M. Philippe Dallier. C’est à désespérer !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. En revanche, si l’Autorité de la concurrence américaine jugeait de manière indépendante que, selon les critères définis dans le droit, il y a bien preuve d’un abus de position dominante, alors l’impact de ce jugement serait immense et traverserait l’Atlantique.

De la même manière, si la Commission européenne, qui mène une enquête portant sur le marché européen, soit 500 millions de consommateurs, devait décider que Google exerce un abus de position dominante, cette décision aurait un impact très fort sur le modèle économique de l’entreprise concernée.

Je ne verse ni dans le défaitisme ni dans l’impuissance, madame la sénatrice,…

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … mais je vous rappelle que des tentatives de ce type ont déjà été faites l’année dernière dans cet hémicycle.

Sur un tel sujet et face à des entreprises d’une telle puissance, il nous faut, pour une fois, faire confiance à l’Europe.

Les 28 pays européens, qui constituent un immense marché de consommateurs, intéressent au premier chef les entreprises concernées. Or, si tous ces pays et la Commission européenne décidaient qu’il y a abus de position dominante, le retentissement de cette décision serait bien plus fort, croyez-moi, que celui d’une disposition législative telle que celle que vous proposez ! Celle-ci aurait d’ailleurs bien du mal à être appliquée.

On peut toujours se faire plaisir et s’amuser… Mais il est préférable d’être sérieux, car il s’agit de faire du droit. Nous sommes là dans le domaine du droit de la concurrence, qui inclut un certain nombre de critères.

L’exercice proposé ici est maladroit et inopportun. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, la différence qui existe entre les moteurs de recherche et les autres plateformes que nous avons évoquées tient tout simplement à la place que ces moteurs de recherche ont prise dans la vie de nos concitoyens.

Toute personne dotée d’un smartphone ou d’un ordinateur peut aujourd’hui avoir spontanément recours à un moteur de recherche. Encore faut-il que les résultats de la première page, c'est-à-dire les dix premiers résultats, soient frappés de la plus grande objectivité. En tant que représentants au Parlement de nos concitoyens, nous sommes sensibles à ces questions.

L’objectif est de faire en sorte que le droit de la concurrence soit respecté dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans votre intervention, madame la secrétaire d'État, vous dites à la fois que nous avons à notre disposition tous les outils juridiques nécessaires pour faire cesser cette situation et que, face à la dimension internationale de Google, puisque c’est l’entreprise dont nous parlons et dont chacun sait qu’elle est, d’un point de vue financier, plus puissante que certains États, nous devrions baisser les bras.

Même si nous sommes un jeudi soir et que l’heure est tardive, le Sénat doit rappeler la vigilance absolue du Parlement français quant à la situation de cette entreprise, qui intervient dans la vie quotidienne de milliards d’habitants dans le monde et de millions de nos concitoyens.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que cet amendement soit adopté. Cela permettrait d’envoyer un signal extrêmement fort de la part du Parlement français, dans un texte qui parle précisément – pour le coup, il serait bien nommé ! – de République numérique.

M. le président. La parole est à M. Yves Rome, pour explication de vote.

M. Yves Rome. En cohérence avec l’intitulé du texte « République numérique », et parce que j’ai défendu des amendements très proches de celui de Mme Morin-Desailly, nous voterons en faveur de cet amendement, pour éviter qu’il y ait un abus de position dominante au Sénat du fait d’un scrutin public.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. M. Hervé a conclu son intervention de la meilleure manière pour démontrer que ce dont nous parlons ici ne correspond pas à un vote législatif. Vous avez dit, mon cher collègue, qu’il s’agissait de donner un signal. Il arrive régulièrement, et cela ne date pas d’hier – si on lit le Journal officiel des années 1880, on retrouve la même chose –, que l’on cherche, par le geste de légiférer, à faire autre chose qu’une loi : envoyer un signe au public.

Je voudrais revenir un instant sur un point. Je crois honnêtement que toutes les composantes de l’abus de position dominante sont réunies dans le cas de Google. Cette affaire est actuellement en litige devant l’instance qui, en notre nom depuis le traité de Rome, est compétente à l’échelle du marché européen pour censurer les positions dominantes. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois.

Toutefois, si nous votons un texte pour dire simplement, en substance : « Mesdames, messieurs de la Commission européenne dont c'est la mission, faites votre office de constater l’abus de position dominante », il aura le caractère d’une résolution et non celui d’un article de loi.

Cela dit, ce ne serait ni la première ni la dernière fois qu’un Parlement serait quelque peu futile !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Madame la secrétaire d'État, ce qui m’a perturbé dans votre réponse, c'est de vous entendre dire que, même si le Congrès américain votait une loi pour contraindre Google à être loyal dans les réponses qu’il affiche, cela n’aurait pas d’importance. S’il en est ainsi, autant lever la séance tout de suite et rentrer chez nous ! Cela réglera le problème de l’insuffisance présence en séance des sénateurs Les Républicains ce soir. (Sourires.)

En nous répondant cela, vous nous donnez le sentiment que le législateur, que ce soit ici ou aux États-Unis, n’y peut d’ores et déjà plus rien : les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – seraient dans un tel état de position dominante que tout serait terminé, qu’il n’y aurait plus rien à faire…

Comme Catherine Morin-Desailly, je suis très inquiet de la tournure que tout cela prend. On voit bien la puissance de ces sociétés, la puissance de collecte de ces moteurs de recherche et ce qu’ils vont pouvoir en faire. Il est bien beau que tout le monde soit connecté avec des Iphones, des compteurs Linky, entre autres : Big Brother, c'est déjà fait !

Si maintenant on nous explique que ce n’est même plus la peine d’essayer de légiférer parce que cela n’aura pas de portée, alors il y a de quoi s’inquiéter ! Pour ma part, je serais tenté d’être un peu futile ce soir et de voter l’amendement, pour envoyer un signal.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Mon volontarisme en la matière devrait suffire à démontrer qu’il n’y a pas lieu de mettre en cause le souhait du Gouvernement d’introduire des règles permettant d’instaurer des rapports plus équilibrés dans l’environnement économique numérique.

Je l’ai peut-être formulé maladroitement à cette heure tardive, mais ce que j’ai voulu dire en parlant du législateur américain, c’est que, aujourd’hui, les outils existent dans le droit de la concurrence pour caractériser un abus de position dominante. Ce travail est en cours, que ce soit aux États-Unis, en France, dans d’autres pays de l’Union européenne ou au niveau européen. Finalement, l’exercice auquel se prête en ce moment même le Sénat, c'est de faire le juge. Néanmoins, que ce soit au travers de l’Autorité de la concurrence ou d’un tribunal de commerce, le droit est là.

Ce n’est pas en donnant une définition d’un moteur de recherche – pourquoi pas un réseau social ? Facebook est aussi dominant que Google sur un autre secteur d’activité ! –, sans modifier les critères du droit de la concurrence, que l’on changera quoi que ce soit à l’affaire.

Les critères sont très solides : ils figurent dans le code de la concurrence et dans le code de commerce. En ce moment, ils sont pris en compte pour étudier très précisément les pratiques commerciales et concurrentielles de l’entreprise en question. Des décisions sont attendues. Si elles devaient conclure à un abus de position dominante, elles auraient un retentissement considérable et plus encore si elles étaient prises au niveau européen, car la totalité du marché européen serait alors concernée.

Modifier à ce stade, à la marge, le droit de la concurrence français ne changerait pas grand-chose à l’affaire. En revanche, appliquer correctement le droit de la concurrence, qu’il soit français ou européen, selon l’analyse de marché qui est faite, pourra peut-être entraîner des décisions importantes.

La première décision Commission européenne contre Google devrait être rendue cette année. La France fait partie des États qui attendent cette décision. La nouvelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, montre une détermination politique bien plus forte que son prédécesseur. En ce sens, elle est très soutenue par la France.

J’espère vous avoir démontré que là où nous avons des marges de manœuvre – nous en avons, j’en suis persuadée –, là où nous pouvons avancer, parce que le droit n’est pas complet et qu’il faut le renforcer, c’est sur le terrain du droit de la consommation. En tant que particuliers, nous sommes en droit de demander a minima de connaître les produits bénéficiant d’un lien publicitaire, financier ou contractuel qui explique le référencement préférentiel.

Sur ce terrain, nous pouvons modifier très rapidement beaucoup de choses, mais il faut aussi faire preuve de réalisme juridique. Ce n’est pas du tout un message de défaitisme que je vous ai envoyé.

M. Loïc Hervé. Nous sommes rassurés !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la secrétaire d'État, vous m’avez dit qu’il fallait être sérieux. Or je suis sérieuse ! Je suis même plus que cela, je suis inquiète. Je souscris d’ailleurs à cet égard aux propos de Philippe Dallier.

Il est vrai que cet amendement s’inscrit dans le contexte du contentieux européen engagé par la Commission depuis 2010. Toutefois, il n’y a pas que Google ; vous le savez bien, il y a eu Microsoft pendant des années. En effet, la commissaire Vestager a montré bien plus de courage et de volonté que son prédécesseur, qui privilégiait plutôt la transaction.

Au demeurant, je note qu’une nouvelle notification des griefs a été faite la semaine dernière. Néanmoins, le dossier a tout de même du mal à avancer. On connaît la lenteur du processus européen…

Pendant ce temps-là, que se passe-t-il pour nos entreprises ? Elles se créent, puis disparaissent rapidement quand elles sont dans leur mutation numérique et qu’elles dépendent de cette seule porte d’entrée, que l’on pourrait d’ailleurs considérer comme une facilité essentielle, puisqu’on sait bien que Google représente 95 % des recherches. Cela signifie que ces moteurs de recherche ont droit de vie et de mort sur nos entreprises en favorisant leurs propres services par le biais de leurs algorithmes.

La question est donc vraiment sérieuse et mérite d’être posée. M. Richard évoquait les résolutions. Avec Gaëtan Gorce, j’ai cosigné deux propositions de résolution qui ont été votées à l’unanimité et qui sont devenues des résolutions du Sénat. Pour quel résultat ? Aucun ! Cela n’avance pas.

On peut envoyer certains signaux. Je rappelle que pour ce qui concerne la TVA sur le livre numérique – David Assouline, ici présent, le sait très bien –, nous avons été avant-gardistes. Nous l’avons votée en dépit de tout ce qu’on nous disait sur la législation européenne. Et au bout du compte, nous avons eu gain de cause.

Même si c'est de l’ordre du symbolique, nous ne vivons pas des temps ordinaires. Je suis très inquiète de voir dans quel monde nous allons vivre. Il ne s’agit pas de mettre un coup d’arrêt au développement numérique, y compris celui d’une entreprise comme Google, pour ne citer qu’elle, mais ce problème ne concerne pas que ce moteur de recherche et cette plateforme suspectée d’abus de position dominante. Si on ne tente pas de réguler, alors en effet, comme l’a dit Philippe Dallier, autant rester chez nous et attendre passivement que les années passent et que rien ne soit jamais résolu !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À la lumière de nos échanges, j’estime que la position de la commission peut évoluer sur cet amendement.

Comme l’a souligné notre rapporteur et Mme la secrétaire d'État, il y a déjà, me semble-t-il, dans le droit de la concurrence les éléments permettant d’entreprendre des poursuites contre les sociétés qui gèrent des moteurs de recherche et sont, pour la distribution d’autres services, dans une situation d’abus de position dominante.

Pour autant, les dispositions de cet amendement ne viennent en rien contredire le droit en vigueur. Elles permettent, en donnant des pouvoirs à l’Autorité de la concurrence, de spécifier de manière assez précise les pratiques qui seraient interdites pour certains opérateurs du Net – pas pour tous d’ailleurs, ce qui constitue peut-être une faiblesse de cet amendement. Ce dernier a néanmoins le mérite de viser à renforcer nos capacités de lutte contre ces risques d’abus de position dominante.

Je ne suis pas sûr que, dans sa rédaction actuelle, l’amendement soit pleinement abouti, mais j’aimerais que le Sénat lui donne une chance de prospérer, en permettant au débat de se prolonger jusqu’à la commission mixte paritaire.

C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, je voterai en faveur de cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 113 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 22.

L'amendement n° 398, présenté par MM. Rome, Leconte, Sueur et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Après l'article 22

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre Ier du titre IV du livre IV du code de commerce est complété par un article L. 441–… ainsi rédigé : :

« Art. L. 441–… – I – Tout opérateur de plateforme en ligne défini à l'article L. 111-7 du code de la consommation et dont l'activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret est tenu d'indiquer toute modification substantielle apportée aux conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation qu'il propose, aux modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens et services auxquels ce service permet d'accéder et, le cas échéant, aux modalités d'accès à son interface de programmation, dans un délai raisonnable et préalablement à cette modification.

« II – L'opérateur de plateforme en ligne fait apparaître clairement cette information.

« III – Toute infraction aux dispositions du présent I est punie d'une amende de 75 000 €. »

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. De par leur importance et leur fonction d’intermédiaire, certains grands opérateurs de plateforme en ligne sont devenus incontournables pour les professionnels. Leur position dominante a créé un véritable déséquilibre dans leurs relations avec les utilisateurs professionnels.

Les plateformes en ligne ont en effet la possibilité de prendre des décisions unilatérales ou de concurrencer les entreprises utilisatrices avec leurs propres services ou filiales : un déréférencement, un changement des algorithmes ou des conditions d’accès à une interface de programmation sont souvent appliqués sans concertation et même sans avertissement.

Ces pratiques d’abus de position dominante sont condamnables : elles peuvent affecter fortement l’activité de ces entreprises et fausser le jeu de la concurrence.

Cet amendement a donc pour objet que les plus gros opérateurs de plateforme en ligne aient a minima des obligations d’information à l’égard de leurs utilisateurs professionnels, préalablement à toute modification substantielle apportée aux conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation, à leurs politiques tarifaires, à leurs politiques de contenus, aux modalités de référencement et de classement et d’accès à l’interface de programmation. En effet, il nous a été relaté de nombreux échecs commerciaux consécutifs à des déréférencements sur des plateformes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. M. Rome nous propose avec cet amendement de créer une obligation, pour les opérateurs de plateformes, d’informer sur la modification de leurs conditions de référencement.

Cette obligation d’informer les professionnels ou les prestataires de service de l’évolution de leurs algorithmes de classement devrait même intervenir avant que la modification ne soit engagée.

On peut comprendre l’objectif visé, mais force est de constater qu’une telle obligation serait malgré tout contraire à la directive sur le commerce électronique. Cette dernière ne permet de restreindre la liberté de circulation des services de communication électronique que pour la seule protection des intérêts du consommateur, et non pour celle des autres professionnels du numérique.

C'est la raison pour laquelle, mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Même avis.

M. le président. Monsieur Rome, l'amendement n° 398 est-il maintenu ?

M. Yves Rome. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 398.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 22.

Articles additionnels après l'article 22
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 23 (début)

Article 22 bis

(Supprimé)

M. le président. L'amendement n° 312, présenté par M. Navarro, n'est pas soutenu.

En conséquence, l’article demeure supprimé.

Article 22 bis (Supprimé)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 23 (interruption de la discussion)

Article 23

I. – Après l’article L. 111-7 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 précitée, il est inséré un article L. 111-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-7-1. – Les opérateurs de plateformes en ligne dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret élaborent et diffusent aux consommateurs des bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté mentionnées à l’article L. 111-7.

« L’autorité administrative compétente peut procéder à des enquêtes dans les conditions prévues à l’article L. 511-6 afin d’évaluer et de comparer les pratiques des opérateurs de plateformes en ligne mentionnées au premier alinéa du présent article. Elle peut, à cette fin, recueillir auprès de ces opérateurs les informations utiles à l’exercice de cette mission. Elle diffuse périodiquement les résultats de ces évaluations et de ces comparaisons.

« Un décret précise les modalités d’application du présent article. »

II. – (Supprimé)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, sur l'article.

M. Jean-Pierre Bosino. Selon le Conseil national du numérique, le modèle de développement des plateformes crée un déséquilibre structurel entre ces dernières et leurs utilisateurs particuliers.

Ce déséquilibre se traduit notamment par une forte opacité sur le sort de nombreuses informations collectées sur les individus. Parfois, il se traduit également par des coûts de sortie élevés pour migrer d’une plateforme à une autre et par des obstacles divers à l’utilisation de services issus d’environnements concurrents, enfermant de fait l’utilisateur dans un service.

Toujours selon le Conseil, les plateformes, par leur rôle de prescripteurs, façonnent et déterminent les conditions d’accès aux informations. Elles associent parfois utilité et opacité, sans permettre de déterminer facilement si ce qui est présenté relève de la publicité, d’une sélection algorithmique générique, d’une adaptation personnalisée ou d’une préférence pour l’offre de la plateforme hôte.

Dès lors, cet article 23, qui laisse aux opérateurs eux-mêmes le soin d’organiser cette régulation par la diffusion de bonnes pratiques relatives à l’information des consommateurs sur les liens d’intérêts influençant le référencement des contenus, des produits ou des services mis en ligne, est très en deçà des enjeux.

Pouvons-nous véritablement penser qu’un principe d’autorégulation des plateformes, « qui doivent se concerter pour élaborer et diffuser des bonnes pratiques, définir des indicateurs de performance en matière de loyauté et de transparence et rendre publics les résultats de leur évaluation » sera suffisant pour assurer une réelle protection des consommateurs ? Nous ne le pensons pas. Ce texte ressemble davantage à une position de principe qu’à une réelle contrainte.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cet article.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 26 rectifié bis est présenté par M. Commeinhes, Mmes Hummel et Deromedi, M. Lefèvre, Mme Lopez, M. Trillard, Mme M. Mercier, M. Gremillet, Mme Gruny et MM. Houel et Vasselle.

L'amendement n° 126 rectifié est présenté par MM. Cigolotti, Guerriau, Bonnecarrère, Luche et Roche, Mme Joissains, MM. Médevielle et Canevet, Mme Loisier et MM. Marseille, Gabouty et Pellevat.

L'amendement n° 132 est présenté par M. Navarro.

Ces trois amendements ne sont pas soutenus.

L'amendement n° 28 rectifié bis, présenté par M. Commeinhes, Mmes Hummel et Deromedi, MM. Lefèvre et Grand, Mme Lopez, M. Trillard, Mmes M. Mercier et Gruny et MM. Houel et Vasselle, n'est pas non plus soutenu.

Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 503 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Tout opérateur de plateforme en ligne doit indiquer de manière claire et visible si l’annonceur est un particulier ou un professionnel et le nombre d’annonce dont il est l’auteur.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Dans un objectif de transparence, le présent amendement vise à généraliser une bonne pratique de certaines plateformes qui consiste à indiquer systématiquement le statut de professionnel ou de particulier des annonceurs sur les plateformes en ligne. En effet, ce renseignement est particulièrement utile au choix du consommateur, qui peut se faire une meilleure idée du type de bien ou de service qui lui est proposé.

Sur des plateformes où l’anonymat est parfois préjudiciable au consommateur, cette obligation viendrait renforcer les exigences d’information loyale, transparente et claire de ces derniers.

M. le président. Les cinq amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 73 rectifié est présenté par MM. Chaize, de Nicolaÿ, Mandelli et Calvet, Mme Cayeux, MM. Bignon, Bizet, de Legge, Mouiller, B. Fournier, Kennel et Masclet, Mmes Garriaud-Maylam, Deromedi et Gruny, MM. Grand, Cornu et Vaspart, Mme Estrosi Sassone, MM. Rapin, Pellevat et P. Leroy, Mme Procaccia, MM. Savary, Vasselle et Delattre, Mme Deroche, MM. Husson, Laménie, Trillard et Béchu, Mme Lamure et M. Magras.

L'amendement n° 83 rectifié ter est présenté par MM. Bouchet, Dufaut, Houel, Charon, Laufoaulu, Lefèvre et Mayet.

L'amendement n° 98 rectifié est présenté par MM. Bonnecarrère et Luche, Mme N. Goulet et MM. Médevielle, L. Hervé, Marseille, Maurey, Cigolotti, Longeot, Tandonnet, Kern et Gabouty.

L'amendement n° 141 est présenté par M. Navarro.

L'amendement n° 385 est présenté par M. Bouvard.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ces opérateurs indiquent de manière claire, lisible et visible si l’annonceur est un particulier ou un professionnel et le nombre d’annonces dont il est l’auteur.

La parole est à M. Patrick Chaize, pour présenter l'amendement n° 73 rectifié.

M. Patrick Chaize. Il est proposé ici de généraliser une bonne pratique de transparence observée sur certaines plateformes en ligne et préconisée par le rapport Terrasse, visant à offrir aux consommateurs une information claire, lisible et accessible sur la qualité de l’offreur et les garanties associées à son statut.

Le Bon Coin, parmi les principales plateformes de mise en relation, indique systématiquement le statut de professionnel ou de particulier de ses annonceurs. Est ainsi considéré comme professionnel quiconque a acheté dans la perspective de revendre, vend régulièrement un volume important, génère des bénéfices ou dégage un revenu substantiel.

Cette bonne pratique a vocation à être étendue à l’ensemble des acteurs du secteur, permettant aux utilisateurs de disposer d’une information transparente, sincère et complète.

M. le président. L'amendement n° 83 rectifié ter n'est pas soutenu.

La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l'amendement n° 98 rectifié.

M. Loïc Hervé. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 141 et 385 ne sont pas soutenus.

Quel est l’avis de la commission sur l'amendement n° 503 rectifié, ainsi que sur les amendements identiques nos 73 rectifié et 98 rectifié ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement n° 503 rectifié de M. Requier vise l’obligation d’informer sur la qualité de professionnel ou de non-professionnel de l’annonceur.

Nous avons déjà traité à l’article 22 la question posée par cet amendement : celui de M. Rome, que nous avons adopté et qui étend l’obligation d’informer sur la qualité de l’annonceur, le satisfait d’ailleurs en très grande partie. J’en demande donc le retrait.

En tout état de cause, je voudrais faire observer que cette série d’amendements est mal placée : l’article 23 est consacré à ce que l’on nomme communément la soft law, ainsi qu’aux bonnes pratiques. Il ne porte pas sur la création de nouvelles obligations légales d’information. Les deux logiques sont différentes. Par conséquent, il ne faudrait pas les mélanger.

Les deux autres amendements ont la même problématique. J’en demande également le retrait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Tous ces amendements visent à introduire une obligation pour les plateformes d’indiquer si l’annonceur est un professionnel ou un particulier.

On comprend tout à fait l’objectif ici, car il est partagé par tous, y compris le Gouvernement. Cependant, en pratique, cela signifie que vous confiez aux plateformes le rôle de décider qui est un professionnel et qui est un particulier. Or on ne peut pas le déterminer à l’avance : il faut interpréter la loi en fonction d’une série de critères. Il semble assez risqué de confier ce rôle à la plateforme, qui est une entreprise privée.

Le choix fait par le Gouvernement dans ce texte est de renforcer la transparence de l’information pour savoir non pas quelle est la nature de l’annonceur, mais quelle est la raison pour laquelle un lien est favorisé. En tant que consommatrice, ce que je veux savoir lorsque je vois les résultats d’un référencement, c’est si quelqu’un a payé pour apparaître en premier. Qu’il soit professionnel ou particulier m’importe peu. Je veux savoir si le référencement a été non pas contourné, mais influencé ou acheté. Tel est bien l’objectif de la transparence de l’information.

Il me semble que, pour atteindre un objectif tout à fait louable, on utilise ici un moyen qui est moins efficace. Je suis donc défavorable à tous ces amendements.