M. Jean Desessard. Pourquoi faites-vous ça ? Mais pourquoi ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Pour la France, monsieur !

M. Jean Desessard. Vous vous fâchez avec toute la gauche ; vous vous fâchez avec les écologistes, alors que vous nous demanderez notre soutien au moment crucial. Comment pourrons-nous vous l’apporter ? Ça ne sera pas possible ! Pourquoi faites-vous ça ? Si c’est pour buter la CGT, quel intérêt y avez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Vous allez peut-être gagner, mais qu’allez-vous obtenir au final ? Cela ne va pas créer d’emplois ni permettre à Hollande de dire qu’il en a créé ! Par contre, vous instaurez une pagaille dans la gauche dont on ne sait pas dans quel état elle va sortir !

Pourquoi faites-vous ça ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l’article.

M. Alain Néri. Madame la ministre, je crois que c’est de bonne foi que vous nous dites que ce projet de loi va favoriser l’emploi dans ce pays, améliorer les conditions de travail et les salaires de ceux qui en ont un ainsi que le climat social dans l’entreprise. Mais l’entreprise, ce n’est pas uniquement le chef d’entreprise, il y a aussi les salariés.

Pour qu’une entreprise soit compétitive et se développe, elle a besoin d’un climat serein et de relations apaisées. Or, pour cela, il faut discuter dans un cadre qui ne soit pas trop lié à la personnalité du patron et des employés. En effet, il n’est pas facile, dans une petite entreprise, d’affronter le patron. On risque quelques représailles… Ce n’est pas le cas dans toutes les entreprises, mais on pourrait vous en citer beaucoup où les syndicalistes et salariés qui mènent les revendications sont pénalisés dans leur carrière, dans leur emploi et dans leur vie de tous les jours.

Alors, madame la ministre, la seule chose que l’on vous demande, c’est de faire en sorte que l’accord de branche soit l’accord-cadre à l’intérieur duquel sont discutés les accords d’entreprise. C’est ce qui se passe aujourd’hui ! Il est possible de conclure des accords d’entreprise, alors même que c’est la branche qui régule. La preuve en est que les accords d’entreprise sont au nombre de 40 000.

Madame la ministre, ne vous entêtez pas ! N’entrez pas en conflit avec l’ensemble des salariés ! N’allez pas créer un conflit supplémentaire ! Nous sommes là pour apaiser les relations. S’il vous plaît, rouvrez les discussions ! Acceptez de reconnaître que les accords d’entreprise ne pourront pas être en retrait par rapport aux accords de branche, auxquels il faut donner la priorité !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Alain Néri. Je suis sûr que, dans cette discussion, nous trouverons une porte de sortie permettant à la gauche de se rassembler, afin qu’ensemble nous puissions faire en sorte que le progrès social avance dans les entreprises, au profit des travailleurs. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, sur l’article.

M. Yannick Vaugrenard. On voit bien que l’article 2 est absolument central dans le projet de loi Travail. On peut comprendre pourquoi, puisqu’il s’agit de flexisécurité.

Beaucoup de pays européens ont recours à la flexisécurité. Dans ces pays, les syndicats sont puissants. Or chacun sur les travées de notre assemblée souhaite, je le crois, que les syndicats soient encore plus forts qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce serait intéressant pour les salariés et pour tout le monde, d’ailleurs, d’un point de vue économique.

Au-delà de l’intérêt de permettre la conclusion au niveau d’une entreprise d’accords de proximité qui tiennent compte de la situation à laquelle celle-ci fait face à un moment donné – et même si on peut être d’accord avec cette philosophie –, la difficulté est que cela risque d’entraîner une forme de dumping social si des entreprises du même secteur utilisent cette possibilité. C’est la raison pour laquelle il va falloir trouver une forme d’équilibre gagnant-gagnant.

La flexibilité, c’est la possibilité pour les entreprises de conclure, avec leurs salariés, un accord d’entreprise.

La sécurité pour les salariés, c’est de pouvoir demander l’avis de la branche, afin que chacun puisse ensuite se déterminer en toute connaissance de cause. Pourquoi craindre de demander l’avis de la branche ? Il s’agit simplement de disposer, pour les salariés, d’un droit d’alerte et je dirais même d’un devoir d’alerte.

Il n’y a pas nécessairement d’organisation syndicale dans toutes les entreprises. Certes, le texte prévoit un mandatement – pourquoi pas ? –, qui pourra permettre de renforcer les organisations syndicales. Mais je récuse l’idée qu’il faut casser le verrou de la branche. Il faut au contraire proposer – c’est ce que nous ferons dans un amendement – que la branche soit alertée, informée et qu’elle donne son avis. Au bout du compte, les salariés de l’entreprise pourront prendre leur décision en toute connaissance de cause. Il me semble que cette proposition permettrait de trouver un accord qui satisferait tout le monde et qui serait gagnant-gagnant sur le plan tant économique que social. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ce débat est important, car deux conceptions s’opposent. Ces divergences, qui sont respectables, on les constate également dans le champ syndical.

Je ne prétends pas détenir la vérité. Je veux juste vous dire pourquoi je suis à 200 % en faveur du projet de loi.

Dans une économie mondialisée comme la nôtre, il faut pouvoir s’adapter rapidement. En tant que ministre du travail, je constate que, à travers le travail indépendant ou détaché ou par le biais de l’intérim, le droit du travail est contourné pour permettre une telle adaptation.

Mme Nicole Bricq. Exactement !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je vois ce mouvement au quotidien.

Je vois aussi l’ensemble des accords qui ont permis d’améliorer la situation de certaines entreprises par le dialogue social. Je suis persuadée que le dialogue social permet de concilier progrès économique et progrès social.

Je ne travaille pas sur ce sujet depuis quatre mois par obstination, mais bien par conviction. Nous avons deux visions, deux conceptions différentes – j’assume parfaitement la mienne –, mais, je le répète, il s’agit non pas d’obstination, mais de détermination et de conviction. Je pense qu’il faut permettre à nos entreprises de mieux répondre à un pic d’activité et de commandes.

Ne nous racontons pas d’histoires : il existe déjà beaucoup de dérogations. Quand j’ai parlé de casser le verrou de la branche, je parlais de la clause de verrouillage des 25 % pour les heures supplémentaires, ainsi qu’elle est nommée depuis la loi de 2004. Il s’agit donc d’une expression technique.

Je n’oppose pas un niveau à un autre. Nous avons véritablement besoin de chacun des niveaux, que ce soit la loi, pour le SMIC et la durée légale du travail, ou les conventions collectives. Il y a aujourd’hui quatre domaines où il est impossible de déroger : les fonds de la formation professionnelle, la prévoyance, les classifications et le SMIC. Le projet de loi ne touche absolument pas à ces principes, qui sont essentiels.

Je comprends l’inquiétude devant les risques de dumping social au niveau de la branche, mais permettez-moi d’apporter des éléments de réponse pour apaiser ces craintes.

La branche, qui est essentielle, est renforcée par le texte, qui lui confie pour la première fois un rôle de régulation de la concurrence, qui institue une commission paritaire permanente et lui donne des rôles nouveaux, notamment en matière de modulation pluriannuelle du temps de travail.

Madame Cohen, vous parliez du temps partiel des femmes. Or vous étiez opposée à l’ANI et à la loi de 2013, qui, sur l’initiative de Michel Sapin, alors ministre du travail, instituaient l’accord sur le temps partiel à vingt-quatre heures. Sachez que nous maintenons cette disposition au niveau de la branche, parce que cela nous semble essentiel. Par ailleurs, demain, les branches seront chargées de faire régulièrement des bilans des accords d’entreprise.

Mme Catherine Génisson. Comme pour le CICE ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. De grâce, n’ayons pas une vision idyllique de la branche. En réalité, le tiers des branches professionnelles n’ont pas négocié depuis plus de vingt ans. C’est la raison pour laquelle nous voulons les restructurer. Aujourd’hui, la direction générale du travail, sous mon autorité, est en train de pousser quarante-deux branches, couvrant 4,2 millions de salariés qui ont au moins un coefficient inférieur au SMIC, à négocier. Et il ne s’agit pas de petites branches : boulangerie-pâtisserie, bricolage, cafétérias, bureaux d’études techniques, etc.

M. Pierre Laurent. Vous n’avez qu’à imposer la négociation annuelle dans les branches !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Si nous voulons les restructurer, c’est justement pour rendre la négociation collective beaucoup plus dynamique. Mais ne faisons pas croire, au moment où nous abordons la question du développement des accords d’entreprise, que la garantie posée par les branches protège un monde idyllique où tout fonctionne parfaitement.

J’entends bien les inquiétudes. C’est la raison pour laquelle la question de la recommandation des branches a fait l’objet d’une discussion. À ce sujet, nous avons souhaité éviter le 49.3 et cherché des voies de compromis, mais cela n’a pas été possible. Nous avons donc dû prendre nos responsabilités.

À aucun moment, je le répète, nous n’avons souhaité mettre la branche de côté au bénéfice exclusif de l’accord d’entreprise. Cela n’est pas la réalité du texte. Simplement, nous voyons bien que les accords d’entreprise se développent de plus en plus, parce qu’ils répondent à un besoin à la fois des entreprises et des salariés. Ce mouvement, qui me paraît inéluctable, a été porté par les partenaires sociaux dès le début, dans de nombreuses positions communes. Tout d’abord, il y a eu celle de 1995, qui a été signée à l’époque par la CFDT, la CFTC et la CGC ; puis il y a eu celle de 2001, signée par FO, la CFDT, la CFTC et la CGC.

Il s’agit donc d’une progression constante et irréversible : il y a eu 35 600 accords d’entreprise, dont 11 450 ratifiés par référendum en 2014. C’est irréversible, parce que nous sommes passés de l’ère industrielle à l’ère des services. Or, en tant que consommateurs, nous avons une part de responsabilité : si le monde du travail évolue, c’est parce que les modes de consommation changent. Voilà pourquoi nous avons besoin de plus de réactivité.

Monsieur Desessard, je viens d’expliquer pourquoi je suis à 100 % pour le projet de loi. Je vais maintenant expliquer pourquoi j’y suis favorable à 200 %. (Sourires.)

Deux mouvements de fond traversent notre société : le besoin de proximité et la perte de confiance dans le politique, qui pose un problème démocratique. Les partis et les hommes politiques, ainsi que les organisations syndicales ou les médias n’ont plus la confiance de nos concitoyens.

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas avec cette loi qu’ils vont la retrouver !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il y a une aspiration des salariés à décider sur les sujets les plus structurants, au lieu de s’en remettre à des appareils au-dessus d’eux. C’est l’état d’esprit de notre société.

Considérer que la négociation d’entreprise doit être combattue ou réprouvée, car elle serait synonyme de recul social, c’est discréditer l’engagement syndical et ne pas voir qu’au moins 85 % des accords sont signés par tous les syndicats. Et ces accords ont permis de créer des emplois et d’en sauver des milliers d’autres !

Ce texte encourage donc les accords d’entreprise, avec le verrou essentiel de l’accord majoritaire, qui figurait dans la position commune de 2008. C’est une garantie importante ! Il permet aussi des accords dans les petites entreprises grâce au mandatement syndical. Bien sûr, la relation est déséquilibrée entre un employeur et un salarié, mais lorsque l’on est soutenu, accompagné par le collectif, par une organisation syndicale, l’équilibre est rétabli. Il y a là un changement culturel à promouvoir auprès des organisations patronales, qui voient souvent d’un mauvais œil des personnes extérieures venant d’une unité départementale débarquer dans les entreprises. Or le mandatement syndical concerne un salarié de l’entreprise.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut bien avoir à l’esprit que l’accord STX de Saint-Nazaire en 2014 a permis à cette entreprise d’avoir un carnet de commandes plein jusqu’en 2016. Les salariés ont consenti des efforts, mais ils ont aussi obtenu des contreparties. Il y aurait beaucoup d’autres exemples à citer : Michelin à La Roche-sur-Yon, Peugeot-Citroën à Rennes avec le contrat d’avenir, etc. Tous ces accords ont été obtenus avec des contreparties. Philippe Martinez l’a bien dit hier au sujet de l’accord à la SNCF : les salariés savent très bien ce qui est bon ou pas pour eux.

Reste que je n’ai pas une vision naïve ou béate du dialogue social. J’ai simplement la conviction que le principe majoritaire est une avancée majeure, qui responsabilise à la fois les organisations syndicales et les directions d’entreprise, ce qui est essentiel, l’absence d’accord pouvant constituer un frein à l’organisation du travail. Je suis même persuadée que le développement de la négociation et de cette culture du compromis peut être un formidable outil de revitalisation du syndicalisme.

Sincèrement, j’ai le sentiment que, si les employeurs montrent parfois peu d’appétence pour la négociation, c’est parce qu’ils ont le sentiment que celle-ci est dépourvue d’enjeux significatifs. C’est exactement pour la même raison que les salariés sont aussi peu attentifs au syndicalisme. Pourtant, pouvoir négocier sur ce qui fait le quotidien des salariés, sur l’organisation du travail, ce que prévoit l’article 2, est, à mes yeux, essentiel et structurant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons entre nous des divergences de projets.

Mme Laurence Cohen. Ce sont des projets de société !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Pour ma part, je n’oppose pas un étage à un autre. Je pense simplement que nous devons continuer dans cette voie. J’ai rencontré l’ensemble des organisations syndicales et j’écoute leurs propositions, car je suis toujours disposée à apporter des améliorations à ce texte. Néanmoins, je refuse catégoriquement d’en dénaturer la philosophie. Je le répète, il s’agit non pas d’obstination, mais de conviction et de détermination. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 40 amendements au cours de la journée ; il en reste 841.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 15 juin 2016, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 610, 2015-2016) ;

Rapport de MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 662, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 15 juin 2016, à zéro heure trente-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD