compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 8 juillet 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Fin de la mission temporaire d’un sénateur

M. le président. Par lettre en date du 7 juillet 2016, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 17 juillet 2016, de la mission temporaire de M. Jérôme Durain, sénateur de Saône-et-Loire, auprès de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, portant sur la proposition d’un cadre législatif et réglementaire favorisant le développement en France des compétitions de jeux vidéo, dans le cadre de l’article L.O. 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

3

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 7 juillet 2016 prennent effet.

4

Commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les demandes de réunions de commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer des textes sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, et, d’autre part, de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

Dépôt d’un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le tableau de programmation des mesures d’application de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des lois, ainsi qu’à celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et à celle des finances.

6

 
Dossier législatif : projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Discussion générale (suite)

Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (projet n° 723, texte de la commission n° 766, rapport n° 765).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine ce projet de loi depuis six mois, sous la houlette de son rapporteur, Jérôme Bignon, dont je veux une fois encore saluer l’engagement, la rigueur et la volonté de trouver des voies de compromis, même si cela n’a pas toujours été facile !

Six mois pendant lesquels vous avez dialogué avec le Gouvernement, pendant lesquels l’Assemblée nationale, prenant votre suite, a travaillé sur ce texte, un texte indispensable, un texte que nous voulons ambitieux. En effet, ce texte est un texte d’espoir, qui repose sur le postulat que la perte de biodiversité peut être enrayée et le mouvement inversé. Le rythme actuel de disparition des espèces animales et végétales est 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d’extinction ! Répondre à ce défi est notre objectif, parce qu’il s'agit d’une question vitale, au sens premier du terme.

Malheureusement cette conscience n’est pas encore inscrite dans les esprits, contrairement à celle des dangers du réchauffement climatique, par exemple. Cela tient, à mon sens, à deux facteurs qui se cumulent.

Premier facteur, il est difficile de convaincre de la nocivité du niveau de nos prélèvements sur la nature, qu’il s’agisse de destruction d’espaces ou d’espèces, dès lors que cette nature a des capacités de régénération.

Parler de la consommation d’une ressource finie, c’est simple et facilement explicable : lorsque la ressource est épuisée, elle est épuisée ! D’une certaine manière, la baisse du stock est perceptible, et on peut en suivre l’évolution sans trop de difficultés. Il est plus difficile de parler d’une ressource qui se régénère d’elle-même : la nature possède des capacités importantes pour se restaurer grâce à sa diversité, à condition, tout de même, qu’on ne l’ait pas trop gravement endommagée.

Or, sur nombre de points, nous avons dépassé un seuil, celui au-delà duquel la régénération n’est pas suffisante pour compenser les destructions que nous causons à la nature. Et cela, c’est difficile à faire admettre.

Un second facteur complique encore la prise de conscience : on se heurte parfois à la croyance en un progrès illimité, qui permettrait, comme par enchantement, de faire reculer ce seuil au-delà duquel la régénération naturelle ne peut plus produire ses effets.

Ce texte nous invite à croire en la science et à faire confiance au progrès, mais à un progrès qui s’appuie sur la nature, qui s’en inspire, cherchant à mieux la protéger, à la valoriser sans la détruire ou la dégrader. Car dans un monde qui prend conscience de sa finitude, c’est finalement cela, le progrès.

Notre action publique, et ce projet de loi nous y invite, doit combattre les facteurs qui menacent la biodiversité : la disparition des habitats et des milieux naturels dans lesquels les espèces évoluent, la surexploitation des ressources, les pollutions, le développement d’espèces exotiques envahissantes et le réchauffement climatique.

Alors que je disais cela à l’Assemblée nationale, j’ai entendu un député de l’opposition me rétorquer : « Mais nous sommes tous d’accord là-dessus, ce ne sont que des généralités ! » Eh bien, précisément, non ! En effet, ce texte que Philippe Martin a préparé, que Ségolène Royal a concrétisé, que je porte aujourd’hui et que les parlementaires, députés et sénateurs confondus, ont travaillé et enrichi, tire des leçons et des conséquences concrètes de ces constats. Et c’est sur ces conséquences concrètes et sur les mesures qui seront adoptées que les Français jugeront.

Les Français, parlons-en. Comme je l’expliquais à l’instant, je mesure chaque jour, lors de chaque rencontre ou déplacement que je suis amenée à faire, à quel point la conscience de l’enjeu de la biodiversité demande encore à être développée. Et, dans le même temps, je mesure à quel point les attentes sont fortes lorsque les facteurs de perte de biodiversité sont évoqués.

Il faut dire que les événements, parfois les crises, concourent à cette prise de conscience et à ces attentes fortes. C’est la nécessité de préserver les zones humides, par exemple, qui apparaît dans toute son acuité à l’occasion des crues et de leurs conséquences. C’est le devoir de limiter la consommation de nos ressources naturelles qui ne se régénèrent pas au rythme de leur disparition. C’est la volonté de lutter contre les pollutions, leurs causes, mais aussi leurs conséquences. « Généralités » que tout cela ? Eh bien non !

Non, parce que la préservation des zones humides passe par la lecture la plus stricte possible du principe de « zéro perte de biodiversité », par un mode d’emploi plus clair et plus efficace du principe « éviter, réduire, compenser », par une clarté et une opérationnalité du principe de compensation.

Non, parce que la lutte contre les pollutions passe par une interdiction à court terme, dans des conditions bien évidemment soutenables pour les agriculteurs, des néonicotinoïdes tueurs de pollinisateurs, ainsi que par une traduction fidèle de la jurisprudence de l’Erika sur les responsabilités et la réparation dans la loi, dans le cadre du préjudice écologique.

Autant de points – j’aurais pu en citer quantité d’autres ! – qui figurent dans ce projet de loi et sur lesquels subsistent, il faut le dire, à la lecture des modifications intervenues en commission, des différences d’appréciation, de ces différences qui font, précisément, sortir des généralités, pour entrer dans l’opérationnalité.

Le projet de loi qui vous est soumis est complet dans sa conception, enrichi dans son examen. Il sera le cadre de nos politiques de biodiversité pour des années. Il convient donc d’en faire un texte partagé, comme cela avait été le cas avec la loi de 1976 sur la protection de la nature, dont nous avons fêté hier les quarante ans.

J’étais samedi dernier à Saumur, au congrès de la ligue de protection des oiseaux, la LPO, qui avait judicieusement invité, pour parler de la loi de 1976, plusieurs anciens ministres de l’environnement. Ce que je retiens de ces échanges, c’est que, au-delà des différences d’approche, qui sont de nature politique et qui sont parfaitement légitimes en démocratie, chaque acteur ayant témoigné lors de la table ronde consacrée à la loi de 1976 a eu à cœur d’assurer l’application la plus fidèle des principes et dispositifs de cette loi.

Il convient donc de penser que le texte qui nous est proposé est non le texte d’un gouvernement, même s’il vous est proposé par ce gouvernement, non le texte d’une majorité, même s’il sera probablement voté par la majorité de l’Assemblée nationale, non le texte d’aujourd’hui, même s’il est essentiel qu’il soit adopté au cours de cette législature, comme le Président de la République s’y était engagé.

Non, ce sera le texte de la République, qui sera appliqué par des gouvernants à venir, quelle que soit leur orientation politique ! Et les dispositifs qu’il crée, les occasions qu’il offre, les outils qu’il consacre seront utiles à tout gouvernement qui aura à cœur d’assurer la protection et la reconquête de la biodiversité.

Je vous appelle donc à dégager votre jugement et vos choix de considérations de circonstance, pour assurer à tous les responsables, actuels, mais aussi à venir, les moyens d’une politique ambitieuse de biodiversité.

Ainsi, j’ai noté la volonté réitérée, au travers d’un certain nombre d’amendements, de distinguer les rôles de police administrative et de police judiciaire, selon l’appartenance des agents de terrain à l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, ou à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS.

Je ne puis que vous mettre de nouveau en garde contre cette tentation, qui, outre qu’elle va à l’encontre du bon fonctionnement des opérations de contrôle sur le terrain, exprimerait un signe de défiance envers les personnels de la future AFB. En effet, les compétences en question ne sont pas seulement le fruit d’un texte de loi. Elles sont aussi la conséquence de savoir-faire et d’expériences que la loi doit venir reconnaître et consacrer.

Ne pas le faire, ce ne serait pas seulement menacer le processus de création de l’AFB, lequel se déroule aujourd’hui dans des conditions positives. Ce serait rendre extrêmement difficile, par la suite, le fonctionnement de l’Agence sur le terrain. Ce serait rendre un mauvais service et à la biodiversité et aux responsables ministériels futurs, qui auront à travailler en bonne intelligence avec un opérateur central, celui de nos politiques de biodiversité.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est de tout cela qu’il s’agit. Votre tâche va bien au-delà de l’adoption d’une ligne dans un texte de loi, cet été, à la veille de l’interruption des travaux parlementaires. Il vous revient de doter, ou non, notre pays de la capacité d’être à la hauteur des attentes suscitées dans les prochaines années.

Comment pourrions-nous l’être si nous édulcorions les grands principes proposés par ce texte, si nous nous contentions de leur interprétation a minima, si nous revenions sur des dispositifs ambitieux, si nous ne répondions pas aux attentes de l’opinion sur de nombreuses questions – je pense, en particulier, aux néonicotinoïdes ?

Je tire de mes visites de terrain deux convictions : tout d’abord, je vous l’ai dit les Français attendent que nous allions plus loin. Ensuite – je dois vous avouer que cela m’a assez agréablement surprise –, très nombreux sont les acteurs économiques qui nous demandent d’agir avec audace et détermination.

On oppose trop souvent biodiversité et développement économique. C’est oublier les entreprises qui tirent leur activité d’une biodiversité en forme, les entreprises qui innovent et qui sont souvent prometteuses ; j’ai encore eu l’occasion de le mesurer à Senlis, la semaine dernière, au congrès de biomimétisme.

C’est aussi oublier les agriculteurs, dont l’apport à la biodiversité est enfin consacré dans ce texte et auxquels nous devons donner de la visibilité pour l’avenir et des outils d’accompagnement au changement lorsque c’est nécessaire. Les agriculteurs que je rencontre, et j’en rencontre beaucoup, ne demandent pas à continuer d’utiliser des produits dont ils connaissent les effets potentiels ou avérés. Ils nous demandent de les aider à en sortir, ce qui est la philosophie de ce texte.

Je vous le disais et vous le répète en conclusion, ce texte est un texte de confiance dans un pays, la France, sur lequel reposent tant de responsabilités. Des responsabilités qui tiennent à ses richesses naturelles, en métropole et outre-mer, mais aussi des responsabilités que j’ai évoquées devant vos collègues députés et que j’ai pu mesurer récemment lors de la deuxième Assemblée des Nations unies pour l’environnement, qui s’est tenue à Nairobi. Des responsabilités qui tiennent au statut de notre pays dans le concert des nations : dans le monde, notamment depuis la réussite de la COP 21, la voix de la France, sur les questions environnementales, est entendue, est attendue.

Aussi, collectivement, soyons dignes de nos richesses naturelles, soyons dignes de cette attente, soyons à la hauteur de cet enjeu de la biodiversité, qui conditionne l’avenir des générations à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui presque au terme de la longue procédure parlementaire sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Nous y avons travaillé pendant plusieurs mois, puisque le Gouvernement a déposé ce texte sur le bureau de l’Assemblée nationale au printemps de 2014 et que nous l’examinons aujourd’hui en nouvelle lecture, après l’échec de la commission mixte paritaire le 25 mai dernier.

Nos débats furent longs, parfois vifs, car les positions sur chacune des travées n’étaient pas toujours les mêmes, mais toujours passionnants. Si je tiens à le souligner, c’est parce que cette procédure normale d’examen a pu sembler fastidieuse, car elle fut trop étalée dans le temps. Toutefois, elle nous aura aussi permis d’approfondir un grand nombre de sujets, d’échanger entre nous, de confronter ce que nous pensons, chacun en notre for intérieur, sur ce sujet tellement important qu’est la préservation de notre biodiversité, de nos ressources, donc de notre avenir, par leur mise en valeur de ces dernières.

Après tout, la dernière grande loi sur la nature date de 1976. C’était il y a tout juste quarante ans. À ce compte, un peu de temps supplémentaire pour aborder le fond des choses n’était pas superflu.

Je ne souhaite pas revenir sur le détail des articles du projet de loi, ni sur les différentes étapes de l’examen de notre texte, même si, je dois le redire, je crois sincèrement que l’échec de la commission mixte paritaire est dû à une absence de volonté de l’Assemblée nationale de trouver un compromis sur les deux ou trois vrais sujets qui restaient en discussion.

Je ne m’y attarderai pas, car on ne refait pas l’histoire ! C’est la troisième fois que je suis à cette tribune pour vous présenter un texte que vous connaissez désormais sur le bout des doigts. Je voudrais donc plutôt en profiter pour rappeler et illustrer trois points qui resteront pour moi les apports indiscutables de cette loi.

Avant cela, je tiens à adresser un remerciement particulier à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je sais gré à son président et à toutes celles et tous ceux qui m’ont accordé leur confiance pour être le rapporteur de ce texte et qui m’ont aidé à y travailler. Ensemble, nous avons fait en sorte d’apporter l’instruction la plus complète possible sur les sujets en discussion. Ce fut un honneur pour moi.

J’ai tenté de rencontrer le plus possible d’acteurs. J’ai associé mes collègues de la commission des affaires économiques, saisie pour avis sur les problèmes agricoles, et de la commission des lois, laquelle est intervenue sur le préjudice écologique. J’ai travaillé au fur et à mesure des lectures, en tentant de demeurer ouvert et sans préjugé. Cela n’a pas toujours été très facile, mais c’était incroyablement enrichissant. Même si ce fut parfois fatigant, j’en garderai un souvenir intense.

J’en viens aux trois marqueurs de ce texte qui, selon moi, feront date.

Le premier – on ne le dit pas assez –, c’est la création de l’Agence française pour la biodiversité, qui est l’un des apports essentiels de ce texte. Évidemment, il y a tout l’aspect technique : la création d’un établissement public – sujet qui ne passionne guère les foules ! – est l’occasion de nombreux débats entre spécialistes, qui doivent se prononcer sur les missions, le personnel, les moyens, l’organisation, la déclinaison territoriale…

Lorsqu’a été abordée la question de son périmètre, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage a exprimé sa volonté de rester en retrait et de ne pas intégrer ce nouvel opérateur public, ce que, personnellement, j’ai regretté, et que je continue de regretter, mais je suis sûr que les choses évolueront, car c’est le sens de l’histoire.

La création d’une agence est une véritable aventure. Commencée avec humilité, celle-ci se poursuivra avec des projets ambitieux, une dynamique et un optimisme qui permettent parfois de déplacer des montagnes. J’en parle en connaissance de cause, car j’ai moi-même présidé l’Agence des aires marines protégées, que j’avais contribué à créer en 2006, lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale, et qui va rejoindre l’Agence française pour la biodiversité.

À cette époque, je m’en souviens très bien, les aires marines protégées en France représentaient quelque 0,03 % des espaces maritimes sous la juridiction française. En adoptant, en janvier dernier, l’article 62 bis de ce projet de loi, nous avons permis l’extension des espaces naturels protégés, des réserves naturelles, des parcs nationaux et des aires marines protégées. En allant jusqu’à la limite de la zone économique exclusive et du plateau continental, nous allons passer de 20 000 kilomètres carrés à 500 000 kilomètres carrés !

J’ai participé, la semaine dernière, au conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, qui statuait précisément sur l’extension de la réserve mise en œuvre par Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’écologie et du développement durable. Mon sentiment est que cet article va permettre des progrès décisifs.

Mesurons le chemin parcouru en dix ans : au début, en 2006, il n’y avait rien. Aujourd'hui, nous allons protéger 20 % de l’espace maritime français, dans des conditions absolument extraordinaires en termes de survie de la biodiversité.

Au-delà du titre III de ce projet de loi, plusieurs missions de préfiguration ont tenté d’imaginer comment pourrait fonctionner ce nouveau paquebot, qui permettrait une politique de la nature protégée. En effet, si l’Agence des aires marines protégées était un gentil petit navire, là, c’est un super Panamax que nous mettons à l’eau !

Des personnes de qualité travaillent depuis longtemps et continuent de travailler d’arrache-pied sur ce projet, qui a quelque chose de titanesque. J’en connais quelques-unes et sais leur engagement sincère sur ces sujets. Je suis heureux que ce texte vienne donner corps à ce magnifique projet, qui sera d’ailleurs le cœur de la réussite de cette nouvelle impulsion. Dès demain, une fois le texte voté, l’Agence sera le révélateur de la réussite de ce nouvel élan – j’en suis, à titre personnel, complètement convaincu.

Le deuxième point, qui se situe dans un autre registre, quelque peu différent, est relatif au protocole de Nagoya. En effet, ce projet de loi parle aussi de solidarité. Et cette solidarité s’illustre tout particulièrement dans les apports de la commission au titre IV, qui introduit dans le code de l’environnement un dispositif d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages.

Sur mon initiative, et j’en suis très fier, nous avons autorisé le Gouvernement à ratifier le protocole de Nagoya. Que la commission du développement durable s’occupe de ratifier un accord international, ce n’était pas banal et cela a d'ailleurs suscité quelques remous dans l’océan de ceux qui nous gouvernent ! (Mme la secrétaire d'État sourit.) La France a tout à gagner à se doter d’un dispositif ambitieux de protection de ses ressources, dont l’écrasante majorité se trouve dans nos outre-mer.

Nous n’avons eu de cesse de garantir une meilleure implication, une meilleure association des populations locales et, en particulier, des communautés d’habitants, que ce soit par la possibilité donnée aux assemblées délibérantes de devenir autorités administratives compétentes en matière d’utilisation des ressources et de partage des avantages ou en imposant une restitution systématique des résultats des travaux de recherche auprès des populations locales.

Pour la première fois, l’exploitation de ressources naturelles s’accompagnera de retombées pour les hommes et les femmes qui ont préservé la nature, non pas quelques années, mais des siècles durant ! C’est pourquoi il nous a paru essentiel de préserver les dispositions de l’article 18, qui organisent ces retombées. Telles sont les raisons pour lesquelles tout à l’heure, au cours de nos débats, je m’opposerai de nouveau aux amendements visant à restreindre le partage.

De grâce, laissons toute sa place à la solidarité ! Avec ce texte, la France s’est dotée d’un dispositif unique de protection de la biodiversité et de solidarité entre les territoires. Il garantit la protection de nos ressources génétiques exploitées dans le cadre de la recherche et de l’industrie, mais aussi un partage juste et équitable des gains tirés de l’exploitation de ces ressources, qu’il s’agisse de retours de connaissances comme de bénéfices financiers.

Ce texte est appelé à devenir la pierre angulaire dans la mise en place d’une politique équitable de redistribution des avantages à destination des outre-mer, des communautés d’habitants, en particulier. Et c’est, j’en suis convaincu, une avancée majeure de cette loi.

Le troisième et dernier point que je voudrais aborder, c’est le droit. En effet, dans une assemblée parlementaire, on fait du droit ! (Sourires.) Même si certains semblent parfois l’oublier, l’une des vocations du Parlement est de créer des normes, qui deviennent le bien commun pour cet ensemble national que nous constituons.

Le projet de loi relatif à la biodiversité ancre de plus en plus fortement le droit de l’environnement dans des principes forts et séculaires de notre droit. Certains des débats à venir vont le montrer, tous les principes ne sont pas parvenus à la même maturité juridique. Je prends volontairement l’exemple du principe de non-régression, dont je partage l’ambition, tout en pensant qu’il n’a pas la maturité juridique nécessaire pour entrer dans notre droit positif, à l’heure où je vous parle.

Je pense également à la révolution juridique que représente l’inscription de la réparation du préjudice écologique dans notre code civil. C’est un moment important, dont nous nous souviendrons, tous, pendant quelques années ; je serais tenté de dire qu’il est fondateur. Et je tiens à saluer le président Bruno Retailleau, qui est à l’origine de cette innovation.

Grâce au Sénat, cette loi va créer du droit, au sens le plus noble du terme. Nous allons inscrire dans le droit positif, dans les parties les plus sensibles et les plus anciennes du code civil, des dispositions qui étaient jusqu’alors de nature jurisprudentielle.

En effet, la protection de la biodiversité, des espèces et des sites passe également par un renforcement de notre droit de la responsabilité et par des innovations juridiques qui adaptent notre droit aux évolutions des risques encourus par nos écosystèmes, qui ont malheureusement souvent une origine anthropique. L’homme doit être capable de réparer les dommages qu’il cause à l’environnement et, ce faisant, qu’il se cause à lui-même, à son avenir et à celui de la planète. La réparation du préjudice écologique « pur », c’est-à-dire celui qui est subi par l’environnement en tant que tel, va désormais entrer dans notre droit.

Le Sénat avait déjà adopté à l’unanimité, en 2013, la proposition de loi de M. Retailleau. Il fait encore aujourd’hui preuve de son exigence et de sa rigueur en renouvelant ce geste important.

J’ai travaillé en binôme avec Alain Anziani, qui est membre de la commission des lois et qui avait été le rapporteur de la proposition de loi de 2013. Nous avons entendu nombre d’acteurs, de juristes, de professeurs, de magistrats, mais aussi des représentants des entreprises, des assurances ou encore des associations.

Or nous sommes parvenus, je le crois, à un bon équilibre, efficace et rigoureux. En effet, la tentation est parfois grande, y compris pour nous, législateurs, de ne pas faire confiance au juge, de nous prémunir contre des risques imaginaires, d’écrire en trois alinéas ce qu’une phrase pourrait contenir, de prévoir dans la loi des mesures d’ordre réglementaire qui, au contraire de l’objectif visé, fragilisent le dispositif.

Nous avons donc souhaité simplifier le dispositif, ne pas confondre code civil et code de procédure civile et, surtout, laisser au juge la possibilité de faire son travail. D’ailleurs, comme nous l’a montré la jurisprudence de l’Erika, le juge n’a pas attendu le législateur pour reconnaître la réparation du préjudice écologique !

Notre rédaction s’appuie donc sur quatre éléments principaux.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Premièrement, c’est le point de départ, l’obligation, pour toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement, de réparer le préjudice écologique qui en résulte.

Deuxièmement, l’encadrement de l’intérêt à agir, qui, même s’il est de toute façon apprécié par le juge, risquerait, à être trop large, de devenir trop lourd et contraignant.

Troisièmement, le principe d’une réparation par priorité en nature et par exception en dommages et intérêts.

Quatrièmement, un délai de prescription de dix ans, comme pour les dommages corporels.

Voilà, mes chers collègues, les apports de cette loi qui, à mon sens, resteront et qui signent le début d’une approche nouvelle de la préservation de la biodiversité : la dynamique d’une agence de la nature transversale et intégrée, la solidarité dans le partage des avantages tirés de la nature, la force d’un droit solide. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)