M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 961 rectifié.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai déjà exposé ma position il y a quelques instants, en parlant sur l’article, et je souscris à l’argumentaire des collègues qui viennent de prendre la parole. J’insisterai donc seulement sur la remise en cause du contrat de travail, qui me paraît extrêmement dangereuse.

Au moins les députés socialistes ont-ils souhaité que le projet de loi prévoie un licenciement économique, et non un licenciement sec. Reste que le contrat de travail pourra être modifié unilatéralement, même en l’absence de problème majeur. La logique dans laquelle on entre ainsi conduit à placer les salariés dans une situation de vulnérabilité, où ils seront soumis à une pression.

M. Desessard a raison : est-ce ainsi que nous rendrons notre économie performante et, en particulier, que nous assurerons le redressement de notre industrie ? Non ! Nous n’y parviendrons pas en rabiotant à la marge ici ou là, comme on est en train de le faire, mais en accompagnant la mutation technologique, en encourageant l’innovation et en mettant l’accent sur la formation des salariés et sur le 4.0. Concentrons tous nos efforts dans cette direction, car nous sommes encore en retard dans cette mutation !

Le FMI lui-même a mis en évidence que, dans la plupart des secteurs, en particulier des secteurs exportateurs mondialisés, le coût du travail n’est pas le facteur déterminant. Consolidons donc plutôt notre modèle social et, en même temps, pour soutenir les services et les autres secteurs moins exposés à la concurrence internationale, qui ont avant tout besoin de remplir leurs carnets de commandes, menons une politique de relance par la redistribution des richesses au service du pouvoir d’achat !

Un équilibre est nécessaire. Or que constatons-nous ? On nous avait promis 1 million d’emplois avec le pacte de stabilité ; on les attend toujours ! On nous promet aujourd’hui qu’en permettant de licencier et en « flexibilisant » le travail, comme on dit, on modernisera les entreprises ; les résultats positifs de cette politique, nous les attendrons longtemps. Pendant ce temps, la fragilisation économique et industrielle du pays se poursuit… Ce n’est pas la bonne voie !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques tendant à supprimer l’article 11. Elle estime en effet que le dispositif qu’elle a adopté apporte un certain nombre de réponses, après que les accords de maintien de l’emploi ont, comme vous le savez, rencontré un succès tout relatif, puisqu’une douzaine seulement ont été conclus.

Dans ce contexte, nous considérons que ce dispositif va dans le bon sens, d’autant qu’il comporte un certain nombre de garanties pour les salariés qui ne souhaitent pas s’inscrire dans la dynamique d’un accord, offensif ou défensif, un parcours d’accompagnement ayant été prévu par l’Assemblée nationale.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ma conviction est que l’une des réponses au problème du chômage, à la question de l’emploi, tient à notre capacité à prendre les bonnes décisions au bon moment et au bon niveau.

Malheureusement, dans notre pays qui perdait déjà des emplois industriels depuis le deuxième trimestre de 2001, les conséquences de la crise ont été plus sévères qu’en Allemagne, où les salariés ont accepté, avec leurs syndicats, des accords collectifs sur l’emploi, dont la plupart, d’ailleurs, ne prévoyaient pas de baisse de rémunération, mais des gels de salaires. Les entreprises allemandes ont joué le jeu en renonçant aux licenciements, de sorte que de nombreux emplois ont pu être maintenus, dans des conditions qui assuraient des garanties aux salariés. À l’issue de la crise, les mesures ont pu être levées ; ainsi, dans la métallurgie allemande, les augmentations salariales avoisinent aujourd’hui 5 %.

En un sens, la question n’est pas d’être offensif ou défensif ; elle est de trouver les meilleures voies pour développer l’emploi, car le chômage que nous connaissons n’est pas acceptable. La question du bon moment est tout aussi essentielle. Par ailleurs, il ne s’agit évidemment pas d’agir à n’importe quel prix : nous sommes tous d’accord pour dire que les garanties des salariés et les exigences sociales doivent être préservées.

Oui, comme le montrent les exemples de Michelin, STX et PSA, les accords, quand ils sont conclus par des syndicats majoritaires, sont à la fois efficaces et justes ! Dans ces trois cas, en effet, des centaines d’emplois ont pu être préservées et les salariés ont obtenu des contreparties en échange de leur effort ; je pourrais vous en citer de multiples. Les accords pour développer l’emploi fourniront un cadre à ces négociations et leur permettront d’être efficacement mises en œuvre.

Je comprends, bien sûr, les interrogations que ce dispositif suscite, mais elles ne me paraissent pas justifiées, même si je reconnais à ceux qui les formulent une certaine cohérence. De fait, leur position est dans le droit-fil de celle qu’ils ont adoptée au sujet de la loi sur la sécurisation de l’emploi, notamment en ce qui concerne les accords de maintien de l’emploi. Ainsi, j’ai relu les propos que vous avez tenus à l’époque, madame Lienemann, et je reconnais volontiers une certaine cohérence à vos positions.

D’abord, les accords prévus par le projet de loi seront majoritaires ; ils reposeront donc sur un consensus large, ce qui me paraît essentiel. L’intérêt collectif doit primer une situation individuelle : tel est le sens du principe majoritaire, qui sera pour les salariés la première des garanties.

Ensuite, les accords en faveur de l’emploi, contrairement aux accords de maintien de l’emploi, avec lesquels la commission propose de les fusionner, ne pourront pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle des salariés, c’est-à-dire leur pouvoir d’achat.

Mme Nicole Bricq. Et voilà !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Même si, conformément aux souhaits des partenaires sociaux, une telle baisse a été fortement encadrée, notamment par l’accord national interprofessionnel de 2013, elle est possible dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi, ce qui se justifie par les difficultés graves de l’entreprise. Elle ne le sera pas dans le cadre des accords prévus par le projet de loi, ce qui constitue une différence majeure.

Par ailleurs, ces accords seront assortis de garanties importantes, renforcées au demeurant, dans le cadre des concertations que nous avons menées avec les partenaires sociaux, mais aussi avec les députés dans leur ensemble.

Premièrement, contrairement à ce que d’aucuns prétendent, ces accords auront une durée : ils devront être conclus pour une durée déterminée, une durée par défaut étant fixée à cinq ans.

Mme Nicole Bricq. La durée pourra être inférieure !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Elle pourra être inférieure, éventuellement supérieure ; il appartiendra aux partenaires sociaux d’en décider.

Deuxièmement, les accords devront être conclus sur le fondement d’un diagnostic partagé. C’est pourquoi l’employeur qui envisage un tel accord devra transmettre en amont toutes les informations nécessaires aux organisations syndicales représentatives. En outre, le préambule de l’accord devra énoncer les objectifs de celui-ci et, faute de préambule, l’accord sera frappé de nullité ; cela est très clair et tout à fait essentiel.

Troisièmement, la négociation sera strictement réservée aux syndicats. Dans les entreprises sans délégué syndical, la négociation d’un accord ne pourra avoir lieu qu’avec des salariés ou des élus du personnel mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives. C’est aussi une garantie importante.

Quatrièmement, les salariés qui refuseront l’accord bénéficieront de garanties renforcées. La question du contrat de travail, soulevée par Mme Lienemann, se pose, en fin de compte, si un salarié refuse un accord en faveur de l’emploi – un accord, je le rappelle, proposé par le rapport Combrexelle. Il ne s’agit pas de transposer en France le système allemand, dans lequel un tel salarié est déclaré démissionnaire ; cela est extrêmement clair, comme l’ont montré les débats en commission à l’Assemblée nationale.

En effet, le projet de loi prévoit que le licenciement des salariés qui refuseront l’accord sera proposé selon les modalités de la procédure applicable au licenciement individuel pour motif économique ; ces salariés bénéficieront d’un accompagnement personnalisé et percevront une indemnité.

Cinquièmement, les efforts ne seront pas unilatéraux, puisque les accords pourront contenir des mesures assurant que les mandataires et dirigeants fournissent eux aussi des efforts proportionnés pendant la durée de l’accord ; cela me paraît également important.

Dans tous les cas, les partenaires sociaux devront dresser un bilan annuel de l’application de l’accord, permettant de réajuster la situation en tant que de besoin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des débats que nous pouvons avoir sur le caractère offensif ou défensif des accords, la question qui se pose est : sommes-nous capables de prendre par le dialogue social les bonnes décisions au bon moment, pour ne pas avoir à négocier des plans de sauvegarde de l’emploi ? De ce point de vue, quand j’examine de près certains accords, comme ceux conclus chez STX et Michelin, il m’apparaît qu’il faut fournir un cadre à l’ensemble des accords qui sont signés !

Mme Nicole Bricq et M. Yves Daudigny. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si, comme l’a expliqué mon collègue Dominique Watrin, nous sommes opposés à l’article 11 du projet de loi dans la rédaction proposée par le Gouvernement, il va de soi que nous sommes totalement défavorables à la rédaction adoptée par la commission des affaires sociales de notre assemblée. En effet, la droite sénatoriale s’est engouffrée dans la brèche ouverte en exigeant que les accords de préservation et de développement de l’emploi puissent modifier la rémunération mensuelle des salariés.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est faux !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Or, comme l’a souligné notre collègue Jean Desessard, le MEDEF n’est jamais satisfait.

Ainsi donc, il serait désormais possible de réduire la rémunération mensuelle des salariés au-dessus de 1,2 SMIC. Cette éventualité nous inquiète au plus haut point, puisque nous sommes convaincus que c’est aussi par la relance du pouvoir d’achat des salariés que nous contribuerons à l’augmentation de la croissance.

De même, la majorité sénatoriale a étendu les accords de préservation et de développement de l’emploi aux entreprises de moins de cinquante salariés, dépourvues de délégué syndical.

Je n’oublie pas non plus la clause de retour à meilleure fortune, qui permettra aux entreprises de maintenir les mesures le temps de la crise économique.

Quand on songe qu’on nous assène depuis quarante ans que l’austérité nécessite de se serrer toujours plus la ceinture pour relancer la croissance, il est à craindre que ces dispositifs aient de beaux jours devant eux…

Madame la ministre, vous avez expliqué qu’il fallait prendre les bonnes décisions au bon moment. Nous ne pouvons que vous suivre, mais, en ce qui concerne l’Allemagne, il me semble, même si je ne suis pas une grande spécialiste de ce pays, qu’il faudrait regarder la situation de plus près, s’agissant notamment des conditions dans lesquelles des emplois ont été créés. En effet, je crois avoir compris que les faits positifs dont vous avez parlé s’accompagnent d’une grande précarité et de nombreux contrats à bas salaire.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Comme vous l’aurez compris, l’article 11 du projet de loi ne nous satisfait pas du tout, puisque, après les accords défensifs issus de la loi sur la sécurisation de l’emploi, on en vient aux accords offensifs.

Pourtant, les accords de maintien de l’emploi permettent déjà à une entreprise en difficulté économique de conclure un accord afin de diminuer la rémunération des salariés à temps de travail constant ou d’augmenter la durée du temps de travail sans contrepartie. Comme l’ont souligné Jean Desessard, Dominique Watrin et Brigitte Gonthier-Maurin, il n’y a pas de limite : plus on en donne, plus ils en veulent ! Jusqu’où allons-nous aller, mes chers collègues ?

Voilà qu’il suffira désormais, pour signer un accord, de déclarer avoir pour objectif le développement ou la préservation de l’emploi… Difficile de nier que la condition est bien floue et que le champ est très vaste ! En d’autres termes, n’importe quelle entreprise pourra conclure un accord à n’importe quel moment.

De plus, une fois adoptés, ces accords s’imposeront aux salariés, même si les clauses en sont moins favorables que les dispositions légales ou les stipulations du contrat de travail. La hiérarchie des normes est donc bien inversée, et le principe de faveur abandonné.

En outre, le salarié qui refusera de se soumettre au nouveau régime pourra faire l’objet d’un licenciement économique individuel, ce qui signifie qu’il sera privé des protections de reclassement assurées dans le cadre des actuels accords de maintien de l’emploi.

Mme Nicole Bricq. Pas du tout !

Mme Laurence Cohen. Bien sûr que si !

Mme Annie David. Madame la ministre, vous avez mentionné les plans de sauvegarde de l’emploi. Or, précisément, les accords dont nous parlons autorisent les entreprises à se soustraire à leur obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi ! Dès lors, les effets d’aubaine vont se multiplier, car de nombreuses entreprises chercheront à éviter une procédure collective.

Je rappelle aussi que le plan de sauvegarde de l’emploi s’accompagne d’une convention de revitalisation. Aujourd’hui, ces conventions sont mises en œuvre dans un grand nombre de nos territoires ; hier, en visitant une entreprise concernée, j’ai mesuré combien ces conventions de revitalisation sont essentielles pour permettre l’implantation de nouvelles entreprises dans les territoires où l’activité économique recule. Aussi bien, madame la ministre, avec vos accords offensifs, non seulement vous ne préservez pas les emplois existants, mais vous ne favoriserez pas non plus le développement d’emplois de remplacement !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. À chaque projet de loi, on nous dit : on a atteint l’équilibre, c’est formidable. Ainsi, M. Rebsamen nous assurait qu’on avait trouvé le bon dosage. Et puis vous voilà, madame la ministre, avec votre texte ! Je suis à peu près sûr que, dans quelque temps, un autre ministre, ou peut-être vous-même, reviendrez avec un texte nouveau…

Au demeurant, les socialistes, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, n’ayant pas à gérer, étaient beaucoup plus réticents devant les évolutions qu’il fallait envisager ; je me souviens de positions plus tranchées.

En vérité, il y a une dynamique, car les rapports sociaux, aujourd’hui, ne sont pas statiques : dans un monde en mouvement, rien n’est établi une fois pour toutes. Dans ce contexte, la question est : quel projet social d’envergure a-t-on ?

Madame la ministre, vous proposez d’avancer vers la flexibilité en établissant des garde-fous qui ne constituent pas une sécurité. La sécurité contre les précarités et le chômage, c’est au niveau de l’État qu’elle devrait être assurée, ce qui n’est pas prévu dans le projet de loi ! Les garde-fous prévus au niveau de l’entreprise sauteront, parce qu’on entendra ce discours : pourquoi m’imposez-vous ces règles, pas assez flexibles, qui ne correspondent pas à la situation de mon entreprise ?

Vous avez pris l’exemple de l’Allemagne. Pourtant, lorsque nous vous avons demandé de prévoir un plus grand nombre de salariés administrateurs, comme en Allemagne, vous avez refusé ! L’exemple n’est donc pas probant, puisqu’on n’emprunte à l’Allemagne que ce que l’on veut bien.

Par ailleurs, le patronat allemand n’est pas le patronat français – même si celui-ci comprend, monsieur Cadic, des éléments extrêmement positifs. Je me souviens de ce qui s’est passé lors de la vente d’Adidas : alors que les vendeurs entendaient que l’appareil de production reste en Allemagne, le repreneur, qui s’appelait Tapie, après avoir pris l’engagement qu’il en serait ainsi, a évidemment, sitôt la transaction conclue, organisé une vente à la découpe et la délocalisation des lieux de production partout dans le monde… J’y insiste : la culture du patronat français et même sa composition, sa structure, diffèrent de celles du patronat allemand.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Je ne veux pas laisser caricaturer le travail de la commission.

En réalité, l’unification des régimes est déjà présente dans le texte gouvernemental, puisque la rédaction initiale de l’article 11 traite bien de préservation et de développement de l’emploi. Pour éviter que trente-six dispositifs ne continuent à coexister, la commission a repris ce travail d’unification, tout en s’attachant à bien préciser les choses. Ainsi, il s’agit de transposer dans le cadre des accords de préservation de l’emploi le régime prévu pour les accords de maintien de l’emploi, ni plus ni moins. La rémunération des salariés ne pourra donc pas être abaissée au-delà de 1,2 SMIC.

Je le répète : je ne fais que reprendre le texte présenté par le gouvernement socialiste !

En outre, je défendrai au nom de la commission l’amendement n° 1017 visant à préciser que la rémunération mensuelle des salariés ne peut pas baisser dans le cadre d’un accord de développement de l’emploi. Qu’on ne caricature donc pas le travail que nous avons accompli !

Par ailleurs, c’est la commission qui a ajouté à l’article 11 la disposition aux termes de laquelle « l’accord prévoit les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient d’une amélioration de la situation économique de l’entreprise à l’issue de l’accord ». Cette clause de retour à meilleure fortune ne figurait pas dans le texte initial du Gouvernement.

La commission des affaires sociales a accompli un travail sérieux d’amélioration du dispositif, qui prend en compte à la fois les besoins collectifs des entreprises et les besoins collectifs et individuels des salariés !

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Le temps m’a manqué dans mon intervention précédente pour aborder la dimension de l’efficacité économique, mais je pense qu’il faut aussi situer le débat sur ce plan. Face à la concurrence internationale, des mesures doivent en effet être prises.

La principale raison pour laquelle l’Allemagne, que vous avez citée, madame la ministre, a peut-être un peu mieux surmonté la crise économique de 2008 que la France est qu’elle a développé beaucoup plus que nous le chômage partiel indemnisé ; ce ne sont donc pas forcément les accords d’entreprise qui expliquent les meilleurs résultats allemands.

En termes macroéconomiques, j’incline à penser comme M. Desessard : nous observons une mise en concurrence des salariés à l’échelle européenne, dont nos groupes profitent largement en s’appuyant sur des accords qu’ils signent, comme Renault en Espagne, pour faire pression sur les salariés afin qu’ils acceptent toujours plus de sacrifices, sous la menace de voir un nouveau modèle de véhicule affecté à un autre site, dont les salariés se seront montrés plus accommodants. Où est l’efficacité économique ?

À la vérité, les seuls gagnants de ce système sont les actionnaires et les grands dirigeants. Souvenez-vous, mes chers collègues, que pendant que de tels accords étaient appliqués, Carlos Ghosn a multiplié son salaire par deux, de 2,75 millions d’euros à 5,24 millions d’euros, tandis que les salariés de Renault n’ont été augmentés que de 11 euros bruts par mois…

Je pourrais parler aussi du bilan de ce qui s’est passé à PSA. En termes d’intérêt économique général et de développement de l’emploi dans notre pays, quel est le résultat ? Il faut tout de même le dire : 13 000 suppressions d’emplois ! Encore est-ce sans compter les 750 suppressions d’emplois dont on parle aujourd’hui à l’usine de Poissy, dont les salariés ont pourtant consenti beaucoup d’efforts – travail le samedi moins indemnisé, flexibilité accrue, suppressions de RTT et de congé et une productivité en progrès. Qu’on m’explique où est l’efficacité économique !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 50, 447 et 961 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 341 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 40
Contre 300

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 645, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

y compris en matière de rémunération et de

par les mots :

à l’exclusion des dispositions relatives à la rémunération et à la

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Cet amendement de repli vise à exclure les questions de rémunération et de durée du travail du champ d’application de l’alinéa 2.

L’article 11 dans sa rédaction actuelle sape l’un des piliers de notre droit du travail : le principe de l’ordre public social de protection, qui garantit depuis des décennies au salarié que la disposition la plus favorable lui sera appliquée. Désormais, en effet, il suffira pour imposer les conditions de l’accord d’entreprise en matière de temps de travail et de rémunération des salariés que l’accord ait pour objectif la préservation ou le développement de l’emploi.

J’insiste sur le risque, que mes collègues ont déjà signalé, que ce motif soit invoqué par n’importe quelle entreprise, de manière injustifiée. Nous craignons que cet article n’ouvre une véritable boîte de Pandore ! En effet, sous la pression du chantage aux licenciements ou à la fermeture de l’entreprise, un employeur pourra imposer à un salarié un accord moins favorable que les clauses stipulées dans son contrat ou dans la convention collective ou même que les dispositions prévues par la loi.

Certes, il est prévu a priori qu’un accord ne pourra diminuer la rémunération mensuelle des salariés. Mais a priori seulement, dès lors qu’il est aussi prévu qu’« un décret définira la rémunération mensuelle ». Les craintes sont vives que cette rémunération n’englobe pas l’ensemble des rémunérations fixes et variables versées aux salariés, mais uniquement les rémunérations fixes, ce qui permettrait aux employeurs de supprimer les primes de leurs salariés.

Enfin, il pourra être tout bonnement procédé à l’augmentation du temps de travail.

Nous sommes donc en présence d’un nouveau principe ; pas si nouveau, à vrai dire, puisqu’il s’agit de travailler plus pour gagner moins, ce qu’on avait déjà entendu dans la bouche d’un présidentiable…

C’est pour éviter ce recul social et sociétal que nous invitons le Sénat à adopter cet amendement de repli !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’adoption de cet amendement reviendrait à vider de sa substance l’article 11. La commission ayant adopté celui-ci, y compris son alinéa 2, elle a émis un avis défavorable sur l’amendement.

Dans le modèle allemand, dont nous avons déjà parlé – certes à un autre propos, puisqu’il s’agissait de la composition des conseils d’administration des entreprises –, un salarié qui n’accepte pas un accord de compétitivité est purement et simplement déclaré démissionnaire. Le dispositif que nous avons adopté prévoit un certain nombre de mesures d’accompagnement, qu’il faut considérer en miroir – pour reprendre une expression chère au Gouvernement – de l’alinéa 2, qui est une disposition fondatrice de l’article 11.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il me semble, sans parler de dialogue de sourds, que ce débat sur le principe majoritaire et la signature des accords par les syndicats repose sur un malentendu.

D’un côté, nous pouvons rejoindre le groupe CRC dans notre refus absolu de contourner les organisations syndicales, compte tenu du déséquilibre qui existe en effet dans la relation entre l’employeur et le salarié ; nous considérons que, lorsque le salarié est accompagné, formé et soutenu par une organisation syndicale, ce déséquilibre se réduit.

De l’autre, je constate que les orateurs du groupe CRC emploient dans toutes leurs démonstrations l’argument du pistolet sur la tempe, faisant fi de ce que nous parlons d’accords majoritaires négociés avec des organisations syndicales.

Pour moi, il y a là une vraie divergence de fond : nous considérons qu’il faut laisser la possibilité d’adaptations au sein des entreprises par le moyen de la négociation et d’un accord majoritaire. Proposer de supprimer la rémunération des salariés et la durée du travail du champ des accords de préservation et de développement de l’emploi procède, d’une certaine manière, d’un manque de confiance à l’égard des syndicats ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.) Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, connaissez-vous beaucoup d’accords majoritaires qui vont contre l’intérêt des salariés ?

Mme Éliane Assassi. Il y en a eu !

Mme Myriam El Khomri, ministre. À chaque organisation syndicale que je rencontre, je dis : montrez-moi un tel accord, car, moi, je ne connais que des accords signés ou non signés ! C’est là que nous avons une vraie divergence.

Vous ne pouvez pas considérer qu’être représenté par une organisation syndicale équivaut à être seul face à son employeur ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC.)

J’estime pour ma part qu’il faut développer le syndicalisme dans notre pays, créer des acteurs forts, c’est-à-dire des acteurs dont on renforce à la fois la légitimité et la responsabilité. C’est ce que l’on retrouve dans le dispositif de l’article 11.

Mme Laurence Cohen. Nous n’avons vraiment pas la même lecture du texte !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Par ailleurs, si l’accord conclu est défavorable aux salariés, ne pensez-vous pas que les organisations syndicales qui l’auront signé se feront « retoquer » par ces mêmes salariés aux prochaines élections professionnelles ? C’est quand même ça, la réalité du terrain ! En prévoyant un dispositif où les syndicats s’engagent, le Gouvernement a évidemment tout cela en tête.

Je fais confiance aux syndicats et au dialogue social. Je considère que ce n’est pas le projet unilatéral de l’employeur qui doit primer, mais un autre projet de société, celui que je défends au travers de ce texte.