M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement souhaite le retrait des amendements nos 106 rectifié ter, 449, 183, 393 rectifié et 184, au profit de l’amendement n° 223 rectifié présenté par M. Sueur.

Je regrette que l’article 9 ter, tel qu’il avait été adopté à l’Assemblée nationale, ait été supprimé par la commission des lois du Sénat. Il me semble pourtant qu’un équilibre avait été trouvé, après des débats passionnants.

Cet article avait le mérite d’élever au rang de la loi une formulation figurant dans une circulaire et d’étendre cette disposition aux collectivités locales, ce qui permettait d’élargir son champ d’application.

La démarche défendue par Mme Morin-Desailly m’apparaît intéressante, parce qu’elle cherche à dépasser le débat, parfois un peu stérile, en tout cas très frontal, entre les promoteurs du logiciel libre, d’un côté, et les défenseurs du logiciel propriétaire, de l’autre. Les premiers se font beaucoup entendre publiquement, en particulier sur les réseaux sociaux ; les seconds sont potentiellement très puissants, en tant que force de lobbying. Il y a les pour et les contre, le rôle du législateur étant de décider et de trancher.

Finalement, le débat devrait peut-être s’éloigner un peu de l’idéologie pour revenir à la pratique des choix qui sont nécessaires en matière d’achats informatiques destinés à équiper les systèmes d’information des administrations.

C’est ce que vous suggérez, madame Morin-Desailly : établir des critères plutôt que trancher entre logiciels libres et propriétaires.

Cette démarche a le mérite d’obliger les administrations à se poser la question des objectifs qu’elles poursuivent au moment de s’équiper. Cette question a peut-être été insuffisamment posée ces dernières années par certaines d’entre elles, qui ont eu tendance à sous-traiter leurs systèmes d’information. Je précise cependant que ce n’est pas le cas de toutes. Certaines sont connues et réputées pour avoir recours aux logiciels libres : c’est notamment le cas de la gendarmerie nationale, qui a équipé quasiment tout son parc informatique en logiciels libres et open source ; il me semble que cela représente plus de 60 000 ordinateurs.

Mais, finalement, pourquoi ne pas accepter ces amendements ?

Madame Garriaud-Maylam, vous dites vouloir rétablir la possibilité de recourir à une incitation. Le Gouvernement aussi. Cela tombe bien ! En revanche, les chiffres que vous citez, et qui émanent d’une étude du Syntec Numérique et du Conseil national du logiciel libre, ne montrent pas que le secteur du logiciel libre se porte mal en France. Au contraire, ce secteur, qui représente 50 000 emplois dans notre pays, est amené à croître et devrait connaître entre 3 000 et 4 000 embauches par an. Aujourd’hui, il représente 13 % du marché informatique.

L’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur s’inscrit dans le même esprit que celui de Mme Morin-Desailly tout en retenant des critères juridiquement plus précis, notamment parce qu’il ne recourt pas à des formulations négatives – comme « ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale » –, mais se fonde sur les notions de maîtrise, de pérennité et d’indépendance. Il me semble que cette formulation permet de dépasser l’opposition entre logiciel libre et logiciel propriétaire.

En effet, « maîtrise » signifie que l’informaticien de la collectivité publique décide de ce que doit faire le système d’information qu’il est amené à gérer. Par exemple, vous avez peut-être entendu parler des routeurs Juniper Networks, dont nous avons appris récemment qu’ils présentaient une back door, c’est-à-dire qu’ils étaient potentiellement accessibles par les services de renseignement américains. Or cette entreprise est le deuxième fournisseur de routeurs d’accès en France. Une interrogation sur la maîtrise des systèmes d’information aurait peut-être permis d’éviter de recourir à cette solution.

« Pérennité » signifie que les systèmes ne sont pas obsolètes trop rapidement et qu’il faut s’interroger sur la capacité de maintenance à plus long terme. Cette exigence est liée à l’exigence de continuité du service public qui s’impose aux administrations.

Enfin, l’« indépendance » exige que le logiciel choisi ne rende pas l’utilisateur dépendant de ses fonctionnalités. En quelque sorte, l’indépendance est fille de la maîtrise. Cela dit, tous les logiciels libres ne garantissent pas l’indépendance ni la maîtrise, car celles-ci supposent l’existence d’une collectivité de développeurs qui soit active. Il arrive que certains logiciels ne soient pas maintenus par une telle collectivité, ce qui les rend rapidement obsolètes.

À l’inverse, certains logiciels propriétaires permettent de répondre très spécifiquement à des besoins de gestion auxquels ne répondent pas les logiciels libres. Il importe donc de laisser le choix souverain à l’administration.

Telle est la solution proposée par Jean-Pierre Sueur : donner la possibilité à l’administration de garder la main sur l’ensemble des outils qui ont été développés et qui le seront à l’avenir. Elle permet en outre aux services prescripteurs de monter en compétence, de devenir concepteurs et créateurs plutôt que de rester des acheteurs passifs. Afin de respecter ce juste équilibre, le Gouvernement vous propose donc d’adopter l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je voulais simplement vous demander une suspension de séance d’une dizaine de minutes, afin de nous permettre d’arriver à une rédaction satisfaisante.

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. Tout l’enjeu de nos débats consiste à dégager des solutions équilibrées, mais nous devons aussi faire preuve de réalisme.

Ma famille politique milite pour la défense du logiciel libre, position que je soutiens également à titre personnel. Toutefois, il faut reconnaître que nous ne travaillons pas au Sénat dans une logique d’affrontement brutal ; au contraire, nous essayons collectivement de faire avancer les choses.

En pensant aux milliers d’internautes qui nous regardent, je me permets d’émettre un souhait, tout en faisant confiance à l’expertise de mes collègues. Si l’amendement n° 106 rectifié ter, qui est le premier de la liasse, est adopté, les autres deviendront sans objet. Je suis disposée à retirer les amendements nos 183 et 184 que j’ai défendus, mais en souhaitant ardemment que la rédaction de l’amendement n° 106 rectifié ter soit reprise collectivement, afin de prendre en compte la promotion des formats ouverts et des logiciels libres.

Nous avons réussi à faire preuve d’intelligence collective sur d’autres points : je retire donc mes amendements, tout en espérant que leur philosophie soit intégrée à l’amendement n° 106 rectifié ter. L’Assemblée nationale a su trouver une formulation équilibrée et je ne vois pas pourquoi nous n’y parviendrions pas collectivement, afin de poursuivre sereinement nos débats. Cette question semble constituer un point de blocage, ce qui me paraît dommage, compte tenu de la qualité du rapport. J’ajoute que mon amendement faisait l’impasse sur la finalité et la mention de la souveraineté permet de remédier à ce manque.

M. le président. Les amendements nos 183 et 184 sont retirés.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Comme chacun a pu le constater, cette suspension de séance nous a permis de dialoguer.

J’ai donc l’honneur de proposer un sous-amendement à l’amendement n° 106 rectifié ter visant à le compléter par un alinéa ainsi rédigé : « Les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information. »

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. J’ai beaucoup apprécié la discussion de ces amendements qui se ressemblent tous, peu ou prou, car chacun de leurs auteurs détient une part de la vérité. Il est vrai qu’il ne faut pas faire du recours au logiciel libre un dogme, mais un aspect abordé par M. Sueur me paraît très important : il s’agit de la souveraineté et de l’indépendance de la France en matière informatique.

J’ai cosigné un rapport sur la sécurité numérique avec notre collègue député Anne-Yvonne Le Dain et il me semble que le souci de notre sécurité devrait nous inciter à choisir des logiciels nationaux, compte tenu des nombreuses affaires d’espionnage ou d’écoutes qui ont été révélées, comme celle concernant la National Security Agency, la NSA. Il serait bon que nous ne nous mettions pas entre les mains de ceux qui, en permanence, aimeraient savoir ce que nous faisons.

Les amendements de Mme Morin-Desailly et de M. Sueur sont tout à fait recevables, mais il conviendrait de les sous-amender pour indiquer qu’un décret précisera les modalités d’application de l’article 9 ter ainsi rétabli.

Cependant, personne n’a dit clairement que les logiciels libres fonctionnaient très bien. S’ils tombent en panne, comme leur code source est disponible, on peut les réparer sans passer entre les mains de l’entreprise qui, dans le monde, commercialise le plus grand nombre de logiciels de ce type. L’administration utilise depuis un certain temps ces logiciels libres et, il faut le dire, ça marche !

C’est donc une bonne idée d’inciter l’État et les collectivités locales à utiliser ces logiciels qui coûtent moins cher et, éventuellement, sont nationaux.

M. le président. Avant de donner la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent également expliquer leur vote, je voudrais demander une explication à M. Sueur concernant sa proposition.

Mon cher collègue, vous nous avez dit que vous souhaitiez sous-amender l’amendement n° 106 rectifié ter, mais, à vous entendre, il me semble qu’il s’agirait plutôt d’une rectification de votre propre amendement n° 223 rectifié…

M. Alain Richard. C’est un alinéa supplémentaire !

M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’une œuvre de synthèse, monsieur le président, consistant à ajouter deux lignes et demie à l’amendement de Mme Morin-Desailly. Je vous en remets le texte manuscrit, mais soyez sûr que je l’ai rédigé avec le cœur !

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 666, présenté par M. Sueur, et ainsi libellé :

Amendement 106 rectifié ter

Compléter cet amendement par un alinéa ainsi rédigé :

Les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. M. Sueur ne nous propose pas un texte de synthèse, mais plutôt un sous-amendement syncrétique !

Je m’explique. L’amendement n° 106 rectifié ter, présenté par Mme Morin-Desailly, est en réalité d’une autre nature que l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur, même si celui-ci, par son sous-amendement n° 666, essaie d’insérer son amendement dans l’amendement de Mme Morin-Desailly.

Selon l’amendement n° 106 rectifié ter, les offres qui relèvent de logiciels libres doivent être retenues par priorité. Dans son amendement, M. Sueur dit que les administrations veillent à préserver la maîtrise des systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres.

M. Jean Bizet. Ce n’est pas la même chose !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y a une grande différence entre ces deux amendements. L’amendement de Mme Morin-Desailly semble méconnaître tous les autres critères d’évaluation d’une offre dans le cadre d’un marché public, y compris le critère du prix ou celui de la qualité technique, pour établir une priorité en faveur des logiciels ouverts, même s’ils sont mauvais et plus chers ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)

Hélas, mes chers collègues, nous faisons du droit ! Or c’est bien ce que dit expressément cet amendement, même si telle n’est pas l’intention de son auteur, je veux bien lui faire crédit sur ce point : il faut donner la priorité à ces offres, quels que soient les autres critères, puisque l’amendement ne précise pas que ces autres critères doivent également être pris en compte. Cette priorité donnée aux logiciels ouverts, quel qu’en soit le prix ou la qualité technique, nous ne pouvons pas l’accepter, car elle a des implications tout à fait excessives.

Il ne suffit pas que, pour donner satisfaction à M. Sueur, Mme Morin-Desailly accepte le sous-amendement n° 666 pour que le vice radical qui entache l’amendement n° 106 rectifié ter soit purgé. Cet amendement et le sous-amendement n° 666 étant incompatibles, il ne faut surtout pas les adopter, car le résultat n’est pas une synthèse. Une synthèse aurait supposé que l’amendement de Mme Morin-Desailly et celui de M. Sueur soient réécrits. Dans le cas présent, nous risquons d’additionner deux dispositions contradictoires.

Mes chers collègues, la commission a délibéré de cette question. Je sens bien que la position qu’elle a retenue ne correspond pas à l’attente exprimée sur toutes les travées. Par conséquent, je prends sur moi la responsabilité de vous demander, au nom de la commission, d’adopter l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur en rejetant tous les autres, car nous ne pouvons pas improviser en séance, sur des sujets aussi importants, en votant de fausses synthèses bricolées au détour d’un couloir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. J’en déduis donc que nous reprenons le cours normal du débat, ce qui suppose que M. Sueur retire le sous-amendement n° 666 qu’il venait de déposer dans un esprit de synthèse !

Monsieur Sueur, acceptez-vous la proposition de M. le président de la commission des lois ?

M. Jean-Pierre Sueur. Je serai tout à fait prêt à retirer ce sous-amendement, après qu’il m’aura été donné acte que nous n’avons fait que chercher à rapprocher les points de vue. En outre, je demande à M. le président de la commission des lois si, dans la logique de son intervention, il est prêt à demander le vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je sollicite en effet le vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. Je suis donc saisi, par la commission, d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. J’y suis naturellement favorable, puisque j’ai préconisé, jusqu’à présent, l’adoption de l’amendement n° 223 rectifié, qui marie une logique d’objectifs et de critères. Il prend en compte le raisonnement tenu par Mme Morin-Desailly tout en mentionnant les logiciels libres dans la loi. J’ajoute simplement que la qualité du débat qui vient d’avoir lieu est tout à fait significative et éclairante : elle prouve l’intérêt que les sénateurs portent à ces enjeux, ce dont je les remercie.

M. le président. La priorité est ordonnée.

M. Jean-Pierre Sueur. Je retire le sous-amendement.

M. le président. Le sous-amendement n° 666 est retiré.

La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Je suis très heureux de la qualité de ce débat et je félicite M. le président de la commission des lois de la sagesse dont il a fait preuve en acceptant de revenir à une rédaction très positive.

Je vois dans l’amendement de M. Sueur une ouverture pour les communes que nous représentons, en particulier les plus petites qui n’ont pas de moyens et n’ont pas envie d’être soumises à des multinationales qui vendent des logiciels clé en main dont l’obsolescence est programmée. Nos collègues maires font preuve de beaucoup d’ingéniosité, ce qui leur donne la possibilité de créer des logiciels. De même, les centres de gestion de nos collectivités territoriales, en utilisant des logiciels libres, peuvent créer des applications vraiment adaptées à nos mairies et à nos administrations.

Je voterai donc l’amendement de M. Sueur et je félicite M. le président de la commission de sa sagesse.

M. Marc Daunis. Et Mme la secrétaire d’État de son écoute !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. Comme tous mes collègues qui se sont précédemment exprimés, je trouve ce débat très intéressant, car il met en lumière les logiciels libres.

L’intervention de M. le président de la commission m’a un peu surpris, puisque l’amendement de notre groupe est le seul qui mentionne expressément qu’une priorité doit être accordée aux logiciels libres. L’amendement de Mme Morin-Desailly, bien qu’il soit très intéressant, ne parle pas de priorité.

En effet, nous considérons que l’incitation et l’encouragement ne sont pas suffisants : depuis longtemps, on encourage le recours aux logiciels libres sans que les choses avancent beaucoup. Or, comme vient de le dire notre collègue, les communes sont toutes confrontées à ces logiciels propriétaires qui coûtent excessivement cher, qu’il faut renouveler régulièrement, notamment les logiciels de gestion des ressources humaines ou de comptabilité, sans parler de ceux qu’il faut changer parce qu’ils ne sont pas compatibles avec un nouveau logiciel. Le logiciel libre peut donc être une solution, à condition de travailler sur les objectifs, comme le disait Mme Morin-Desailly.

C’est la raison pour laquelle nous insistions sur la nécessité d’accorder une priorité aux logiciels libres. Nombre d’internautes travaillent d’ailleurs dans ce sens.

Au vu du débat, s’il s’agit de revenir vers le texte voté par l’Assemblée nationale qui, pour nous, représente un minimum, nous retirons notre amendement n° 449 au profit de l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur.

M. le président. L’amendement n° 449 est retiré.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je voudrais tout de même rappeler à mes collègues communistes que j’ai moi aussi parlé de priorité dans l’amendement que j’ai déposé. (Ah ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Louis Carrère. Le contraire nous aurait étonnés !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il faut savoir lire les amendements, mes chers collègues, même quand ils ne viennent pas de votre bord.

Concernant la proposition du président Philippe Bas de voter l’amendement présenté par Jean-Pierre Sueur, j’avoue que je suis un peu gênée. En effet, il me semble qu’il s’agit plus d’une déclaration de bonne intention. Elle est certes tout à fait légitime et recommandable, mais j’aurais préféré que nous allions plus loin.

Aussi, je voudrais vous proposer de sous-amender l’amendement de Jean-Pierre Sueur afin de prévoir que les modalités d’application du présent article soient définies par décret en Conseil d’État. Nous pourrions ainsi retravailler le dossier et certains collègues pourraient éventuellement intervenir pour faire des propositions. Cette solution me semblerait positive.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

M. Patrick Chaize. Je remercie à mon tour le président Philippe Bas de sa lucidité sur ce sujet important, même s’il n’est pas nouveau.

Pour éclairer le débat, je tiens tout de même à préciser que, dès 2002, une association, l’ADULLACT, a été créée dans cet esprit, c’est-à-dire avec l’objectif de soutenir et de coordonner l’action des administrations et des collectivités territoriales en vue de promouvoir, développer et maintenir un patrimoine de logiciels libres utile aux missions de service public.

Le débat que nous avons aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette initiative de 2002 et devrait permettre de concrétiser les actions de cette association.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Ce débat est essentiel, parce qu’il concerne finalement le devenir de nos sociétés, notamment européennes, dans lesquelles tout le monde a bien conscience que le numérique va jouer un rôle de première importance. Ce texte doit donc être l’occasion de prendre les bonnes décisions à cet égard.

Quel est le sens de mon amendement ? J’avais compris que, dans la mesure où la rédaction de l’Assemblée nationale avait été supprimée par la commission, la priorité donnée aux logiciels libres n’était plus à l’ordre du jour.

De mon côté, j’avais essayé de réfléchir à une formulation susceptible d’afficher davantage les objectifs à atteindre que les solutions et les moyens pour y parvenir. Cette démarche me semblait plus législative que celle qui consistait à formuler d’emblée la solution ou le résultat du marché public, qu’il s’agisse de logiciels libres ou de formats ouverts.

C’est pourquoi, monsieur Bas, je ne comprends pas bien pourquoi vous pensez que mon amendement, s’il était adopté, privilégierait davantage le choix du logiciel libre par rapport à toute autre solution, parce que rien de tel n’y est dit. Bien au contraire, j’ai fait en sorte d’afficher un objectif de souveraineté.

Maintenant, si le président de la commission des lois montre une préférence pour l’amendement présenté par M. Sueur, et souhaite donc rétablir ce qui avait été supprimé par la commission – cette suppression m’avait poussée à déposer moi-même un amendement –, nous allons pouvoir tous nous y retrouver, ce qui est essentiel à mes yeux.

En effet, j’ai entendu sur toutes les travées s’exprimer le souhait d’assurer cette souveraineté par le recours, en particulier, au logiciel libre. Je suis d’accord avec cette solution. Au moins, nous aurons progressé, et, comme les débats éclairent toujours la loi, les objectifs à atteindre que j’avais formulés resteront dans les mémoires. Je le répète, c’est essentiel. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Je souhaite soutenir l’amendement présenté par Mme Morin-Desailly, mon argumentation s’articulant autour de deux points.

Tout d’abord, j’ai bien entendu la demande de vote par priorité sur l’amendement présenté par M. Sueur. J’attire simplement votre attention, mes chers collègues, sur le fait que cet amendement est de pure intention, c’est-à-dire qu’il n’a pas de caractère normatif. En effet, les auteurs de l’amendement se bornent à encourager l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information. Je comprends bien la notion d’encouragement, mais je prends le pari, mes chers collègues, qu’avec une telle disposition, vous ne ferez strictement rien lorsque vous aurez à examiner un marché public.

La proposition de Mme Morin-Desailly est, elle, normative et relève bien du législatif. Elle permettrait effectivement d’apporter une solution au titre de ce que vous appelez la souveraineté numérique.

Ensuite, il reste la question posée par M. le président Bas à Mme Morin-Desailly au sujet de la recevabilité de son amendement au regard des règles en matière de marchés publics.

À mon sens, et malgré tout le respect que j’ai pour l’expertise juridique de M. le président de la commission des lois, je pense qu’il est parfaitement recevable. En effet, monsieur Bas, vous n’êtes pas sans savoir qu’à la suite des directives de la Commission européenne de février 2014, transcrites par une ordonnance du 23 juillet 2015 et un décret du 27 mars 2016, le droit des marchés publics a été revu.

J’ai relu avec attention l’article 38 de l’ordonnance de juillet 2015, qui est l’état actuel de notre droit, et je confirme que nous avons la possibilité d’attribuer des marchés sur la base d’une pluralité de critères non discriminatoires. Or le texte de l’amendement de Mme Morin-Desailly précise bien « parmi les critères », ce qui veut bien dire qu’il n’y a pas un critère prioritaire.

Elle respecte donc parfaitement les dispositions que je viens d’évoquer, puisque l’ordonnance de juillet 2015 prévoit bien que d’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché public ou ses conditions d’exécution. En bref, l’amendement de notre collègue de l’UDI-UC est parfaitement conforme aux règles des marchés publics telles qu’elles résultent de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Je veux moi aussi venir en appui à cet amendement n° 106 rectifié ter présenté par Mme Morin-Desailly, et sur lequel elle vient d’intervenir.

L’enjeu de souveraineté numérique me semble fondamental, et il importe de maintenir le débat à ce niveau-là. Tel est l’objectif de cet amendement, déposé après que la commission des lois a supprimé la rédaction initiale de l’Assemblée nationale, ce qu’elle semble regretter aujourd’hui.

Il m’apparaît tout à fait opportun d’inscrire dans notre droit des marchés publics cette préoccupation, au même titre que des clauses sociales ou environnementales. S’agissant du domaine spécifique du numérique, cela permettrait de placer l’exigence législative majeure de la souveraineté numérique au bon niveau.

Entre nous, mes chers collègues, nous pourrions aussi débattre de l’utilité de faire apparaître expressis verbis le terme de logiciel libre. La rédaction proposée par Catherine Morin-Desailly me semble plus large. En tant que défenseurs des libertés locales, nous devons avoir pour préoccupation de laisser au pouvoir adjudicateur une latitude suffisante, au moment où il aura à arbitrer, pour prendre en compte les différents critères traditionnels que sont le prix et la qualité intrinsèque, tout en ayant la capacité d’introduire l’objectif de préservation de la souveraineté numérique. Nos collègues élus locaux auraient ainsi plus de latitude et de liberté.

En termes de qualité législative, il me semble donc que la rédaction proposée par Mme Morin-Desailly est la meilleure.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.