Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport d’information dont nous débattons aujourd’hui des conclusions porte sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Sa date de publication – antérieure aux attentats islamiques du 13 novembre dernier – nous permet malheureusement de répondre de façon négative à la question de la capacité de nos services de renseignement à répondre à ce risque.

Les faits sont têtus. Non, les services concourant au renseignement intérieur n’ont pas été en capacité d’assurer leurs missions, contrairement à ce que l’on peut lire sur la première page de ce rapport.

En outre, les actes perpétrés hier sur le territoire du Royaume de Belgique démontrent que les services de renseignement sont encore dépassés par nos ennemis. Alors, oui, il faut renforcer les moyens dédiés à ce combat.

Ces odieux attentats coïncident avec le lancement d’une campagne de propagande du Gouvernement contre le racisme, ou plutôt contre une vision idéologique du racisme. Trois millions d’euros ont été consacrés à cette propagande culpabilisante, alors que le peuple de France est sans doute le moins raciste de tous les peuples du monde. Ces millions auraient sans doute été bien plus utiles à la lutte contre nos ennemis islamistes ; la liste des besoins en matériel pour nos forces de l’ordre, pour ne parler que de cela, est malheureusement bien longue.

N’étant malheureusement pas membre de la délégation parlementaire au renseignement, je n’ai qu’un regard extérieur sur l’organisation des services de renseignement. Cependant, comme vous le mentionnez dans la recommandation n° 2, monsieur Dominati, je pense qu’un regroupement des différentes unités serait gage d’efficacité opérationnelle, de même que le renforcement des effectifs dans le maillage territorial. Et dire qu’aujourd’hui un commandant de compagnie de gendarmerie n’a pas accès aux fiches S et qu’il n’est donc pas en capacité de savoir si des individus identifiés comme présentant un risque se trouvent sur sa zone !

Toutefois, ne nous voilons pas la face, l’efficacité de nos seuls services de renseignement ne suffira malheureusement pas à nous protéger du péril islamique. Il faut en effet revoir un certain nombre de nos politiques publiques pour endiguer ce fléau et gagner cette guerre, pour reprendre les termes du Premier ministre.

Cela passe par un changement de notre politique étrangère, en particulier à l’égard de pays prétendus amis – certains de leurs représentants ont reçu, me semble-t-il, la Légion d’honneur –, qui, au mieux, sont complaisants et, au pire, sont des soutiens des islamistes.

Cela passe aussi par un changement de notre politique migratoire : les noms et les nationalités des auteurs de ces attentats sont la démonstration du lien évident entre immigration et terrorisme islamique.

Cela passe également par un changement de notre politique régalienne, en particulier avec le retour aux frontières nationales et le contrôle systématique des personnes qui entrent sur notre sol.

Cela passe, enfin, par un changement de notre politique dite « de la ville ». Au nom de votre « vivre ensemble », vous avez toléré, pour des raisons électoralistes essentiellement, les communautarismes les plus odieux, qui ont fait le lit du terrorisme.

L’énergie que vous employez depuis des dizaines d’années pour faire taire ceux qui vous alertent sur des risques devenus aujourd’hui réalité serait plus utile pour lutter contre ceux qui, eux, prêchent une véritable haine, la haine de notre culture, de notre histoire…, la haine de la France !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la barbarie a encore frappé l’Europe ; c’est une réalité que je ne souhaite pas vivre comme une habitude.

D’abord en janvier, puis en novembre, la France a été la cible d’actes d’une violence inimaginable, inacceptable dans notre monde moderne, et a été submergée par la peine et l’émotion.

Aujourd’hui, les Turcs, les Maliens et les Belges connaissent eux aussi la sidération, la douleur d’être agressés par des fanatiques, qui manipulent et dénaturent leur religion pour mieux servir la faiblesse de leur âme.

Chacun a exprimé avec justesse et dignité notre solidarité pleine et entière avec le peuple belge. Quoi de plus normal ? Quoi de plus juste ?

Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est malheureusement d’actualité ; il est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Nous débattons du rapport d’information sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Oui, nous sommes en guerre, et les terroristes entendent également mener une bataille médiatique en conduisant sur tous les terrains une guerre des nerfs.

Nous avons eu l’occasion de débattre du terrorisme et des moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre ce nouveau fléau. Nous avons eu des discussions théoriques sur les causes de cette nouvelle guerre et sur les libertés publiques ; nous avons débattu de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence ; et, finalement, nous avons peut-être voulu oublier la réalité aveuglante et cruelle de ces actes terroristes.

Nous avons tous le souhait – et l’obligation – de poursuivre le renforcement de la lutte contre le terrorisme au travers de moyens tant humains que financiers.

Mes chers collègues, quel est l’objet de notre débat d’aujourd’hui ? Poser la question de l’efficacité de l’organisation administrative du renseignement français ? Condamner le manque de moyens consacrés au renseignement ? Il s’agit pourtant là des conséquences de la réforme de 2008 visant à restructurer le renseignement français et ambitionnant la création d’un FBI à la française, mais qui a sacrifié le renseignement territorial.

Nous sommes désormais convaincus de l’impérieuse nécessité de restaurer la confiance dans l’information de proximité : rien ne vaut le renseignement humain !

Oui, le maillage fin du territoire par les agents est indispensable à la qualité et à la précision de l’information, comme l’a cruellement rappelé la cavale de Salah Abdeslam durant ces quatre derniers mois.

Les progrès indéniables de la police scientifique, les avancées informatiques et les écoutes ne remplaceront jamais le travail de terrain. Mais chacun de nous connaît le coût de cette présence et les difficultés qu’elle peut entraîner.

J’en conviens, l’heure est trop grave pour céder à la polémique vaine, stérile, voire, parfois, irresponsable. L’heure n’est pas aux petites phrases, aux petits tweets déplacés visant à faire le buzz.

Oui, nous le savons tous, le contexte national et international impose des moyens humains et matériels supplémentaires pour les services du renseignement français.

Dès le 21 janvier dernier, le plan antiterroriste a permis, d’abord, le déploiement de près de 4 700 policiers pour la surveillance des 717 écoles juives en France et de 10 000 militaires pour assurer le contrôle des points sensibles du territoire et, ensuite, la création de 2 680 emplois, dont 1 100 ont été alloués aux seuls services de renseignement intérieur.

Le Président de la République, lors de son intervention devant le Congrès réuni le 16 novembre dernier, a annoncé les différentes décisions budgétaires engendrant un surcroît de dépenses et consacrant « la primauté du pacte de sécurité sur le pacte de stabilité ». C’est dans ce cadre que nous avons voté, à l’unanimité, monsieur Dominati, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, près de 815 millions d’euros de moyens supplémentaires consacrés à la mission « Sécurités », ainsi que vous l’avez rappelé.

Monsieur le ministre, outre du matériel de pointe, des logiciels et des armes, ce vote a permis la création, sur deux ans, de pas moins de 8 500 postes, dont 5 000 dans la police et la gendarmerie, décidée par le Gouvernement : 3 150 de ces postes seront créés dès 2016, avec 1 763 emplois alloués à la gendarmerie, 1 366 à la Police nationale et 21 postes de démineurs à la sécurité civile. Enfin, 252 emplois seront dédiés au contrôle des armes, à la lutte contre la fraude et la prévention de la radicalisation. À cela s’ajoutent les mesures annoncées hier par le ministre de l’intérieur.

Mes chers collègues, cette période est lourde d’émotions. La tension est palpable. Les Français sont inquiets, à juste titre.

Demeurons à la hauteur de la qualité des débats qui se sont tenus à l’occasion de la discussion du projet de loi de révision constitutionnelle.

À titre personnel, je suis sensible au poids des mots, et personne, je l’espère, ne me reprochera de rappeler ceux, pleins de sagesse et de gravité, qui ont été prononcés dans cet hémicycle la semaine dernière : « la France, dans un élan spontané d’unité nationale » ; « valeurs républicaines », « protection de la Nation », « détermination de la représentation nationale et, au-delà, […] du peuple français lui-même à vaincre ce mal absolu. »

Alors, mes chers collègues, ne cédons pas à la pression des terroristes. Ne décevons pas les attentes des Français. Soyons fermes, déterminés, mais restons vigilants quant à cet équilibre délicat, toujours à réinventer, entre besoin légitime de sécurité et préservation des libertés individuelles.

Attachons-nous à ce qui nous unit, à ce qui conforte les valeurs fondamentales qui font la France et que tant de pays nous envient. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées de l'UDI-UC. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon.

M. Pierre Charon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier encore, l’Europe a été touchée par la barbarie.

En tant que sénateur de Paris et membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je veux dire au peuple belge que les Français sont à ses côtés dans cette épreuve et aux familles des victimes des attentats du 13 novembre, en France, et du 22 mars, en Belgique, que nos pensées les accompagnent face à ces actes criminels.

L’interpellation de Salah Abdeslam à Bruxelles est un premier pas vers la justice. Aussi, le débat de cet après-midi est important.

Je salue mon collègue Philippe Dominati pour son rapport intitulé Les moyens consacrés au renseignement intérieur. L’intérêt du Sénat pour le renseignement n’est pas nouveau. En 1971, René Monory a été le premier à se saisir de ce sujet.

Ce rapport permet de s’interroger sur le fonctionnement des services qui doivent répondre à la multiplication des menaces, dont celle du terrorisme actuel, qui, depuis les années quatre-vingt-dix, n’a plus rien à voir avec le terrorisme d’État.

Revenons tout d’abord sur la nature de la menace. Ses évolutions sont multiples.

Concernant le terrorisme islamiste, les auteurs sont, certes, isolés, mais ils ne sont absolument pas indépendants. La planque de Salah Abdeslam est révélatrice d’un terrorisme individuel puisant ses inspirations et bénéficiant de formations à l’international, trouvant des appuis logistiques locaux et développant des relations structurées avec des mouvances concurrentes depuis la mort de Ben Laden.

L’avènement de l’État islamique en Irak et la guerre en Syrie constituent de puissants accélérateurs d’attractivité pour les jeunes concernés.

En outre, nous devons nous interroger sur l’implantation dans la durée et la concentration d’éléments terroristes à l’échelle d’un quartier, comme celui de Molenbeek. En France ou en Belgique, les terroristes disposent d’aides ponctuelles, mais efficaces, leur garantissant une clandestinité digne d’une grande organisation criminelle, bénéficiant de la solidarité et de l’omerta communautaires.

L’arrestation de vendredi est emblématique de l’étendue des missions des services, de leur complexité et de leur interconnexion. Comme je l’ai dit en commission des affaires étrangères, leur efficacité est intrinsèquement liée à la coopération avec leurs homologues européens.

Mon second point concerne la réforme de 2008, mise en place par le président Sarkozy.

Depuis 1944 et jusqu’en 2013, celle-ci a constitué la seule réforme du renseignement intérieur. Elle a été préservée par l’actuelle majorité. Elle a pris en compte, d’une part, la nature nouvelle du terrorisme, sa radicalité religieuse et sa porosité avec la délinquance et, d’autre part, la situation absurde dans laquelle pouvaient se retrouver nos services. L’objectif était de mettre un terme à une concurrence fonctionnelle et géographique pouvant nuire aux intérêts nationaux.

Alors qu’elle s’occupait de l’antiterrorisme, la Direction de la surveillance du territoire, la DST, souffrait d’un défaut de maillage territorial, et était concurrencée par la Direction centrale des renseignements généraux, la DCRG. Le résultat a été cette cacophonie insupportable.

Le terrorisme moderne ne pouvait plus être traité sous le seul angle du contre-espionnage. Dès lors, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, devenue Direction générale de la sécurité intérieure, ou DGSI, a repris la compétence répressive de la DST et l’implantation territoriale des renseignements généraux.

Plus qu’une simple réorganisation des services, cette réforme participe d’une nouvelle méthodologie, distinguant « renseignement intérieur » et « information générale », comme l’a parfaitement expliqué le préfet Bernard Squarcini lors de son audition par la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

Cette rationalisation, cette adaptation de l’organisation administrative et la recherche d’une meilleure coordination, amorcées en 2008, ont renforcé l’efficacité des services et amélioré la sécurité des Français.

Si de nouvelles réformes peuvent être envisagées, nos services ont cependant besoin de temps pour absorber les réformes structurelles.

Notre collègue Philippe Dominati propose de renforcer le renseignement territorial, qu’il considère comme un « parent pauvre ». Il faut donner à celui-ci une nouvelle dimension, notamment à la lumière des concentrations géographiques au niveau départemental, des connexions entre la petite délinquance, les trafics, le crime organisé et le terrorisme.

En revanche, comme je l’ai déjà dit, le rôle de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP, doit être repensé.

Par ailleurs, il convient de mieux coordonner les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers. TRACFIN ne relève pas du renseignement intérieur, mais son rôle est prépondérant dans la lutte contre le terrorisme et dans la défense des intérêts économiques, dont on parle encore trop peu.

L’organisation du crime mondialisé touche tous les secteurs et repose sur une ingénierie financière pensée par des experts en fonds d’investissement. Aussi, les échanges institutionnels entre Bercy et Beauvau doivent être intensifiés.

Lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire ou lors du vote des crédits des missions « Sécurités » et « Défense », nous avons souhaité augmenter les moyens humains et matériels. Toutefois, cela exige une véritable stratégie en matière de ressources humaines. La complexité des réseaux nécessite des compétences spécifiques et, face à la judiciarisation du métier – la loi relative au renseignement en est la preuve –, il faut se garder d’embaucher des généralistes ignorant les procédures.

Cependant, ces analyses sont vaines si le volet judiciaire reste défaillant et si nous sommes incapables d’instaurer une véritable chaîne pénale.

Avant de conclure, je veux aborder la coordination entre la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et la DGSI. Cette coordination existe et elle est fructueuse. Nous l’avons entendu lors de l’audition conjointe de leurs deux directeurs généraux – je souligne le caractère inédit de cette audition –, sur l’initiative de M. Jean-Pierre Raffarin, qui préside notre commission.

Enfin, la priorité reste l’harmonisation au niveau européen : l’action de nos services doit inspirer l’ensemble de nos voisins, la coordination doit être démultipliée, les moyens augmentés et le PNR, le Passager Name Record, enfin adopté. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

La politique de sécurité européenne n’est pas un concept vain ; elle doit devenir une réalité. Et cela passe aussi par la mise en place d’une politique en faveur du renseignement.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Charon. Il est inacceptable que l’ennemi public européen ait pu nous échapper pendant quatre mois. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom des membres du groupe de l’UDI-UC, je veux dire que nous compatissons à la peine des familles endeuillées par les attentats survenus hier à Bruxelles.

Bien entendu, nous avons également une pensée émue pour les forces de police qui ont été mobilisées à la suite de cet événement et pour toutes celles qui le sont déjà depuis plusieurs mois, en Belgique, mais aussi en France, pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, je sais que cette mobilisation particulière traduit ce qui est devenu aujourd'hui une priorité de l’action publique.

Les différents attentats qui ont frappé la France en janvier et novembre derniers et la Belgique hier montrent bien que nous devons avancer encore plus fortement dans la lutte contre le terrorisme.

À cet égard, le rapport d’information de Philippe Dominati tombe en quelque sorte à point nommé pour nous donner quelques éléments de nature à analyser de la situation, même s’il a été rédigé, je le rappelle, avant la seconde vague d’attentats en France. En tout état de cause, les membres de notre groupe y ont porté beaucoup d’attention. Nous pensons en effet qu’il convient de poursuivre le renforcement des moyens consacrés au renseignement intérieur.

Je veux rappeler que la question du renseignement a été éludée dans notre pays pendant plusieurs décennies, à la suite de la création de la DST en 1944. Il a pratiquement fallu attendre les années 2008 et 2013 pour que deux grands textes réorganisent le renseignement dans notre pays. Pour autant, nous estimons qu’il ne faut pas s’arrêter là : pour récents qu’ils soient, ces deux textes nécessitent encore quelques adaptations. Certaines sont intervenues lorsque nous avons adopté la loi relative au renseignement, qui a notamment permis de bien définir ce qu’était le renseignement aujourd'hui, c'est-à-dire la recherche et l’exploitation des informations relatives aux enjeux stratégiques de notre pays ainsi qu’aux menaces et aux risques pesant sur celui-ci.

La question du terrorisme est au cœur de ces préoccupations, parce que la sécurité de nos concitoyens doit être une priorité de l’action publique.

Comme notre collègue Philippe Dominati l’a évoqué et comme je l’ai moi-même dit tout à l'heure, des renforcements des personnels et des moyens d’action ont permis à nos services d’être efficaces. Ainsi, en termes de moyens déployés pour le renseignement, notre pays se situe à un bon niveau. Nous pouvons nous en satisfaire, mais, comme l’a souligné notre collègue, ce constat doit nous conduire à renforcer les moyens matériels en accompagnement des moyens humains supplémentaires que vous proposez, monsieur le ministre.

À cet égard, notre collègue a évoqué un certain nombre de situations qu’il faut absolument prendre en compte ; je n’y reviens pas.

Le rapport soulève une autre question : celle du recrutement et de la formation.

À l’instar de notre collègue, je suis de ceux qui pensent qu’il doit y avoir de la souplesse en la matière. En effet, nous avons véritablement besoin de pouvoir recruter des talents, tant la diversité des moyens à mettre en œuvre est importante. Il ne s’agit pas simplement d’emplois classiques de policiers, de gendarmes ou de chercheurs ; il faut aussi des personnels capables de lutter, par exemple, contre la cybercriminalité. On sait que cela ne sera possible que si l’on sort du cadre contraignant et extrêmement rigide de la fonction publique, qui ne nous permet pas de nous doter des moyens qui doivent être mis en œuvre rapidement. Il est donc important que l’on puisse s’affranchir d’un certain nombre de contraintes sur ce plan. Il est également bien évident que les formations doivent pouvoir évoluer.

Comme cela a été dit, la question de la coordination est absolument essentielle dans l’efficience de nos services de renseignement.

Le constat est clair : il y a aujourd'hui encore un grand nombre de services qui travaillent au renseignement intérieur dans notre pays : la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste et le Service central du renseignement territorial. Il importe aux membres de notre groupe que la coordination entre ces différents services soit encore plus opérationnelle. À cet égard, nous pensons que la réduction de leur nombre – de quatre à deux – proposée dans le rapport d’information serait sans doute une très bonne chose.

J’y insiste, nous sommes absolument persuadés que la coordination entre les services concernés, que ceux-ci s’occupent des questions financières ou douanières ou qu’il s’agisse des services de renseignement de la défense, doit impérativement être encore renforcée, tant ceux-ci sont nombreux. Je sais qu’un coordinateur national a été nommé, mais une action encore plus soutenue en la matière serait absolument essentielle.

Je veux également évoquer la dimension européenne du sujet.

Analysant ce qui s’est passé hier à Bruxelles, un certain nombre de spécialistes ont bien montré que les services de renseignement belges étaient quelque peu dépassés par la situation. Bien évidemment, ce n’est pas leur compétence qui est en cause ; je ne doute pas que celle-ci soit réelle. Mais les difficultés qu’ils rencontrent tiennent au nombre d’individus devant faire l’objet d’un suivi.

En effet, le nombre de personnes rentrées en Belgique après avoir combattu en Syrie se situerait, selon les sources, entre 460 et 560 – en France, leur nombre serait d’environ 600. Quoi qu’il en soit, cela montre bien que la coopération entre les différents pays est absolument nécessaire.

Fidèles aux convictions qui les animent, les membres de notre groupe souhaitent plus d’intégrations européennes, y compris sur ces questions de souveraineté, parce que le terrorisme, on le voit bien, ne connaît pas de frontières.

Parmi les coopérations à développer figure le registre de données des dossiers passagers, le PNR, qui a été évoqué tout à l'heure. Tout en saluant votre détermination à faire aboutir ce projet, monsieur le ministre, il n’en reste pas moins vrai que la version retenue n’est pas satisfaisante, dans la mesure où les vingt-huit fichiers existant dans chacun des pays européens sont additionnés, sans certitude de coordination à l’échelle européenne.

Or cette coordination à l’échelle européenne ne doit pas simplement être facultative, c'est-à-dire dépendre de la volonté de chacun des gouvernements. Elle doit être effective. Cela plaide très clairement pour une plus grande intégration européenne sur les questions de défense et de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. François Fortassin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation, samedi dernier, à Bruxelles, de l’un des organisateurs des attentats terroristes du mois de novembre 2015, comme les attentats suicides intervenus hier à l’aéroport et dans le métro de cette même ville, éclairent d’un jour nouveau le présent débat sur les moyens consacrés au renseignement intérieur, organisé à la demande de nos collègues du groupe Les Républicains. Bien évidemment, nous avons, nous aussi, une pensée pour les victimes de ces attentats et leur famille.

Ainsi, nous sommes pleinement dans l’actualité, et cette coïncidence avec ces événements cruciaux dans la lutte antiterroriste va nous permettre de débattre concrètement de questions qui sont, par définition, opaques et complexes.

L’arrestation du criminel Salah Abdeslam marquera sans doute un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

On peut tout d’abord espérer, si l’enquête policière et le processus judiciaire suivent normalement leur cours – ce que l’on peut supposer –, que ce criminel se révélera, dans les semaines à venir, une précieuse source d’information.

Nos services de renseignement pourraient ainsi en apprendre davantage sur la chaîne de commandement des attentats de Paris et comprendre le mode de fonctionnement des groupes clandestins se réclamant du soi-disant « État islamique » sur le continent européen. Cela leur permettra sans doute d’adapter leurs pratiques pour les rendre plus efficaces.

Cette arrestation permettra peut-être également de comprendre les mécanismes dits de « radicalisation » à l’œuvre auprès de certains jeunes et de mettre en place une véritable politique de prévention du terrorisme qui aille au-delà du discours du 13 novembre. La réflexion sur la prévention n’a que trop souffert des discussions politiciennes sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité.

Cette arrestation rend surtout souhaitable le retour à une pleine application de l’État de droit. Je veux dire par là que la perspective de pouvoir juger, dans quelque temps, l’un des membres du commando terroriste qui ensanglanta Paris doit rendre au pouvoir judiciaire la place centrale que les différentes lois antiterroristes lui ont confisquée : le cours normal de la justice permettra assurément de comprendre comment ont fonctionné ces derniers mois les services de renseignement, mais aussi d’éclaircir de nombreux points pour les familles des victimes.

Monsieur le ministre, l’intérêt du débat de cet après-midi est donc de vous entendre sur des faits précis et sur les mesures immédiates prises ces jours-ci en Conseil de défense.

Mais l’intérêt est également d’exercer notre fonction de contrôle de l’action gouvernementale : il est donc légitime que puisse s’exercer, à travers le Parlement, ce contrôle démocratique de la politique publique du renseignement et de sa mise en œuvre par les services.

Je voudrais d’emblée rappeler qu’en matière de lutte antiterroriste notre groupe est animé par la seule volonté de trouver les moyens d’assurer le plus efficacement possible la protection de nos concitoyens contre les actes terroristes et de renforcer nos capacités de lutte contre ces menaces d’un type particulier.

Toutefois, dans le même temps, nous sommes très soucieux, comme d’autres, que la politique menée dans ce domaine permette d’atteindre un juste équilibre entre les exigences de la sécurité et le respect d’un certain nombre de libertés fondamentales, caractéristiques de nos valeurs républicaines.

Pour réfléchir à ces questions, nous disposons de deux rapports : d’une part, celui de notre collègue Philippe Dominati, plus précisément axé sur les moyens du renseignement intérieur et, d’autre part, le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement, présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin.

Tous deux font au Gouvernement des recommandations souvent pertinentes, auxquelles ce dernier devrait prêter une oreille attentive. Je ne me prononcerai pas sur le détail des nombreuses propositions de réorganisation administrative exposées dans le rapport très fouillé de M. Dominati, qui concernent plus précisément les services de renseignement intérieur.

Le rapport de la délégation parlementaire, quant à lui, a un champ plus vaste : il dresse un constat sur le fonctionnement des services en général et en souligne quelques carences, auxquelles la délégation propose de remédier. Surtout, il pointe une sérieuse insuffisance en matière d’évaluation du renseignement.

C’est la raison pour laquelle je partage pleinement l’exigence formulée de mettre en place un solide appareil d’évaluation de la politique publique du renseignement, sans lequel le débat sur l’efficacité de nos services aura toujours un caractère polémique.

La création d’un corps d’inspection, qui permettrait non seulement un contrôle effectif des moyens « intrusifs » dont disposent les services, mais aussi l’utilisation des fonds spéciaux, me semble nécessaire. Il s’agirait d’un utile garde-fou contre l’utilisation très large des techniques de collecte du renseignement accordée aux services dits du « deuxième cercle ».

Je souscris également à la recommandation de bon sens d’une mutualisation accrue des moyens entre les services, ainsi qu’à la nécessité de nouer des partenariats avec les services étrangers, notamment au sein de l’Union européenne, pour être plus efficace contre cette menace terroriste qui se joue des frontières.

Enfin, je note avec satisfaction la mise en garde – à juste titre – du rapport contre une tendance à la sous-estimation du renseignement humain par rapport à l’expertise technologique. Nous avions déjà souligné ce danger lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, en précisant, par exemple, que l’efficacité de la collecte massive de données personnelles était tout à fait aléatoire, alors que la performance et l’efficacité tiennent plus aux capacités d’analyse et à une bonne articulation entre le renseignement humain et le renseignement technique.

Dans cette utile réflexion sur l’activité de nos services, notre préoccupation principale et notre désaccord avec la politique suivie par le Gouvernement en la matière portent sur le cadre légal fixé à leur intervention.

Les lois sur le renseignement déjà adoptées, ainsi que le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, en cours de discussion au Parlement, sont en effet critiquables sur de nombreux points touchant aux libertés individuelles.

La semaine prochaine, lors de la discussion de ce dernier projet de loi, nous veillerons à mettre en place un meilleur équilibre entre les exigences de sécurité et le respect des libertés individuelles fondamentales.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques-unes des réflexions dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)