M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 33 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 155 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 33.

Mme Cécile Cukierman. Dans la continuité de nos propositions précédentes, et sans surprise, nous demandons la suppression de l’article 18, qui prévoit de créer une nouvelle procédure de retenue permettant, à la suite d’un contrôle d’identité, de retenir une personne, et cela même si celle-ci a justifié son identité et si le contrôle ne fait pas apparaître, incidemment, une quelconque infraction.

Il s’agit d’une « garde à vue administrative », dont sont exclus l’avocat et le médecin. L’idée serait, selon les défenseurs de ce dispositif, de laisser aux services de renseignement la possibilité et le temps de mener un interrogatoire.

Cette disposition constitue la transposition d’une mesure figurant dans la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi relative à l’état d’urgence. Le paragraphe IV proposé pour le nouvel article 78-3-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi que la personne faisant l’objet d’une vérification de situation peut être retenue quatre heures – cette durée est de deux heures pour un mineur – lorsqu’il existe, aux termes du paragraphe I du même article, « des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste ».

Le texte de l’article 18 est donc une parfaite illustration de l’inquiétante introduction de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, du durcissement de notre arsenal juridique et du déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire, au mépris des exigences constitutionnelles et conventionnelles, comme du juste équilibre qui doit être préservé entre protection des droits et impératifs de sécurité publique.

La notion de « comportement » a démontré, dans le cadre de l’état d’urgence, les risques qu’elle pouvait créer en matière de discrimination, puisque le seul fait religieux a pu constituer un « comportement » dans certains dossiers.

Bien évidemment, cette remarque fait écho à nos amendements précédents, et nous avons le sentiment que les contrôles discriminatoires au faciès vont très certainement s’aggraver avec cette mesure.

À nos yeux, et comme l’a rappelé le Syndicat des avocats de France, « soit la personne est un suspect, et dès lors être placée en garde à vue, soit elle ne l’est pas, et il ne saurait être question de porter atteinte à sa liberté d’aller et venir ».

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 155.

Mme Esther Benbassa. L’article 18 permet aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle d’identité, de retenir une personne jusqu’à quatre heures lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste.

Comme le note le Défenseur des droits, cet article « présente une étrange parenté avec les dispositions de l’article 4 de l’avant-projet de loi portant modification de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, lesquelles autorisent, lors d’une perquisition, une retenue de quatre heures d’une personne, y compris d’un mineur, lorsqu’il existe “des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics”. L’article 18 illustre ici ce glissement inquiétant vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire, au mépris des exigences constitutionnelles et conventionnelles, ainsi que du “juste équilibre” qui doit être préservé entre protection des droits et impératifs de sécurité publique. »

En conséquence, nous proposons de supprimer cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. L’article 18 est l’un des points forts du texte qui nous est soumis. Il contient une mesure qui apparaît presque de nature mixte, mi-administrative, mi-judiciaire.

M. le ministre de l’intérieur s’inscrira évidemment en faux, mais je maintiens cette affirmation. L’opération se déroule en effet sous le contrôle du procureur de la République, ce qui marque bien le caractère judiciaire de l’opération. Ce dernier est informé de cette retenue et peut y mettre fin s’il le juge nécessaire, ce qui constitue une garantie importante accordée aux personnes qui font l’objet d’une telle retenue.

Cette mesure vise des personnes soupçonnées d’avoir des activités en lien avec des entreprises terroristes. Il faut laisser le temps aux services de police d’organiser cette retenue de quatre heures, pendant laquelle on pourra naturellement vérifier les fichiers, ainsi que d’autres éléments. Je rappelle en outre que seul un officier de police judiciaire peut décider de mettre en œuvre cette procédure, avec l’obligation d’en informer immédiatement le procureur de la République.

Il ne s’agit pas d’une garde à vue, ce n’est pas une mesure privative de liberté et il ne peut y avoir d’audition dans ce cadre. La personne peut simplement être retenue pendant le temps des vérifications. Nous verrons, à l’occasion de l’examen des amendements qui suivent, quel est plus précisément le régime juridique de cette mesure, comment la personne qui fait l’objet de la retenue peut avertir un proche ou son employeur et quel peut être le rôle du procureur de la République.

Il est vrai toutefois que la retenue de quatre heures peut poser un certain nombre de problèmes, sur lesquels nous reviendrons en cours de discussion. C’est le cas notamment s’agissant des mineurs, pour lesquels nous pensons qu’un régime particulier doit être mis en place.

Nous jugeons néanmoins cette retenue pertinente pour permettre aux services d’être efficaces. Sans entrer dans les détails de la mesure pour l’instant, je pense donc qu’il faut la conserver tout en l’encadrant et en l’améliorant.

C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur les deux amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cette mesure législative que nous proposons n’est pas le résultat d’un caprice, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la conséquence d’une réalité.

Replaçons-nous dans des circonstances que nous avons déjà connues.

Sur un axe routier, les forces de sécurité procèdent au contrôle d’un individu muni d’un passeport belge. Elles suspectent ce passeport d’être un faux et le nom sous lequel l’individu se présente de n’être certainement pas le sien.

Prenons-nous le temps de procéder aux vérifications pertinentes, en sollicitant les services concernés, notamment les services étrangers, pour savoir s’ils disposent d’informations sur le nom de l’individu et son éventuelle implication dans des activités à caractère terroriste, ou laissons-nous cette personne repartir ? Voilà le problème concret !

Mme Cécile Cukierman. Vous disposez de la garde à vue pour cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous devons être précis sur ces sujets. Aujourd’hui, en l’état actuel du droit, aucune disposition ne permet de procéder à une retenue pour vérifications. Nous instaurons donc un dispositif qui permette de se conformer au droit lorsque l’on effectue une retenue le temps d’effectuer des vérifications.

Faut-il, oui ou non, procéder à ce genre de vérifications ? Telle est la question de fond, à laquelle nous pensons qu’il faut répondre positivement.

Il nous semble impossible de retenir des personnes pour ce motif sans contrevenir complètement au droit actuel. C’est pourquoi il faut, selon nous, adapter le droit pour permettre cette retenue.

La garde à vue ne se justifie pas dans ce cas, car la personne fait simplement l’objet d’une vérification, et en aucun cas d’interrogations de la part d’un officier de police judiciaire ou d’un magistrat. Si, après vérification, les services nous indiquent qu’il y a un problème majeur, alors la garde à vue est possible.

Si nous n’adoptons pas cette mesure, nous laissons partir la personne. Et si celle-ci frappe peu de temps après, vous m’expliquerez, madame la sénatrice Cukierman, qu’il existe une faille dans l’efficacité de mes services !

Mme Cécile Cukierman. Je n’ai jamais parlé de faille des services !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous assure que, dans les heures qui suivront, se développera une grande théorie sur les failles des services, leur incapacité à prévenir le risque terroriste, et nous aurons considérablement affaibli la capacité de résistance et de résilience de notre pays qui repose sur la confiance qu’ont les citoyens dans la capacité de l’État à prévenir le risque terroriste.

Je prends cet exemple concret, car je voudrais essayer de sortir de l’esprit d’un certain nombre de parlementaires l’idée, que je peux par ailleurs respecter et comprendre, selon laquelle il y aurait une espèce de perversité consubstantielle à l’État, surtout lorsqu’il est chargé des services de sécurité et de renseignement, qui le conduirait systématiquement à prévoir des dispositions sournoises pour procéder à des contrôles policiers dérogatoires au droit commun, afin de discriminer telle ou telle catégorie de la population. Tel n’est absolument pas l’objectif de cette mesure, dont l’unique finalité est, dans la situation précise que je viens d’évoquer, de disposer des instruments juridiques nous permettant de faire face à la situation. C’est de cela qu’il s’agit, et de rien d’autre.

Par conséquent, je demande au Parlement, sur cet article, de raisonner à partir de cette réalité à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés dans la lutte antiterroriste. C’est parce que nous avons besoin de cet outil que je suis défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je reste très perturbé par cet article, qui constitue malgré tout une privation de liberté pendant quatre heures à la suite d’un contrôle.

On pourrait à la rigueur comprendre cette mesure dans le cadre de l’état d’urgence, mais elle devient plus problématique dès lors qu’on veut pouvoir la mettre en œuvre en toutes circonstances.

On nous indique que des vérifications sont parfois indispensables, dans un but de prévention ; l’important me semble alors l’encadrement de cette mesure.

Je constate que celle-ci sera mise en œuvre sous le contrôle du procureur de la République, ce qui constitue une garantie, mais alors la réforme constitutionnelle visant à renforcer l’indépendance de la justice en réformant le Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, est d’autant plus essentielle. En l’occurrence, assurer l’indépendance du parquet s’avère indispensable.

Par ailleurs, selon moi, une autre urgence serait la nécessité de renforcer les interconnexions de fichiers et la capacité de nos forces de police à vérifier l’ensemble des passeports de l’Union européenne, de manière que la plupart des vérifications ne durent pas quatre heures. Si les moyens étaient ainsi améliorés, nous pourrions plus facilement éviter ces privations de liberté.

Au final, je ne voterai pas ces amendements de suppression, car l’essentiel me semble aujourd’hui de protéger nos concitoyens.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Non seulement je ne voterai pas ces amendements de suppression, mais je soutiens totalement l’article 18, qui encadre une séquence de procédure nouvelle permettant à nos services d’avoir davantage de latitude pour procéder à des vérifications.

Nous avons vu, ces derniers temps, combien il était important de pouvoir vérifier certaines données, notamment les identités, voire la nationalité d’un certain nombre de personnes.

Cet article me semble donc indispensable. Nous pouvons l’approuver ou non, mais, dans le contexte actuel, nous devons absolument donner à nos services les moyens de pouvoir effectuer ces vérifications.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, il nous reste un peu plus de 45 amendements à étudier en votre présence, et nous ne pouvons pas nous éterniser sur chacun d’entre eux. Je voudrais toutefois apporter deux précisions.

Tout d’abord, il ne me semble pas que, dans nos rangs, nous ayons relevé des failles ou des incompétences de vos services. Certains nous reprochent dans cet hémicycle de faire preuve d’angélisme, mais, je le répète, vivre, c’est aussi accepter que le risque zéro n’existe pas.

Jamais, à ma connaissance, nous ne vous avons attaqué sur de prétendues failles de vos services après les terribles drames et attentats qui ont eu lieu.

On peut toujours ajouter des dispositions, mais le principe de l’acte de terrorisme est aussi de s’adapter à la situation. Malheureusement, quand le pire est voulu, il pourra toujours survenir, quelles que soient les mesures que l’on prendra, y compris celles que propose aujourd’hui la majorité sénatoriale sur le durcissement des peines.

Nous n’accusons pas non plus le Gouvernement de faire preuve de perversité dans les mesures qu’il propose. Malheureusement, vous ne serez pas toujours ministre de l’intérieur, monsieur Cazeneuve – indépendamment des échéances à venir, je vous souhaite aussi de pouvoir accéder à d’autres fonctions ! (Sourires.) Nous ne savons pas qui, demain, sera à la tête de votre ministère.

En outre, eu égard à l’exemple très précis que vous nous avez présenté, le délai de quatre heures me semble soit trop court, soit trop long.

J’entends les arguments sur les garanties liées au contrôle exercé par le parquet. Toutefois, outre que le rôle et les conditions de nomination des magistrats du parquet ont été rappelés, ces derniers ne peuvent pas être les baudets de la justice. Leur charge de travail s’accroît texte de loi après texte de loi, et je doute de leur capacité à tout contrôler.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous avez eu raison de rappeler que nous avons encore 45 amendements à examiner ensemble, madame Cukierman. Nous ne pouvons pas passer deux heures sur chacun, sauf à ce que vous soyez lassés de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs.

Quoi qu’il en soit, vous avez également raison, le risque zéro n’existe pas. Je dis souvent que 100 % de précautions ne suffisent pas à garantir le risque zéro. Mais zéro précaution, c’est 100 % de risques ! Donc, sous prétexte que le risque zéro n’existe pas, nous ne pouvons pas nous permettre de ne prendre aucune précaution !

Mme Cécile Cukierman. Je n’ai pas dit cela non plus !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je préconise quand même que l’on prenne un minimum de précautions, et nous essayons de prendre celles qui, à l’aune de l’expérience, nous paraissent nécessaires.

Ensuite, le procureur de la République intervient à tout moment dans cette procédure. Je le dis aussi à Mme Benbassa, qui considère que trop de pouvoirs sont donnés à la police et trop peu aux magistrats. En l’occurrence, le procureur de la République peut à tout moment faire cesser cette retenue s’il estime qu’elle n’est pas souhaitable ou pas conforme.

Enfin, les arrestations de Reda Kriket la semaine dernière, puis d’Abderahmane Ameuroud en Belgique et d’Anis B., hier, aux Pays-Bas, des individus que nous pistons depuis des semaines et dont nous connaissons la dangerosité, montrent les ramifications européennes de ces groupes terroristes, la nécessité d’une vigilance absolue et l’importance de pouvoir se doter de dispositifs de vérification lorsque des personnes sont contrôlées, afin que nous puissions nous assurer que nul individu pouvant représenter un risque majeur pour la sécurité des Français ne passe à travers les mailles du filet.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Il n’est pas inopportun de passer un petit peu de temps sur l’article 18, la mesure qu’il prévoit étant dans les tuyaux depuis fort longtemps, bien avant les attentats du 13 novembre. Nous savons tous qu’il s’agit d’une demande récurrente d’un certain nombre de services et d’administrations.

Cet article pose toutefois plusieurs difficultés, à commencer par sa rédaction. La notion de « raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste » est pour le moins floue sur le plan juridique. Et je ne fais là que reprendre les conclusions auxquelles sont parvenues différentes personnes qui se sont exprimées sur ce sujet.

Le texte qui nous est soumis dispose ensuite : « La retenue ne peut donner lieu à audition. » Il faudrait alors préciser que l’enquêteur ne peut pas poser de questions, car nous risquons sinon d’être confrontés à de réelles difficultés.

Si la personne retenue s’exprime, que faisons-nous de son expression, monsieur le ministre, notamment si elle peut être utile pour une enquête ? Faut-il consigner quelque part ces déclarations, appeler le procureur de la République pour qu’il ouvre une procédure ?

S’agit-il ensuite d’une mesure administrative ou judiciaire ? C’est une mesure de police administrative, mais elle est placée sous le contrôle du procureur de la République. Je peux comprendre que l’on parle à son propos de mesure privative de liberté – appelons un chat un chat –, mais nous sommes alors confrontés à une difficulté de plus en plus récurrente.

Je le disais tout à l’heure, les nouveaux pouvoirs confiés, dans ce texte, au procureur de la République sont incompatibles avec son actuel statut. Là aussi, monsieur le ministre, nous souhaitons avoir une réponse. Peut-être relève-t-elle d’ailleurs de la responsabilité du Parlement ?

Enfin, je rejoins les observations faites par Cécile Cukierman sur le fait que personne, dans cette assemblée, n’a remis en cause, à un moment ou à un autre, la qualité du travail des services de renseignement et de sécurité. Je pense que c’est une bonne chose.

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.

M. Philippe Adnot. Je suis très réservé sur l’article 18 que nous sommes en train d’examiner. Je vais pourtant le voter. Deux raisons expliquent ce choix : d’abord, les circonstances ; ensuite, l’excellent travail réalisé par la commission des lois.

Pour autant, j’aurais aimé que cette mesure soit limitée dans le temps et que son renouvellement soit décidé par le Parlement – peut-être n’est-ce pas possible ? Certes, les circonstances la justifient, mais franchement, qu’elle soit permanente change la nature des choses et me gêne.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 33 et 155.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 156, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Après le mot :

personne

insérer le mot :

majeure

II. – Alinéa 13

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Il s’agit d’un amendement de repli visant à exclure les mineurs de la retenue de quatre heures prévue à l’article 18.

M. le président. L'amendement n° 124, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 13, première phrase

Après les mots :

d’un mineur de

insérer les mots :

seize à

II. – Après l’alinéa 13

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les mineurs de seize ans ne peuvent faire l’objet de la présente retenue.

La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Le groupe socialiste et républicain est favorable à l’article 18 et rejoint l’argumentation du ministre, tout simplement fondée sur le principe de prévention. Si l’on veut attendre d’avoir des preuves judiciaires de l’appartenance de quelqu’un à un réseau terroriste, il n’y a rien à faire ! On ne peut en effet qu’attendre que des actes délictueux soient commis… Et ils peuvent être meurtriers !

L’article 18 fait partie des dispositifs qui permettent de tenter de prévenir. Nous savons qu’il ne fournit pas une absolue certitude de détection, mais la mesure proposée est un outil de recherche des individus présentant le risque maximum.

Nous pensons – et c’est une différence d’appréciation avec M. Mézard – qu’il s’agit d’une mesure restrictive, et non privative, de liberté. Il nous semble d’ailleurs que cette distinction a été clarifiée, de façon pérenne, par une décision récente du Conseil constitutionnel qui fixe le critère d’une mesure privative de liberté.

En revanche, nous avons une hésitation, partagée par de nombreux membres de la commission des lois, sur la soumission des mineurs à cette mesure.

La commission a proposé un aménagement, que nous avons du mal à trouver convaincant. Elle a prévu que, dans le cas où un mineur fait l’objet de vérifications, la durée de la retenue ne peut excéder deux heures.

À cet instant de nos débats, je souhaite souligner qu’il ne s’agira pas de vérifications faites de manière aléatoire ; elles seront réalisées dans des situations de menace, sur des personnes dont on peut présumer qu’elles présentent des risques.

Or dans le cas où les agents de police font face à quelqu’un qui, certes, n’est pas majeur, mais qui est potentiellement dangereux, a été identifié ou fait l’objet d’un fichage, prévoir que les vérifications nécessaires, y compris à l’échelon international, pourront être réalisées en deux heures au lieu de quatre n’est pas très convaincant en pratique. En effet, il s’agira des mêmes vérifications que celles qui seront faites à l’égard des majeurs.

Qui plus est, il est malheureusement plausible que des mineurs fassent partie des auteurs potentiels de préparatifs criminels.

Nous proposons donc un compromis d’une autre nature. Il consiste à conserver la durée de quatre heures pour réaliser les vérifications nécessaires, mais sans que la mesure puisse s’appliquer à un mineur de moins de seize ans.

En effet, il est vraisemblable qu’un individu âgé de seize ans et demi ou dix-sept ans puisse participer à un réseau de préparation d’actes terroristes ; il faut donc qu’il puisse faire l’objet des vérifications qui sont prévues, y compris internationales. En revanche, s’agissant d’un individu de moins de seize ans, la plausibilité est très faible.

Nous préférons cette formule de protection des mineurs.

M. le président. L’amendement n° 170 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :

Alinéa 13, deuxième phrase

Après le mot :

assisté

insérer les mots :

d'un avocat et

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 125, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 13, deuxième phrase

Après le mot :

légal

supprimer la fin de cette phrase.

La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Cet amendement est également défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. La mesure de retenue prévue à l’article 18 peut-elle être appliquée aux mineurs et, dans l’affirmative, dans quelles conditions ?

L’amendement n° 156, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, vise à exclure les mineurs de la retenue administrative. Malheureusement, on constate régulièrement que des mineurs peuvent commettre des actes terroristes, et l’agression qui a eu lieu à Marseille en est un exemple. Par conséquent, leur exclusion de cette mesure ne me semble pas pertinente. De surcroît, la commission a apporté des garanties substantielles à cette procédure, nous y reviendrons dans quelques instants. Elle est donc défavorable à l’amendement n° 156.

Les amendements n° 124 et 125 du groupe socialiste et républicain portent, quant à eux, sur la façon d’appliquer la retenue administrative aux mineurs.

Pour les auteurs de ces amendements, cette mesure ne pourrait viser que des mineurs âgés de seize à dix-huit ans.

La commission a prévu des garanties pour les mineurs, notamment la désignation d’un administrateur ad hoc et l’information – c’est un pas de plus – du service de l’aide sociale à l’enfance. Les auteurs de l’amendement n° 125, considérant, quant à eux, que la désignation d’un représentant ad hoc, en cas d’impossibilité pour le représentant légal d’assister le mineur, serait trop lourde, demandent que soit supprimée cette mesure. Toutefois, une telle suppression aurait purement et simplement pour effet de rendre impossible le placement d’un mineur en retenue en l’absence de son représentant légal.

Je suis donc défavorable à l’amendement n° 125.

Par le biais de l’amendement n° 124, les membres du groupe socialiste et républicain choisissent une méthode différente de celle qu’a retenue la commission. Celle-ci, pensant que des mineurs, même âgés de moins de seize ans, peuvent commettre des actes terroristes, encadre le dispositif, en limitant la retenue à deux heures, en renforçant le rôle du procureur de la République et en prévoyant la présence soit d’un représentant légal, soit d’un administrateur ad hoc.

Notre proposition nous paraît plus efficace et mieux correspondre, malheureusement, à la réalité du terrorisme. Pour autant, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement, avant de se prononcer sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’exclusion des mineurs de la mesure de retenue, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, des mineurs sont effectivement impliqués dans des activités à caractère terroriste. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous donner des chiffres précis : 400 mineurs ont été signalés pour radicalisation et contact avec des groupes à caractère terroriste et 76 mineurs sont impliqués dans les combats en Irak et en Syrie. Le sujet que nous traitons est non pas futur, mais actuel.

Ensuite, se pose la question de savoir si le mineur impliqué dans des activités terroristes doit être considéré par l’État, la justice ou le ministère de l’intérieur comme un majeur. L’implication d’un mineur dans une activité à caractère terroriste ne fait pas de lui un majeur. Il demeure bien mineur.

Cela étant, la vulnérabilité particulière d’un certain nombre de mineurs à la propagande sectaire de Daech justifie qu’on les mette sous protection le plus vite possible, car cette propagande sectaire peut les conduire aux pires exactions et à l’avenir le plus funeste. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que cette retenue s’applique aux mineurs, mais selon des dispositions différentes de celles qui prévalent pour les majeurs.

Pour les mineurs, l’autorisation du procureur de la République doit être expresse, à la différence du dispositif arrêté pour les majeurs. Pourquoi une telle autorisation ? Tout simplement parce que le mineur qui est entre les mains d’une organisation sectaire, voire de parents qui ont pu le conduire sur le théâtre des opérations, a besoin d’une mise sous protection. Cette retenue est par conséquent nécessaire pour déclencher les mesures de protection du mineur, lorsqu’il est confronté à une telle situation.

Je ne suis donc pas favorable à l’amendement n° 156 de Mme Benbassa, parce que son adoption nous priverait de la possibilité de protéger un mineur rapidement et efficacement, dès lors qu’il s’est trouvé engagé dans des opérations à caractère terroriste, soit parce qu’il a été victime d’un endoctrinement sectaire, soit parce que ses parents l’ont obligé à se rendre sur le théâtre des opérations.

Dans le même temps, je partage tout à fait le sentiment que la mesure qui s’applique aux mineurs ne peut pas être la même que celle qui s’applique aux majeurs. C’est la raison pour laquelle, dans l’esprit que je viens d’indiquer, nous proposons une autorisation expresse du procureur de la République.

Pour toutes ces raisons, qui tiennent à notre volonté de protéger ces mineurs, je ne suis pas favorable à l’amendement tendant à supprimer complètement la retenue pour les mineurs. Il en est de même pour les amendements nos 124 et 125, car, s’ils étaient adoptés, ces mineurs se retrouveraient exposés, sans que l’État puisse les protéger.