Mme Éliane Assassi. Cela ne marche pas ainsi !

Mme Cécile Cukierman. Cela ne se négocie pas !

M. Jean-Pierre Grand. Retenir un quantum de quarante ans permet de respecter les obligations fixées par la Cour européenne des droits de l’homme, qui, je vous le rappelle, monsieur le garde des sceaux, constate ou observe mais ne sanctionne pas. Aujourd’hui, je vous demande, au nom de toutes celles et de tous ceux qui ont été assassinés à travers le monde par les mêmes hommes et la même organisation, d’accepter que l’on étende la période de sûreté de dix ans. Ce sera un message fort ! (MM. Cédric Perrin et Alain Vasselle applaudissent.)

Mme la présidente. Monsieur Jean-Pierre Grand, l'amendement n° 257 rectifié sur l’allongement de la période de sûreté à cinquante ans est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Grand. Oui, je le maintiens, j’attends la réponse de M. le rapporteur ou de M. le président de la commission des lois.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Tout d’abord, il est indiqué dans l’amendement de M. Karoutchi qu’« aucune mesure ne peut être accordée au condamné ».

Or la mesure la plus importante que la justice belge, aujourd’hui, et la justice française, demain, ou plutôt leur administration pénitentiaire, doivent prendre est celle consistant à empêcher le futur condamné Salah Abdeslam de mettre fin à ses jours. Comme tous les terroristes, celui-ci n’attend vraisemblablement qu’une chose : ne pas comparaître devant la cour d’assises et devant les victimes qui en éprouvent pourtant le besoin. C’est d’abord cela qu’il convient de dire.

Ensuite, monsieur le rapporteur, vous avez raison de rappeler que la perpétuité est une réalité. En effet, les cas existent ! On parle notamment de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant Pierre Bodein. Cet homme a défrayé la chronique dans le territoire du Bas-Rhin et, à mon avis, ne sortira jamais de détention, tant le cas est lourd et l’individu dangereux. Pierre Bodein a effectivement bénéficié grâce à la Cour d’une perspective d’élargissement. Tout ce que demande la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 3 de la Convention, c’est seulement qu’il existe une telle perspective.

Dès lors que, au moment de la condamnation, cette perspective existe, même si elle est reportée à trente ans, les dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, que nous avons adoptée au nom de nos valeurs, sont respectées.

Monsieur le rapporteur, notre groupe votera votre amendement.

En commission, j’ai fait deux observations.

Premièrement, je me suis demandé s’il était nécessaire de saisir une commission spéciale composée de très hauts magistrats. Je peux comprendre que vous pensiez que ce soit utile. Ne soyons pas forcément opposés à cette façon d’aborder les choses, mes chers collègues : l’avis rendu par ces très hauts magistrats aidera peut-être les magistrats de première instance qui seront appelés à statuer.

Deuxièmement, je me suis interrogé sur la difficulté que peut représenter la notification aux victimes, plus de trente ans plus tard, de la saisine éventuelle.

Ce qu’il faut savoir et dire à la population, c’est que la possibilité d’un aménagement de la peine au bout de trente ans commence par l’éventualité d’une permission de sortie. C’est cela le début de l’aménagement de la peine pour quelqu’un qui, en principe, n’a pas d’espoir de sortir. C’est aussi l’élargissement qu’exige la Cour européenne des droits de l’homme, au nom de l’article 3 de la Convention européenne.

En tant que Strasbourgeois, je ne peux oublier, quand je suis devant le Conseil de l’Europe, qui est le ferment de la paix qui a été voulue en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,…

M. Roger Karoutchi. Quel rapport ?

M. Jacques Bigot. … que ce que les terroristes veulent attaquer en Europe, ce sont précisément ces valeurs, que nous défendons.

MM. Jean-Pierre Grand et Roger Karoutchi. Nous ne voulons pas la guerre !

M. Jacques Bigot. Monsieur le rapporteur, nous soutiendrons avec conviction votre amendement, parce qu’il va dans le bon sens. Il a pour objet de rassurer et de poser le principe d’une perpétuité réelle et d’un élargissement possible, lequel est loin d’être certain. La situation du terroriste actuellement incarcéré qui a déjà demandé neuf aménagements de peine et n’en a obtenu aucun est là pour le prouver. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. L’organisation de l’échelle des peines doit être appréhendée avec beaucoup de précaution et de réflexion. En tout cas, il faut éviter de la soumettre à l’émotion, à la surenchère et à l’exploitation politique.

Mes chers collègues, vous nous dites que les Français et les Françaises veulent la perpétuité réelle. Permettez-moi de rappeler que c’est peut-être sous le coup de l’émotion qu’une partie de la population – une majorité peut-être – la souhaite.

Devons-nous aller dans ce sens ? Quoi qu’il en soit, je veux rappeler ici qu’il est des Françaises et des Français qui ne souscrivent pas à ce qui est proposé à travers les sous-amendements de M. Grand ou l’amendement n° 18 rectifié, parce qu’ils sont convaincus qu’une condamnation plus dure, plus forte, essentiellement décidée pour des raisons d’affichage, ne servira en rien la société demain.

En quoi une peine permet-elle d’éviter la reproduction des actes incriminés par l’auteur lui-même ou par un autre ? En quoi la prison permet-elle de diminuer la violence dans notre pays ? Là sont les vraies questions.

Toutefois, depuis quelques jours, après l’intervention surprenante, à l’Assemblée nationale, de Mme Kosciusko-Morizet – si soucieuse, à l’accoutumée, de cultiver son image de personne ouverte d’esprit –, l’idée d’une perpétuité réelle incompressible à l’égard des terroristes fait son chemin.

Monsieur le rapporteur, ainsi que M. le garde des sceaux l’a rappelé, aujourd'hui, la prison à vie existe ! La peine de trente ans incompressible est déjà une peine extrêmement lourde, qui, de fait, empêche le détenu de se projeter dans l’avenir et, même, d’espérer sortir un jour de prison, tout en permettant à la société de garder l’espoir dans l’espèce humaine et dans le vivre ensemble. (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.)

Au contraire, la peine ici proposée – une peine de mort qui ne porte pas son nom, il faut, mes chers collègues, avoir le courage de dire les choses telles qu’elles sont – est contraire aux valeurs de notre pays. Nous nous y opposerons.

Pour conclure, je veux rappeler les propos de l’une des signataires de l’amendement n° 18 rectifié : « utiliser contre les terroristes la peine de mort qu’ils pratiquent si volontiers, c’est pour une démocratie faire siennes les valeurs des terroristes. […] Nous ne devons jamais sous-estimer la force du droit ». C’était à l’occasion de l’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution, en février 2007.

Enfin, monsieur le garde des sceaux, le présent débat me semble montrer le danger de ce texte : à relever le seuil des garanties des libertés individuelles, nous permettons que les idées les plus populistes triomphent. On ne fait pas la loi pour répondre à l’émotion du moment ; on la fait pour permettre à la société de mieux vivre demain. Or les sous-amendements et les amendements qui nous sont présentés ne permettent pas de répondre à ce défi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Sincèrement, on croit rêver… À moins que la déconnexion entre les élus et le peuple ne devienne proprement hallucinante.

Monsieur le garde des sceaux, qui ici met en doute le fait que votre gouvernement, en 2015, a pris des mesures ? Pas moi ! Qui ici soutient que le Président de la République, dans ses interventions de janvier et novembre 2015, ne s’est pas montré digne de la République ? Pas moi ! Je n’ai jamais rien dit en ce sens. D'ailleurs, j’ai voté pratiquement toutes les mesures que les différents ministres du Gouvernement, qu’il s’agisse du ministre de la justice, du ministre de l’intérieur ou du ministre de la défense, ont soumises au Sénat.

M. Jean-Louis Carrère. C’est bien !

M. Roger Karoutchi. Ne me faites donc pas de faux procès.

Le problème est extrêmement simple.

J’éprouve un respect profond pour les magistrats, qui, je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, font leur travail et le font bien. Je le reconnais sans états d’âme.

Cependant, je suis favorable à ce que, dans notre système, où la loi s’applique aux magistrats comme aux autres, celle-ci leur permette de condamner tel terroriste à la détention perpétuelle réelle, quand l’acte particulier pour lequel il est jugé présente un caractère d’horreur qui le justifie, et tel autre terroriste à une peine incompressible de trente ou quarante ans de détention, s’ils estiment que l’acte commis par celui-ci ne relève pas du massacre le plus horrible. Puisque vous dites faire confiance aux magistrats, faisons leur confiance jusqu’au bout !

Sans verser dans le populisme – ce n’est tout de même pas un crime de citer l’opinion publique et les citoyens –, je pense aux familles des victimes ou aux personnes qui ont été touchées directement par les attentats. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Je peux aussi vous dire que, lorsque je prends le métro le matin, je suis abordé par des gens qui se disent rassurés de me voir et qui me demandent si cela signifie qu’il n’y a pas de risque d’attentats dans le métro parisien.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai ! Vous fantasmez complètement !

M. Roger Karoutchi. C’est la vérité !

Mme Éliane Assassi. Non ! Je ne peux pas vous laisser dire cela !

Mme la présidente. Laissez conclure l’orateur !

M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, vous devez assurer aux Français que les mesures seront prises, dans le respect des magistrats et de la loi. Sinon, cela voudrait dire que nous sommes dans un autre monde, un monde de Bisounours, dont vous pouvez être certain qu’il n’est pas celui des terroristes ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

M. Jean-Louis Carrère. La compétition est rude au sein du groupe Les Républicains…

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Ce débat n’est pas simple et il est heureux que l’on prenne le temps de s’attarder un peu sur la question.

Je comprends bien les arguments du garde des sceaux. J’ai compris qu’il voulait aller le plus loin possible, mais aussi se prémunir contre une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. Je l’entends.

J’entends aussi ce que dit Roger Karoutchi.

Il me semble que la difficulté, dans cette affaire, c’est que, dans notre raisonnement, nous avons tendance à penser que ce sont des terroristes qui frappent notre pays. Je crains que, pour leur part, ces individus ne se considèrent pas simplement comme des terroristes : ce sont de véritables criminels de guerre.

Mme Éliane Assassi. Non ! Cela voudrait dire qu’ils relèvent des conventions de Genève…

M. Dominique de Legge. D’ailleurs, ils se définissent eux-mêmes comme des soldats en guerre,…

M. Dominique de Legge. … qui commettent des actes de guerre. (Mme Éliane Assassi et M. Pierre-Yves Collombat s’exclament.) À cet égard, quand le Gouvernement déclare que nous sommes dans une situation de guerre, il définit bien l’état d’esprit qui est celui des personnes qui nous attaquent aujourd'hui.

Par conséquent, vouloir traiter les personnes qui perpètrent des actes abominables sur notre territoire comme de simples terroristes est de nature à poser des difficultés. J’y insiste, ceux qui veulent attaquer notre pays sont plus que des terroristes : ce sont des gens qui sont en situation de guerre.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Le débat est important.

M. Charles Revet. Il est grave.

M. Jacques Mézard. Je comprends tous ceux qui se sont exprimés.

Toutefois, je veux dire très clairement qu’il importe de prendre du recul.

M. Jacques Mézard. Des décisions de ce type ne doivent pas être prises sous le coup de l’émotion, même si celle-ci est compréhensible et respectable.

J’entends parler de « perpétuité réelle », comme si la condamnation à perpétuité n’avait aucun sens. Pourtant, cela existe.

Mme Éliane Assassi. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Comme le garde des sceaux l’a rappelé, il y a aujourd'hui en France une personne emprisonnée depuis quarante ans.

Au reste, il ne faut jamais oublier que, dans les prisons, il n'y a pas que les détenus : il y a aussi les gardiens. Or, si les hommes détenus – les femmes concernées sont peu nombreuses – ne peuvent plus nourrir aucun espoir de quoi que ce soit, même si j’entends bien que nous ne voulons pas leur donner d’espoir, c’est la mission et le travail des gardiens de prison qui seront rendus beaucoup plus difficiles.

M. Jacques Mézard. Soyons raisonnables et réalistes. J’ai entendu parler de l’opinion publique ; je la respecte.

M. Roger Karoutchi. Tu parles !

M. Jacques Mézard. J’ai entendu parler de symboles ; j’ai dit ce que je pensais à ce sujet. Néanmoins, nous ne pouvons pas prendre de décisions de cette nature, car nous adresserions alors à nos concitoyens de mauvais messages, que nous regretterions d’une manière ou d’une autre. Soyons fidèles à notre tradition. Or, en réagissant de la sorte aux événements qui nous frappent aujourd'hui, je crains que nous ne donnions en partie raison à ceux qui nous font la guerre.

M. Jacques Mézard. Même si je suis souvent d’accord avec Roger Karoutchi – il le sait –,…

M. Jean-Louis Carrère. C’est dommage !

M. Jacques Mézard. Non, ce n’est pas dommage parce qu’il y a de bonnes idées de tous les côtés !

Même si je suis souvent d’accord avec Roger Karoutchi, disais-je, prendre des décisions de ce type, dans les circonstances actuelles, ce n’est pas délivrer un bon message. Le message à transmettre est que la loi de la République s’applique, et s’applique fermement.

Cinquante ans est une durée qui n’a pas de correspondance avec la réalité dans nos maisons d’arrêt et dans nos maisons centrales. Pourquoi pas quatre-vingt-dix ans, tant que nous y sommes ?

Mes chers collègues, je vous demande d’y réfléchir, car, si la communication est une chose, les décisions prises en sont une autre et il faut vivre ensuite avec ces décisions.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mes chers collègues, moi aussi, je rencontre, chaque jour, beaucoup de Français. Tous, sans exception, demandent que les terroristes soient empêchés de nuire, qu’ils soient condamnés aux peines les plus sévères, voire à la perpétuité, si celle-ci est justifiée, et que, dans cette hypothèse, la condamnation à perpétuité soit effective, sans possibilité de remise de peine.

Bien entendu, quand il s'agit de justice, la volonté populaire doit être prise en compte. Les tribunaux se prononcent au nom du peuple français. Dans le même temps, ce sont des magistrats qui instruisent les dossiers, qui prononcent les peines – avec le jury, s'agissant de cours d’assises –, qui veillent à leur exécution et prononcent toute mesure pouvant être prise au titre de cette exécution.

Il est une réalité qui doit quand même être rappelée : c’est qu’aucun terroriste islamiste condamné à perpétuité n’a jamais été libéré en France. (M. le rapporteur opine.) Nous avons cité tout à l'heure le cas de Georges Ibrahim Abdallah condamné à perpétuité, non pas pour des actes criminels directs, mais pour complicité de terrorisme, à une époque où il n’existait pas de période de sûreté, pas même de dix-huit ou vingt-deux ans – M. le garde des sceaux l’a rappelé tout à l'heure. Pour autant, avec constance, les juges de l’application des peines, saisis neuf fois, ont, neuf fois, refusé sa libération, pour une raison très simple, à savoir que la peine n’était pas purgée.

Cependant, nos magistrats doivent aussi, au nom de la sécurité des Français, prendre en compte la dangerosité des individus, comme la loi le prévoit déjà. Mes chers collègues, croyez-vous vraiment que nos magistrats libéreraient à la légère des individus qu’ils soupçonneraient de poser le moindre danger ? Croyez-vous vraiment qu’ils assumeraient en conscience la part de culpabilité que ferait naître chez eux le sentiment de relâcher des criminels dangereux ?

Pourtant, je fais partie de ceux qui souhaitent que le régime applicable à l’exécution des peines de perpétuité prononcées contre les terroristes soit considérablement durci, de manière que nous puissions être encore plus certains – et nos citoyens, encore plus convaincus – qu’ils ne pourront jamais être libérés.

D’ailleurs, qu’est-ce qui empêcherait un terroriste condamné à l’âge de vingt ans à une peine assortie d’une période de sûreté de quarante ans de commettre un crime à sa sortie de prison, à soixante ans ? La durée de la période de sûreté ne résout pas tous les problèmes. Au reste, cela n’a pas empêché le Sénat de décider de l’allonger pour les criminels terroristes – nous avons d'ailleurs été les premiers à le faire.

Certes, nous ne l’avons pas fait pour les tueurs d’enfants qui ont commis des actes de barbarie, ce qui ne signifie pas que, dans l’indignité des crimes, certains devraient être avantagés par rapport à d’autres.

Mme Isabelle Debré. Absolument !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À la vérité, il nous faut conduire une réflexion profonde sur l’exécution des peines, mais, aujourd'hui, c’est le terrorisme qui nous préoccupe, et, sur ce plan, la volonté est commune : il s’agit de s’assurer, pour l’avenir, par des mesures beaucoup plus restrictives que celles qui existent actuellement, qu’aucun terroriste condamné à perpétuité ne pourra sortir de prison.

La commission est en désaccord avec un certain nombre de nos collègues, notamment les auteurs des sous-amendements qui ont été présentés tout à l'heure. Je l’assume parfaitement, car ce débat est tout à fait légitime. En réalité, ce désaccord porte sur les méthodes qui nous permettront d’atteindre le résultat que nous recherchons ensemble.

Assortir la perpétuité de la période de sûreté la plus longue possible peut être une satisfaction morale et politique. Mais, d’une part, cela ne suffirait pas et, d’autre part, puisque nous avons la certitude, éclairés par les travaux de notre commission, qui a passé beaucoup de temps à examiner le droit, que le Conseil constitutionnel, demain, réduira notre travail à néant, nous n’aurons rien, pour avoir voulu tout.

Quelle crédibilité aurons-nous alors auprès des Français, nous qui nous faisons le relais de la demande, si largement partagée par nos concitoyens, d’une sévérité accrue dans l’exécution des peines de perpétuité pour les terroristes ? Que leur dirons-nous ? Que le Conseil constitutionnel est méchant et que la Cour européenne des droits de l’homme n’a rien compris ? Quand bien même aurait-on raison de le dire, nous n’aurons pas réussi à inscrire dans la loi des dispositions permettant de garantir une perpétuité réelle.

Dans les faits, la perpétuité est déjà effective, le terme de la période de sûreté n’emportant évidemment pas de libération automatique, comme je crois l’avoir démontré sur la base de cas précis. Toutefois, nous voulons faire en sorte que ce point ne soit pas discuté à l’avenir.

Comme l’a proposé M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, nous avons prévu des éléments de procédure aussi rigoureux que l’obligation de consulter les parties civiles et leurs associations, même trente ans après, et l’impossibilité pour le tribunal de l’application des peines d’imposer une décision sans avoir d'abord obtenu l’aval de cinq magistrats de la Cour de cassation – il me semble que ces magistrats d’expérience, qui ne sont pas réputés pour être de grands fantaisistes, ne seront pas portés à faire courir des risques inutiles à la société française. (M. Jacques Mézard opine.)

Nous durcissons donc encore les conditions, mais nous ne pouvons aller au-delà des trente ans, limite infranchissable que nous assigne la Cour européenne des droits de l’homme que certains détestent – je ne conteste pas ici leurs motifs –, mais il n’en reste pas moins qu’elle dit le droit. Je ne peux, sur mon initiative, remettre en cause cet état de fait, et le Parlement français ne peut le faire non plus. Je m’efforce d’aborder cette question avec pragmatisme pour aller, en dépit des obstacles, aussi loin que possible vers la perpétuité réelle.

Ce faisant, j’observe que nous allons beaucoup plus loin que l’Assemblée nationale, et même beaucoup plus loin que ce que nous avions décidé dans notre vote du 2 février dernier, lequel était pourtant un vote de fermeté.

Je crois, mes chers collègues, que nous devons à la fois nous montrer déterminés, volontaires, exigeants, inflexibles et capables de faire franchir à ce dispositif les filtres juridiques qui lui seront opposés. Ne réduisons pas nos efforts à néant en voulant, comme au tennis, frapper un coup trop fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Monsieur le ministre, vous avez parlé d’un symbole, celui du glaive. Or les symboles de la justice, ceux de Thémis, ce sont le glaive et la balance.

Cette dernière figure le débat. Et dans cet hémicycle, nous débattons sans populisme ni angélisme. Nous ne sommes pas au pays des Bisounours, nous ne sommes pas non plus dans l’émotion.

Vous avez cité le cas de ce terroriste dont l’aménagement de peine a été refusé neuf fois par le magistrat chargé de trancher cette question. Or ce magistrat est un homme et, comme tout homme, il est faillible…

Nous devons adresser un signe aux terroristes, leur dire qu’ils ne peuvent entretenir l’espoir de la moindre tolérance de notre part, que leur peine ne sera jamais édulcorée avec le temps.

Sénateurs, députés, nous sommes tous des hommes. C'est la raison pour laquelle, réunis par notre humanité, nous n’avons pas à avoir peur du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. J’ai entendu plusieurs de nos collègues parler de guerre. Or je refuse l’idée selon laquelle nous serions en guerre.

M. Roger Karoutchi. Ce sont les propres mots du Gouvernement !

Mme Éliane Assassi. Certes, monsieur Karoutchi, mais rien ne vous oblige à les faire vôtres !

Accepter ce vocable reviendrait à reconnaître que Daech est un État, doté d’une armée, dont les soldats seraient protégés par la convention de Genève ! C'est la raison pour laquelle je refuse cette idée. Daech n’est pas un État et ses membres combattants ne sont pas des soldats ! Ce n’est qu’une bande de barbares avides de sang ! Il me semble important de le rappeler.

Quant à étendre la période de sûreté à quarante, voire à cinquante ans, autant être honnête : les auteurs de ces sous-amendements espèrent que les terroristes pourront seulement sortir de prison les pieds devant !

Je vous invite à faire preuve de courage. Derrière ces sous-amendements, c’est le retour de la peine de mort dans notre pays qui se dissimule. Il faudrait donc répondre à la demande « des gens » ? Mais de quels gens ? Moi aussi, monsieur Karoutchi, je prends le métro et le RER tous les matins. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Il faut sortir du métro ! Vous êtes autiste !

M. Alain Bertrand. Soyez courtois !

Mme Éliane Assassi. Bien évidemment, j’entends parfois des propos qui ne me plaisent pas. Mais il ne s’agit pas pour autant de « tous » les gens !

Nos concitoyens s’interrogent. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que nous prenions des mesures fortes pour lutter contre les actes de terrorisme sur notre territoire. Les Français veulent être protégés.

Je m’honore de faire partie de celles et de ceux qui ont pris la parole à Versailles pour inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. Je ne souhaiterais pas, à l’aune de ce débat, que l’on cherche à revenir sur cette mesure extraordinaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Comme le rappelait notre ami Georges Labazée, nous étions quelques-uns à être déjà parlementaires en 1981.

J’ai gardé en mémoire les débats sur l’abolition de la peine de mort. Lisez les comptes rendus et vous verrez combien la ressemblance est troublante, frappante. Les mêmes mots, les mêmes arguments étaient employés : « l’opinion ne comprendrait pas », « les effets seraient désastreux »… Mais rien n’arrête un être humain pris dans une telle folie meurtrière !

M. Cédric Perrin. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Jean-Pierre Sueur. Je garde le souvenir de ces débats. Si chacun d’entre nous est libre de ses propos, il n’est pas très juste de se prévaloir de ce que disent les gens ou de ce que pense l’opinion. Nous sommes tous sur le terrain et nous entretenons tous des contacts avec nos concitoyens…

Il y va de la dignité du Parlement de ne pas être esclave de ce que l’on peut entendre ici ou là, mais de se fonder sur les valeurs de notre droit. La plus grande victoire des terroristes serait de nous faire renoncer à cette dignité.

J’ai rencontré les organisations de surveillants de prison que Jacques Mézard a évoqués. Nous devrions aussi écouter ce qu’ils disent.

Soyons réalistes, la peine de sûreté est une nécessité. Adoptons le dispositif retenu par notre rapporteur afin de rester fidèles à nos valeurs. Ne légiférons pas sous le coup de l’actualité, par nature changeante, mais agissons en conscience.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. J’ai bien entendu l’argumentaire très développé et très long du président de la commission des lois qui confortait l’intervention de M. Mézard.

Toutefois, cosignataire des sous-amendements de M. Grand qui visent à porter à quarante ans la période de sûreté, je veux rappeler – M. Bas l’a d’ailleurs également souligné – que nos concitoyens attendent de nous des mesures de protection pour ne pas être de nouveau confrontés aux actes terroristes qui ont fait tant de victimes.

M. le président de la commission des lois a lui-même rappelé qu’un condamné était en prison depuis quarante ans. Je ne vois donc pas où est la difficulté à porter la période de sûreté de trente à quarante ans et je voterai ces sous-amendements.

Le Conseil constitutionnel risque-t-il de censurer cette disposition au nom d’une réglementation européenne ? C’est bien la seule interrogation.

J’aurais toutefois du mal à comprendre que l’on ne puisse allonger la période de sûreté à quarante ans quand l’un de nos prisonniers est justement incarcéré depuis quarante ans, à moins que nous ne soyons déjà en infraction avec le droit européen.