M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le texte initial du Gouvernement prévoyait que les organismes publics doivent publier en ligne leurs principaux documents administratifs dans un standard « ouvert et aisément réutilisable ». Cette précision est d’apparence technique et peut sembler quelque peu barbare, mais, en réalité, elle est capitale.

Le Gouvernement est tout à fait favorable aux deux amendements identiques nos 93 et 207. En effet, ils tendent à revenir sur une modification de la commission des lois, qui avait assorti cette exigence d’un « si possible ».

Soyons très concrets. Trop souvent aujourd'hui, les documents numériques communiqués par les administrations prennent la forme d’un simple scan, d’un document scanné qui est très difficile à réutiliser pour les entreprises, pour les entreprises innovantes, pour les citoyens et pour les associations qui le demandent.

Parfois, l’administration, qui dispose de données sous la forme d’un tableur, choisit de les fournir dans un format PDF, ce qui est à l’origine de la perte d’un temps extrêmement précieux pour les réutilisateurs.

Dans mon discours dans la discussion générale, j’avais insisté sur la qualité du format de la donnée et non pas uniquement sur son ouverture quantitative. Je citerai l’exemple de la start-up Kel Quartier. Celle-ci collecte des données publiques géographiques, qu’elle croise, qu’elle enrichit et qu’elle fournit ensuite comme un service innovant aux agences immobilières, afin que ces dernières puissent elles-mêmes offrir des services commerciaux plus opérants à leurs clients. Récupérer des documents PDF est à l’origine d’un coût important pour cette start-up, l’une de nos jeunes pousses prometteuses dans ce secteur, dont le développement est freiné, alors même que le marché est considérable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, s’il y avait un risque réel de surcroît de coûts pour les administrations, je vous le dirais. Or tel n’est pas le cas. La publication dans un standard ouvert n’entraînera pas des coûts significatifs pour les organismes publics, car cela ne s’applique qu’à des documents déjà disponibles sous forme numérique.

Le plus souvent, il s’agira simplement de fournir le document dans le format détenu par l’administration ou de le convertir en un format open office. Si c’est un document Word, l’opération est vraiment minime. En revanche, les gains seront considérables pour les réutilisateurs, c'est-à-dire pour nos entreprises, les associations, les citoyens et pour les parlementaires eux-mêmes.

Je demande donc, au nom du Gouvernement, le retrait de l’amendement n° 439 au profit des amendements identiques nos 93 et 207, que je vous incite très fortement à adopter.

M. le président. Monsieur Bosino, l'amendement n° 439 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Bosino. Avant de le retirer, j’aimerais que Mme la secrétaire d'État m’explique les raisons de son opposition. En effet, en dehors de la mention selon laquelle les données mises en ligne sont régulièrement mises à jour, nous suivons la même démarche que les auteurs des amendements identiques nos 93 et 207.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Nous sommes dans le contexte de l’ouverture des données publiques, de leur publication à des fins de communication, de rediffusion et de réutilisation. Créer une obligation de mise à jour des données publiées ajoute, en réalité, tout un nouveau volet au socle que nous sommes en train de construire. Pour le coup, cela ferait sans doute peser une charge supplémentaire sur les administrations concernées.

M. Jean-Pierre Bosino. Je retire mon amendement, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 439 est retiré.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 93 et 207.

Mme Catherine Morin-Desailly. L’ouverture et la circulation des données est l’une des avancées majeures de ce texte, pour nous permettre de nous engager dans une société de progrès.

Je n’entrerai pas dans les détails techniques, mais il me semble que la loi doit répondre par « oui » ou par « non », au lieu d’un « peut-être » quelque peu arbitraire. Il est gênant de laisser à la libre appréciation des services concernés la mise à disposition de telle ou telle donnée.

En outre, comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, les administrations pourraient tout à coup être submergées par des travaux supplémentaires et coûteux. Mme la secrétaire d’État a répondu de manière assez claire à cette réelle préoccupation que nous avons exprimée tout à l’heure lors de la présentation d’un autre amendement en faveur des collectivités territoriales.

En conséquence, nous soutiendrons ces deux amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 93 et 207.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 208, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Après les mots :

informations en ligne,

supprimer la fin de cet alinéa.

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. L’esprit du chapitre Ier du titre Ier du projet de loi est d’opérer une révolution dans la communication des documents administratifs, en passant d’un « droit de demander » en faveur de chaque usager à une « obligation de publication » des administrations concernées, en vue de renforcer l’accès de tous à ces documents.

Or le présent amendement vise à supprimer l’apport de la commission des lois qui laisse à l’administration la faculté de s’opposer à une publication si les documents demandés n’ont pas fait l’objet d’un nombre significatif de demandes. Si l’on peut admettre que l’administration s’oppose à une publication dont l’intérêt n’est pas complètement démontré en raison du faible nombre des demandeurs, cette faculté ne pourrait toutefois pas être laissée à la seule appréciation de celle-ci, a fortiori en raison de la notion trop imprécise introduite par la commission des lois.

En effet, qu’est-ce qu’un nombre significatif de personnes ? Peut-être faudrait-il retenir un critère plus objectif en harmonisant les procédures d’instruction et en assurant une plus grande transparence dans le traitement des demandes. Cela se révélerait beaucoup plus efficace.

C’est pourquoi, après les mots « informations en ligne », nous proposons la suppression de la fin de cet alinéa 6.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer deux apports de la commission.

Le premier offre une clarification, afin de lever toute ambiguïté en la matière : seule la demande portant sur un document communicable à toute personne, et non au seul intéressé, peut faire l’objet d’une communication via publication.

Le second tend à offrir à l’administration la faculté de refuser la publication d’un document si l’intérêt de celle-ci n’est pas avéré.

J’accepte volontiers la critique sur la rédaction que j’ai proposée, à savoir qu’« un nombre significatif » de personnes paraît trop imprécis. Je suis donc ouvert à toute rédaction alternative, à condition, toutefois, que cette faculté de refus ne soit pas supprimée purement et simplement. Dans la mesure où, en l’état, cet amendement vise à supprimer la fin de cet alinéa, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Sous couvert de clarification, je crains que la modification apportée par la commission des lois du Sénat n’emporte une complexification du régime, avec la multiplication des exceptions et des dérogations. J’y vois même une véritable mécompréhension du potentiel que peut constituer l’ouverture des données publiques pour les entreprises innovantes de ce pays et la transparence démocratique de l’action publique.

Il s’agit, en l’occurrence, de passer d’un droit d’accès à des documents, qui est un droit individuel en faveur d’une seule personne, à une obligation de publication au profit de tous, c’est-à-dire de l’ensemble de la collectivité citoyenne.

À partir du moment où est introduite une nuance concernant « un nombre significatif » de demandes, la radicalité de la réforme, absolument nécessaire pour garantir son succès, est abandonnée. Cela introduirait une grande insécurité juridique et une forme d’arbitraire pour fixer le nombre significatif de personnes : sur quelles bases l’administration apprécierait-elle ce critère ? Comment juger de l’intérêt d’une publication uniquement à l’aune du nombre de demandeurs ? Autant d’interrogations auxquelles il n’est pas répondu dans ce texte.

C’est pourquoi le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Le texte adopté par la commission comporte l’adjectif « significatif ». À mon sens, il n’est pas acceptable de l’inclure dans la loi. Qu’est-ce qu’un « nombre significatif » de personnes ? Est-ce dix, cent, mille, dix mille ou cent mille ? Personne ne peut le dire. Cela ne signifie rien.

M. Jean-Pierre Bosino. Cela ne veut rien dire du tout !

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, je vous demande de prendre en compte cet argument. Il vaudrait mieux supprimer la fin de cet alinéa, à moins que quelqu’un m’explique le sens de tout cela… Mais dans ce cas, cette personne en conclura inévitablement qu’il faut trouver une autre rédaction !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Sueur, il s’agit simplement, avec le « nombre significatif », d’une faculté offerte à l’administration, qu’elle choisira ou non d’utiliser.

Toute administration a, par nature, un intérêt à publier, à mettre en ligne des documents et à ouvrir ces données. Ne nous méprenons pas sur le sens de l’ouverture des données : il ne faut pas non plus penser que l’administration souhaite systématiquement les cacher ! Presque toutes les interventions des orateurs précédents laissent accroire que l’administration serait par nature rétive et qu’il faudrait la forcer à communiquer. En l’espèce, il s’agit d’éviter les demandes répétitives ou infondées.

C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne comprends toujours pas le sens de l’expression « un nombre significatif » !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. Mea culpa, l’idée du « nombre significatif » se trouvait dans le rapport Hyest-Bouchoux, Bouchoux-Hyest ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Voilà !

Mme Corinne Bouchoux. Depuis lors, nous avons beaucoup dialogué, entre autres avec les associations et les administrations. Et en réalité, à l’heure des réseaux sociaux, parler d’un nombre significatif n’a plus de sens. Prenons l’exemple de deux internautes qui souhaitent obtenir un document : en deux jours, pour peu qu’ils communiquent correctement sur les réseaux sociaux, le nombre de demandes va devenir incalculable.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Non, il faut un nombre « significatif » !

Mme Corinne Bouchoux. Cette idée du nombre, que nous avions imaginée voilà trois ans et expliquée par écrit il y a deux ans, était pertinente. Elle est aujourd’hui totalement obsolète, caduque et, pardonnez-moi, presque ridicule ! L’autocritique est difficile, mais je partage sur ce point l’avis de mes collègues. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

À l’époque, nous voulions éviter les procéduriers, bien connus dans nos collectivités, qui inventent chaque fois des demandes de papiers impossibles à satisfaire. En démocratie, nous ne pouvons pas, à cause de quelques maniaques ou psychopathes, ne pas jouer le jeu de la transparence.

Je demande donc aujourd’hui le contraire de ce que nous avions suggéré dans notre rapport, car cela n’a plus de sens. D’ailleurs, ce n’est pas le nombre qui compte. Si un seul demandeur pose une question pertinente concernant la sécurité, notamment sanitaire, il faudra impérativement lui répondre. Sur ce point, nous devons nous remettre en question. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. François Marc. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. Je partage l’argumentation de Mme Bouchoux et souhaiterais apporter une précision.

Selon M. le rapporteur, les administrations seraient suspectées de ne pas vouloir donner leurs informations. Affirmer cela, c’est faire un procès d’intention aux défenseurs de cet amendement. Avouons néanmoins que l’expression « un nombre significatif de personnes » est plutôt vague.

Si ces termes sont tellement importants qu’ils doivent figurer dans la loi, nous pourrions alors écrire dans un texte ultérieur que, quand un nombre significatif de personnes descend dans la rue, nous devons corriger un certain nombre de textes de loi ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 208.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er ter.

(L'article 1er ter est adopté.)

Article 1er ter
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 2 bis

Article 2

(Non modifié)

Après l’article L. 311-3 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 311-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 311-3-1. – Sous réserve de l’application du 2° de l’article L. 311-5, lorsqu’une décision individuelle est prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande.

« Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 526 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 311-3-1. – Sous réserve de l’application du 2° du L. 311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. L’alinéa 2 de l’article 2 du projet de loi reconnaît à tout administré le droit de demander que lui soient communiquées les règles définissant un traitement algorithmique et ses principales caractéristiques, quand il est concerné par la mise en œuvre d’un tel traitement.

Cet amendement vise à rendre ce droit effectif, en prévoyant que toutes les administrations qui auront recours à de tels traitements algorithmiques pour la prise de décisions individuelles devront le mentionner explicitement lors de la notification de ces décisions aux administrés concernés.

M. le président. L'amendement n° 274 rectifié, présenté par MM. Doligé et Cardoux, Mme Cayeux, MM. Charon et de Legge, Mme Deroche et MM. Gournac, Laménie, Milon et Mouiller, est ainsi libellé :

Alinéa 2

I. – Après le mot :

individuelle

insérer les mots :

au sens d’un acte administratif unilatéral individuel

II. – Remplacer les mots :

l’administration

par les mots :

l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Tous ces amendements ont trait à la communication de la décision individuelle. Celui-ci tend à apporter des précisions sur la notion de décision individuelle et sur celle d’administration.

Je le rappelle, la notion de « décision individuelle » peut être entendue de manière très large, dans la mesure où la notion d’administration, prévue à l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, vise également les entités effectuant des missions de services publics industriels et commerciaux.

Un tel champ d’application outrepasserait l’esprit du projet de loi. Il convient donc, dans un souci de sécurité juridique, de circonscrire le champ d’application de cet article aux « décisions individuelles » qui sont des actes administratifs individuels.

M. le président. L'amendement n° 209, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après les mots :

à l’intéressé

insérer les mots :

de manière claire, transparente et loyale

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous proposons d’ajouter les mots : « de manière claire, transparente et loyale ». En effet, la prise en compte de l’algorithme, lorsqu’il fonde une décision individuelle, entre progressivement, mais sûrement, dans notre droit.

Tel est l’objet de l’article 2 de ce projet de loi, qui précise que la personne faisant l’objet d’une décision prise sur le fondement d’un traitement algorithmique a le droit d’obtenir communication des règles définissant ce traitement, ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre.

La question qui se pose est de savoir sous quelle forme cet algorithme est transmis. Aujourd’hui, ce sont des traitements automatisés qui calculent les impôts et les allocations familiales, ou qui précisent les affectations dans les établissements scolaires. Ce processus se développera à l’avenir, comme cela se produira pour le numérique.

Vous le savez très bien, mes chers collègues, il est tout à fait possible de transmettre les algorithmes dans des formes qui sont pour le citoyen totalement inaccessibles, car elles sont très complexes, extrêmement techniques, illisibles, incompréhensibles.

Il ne nous paraît donc pas superfétatoire de préciser dans la loi que, pour avoir accès aux algorithmes permettant de déterminer toute une série de facteurs entrant dans la vie de chacun d’entre nous, cette transmission doit être réalisée de manière claire, transparente et loyale. Le Conseil constitutionnel attache lui-même une grande importance à l’intelligibilité des lois.

M. le président. L'amendement n° 182, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ces explications complémentaires garantissent un niveau d’information suffisant pour permettre à l’intéressé de connaître et comprendre la logique qui sous-tend le traitement de la décision individuelle.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Les dispositions de mon amendement vont dans le même sens. Mme Blandin, à l’époque où elle présidait la commission de la culture, défendait déjà cette position. En effet, il ne s’agit pas seulement de communiquer à tous des informations et des algorithmes ; encore faut-il pouvoir comprendre sans être informaticien, geek ou de niveau bac+18 le sens du document transmis.

Notre formulation vise à renforcer le droit d’accès aux règles, afin que celles-ci soient intelligibles pour tout un chacun. Comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, nombre de décisions de la vie quotidienne, telles que l’affectation des enfants à l’école ou à l’université, ou le paiement des impôts, obéissent à ces logiques.

Nous devons tous être placés dans une situation d’égalité devant la connaissance de ces données.

Par conséquent, afin de compléter le droit que tient toute personne de l’article 39 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’information, aux fichiers et aux libertés, notre amendement vise simplement à renforcer l’intelligibilité et à rendre compréhensibles ces algorithmes pour toutes les personnes concernées.

Il s’agit d’éviter que les explications ne soient trop complexes et inaccessibles pour les non-initiés. Si tel n’était pas le cas, nous verrions se développer une méfiance accrue chez nos concitoyens, car ils auraient l’impression que nous jouons l’avenir de leurs enfants, des futurs étudiants, à une sorte de loterie.

Conformément aux grands principes proclamés en 1789, chaque citoyen a le droit de connaître ce qui motive la décision de l’administration, qui rend des comptes. Autrement dit, chacun doit pouvoir comprendre la logique de cette décision.

M. le président. L'amendement n° 440, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L’administration informe l’intéressé de l’existence de ce traitement algorithmique dans la décision qui lui est notifiée.

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. La rédaction de l’article 2 nous paraît incomplète. Nous souhaitons donc, au travers de cet amendement, que l’administration informe l’usager de l’existence du traitement algorithmique dans la décision qui lui sera notifiée.

Le droit nouvellement créé, dont nous nous réjouissons, permet à l’administration de communiquer à l’intéressé les règles et caractéristiques ayant servi à la création des algorithmes concernés, s’il en formule la demande. Toutefois, comment l’intéressé peut-il le faire s’il ignore que la décision a été prise par traitement algorithmique ?

Lors des débats à l’Assemblée nationale, madame la secrétaire d’État, vous avez refusé des amendements similaires au titre d’un alourdissement de la charge des administrations. Permettez-moi de retourner le problème : si les usagers formulent une demande de communication des règles de traitement alors que les décisions n’ont pas été prises par des algorithmes, toutes ces sollicitations inutiles ne risquent-elles pas d’augmenter la charge des administrations ?

De plus, derrière l’aspect très technique, les algorithmes posent une question politique : il s’agit d’organiser la transparence dans les prises de décisions des administrations.

Aujourd’hui, de nombreuses décisions individuelles prises par l’administration résultent d’un traitement par des algorithmes. Je pense, par exemple, au calcul de l’impôt, à certaines allocations familiales, ou encore aux affectations post-bac qui occupent particulièrement les lycéens en ce moment. Ces derniers ont d’ailleurs demandé la publication de l’algorithme du site APB après que M. Thierry Mandon en eut annoncé la divulgation. Nous pouvons nous interroger sur ce point. Si le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche n’avait pas formulé cette proposition, les lycéens auraient-ils su que le traitement d’affectation post-bac était effectué en partie par algorithme ?

Porter cette information à la connaissance des usagers nous semble indispensable. Plus généralement, la création d’un droit nouveau exige la création de règles d’information et d’accès au droit.

Tel est le sens de notre amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Les dispositions de l’amendement n° 526 rectifié semblent satisfaire plusieurs critiques soulevées à l’encontre du dispositif de l’article 2, en particulier la mise en œuvre par l’intéressé de son droit à communication, évoquée lors de la réunion pour l’établissement du texte de la commission. En outre, elles permettraient de satisfaire les amendements nos 209 et 440.

L’amendement n° 274 rectifié, quant à lui, ne semble pas opportun.

En premier lieu, il tend à préciser que, par « décision individuelle », on entend « acte administratif unilatéral ». Dans la mesure où il s’agit bien d’une décision, à mes yeux, aucune ambiguïté n’entache la nature des actes concernés, mais peut-être cet amendement est-il l’occasion de le préciser, pour écarter toute mauvaise interprétation du législateur.

En second lieu, cet amendement tend à limiter aux seuls État, collectivités territoriales et établissements publics administratifs le droit d’accès aux algorithmes. Là encore, je ne pense pas que le moindre doute subsiste sur le fait que la « décision individuelle » relève du service public administratif. En revanche, adopter cet amendement reviendrait à exclure les organismes de droit privé assurant une mission de service public administratif comme les organismes de sécurité sociale.

Enfin, l’amendement n° 182 tend à expliciter ce que l’on entend par « règles » et « principales caractéristiques ». Ses dispositions pointent toute la difficulté de l’exercice auquel le Gouvernement propose de soumettre les administrations, à savoir s’adapter au niveau de connaissance et d’expertise des individus. Pour autant, il ne semble pas possible en l’espèce d’inscrire dans la loi une obligation de résultat ; il faut seulement édicter une obligation de moyens pour les administrations.

En conséquence, la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 526 rectifié ; s’il était adopté, les amendements nos 209 et 440 n’auraient plus d’objet. En revanche, elle émet un avis défavorable sur les amendements nos 274 rectifié et 182.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement considère que l’amendement n° 526 rectifié est satisfait et il en sollicite le retrait ; à défaut, il émettra un avis défavorable. En effet, l’obligation que suggère d’instaurer son auteur semble très difficile à mettre en œuvre, notamment pour déterminer si un algorithme a été utilisé, puisque la plupart des logiciels en comportent.

Nous risquons de nous retrouver face à une transmission automatique de tous les algorithmes au-delà d’une demande individuelle spécifique, ce qui ôterait tout intérêt à la communication d’une information au fond. Il est essentiel de donner du sens à la communication d’un algorithme relatif à une décision individuelle.

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 274 rectifié, mais il prend acte de la demande de précision de M. Doligé et espère que cette rigueur se vérifiera tout au long de l’examen du texte.

Sur l’amendement n° 209, le Gouvernement émet un avis de sagesse, car l’objectif visé, à savoir que la procédure soit effectuée de manière claire, transparente et loyale, peut s’entendre. Toutefois, une telle précision aggraverait l’obligation déjà contenue dans le texte.

Quant aux amendements nos 182 et 440, le Gouvernement en demande le retrait, au profit de l’amendement n° 209 ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 526 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 274 rectifié, 209 et 440 n'ont plus d'objet. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Madame Bouchoux, l'amendement n° 182 est-il maintenu ?

Mme Corinne Bouchoux. Je vais le retirer, monsieur le président, car je suis sensible à l’argument portant sur l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, ainsi qu’aux propos de M. le rapporteur et de Mme la secrétaire d’État.

Peut-être cela favorisera-t-il la création de petits boulots pour les jeunes, qui entreprendront de s’adonner à la traduction d’algorithmes à l’origine des décisions de l’administration, pour une meilleure compréhension de nos concitoyens. Serait-ce le but visé : créer des emplois de traduction simultanée ? (Sourires.)

Je retire donc cet amendement.