère de la défense, nous identifions clairement, en tant que parlementaires, le budget nécessaire à cette action, contrairement au renseignement intérieur, dont le budget est disséminé en divers postes, notamment à l’échelle départementale dans les directions départementales de la sécurité publique. Cela pose donc problème en termes de lisibilité budgétaire.

Je le redis, nous avons formulé deux propositions. J’ai d’ailleurs noté que la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Pierre Raffarin, a fait les mêmes observations. Sur ce sujet, il faut reconstruire le dialogue entre le Parlement et l’exécutif.

Quelles seraient aujourd’hui les lignes de force de notre mission, qui n’est pourtant pas si vieille, mais dont il semble déjà nécessaire d’ajuster les conclusions ?

On ne veut pas toucher à l’architecture ; je le comprends, car c’est une position régalienne du Président de la République. Le terme du mandat approchant, il est peut-être difficile d’envisager « à chaud » une nouvelle réforme du renseignement. Toutefois, selon nombre de nos interlocuteurs, il est certain que les deux réformes engagées ne sont pas abouties, et il faudra les peaufiner, la deuxième ayant permis de contrer les effets pervers de la première. Une évolution aura donc probablement lieu, mais il appartiendra au futur exécutif de l’envisager.

J’en viens au constat.

Monsieur le ministre, je suis allé sur le terrain deux fois à un an d’intervalle, en mars 2015 et en mars de cette année, voir l’état de nos forces de sécurité. La mise en place est pour le moins contrastée.

Dans un même département, par rapport à ce que j’avais constaté en mars 2015 – c’était pourtant après la première vague d’attentats –, j’ai trouvé, d’un côté, un préfet très impliqué, qui organise trois réunions hebdomadaires sur le sujet, mais, de l’autre, des services de gendarmerie qui ont certes reçu du matériel – des voitures –, mais dont les effectifs ne seront probablement renforcés qu’à la rentrée de septembre, alors qu’ils étaient déjà attendus l’an dernier. En ce qui concerne la police – je ne parle que de la sécurité publique –, il n’y a pratiquement pas de changement.

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez supprimé des postes !

M. Philippe Dominati. S’agissant du renseignement territorial, un effort particulier a été fait : les effectifs sont passés de treize à une vingtaine. Mais alors que j’avais observé voilà un an qu’il n’y avait une seule ligne internet pour treize agents, il n’y en a toujours qu’une seule, mais désormais pour vingt agents ! Des locaux manquent également pour ces effectifs supplémentaires, tout comme des moyens de communication et des voitures pour les unités territoriales.

Concernant le service de renseignement majeur, le seul qui fasse partie de la communauté du renseignement, nous sommes satisfaits du renforcement des effectifs centraux sur le plan territorial, dans la mesure où ils viennent en soutien. Mais il n’y a pas d’autre renforcement particulier sur ce plan.

Voilà quelle est la situation sur le terrain. Elle suscite évidemment plusieurs interrogations légitimes chez les parlementaires, comme vous avez déjà eu l’occasion de le constater lors de différents débats, monsieur le ministre.

Le point qui m’a le plus choqué – je vous ai d’ailleurs interpellé sur cette question – concerne l’assistance aux témoins, l’appui à nos concitoyens qui concourent à la lutte contre le terrorisme et l’efficacité du numéro vert qui a été mis en place.

Par ailleurs, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire d’avoir trois services spécialisés dans la lutte antiterroriste dans le domaine de la police judiciaire, à la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, à la Police nationale et à la préfecture de police de Paris ? De même – mais je suppose que vous en avez ressenti le besoin pour assurer l’efficacité du dispositif –, alors qu’il existe un organisme interministériel de lutte contre le terrorisme, vous en avez créé un second au cours de l’été au sein du ministère de l’intérieur. On a du mal à comprendre la façon dont se coordonnent ces deux organismes, mais j’ai déjà souligné l’éclatement des services spécialisés.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Philippe Dominati. Un certain nombre de dysfonctionnements sont également apparus dans notre système à la suite des attentats. Le Président de la République a d’ailleurs estimé qu’il était nécessaire de créer un poste ministériel d’aide aux victimes. Cela signifie qu’il y avait bien un problème dans l’assistance que nous apportions à ces victimes.

De la qualité de nos services de renseignement dépendra l’issue de notre guerre contre le terrorisme, et nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, dans notre rôle de parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant.

M. Michel Boutant. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez, tout d’abord, d’évoquer la mémoire de celles et ceux qui ont été frappés par les attentats aveugles survenus hier à Bruxelles, en citant le début de Spleen, ce poème très célèbre de Charles Baudelaire :

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits. »

Mes chers collègues, il n’est pas anodin de débattre, dans le contexte de menace terroriste aiguë que nous connaissons des moyens consacrés à nos services de renseignement intérieur. Comme le rappelle M. Dominati dans son rapport d’information, beaucoup a été fait depuis quelques années, particulièrement avec la création, en 2008, d’une nouvelle structure de renseignement intérieur, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, et l’évolution de son statut en direction générale en 2013.

L’an dernier, mes collègues de la délégation parlementaire au renseignement et moi-même avions émis une série de recommandations au regard de l’organisation et des moyens de nos services consacrés au renseignement intérieur. L’accroissement de la menace terroriste est maintenant une réalité qui se trouve cruellement exposée par les attentats sanglants que nous avons connus sur le sol européen, et que nous connaissons toujours.

Les chiffres illustrent cette réalité : pour ce qui concerne la France, 609 personnes ont rejoint les rangs des djihadistes au Levant, alors que, il y a un an, on en dénombrait 410. Plus inquiétant encore est le nombre des retours, évalué à près de 300 personnes. Nos services de renseignement et la justice sont pleinement mobilisés pour faire face à ce défi inédit : plus de 1 000 personnes sont suivies par les services judiciaires et 338 individus ont été interpellés. Depuis le 1er janvier dernier, pas moins de 74 personnes liées au terrorisme ont été arrêtées.

Concernant les moyens juridiques, le Gouvernement a été particulièrement actif : loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

À la suite des attentats de janvier 2015, le Premier ministre a annoncé un renforcement considérable des moyens humains et financiers pour la lutte contre le terrorisme, avec 2 680 emplois supplémentaires pour les trois prochaines années, dont 1 100 pour les services de renseignement intérieur (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) – 500 emplois pour la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, 500 pour le Service central du renseignement territorial, le SCRT, et 100 pour la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP. En outre, 425 millions d’euros de crédits ont été débloqués.

Ces nouveaux moyens, en liaison avec les nouveaux dispositifs instaurés par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, devraient en particulier permettre à la DGSI de faire monter rapidement en puissance son matériel technique. Ainsi pourra-t-elle assurer, au travers des dispositifs de traitement automatisé de données, une surveillance renforcée sur un large spectre. Je précise qu’il ne s’agit pas de voir dans le « tout technologique » la panacée face à cette menace terroriste accrue et massifiée. Néanmoins, ces dispositifs spéciaux en matière de renseignement doivent faciliter le travail des enquêteurs et offrir des capacités de recoupement et de brassage d’informations à la mesure du nombre d’individus à suivre.

Il n’est pas inutile de rappeler, me semble-t-il, la saignée que la révision générale des politiques publiques a provoquée au moment même où la DGSI a été créée : quelque 12 469 postes ont été supprimés entre 2007 et 2012 au sein des forces de police et de gendarmerie. (M. Philippe Dominati s’exclame.)

M. Jean-Louis Carrère. Il est bon de le rappeler, mon cher collègue !

M. Michel Boutant. Les efforts du Gouvernement en matière de crédits budgétaires et de création d’emplois ne constituent donc qu’un rééquilibrage salutaire à la sécurité de nos concitoyens.

La révision de la loi de programmation militaire a également permis de corriger la trajectoire d’un point de vue budgétaire et humain. C’est la conséquence pleinement pertinente du nouveau rôle dévolu à nos forces armées tant pour la sécurité du sol national que pour l’identification et la neutralisation des djihadistes présents sous le drapeau terroriste de Daech.

Grâce à la mise en place de l’état d’urgence, les services de l’État ont procédé à plus de 3 200 perquisitions administratives, qui ont abouti à la saisie de 560 armes, au placement de 341 personnes en garde à vue et à l’ouverture de 571 procédures judiciaires – il s’agit des chiffres communiqués lors du conseil des ministres du 3 février dernier. En décembre 2015, plusieurs projets d’attentats ont ainsi pu être déjoués.

À ceux qui craignent un dérapage de l’État de droit dans le contexte extraordinaire de l’état d’urgence, rappelons que le Conseil d’État a suspendu une assignation à résidence, le 22 janvier dernier, et condamné l’État à verser une indemnité à la personne concernée. La justice poursuit donc avec sérieux et rigueur sa mission de contrôle et s’assure de la proportionnalité des moyens engagés par l’État au regard de la garantie des droits et libertés individuels.

Le mouvement ne s’arrête pas à ces dispositions législatives. Une importante adaptation des méthodes de travail des services spécialisés est également à l’œuvre. Concernant les efforts consentis, deux axes se dessinent : d’une part, le renforcement de la coordination et de la circulation fluide de l’information entre les services et, d’autre part, la mise en place d’une supervision du suivi et du traitement des missions.

La mise en place de bureaux de coordination et de liaison aux niveaux central et territorial – une demande de longue date de la délégation parlementaire au renseignement – a considérablement amélioré l’échange d’informations.

Par ailleurs, une remise à plat des zones d’intervention des services a permis de faire coïncider les zones de compétences de la DGSI et celles du Service central du renseignement territorial. À l’échelon départemental, une supervision opérationnelle est assurée sous l’autorité des préfets tandis qu’au niveau central un état-major dédié a été mis en place.

Avec le plan d’action pour la lutte contre le financement du terrorisme annoncé par le ministre du budget et des comptes publics le 18 mars 2015 et les éléments renforçant les pouvoirs de TRACFIN, le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, dans le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé, une dimension essentielle de la lutte contre le terrorisme est prise en compte. Évoquons très rapidement la coopération opérationnelle interservices, avec la cellule Hermès créée au sein de la Direction du renseignement militaire. C’est un autre très bon moyen de faire travailler de concert le monde du renseignement sur un objectif précis.

Par ailleurs, face à la menace terroriste, les services de renseignement intérieur ne sont pas les seuls acteurs en jeu. Le caractère massif de la radicalisation ne pourra être traité uniquement par le volet renforcé de la surveillance de notre territoire. La lutte contre la propagande et les embrigadements, l’expérimentation de techniques de déradicalisation, l’étude de ces phénomènes en liaison avec les champs sociaux et économiques, tous ces objectifs éminemment nécessaires ne pourront trouver une solution au travers d’une approche strictement sécuritaire.

De ce point de vue, monsieur le ministre de l’intérieur, le colloque interministériel qui s’est tenu sous votre égide le 12 novembre 2015 apporte la preuve de votre engagement total en matière de lutte antiterroriste. Au nom de mon groupe, je veux vous adresser nos plus sincères félicitations pour votre travail sérieux et méticuleux.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Michel Boutant. Au-delà de l’aspect sécuritaire, l’importance que vous attachez à la prévention, au suivi, à la resocialisation et à l’accompagnement des personnes en voie de radicalisation constitue la preuve de votre engagement dans la lutte contre le terrorisme dans tous ses aspects. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien, mon cher collègue !

Mme la présidente. La parole est à Mme Leïla Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à exprimer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste, notre très grande émotion à la suite des événements dramatiques qui ont frappé la Belgique hier. Nous avons, en cet instant, une pensée toute particulière pour les victimes, leurs familles et leurs proches endeuillés.

C’est dans ce contexte particulièrement lourd et grave que nous avons aujourd’hui un débat sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Je tiens à saluer le travail et le dévouement de ces hommes et de ces femmes qui agissent dans l’ombre au quotidien pour la sécurité de nos concitoyens. Ils sont, à n’en pas douter, l’un des piliers de notre réponse face à la menace terroriste.

Il était important que le Parlement se saisisse de cette question et puisse aussi contribuer à la réflexion engagée sur l’approche préventive que nous avons face au risque terroriste. En effet, pour que notre réponse soit la plus adaptée et la plus efficace possible, nous devons impérativement trouver le parfait équilibre entre prévention et répression, équilibre indispensable, vous le savez, au succès de toute politique sécuritaire.

Nous ne pouvons pas le nier, un certain nombre de questions surviennent alors que notre pays a été frappé par deux vagues d’attentats en un an, des actes commis par des individus connus de nos services. Comment les combattre ? En ce sens, nous souscrivons à l’analyse du rapport d’information réalisé par le sénateur Dominati, qui reprend les conclusions de nombreux observateurs, pour ce qui concerne notamment l’empilement des services,…

M. Jean-Louis Carrère. Mais qu’est-ce que vous en savez ?

Mme Leila Aïchi. … qui nuit, à n’en pas douter, à la fluidité et à la circulation de l’information, et, surtout, le manque d’effectifs du renseignement intérieur.

En effet, les services souffrent non pas d’un déficit normatif, mais d’un manque de moyens humains et matériels. Or c’est bien ce manque qui est mis en avant dans ce rapport d’information, avec, notamment, la première recommandation.

Ainsi – nous l’affirmions déjà au moment de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme –, les hommes constituent la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Il s’agit non pas d’accroître à outrance les pouvoirs exceptionnels dévolus à l’État, mais bien de densifier le maillage humain de notre renseignement. Or, selon votre rapport d’information, monsieur Dominati, le personnel du service central du renseignement territorial ne représentait « à la veille des attentats de janvier [2015] que 60 % des effectifs des renseignements généraux avant la réforme de 2008 ».

Cela suscite des questions, d’autant que les chiffres évoqués à propos de l’évolution de la menace terroriste ces dernières années sont inquiétants. La France semble particulièrement exposée, avec près de 1 700 combattants partis pour l’Irak et la Syrie entre 2014 et 2015. Pis encore, le Premier ministre a récemment estimé que ce sont désormais près de 3 000 personnes qui nécessitent une surveillance.

Face à cette menace d’une nouvelle forme, les annonces, en 2013 et 2015, de l’augmentation des effectifs des services concourant au renseignement intérieur vont dans le bon sens, et nous soutenons cette initiative ; nous resterons toutefois vigilants quant à l’évolution réelle des effectifs.

De manière générale, nous sommes beaucoup plus inquiets des évolutions du dispositif juridique qui entoure à présent l’action de ces services, dans la mesure où nous considérons qu’elles peuvent présenter un danger pour les libertés individuelles et qu’elles participent à l’inscription dans la durée d’un état d’exception, ce à quoi nous nous opposons formellement. Vous connaissez, monsieur le ministre, notre position sur ce sujet ; je n’y reviendrai pas davantage.

Plus d’hommes, cela signifie également une meilleure gestion et une meilleure analyse de l’information récoltée.

En effet, tous les professionnels s’accordent à dire que la priorité est non pas la quantité d’informations que vous pourrez intercepter, mais bien l’analyse que vous en ferez. Cela passe d’abord par une meilleure circulation de l’information. Or la France possède l’une des architectures les plus complexes d’Europe en matière de renseignement intérieur. Les conséquences sont nombreuses : un coût de fonctionnement certain, une déperdition des moyens, une moindre efficacité des services et une fragilité du dispositif de lutte contre le terrorisme dans son ensemble.

J’ai été surprise, à la lecture du rapport d’information, par la subsistance de conflits d’attribution aussi importants. Ainsi, une simplification du partage des compétences et un regroupement des services semblent en effet souhaitables. Parallèlement, nous devons renforcer la coopération européenne en la matière. Peut-être qu’un FBI européen serait opportun, comme l’ont très justement suggéré Alain Lamassoure et le président Larcher, même si cela implique une délégation de souveraineté de la part des États membres.

Par ailleurs, l’amélioration du traitement de l’information, source de qualité, passe par une mutualisation et un rapprochement avec le monde universitaire. En cela, nous souscrivons à la recommandation n° 8 du rapport d’information.

Le renseignement intérieur doit en effet pouvoir se nourrir pleinement de la société civile. Vous préconisez, monsieur Dominati, davantage d’échanges avec les universitaires dans le cadre de la formation des agents, ainsi que l’élargissement du recrutement de contractuels. Soit, mais nous devons aller encore plus loin, mes chers collègues. Nous devons favoriser le contact direct et durable avec les acteurs locaux, qui sont au plus près des réalités sur le terrain et sont à même d’apporter une réponse complète et adaptée.

Je l’ai dit au début de mon intervention, le volet préventif du renseignement est la clef de cette réponse. Il s’agit de la priorité absolue, les récents événements en sont malheureusement une nouvelle preuve.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai souligné la semaine dernière lors du débat portant sur les conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, je rappellerai, en conclusion, combien il est important que le contrôle parlementaire soit également renforcé pour ce qui concerne les renseignements intérieurs. Dans la mesure où ces services opèrent sur le territoire national, les parlementaires doivent pouvoir en contrôler le fonctionnement et les orientations budgétaires, tout en respectant le secret lié à leur activité.

Si, selon nous, ce débat va dans le bon sens, notamment dans sa dimension préventive, ne faisons néanmoins pas l’économie d’engager une réflexion plus large, plus globale, sur les sources mêmes du terrorisme, et ce d’autant qu’elle suscite des interrogations prégnantes sur les relations internationales. Pouvoir les déceler est une chose, mais y remédier à long terme et chercher à les contrer au travers d’une réponse multidimensionnelle en sont une autre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)