M. Gaëtan Gorce. Sans l’accord de l’ONU !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Nous attendons de notre partenaire américain qu’il soit pleinement engagé et déterminé à peser de tout son poids pour relancer, enfin, une solution politique à la tragédie que vit la Syrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans un monde incertain, face à la menace terroriste, la France assume ses responsabilités. Elle engage fortement ses armées. Elle continuera de le faire chaque fois que sa sécurité et ses intérêts seront en cause, chaque fois que la sécurité du monde sera en jeu.

Nous avons cru que la guerre était derrière nous. La fin des deux blocs avait laissé penser à un équilibre durable. La vérité est tout autre ; nous le savons bien aujourd’hui ! Et, parce que nous sommes une grande puissance, nous devons être là. Nous devons agir, peser, faire entendre notre voix.

Nos armées ont besoin de sentir que la nation est rassemblée derrière elles. Je ne doute pas que le débat qui va suivre en donnera toute la preuve. En tout état de cause, soyons plus que jamais unis et rassemblés derrière nos soldats. Cette unité, ce rassemblement, c’est cette force indivisible qui permettra à la France, le pays des libertés, le pays de l’universel, de gagner, aux côtés de ses alliés, la bataille contre les ennemis de la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Bernard Vera, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants, mes chers collègues, il est important que nous puissions avoir ce débat sur les opérations extérieures dans lesquelles l’armée française est aujourd’hui engagée.

Le groupe communiste républicain et citoyen a toujours considéré qu’un contrôle du Parlement sur les actions militaires de la France ainsi qu’un pouvoir d’initiative et de décision en la matière étaient nécessaires, tant les OPEX impactent l’ensemble de la nation. À ce titre, on ne peut que se féliciter de l’application de l’article 4 de la loi de programmation militaire, qui instaure un débat annuel à leur sujet, même si le court délai entre l’inscription à l’ordre du jour et l’organisation devant les chambres du présent débat a rendu difficile l’analyse du bilan prévu au même article.

Ce débat est d’autant plus important que nous nous trouvons dans une période particulière, le nombre d’opérations extérieures ainsi que leur degré d’engagement ayant connu un développement inédit depuis 2011, avec une brusque croissance à partir de 2013. Comme l’ont noté les députés Marie Récalde et Alain Marty dans un rapport d’information présenté en décembre dernier, le niveau d’engagement actuel, très élevé, va jusqu’à dépasser le modèle décrit dans le Livre blanc, qui prévoit que la France peut techniquement s’engager dans la durée sur deux ou trois théâtres distincts, dont un en tant que contributeur majeur.

À l’heure actuelle, les soldats français sont déployés dans six opérations extérieures – on n’en comptera plus que cinq une fois le retrait du Mali terminé –, dont trois où ils sont contributeurs majeurs : en Afrique, au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Cette situation inédite doit en outre être reliée au déploiement sur notre territoire du dispositif Sentinelle, qui mobilise à lui seul plus de 7 000 soldats depuis presque deux ans.

Ce surdéploiement a des conséquences importantes, notamment sur l’état du matériel, aujourd’hui en souffrance, et sur les finances publiques. Le surcoût de 620 millions d’euros enregistré en 2016 pour le maintien d’opérations extérieures, parfois enlisées sur le terrain opérationnel, pose forcément question. D’autant que les déclarations de ces derniers mois du Président de la République et du Premier ministre font craindre un nouveau prolongement des opérations, lequel entraînerait l’épuisement des troupes, l’obsolescence du matériel et un engagement financier important de l’État…

Face à ce constat, la question est, au final, assez simple : quels débouchés politiques et diplomatiques peuvent avoir ces opérations extérieures ? C’est en effet tout l’enjeu : les opérations extérieures doivent permettre l’émergence de solutions diplomatiques et politiques, lesquelles doivent permettre de mettre fin aux OPEX. L’opportunité de celles-ci doit donc être évaluée à l’aune des perspectives de règlement pacifique, dans le respect de la légalité internationale.

À ce titre, au-delà des difficultés et des polémiques, nous pouvons nous réjouir de voir l’opération Sangaris prendre fin après l’élection à la présidence de la République centrafricaine de Faustin-Archange Touadéra, malgré le report initial du second tour de l’élection présidentielle et des élections législatives, à la suite des nombreuses irrégularités constatées par la Cour constitutionnelle. Toutefois, le regain de violences dans le nord et l’est du pays doit nous rendre vigilants.

Si l’issue politique de Sangaris est à saluer avec le retour aux urnes des Centrafricains, les trop nombreuses controverses tant sur le comportement d’une minorité de soldats français que sur des incohérences dans le commandement de l’opération ayant mis en danger des civils et des militaires ne peuvent que nous interroger. Ainsi, quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux accusations de viols et de violence contre des civils non engagés dans ce conflit ?

Enfin, quelles sont les perspectives pour nos militaires et quelle est la réflexion stratégique pour le centre de commandement dans la tenue des OPEX, au regard des conditions matérielles et sanitaires dans lesquelles les soldats ont été envoyés à Bangui ? En effet, c’est ici la première conséquence négative de cette inflation des opérations extérieures : la France a adopté un modèle d’intervention agressif, ce qui est regrettable, de surcroît sans adapter son matériel en quantité et en qualité. Les témoignages de Bangui sont éloquents à ce sujet.

Notre deuxième source d’interrogation – et elle est essentielle – concerne la coordination entre les actions militaires et diplomatiques. Chacune de nos opérations extérieures devrait avoir pour finalité l’émergence de solutions politiques stables.

Si le démantèlement de Daech est une nécessité, il ne sera viable qu’à la condition de permettre l’avènement de gouvernements démocratiques et stables, dans des conditions permettant le retour des populations et leur épanouissement.

Nous le voyons bien, avec la reprise de certaines places fortes en Irak et en Syrie, nous sommes passés d’une bataille rangée à une forme inédite d’actions urbaines intérieures et extérieures.

Sur le théâtre syrien, que pouvez-vous nous dire de l’avancée du mécanisme de surveillance que vous avez proposé au Conseil de sécurité des Nations unies ? La question est centrale tant le terrain diplomatique est ici miné.

Au regard des annonces de l’ambassadeur syrien Bachar al-Jaafari aux Nations unies, pensez-vous qu’une relance d’un dialogue soit possible ? Quelle initiative de paix comptez-vous prendre ? Comment la France peut-elle aider à clarifier les rapports entre opposition et groupes islamistes radicaux ?

Le refroidissement des relations avec la Russie est un autre sujet d’inquiétude sur le terrain syrien qu’il nous faut, selon nous, résoudre au plus vite.

Le soutien russe à Bachar al-Assad interroge. Mais seul le dialogue, et non un bras de fer diplomatique inefficace, permettra la suspension du veto de Moscou aux Nations unies et la pleine efficacité de l’intervention humanitaire de l’ONU.

Je crains que nous n’assistions à une fuite en avant qui ne servira, au final, qu’à geler un front entre Damas et ses alliés, d’un côté, et les forces de l’OTAN et une partie de l’opposition syrienne, de l’autre côté, dont le Front Fatah al-Cham… Il y a urgence à sauver des milliers de vies dans les jours qui viennent. La rencontre de Lausanne doit être l’occasion d’une réelle reprise du dialogue pérenne.

Autre élément de la question syrienne qui rejoint le débat que nous avons eu hier sur la crise au Levant, l’attitude de la France vis-à-vis de la Turquie et son silence sur l’opération Bouclier de l’Euphrate, menée par les Turcs au nord de la Syrie. Il semble pourtant de plus en plus clair que le principal objectif d’Ankara n’est pas tant le démantèlement de Daech à Jarablus que d’empêcher la jonction des forces kurdes entre Afrin et Kobané…

Ce point sur la Syrie, que l’on pourrait par ailleurs transposer en Libye ou encore en Irak au regard des difficultés rencontrées pour établir une transition politique sereine et majoritaire, doit nous interroger sur le sens des opérations extérieures que mène actuellement la France. Sont-elles envisagées comme un soutien à des forces locales en présence en vue d’une transition ou visent-elles à imposer la présence de notre pays sur ces territoires ?

C’est ici la seconde critique que notre groupe émettra à l’égard de la politique de multiplication des opérations extérieures depuis 2011.

De fait, la politique d’opérations extérieures de la France, marquée par un surdéploiement des forces, génère aujourd’hui une prise de risque supplémentaire des militaires. Elle est un obstacle à ce qui devrait guider, selon nous, une nouvelle politique extérieure de notre pays, tournée vers le règlement pacifique des conflits, et constitue une impasse en vue d’établir une paix durable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, comment aborder avec lucidité et sérénité ce débat souhaité par le Gouvernement sur les opérations extérieures de la France ? Est-il possible, un seul instant, de mettre entre parenthèses le bruit et la fureur de la bataille de Mossoul, les incertitudes relatives au Sahel ou les doutes sur la situation en Libye, tout en se réfugiant dans un exercice convenu, afin de répondre aux exigences de l’article 50-1 de notre Constitution ?

Non, car ce serait faire peu de cas du courage, de la volonté et du sacrifice de nos soldats qui, tous les jours, risquent leur vie pour gagner la guerre contre des barbares à l’idéologie mortifère.

Non, car cela signifierait que nous balayons d’un revers de main l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens. N’oublions jamais que les Français, dont la demande de protection n’a jamais été aussi forte, savent parfaitement que la défense extérieure et la sécurité intérieure sont désormais étroitement liées en raison de la menace terroriste.

Non, enfin, parce qu’il est non seulement légitime, mais aussi indispensable d’accorder une attention toute particulière à ces opérations extérieures placées aujourd’hui à un niveau inédit sans échapper, non plus, aux interrogations et aux discussions du processus complexe et incertain résultant du Brexit.

Dans ce contexte, mes chers collègues, il importe d’être très clair, en premier lieu sur les coûts. En effet, tout engagement sans financement suffisant apparaît très rapidement comme pure vanité.

Avoir des cibles, c’est bien, mais disposer des moyens permettant de les atteindre, c’est beaucoup mieux, nous disent haut et fort les responsables des forces armées, qui, parfois, s’agacent, pour ne citer que le chef d’état-major des armées, des « trous capacitaires » ralentissant ou empêchant certaines opérations et donc refusent de « gérer la misère »…

Chacun s’accorde donc à dire que le projet de budget pour 2017 du ministre de la défense devra répondre intelligemment et efficacement aux défis sécuritaires qui s’imposent à nous. Certes, le coût de ces opérations extérieures – 1 milliard d’euros par an – ne représente que 0,25 % du budget de l’État, mais il dépasse de 3 % le budget de la défense. Ne pourrions-nous faire un peu mieux, messieurs les secrétaires d’État ?

Alors que la baisse de la dépense publique reste une impérieuse nécessité, il est vital de sanctuariser ces enveloppes, tout en préservant leur prise en charge dans le cadre de financements interministériels.

Sans méconnaître le paramètre d’imprévisibilité et au regard des leçons des derniers exercices budgétaires, ajustons mieux les moyens et les besoins pour ne pas donner l’impression de faire des OPEX une variable d’ajustement. Cela imposera des choix, ce qui est le propre du délicat exercice de gouverner.

Toujours est-il que les forces armées françaises sont engagées sur trois théâtres d’opérations : Sahel, Centrafrique et Levant, ce qui représente un déploiement constant de 10 000 hommes. En Syrie, en deux ans, l’armée française a effectué plus de 4 000 sorties aériennes, menant plus de 600 frappes, tout en formant pas moins de 1 500 commandos irakiens. Mesurons-nous que le coût horaire d’une heure de vol d’un Rafale est de 27 000 euros et que le déploiement du Charles-de-Gaulle pendant huit semaines a engendré un surcoût de 45 millions d’euros ?

Je vous épargnerai les ratios qui permettent de soutenir dans la durée une telle mobilisation, mais je ne manque pas de souligner qu’ils placent nos troupes dans un état de pression difficilement soutenable à court et à moyen terme. Nous savons tous que cet effort est difficilement tenable sur le long terme, car, dans le même temps, dans l’Hexagone, le dispositif Sentinelle appelle lui aussi des efforts très substantiels.

Comme le souligne le rapport d’information de nos collègues sur les OPEX, une multiplication des fronts d’intervention entraîne la mauvaise disponibilité des matériels, ce qui se traduit tant au plan humain que technique par une « sursollicitation des armées ».

Il faut se rendre à l’évidence : depuis 1990, notre effort de défense est passé de 2,86 % du produit intérieur brut à 1,43 %. Mettre un terme à ce recul est une absolue nécessité et l’objectif de 2 %, fixé récemment par le Premier ministre, est le seuil minimum pour assurer la protection des Français et payer le prix de la paix en menant avec justesse et sans aveuglement ces guerres hors de nos frontières. C'est la raison pour laquelle le budget de la défense pour 2017 doit dépasser 32 milliards d’euros, ce qui permettra de lever toutes les inquiétudes relatives au financement de la deuxième partie de la loi de programmation militaire.

Cette exigence sur les moyens est bien entendu l’indispensable garantie que nous pouvons apporter quant à la réalisation des objectifs d’opérations devant être menées dans le strict respect du droit international.

Ces opérations restent une prérogative du Gouvernement et, bien sûr, relèvent de la responsabilité du Président de la République. Il faudrait toutefois songer à mettre en place un contrôle parlementaire plus pointu, à l’instar de ce qui se pratique dans certains pays. Il serait en effet logique que la représentation nationale soit saisie automatiquement de ces opérations, au-delà de la simple information trois jours au plus tard après le début de l’intervention et de l’approbation lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois.

Cette adaptation répondrait aussi à l’évolution, au cours de la dernière décennie, des engagements de nos forces militaires projetées hors du territoire national, qui ne répondent plus uniquement et simplement à des objectifs de solidarité inscrits dans les valeurs que porte la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

La présence des armées françaises depuis plus de dix ans sur quelque vingt-cinq théâtres d’opérations, dans les Balkans, puis en Afghanistan, en Somalie, au Sahel, en Irak ou en Syrie, pour ne citer qu’eux, est la conséquence directe de l’effondrement d’un monde bipolaire. Elle a bien évidemment fait l’objet de communications, de débats, de votes et fait surgir bien des questions.

Comment défendre les Français, nos intérêts et nos valeurs, face au terrorisme ? Comment notre pays peut-il tenir son rang au sein de la communauté internationale en contribuant efficacement à la résolution des crises et à la stabilité ? Autant de débats dont la presse se fait l’écho, que des spécialistes décortiquent longuement dans les colloques et que de « vrais-faux » spécialistes analysent doctement sur les plateaux de télévision. Et, pendant ce temps, le Parlement devrait se contenter d’enregistrer ? Ce débat, mes chers collègues, tend à prouver le contraire, et c’est tant mieux.

En parallèle, je crois utile de replacer cette action de défense dans le cadre d’un projet européen désormais soumis à bien des turbulences sous les effets du Brexit et d’un souverainisme hasardeux.

J’ai cité, en préambule de mon intervention, les échéances que connaîtra la France au printemps prochain. Je redis haut et fort que notre effort de défense et les choix stratégiques qu’il implique doivent être débattus durant cette période, sans jamais perdre de vue l’absolue nécessité de protéger les Français. Toutefois, comment oublier que 2017 sera aussi l’année du soixantième anniversaire du traité de Rome ? L’armée française, première puissance militaire de l’Union européenne, n’a pas vocation d’être, à elle seule, l’armée européenne.

Tout en cherchant à maintenir une relation privilégiée avec les Britanniques, qui mesurent « pertinemment » que les menaces pesant sur le continent sont autant de menaces pour leur propre sécurité, sans doute faut-il se mobiliser afin que Bruxelles passe un cap et pose les bases d’une défense européenne indispensable dans un monde de fractures et de crises. Comme le rappelle si bien le rapport d’information de notre assemblée, « l’Union européenne n’a aucune mission de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix ». Et pourtant, l’Union européenne n’a malheureusement pas de stratégie adaptée aux défis d’aujourd’hui !

Affirmer sa puissance, ce n’est pas lui laisser libre cours. La seule vraie force, c’est celle qui porte la justice et nourrit le dialogue, afin de faciliter l’émergence de solutions politiques dans la lucidité face aux menaces, tout en faisant preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme. Les opérations extérieures sont un recours, un moyen et ne doivent jamais être une fin en soi. C’est de cette façon que nous pourrons conjuguer au présent l’amour de notre pays, en associant la force de la justice et la justesse d’intervention dans le respect du droit international. C’est ainsi que nous inscrivons notre action dans le sillon du pacte républicain, qui doit apporter à ceux qui le partagent protection et sécurité. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – MM. Jean-Pierre Cantegrit et Jacques Gautier ainsi que Mme Bariza Khiari applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe de l’UDI-UC.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite adresser un message de sympathie à nos soldats, à leurs familles et à l’ensemble du monde combattant qui porte nos couleurs à travers le monde pour assurer la sécurité et la préservation de nos valeurs, de nos intérêts et de notre territoire. C’est au nom de ces femmes et de ces hommes qui font chaque jour le choix du service de notre défense nationale que le Parlement se doit d’exercer sa pleine compétence en matière de contrôle et d’analyse de nos opérations extérieures.

Le volume de ces opérations méritait bien un débat solennel dans le cadre prévu par notre Constitution.

Le rapport préparé par notre commission illustre bien à quel point la notion d’OPEX est évolutive. La Constitution évoque tantôt la guerre, tantôt les interventions à l’extérieur. Les Livres blancs précédents évoquent des périmètres différents. La notion même d’OPEX n’est pas nécessairement la même selon les pays. Dès lors, sans détermination précise de leur nature, il est particulièrement complexe de saisir les OPEX par le droit.

Les dispositions de l’article 35 de la Constitution obligent le Gouvernement à informer le Parlement du déclenchement d’une OPEX et à lui soumettre l’autorisation de la prolonger si elle excède quatre mois. Généralement, le débat sur la prorogation n’a pas vraiment lieu. Les circonstances tragiques justifiant que la France projette ses forces sur des théâtres aussi complexes que l’Irak, la Syrie, le Mali ou le Gabon, plus récemment, éteignent bien souvent la contradiction et donnent finalement pleine compétence au seul Président de la République pour décider d’une telle intervention. C’est assez rare au sein des démocraties occidentales pour être relevé. Le Président américain a besoin du Congrès ; le Premier ministre britannique doit se soumettre à la Chambre des communes.

Dans un monde qui ne déclare plus la guerre, la question de la compétence du Parlement est ici posée. Bien que la révision de 2008 ait permis un progrès, le régime actuel n’est pas pleinement satisfaisant. Dans ces conditions, un rendez-vous annuel, tel que celui-ci, différent du débat budgétaire, serait le bienvenu.

Au-delà de cette pure question de procédure, le débat de ce jour est l’occasion de dresser un bilan de plusieurs années d’opérations extérieures.

Globalement, les objectifs assignés à nos OPEX ont toujours été atteints, quel qu’en soit le prix, notamment humain. Ce sacrifice permanent justifie que les différents exécutifs qui se sont succédé aient toujours eu la volonté de se placer dans le cadre de la plus stricte légalité internationale. Aucune OPEX ne s’est déroulée sans l’appui préalable d’une résolution du Conseil de sécurité ou sans que la France ait été sollicitée par une autorité politique légitime sur place.

La France a fait clairement le choix de mettre son outil de défense à disposition de la résolution de la plupart des plus importants points de conflit à travers le monde. Assurer ponctuellement la défense de pays aux moyens limités – je pense en particulier à notre présence en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso –, c’est certes tenir notre rang dans la communauté internationale, mais c’est aussi autant de dépenses évitées à nos alliés étrangers que l’on peut espérer voir consacrées à leur propre développement économique.

Pour autant, ces succès ne doivent pas obvier à notre lucidité.

En 2013, lorsque la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques en Syrie a été franchie, la France n’a pas hésité à manifester sa volonté d’intervenir. Aujourd’hui, quel niveau d’influence avons-nous sur les opérations militaires conduites par la coalition ?

Au-delà du bilan politique, d’importantes questions se posent sur le plan matériel, financier et capacitaire.

Le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général André Lanata, a déclaré, lors de son audition par notre commission, que nous avions vingt avions de chasse engagés sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures.

Les Rafale opèrent depuis cet été dans le cadre de l’opération Chammal au Levant et les Mirage 2000 participent à l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne. Depuis le 28 août dernier, douze avions Rafale sont engagés au Levant. Ils avaient auparavant mené 879 missions, soit 3 683 heures de vol au-dessus de la bande sahélo-saharienne.

De leur côté, les Mirage 2000 ont quitté l’opération Chammal sur un bilan impressionnant : durant vingt et un mois, ils ont décollé tous les jours et toutes les nuits pour mener des frappes aériennes – 829 frappes ont été réalisées sur Daech au-dessus de l’Irak et de la Syrie, pour 1 415 objectifs détruits.

Si, aujourd’hui, les membres de Daech limitent leurs déplacements, se terrent dans des tunnels, c’est grâce à l’arme aérienne. Cela ne suffira pas à mettre à terre une idéologie barbare, mais contribue nécessairement à l’affaiblir.

Deux Mirage 2000-D et deux Mirage 2000-C sont désormais stationnés sur la base aérienne de Niamey. Les moyens matériels et humains de la France sur cette base sont considérables : avions de chasse, avions de transport, avions de ravitaillement en vol, drones…

Le bilan de l’activité aérienne est éloquent. L’engagement de l’armée de l’air peut être salué, mais ne se fait-il pas à flux tendu ? En effet, le contrat opérationnel fixé par le Livre blanc prévoit une capacité de douze avions. Or, comme je l’évoquais à l’instant, nous en mobilisons vingt en permanence.

Pour autant, nous le savons, si notre pays conserve une tradition militaire riche et une compétence reconnue en matière de défense, nos moyens ne sont pas nécessairement à la mesure des risques qui nous entourent. Nous savons dans quel état de tension financière se trouve notre défense.

À cet égard, je souhaite saluer l’importante correction apportée en 2015 à la trajectoire de la loi de programmation militaire, sur l’initiative du ministre Jean-Yves Le Drian. Je salue également l’effort important réalisé pour mettre fin à la décrue des effectifs sans rien enlever au besoin de renouvellement et d’amélioration de notre matériel et de nos capacités industrielles tactiques.

Nos moyens sont limités et les besoins ne cessent de croître, y compris au plan intérieur. Je pense à l’opération Sentinelle et aux conséquences à venir du développement des OPINT comme nouveau cadre de déploiement de nos forces. Et pourtant, même ici, la question des OPEX n’est pas loin. Le sens de nos interventions en Syrie et en Irak est de détruire les fondements du terrorisme. Or le procureur de Paris considère que les victoires sur Daech augmentent le risque d’attentats.

Messieurs les secrétaires d’État, devons-nous craindre le retour sur notre sol de Français endoctrinés et formés militairement en Syrie ? La défense est un continuum que la frontière n’arrête plus désormais.

Dès lors, la question des financements innovants et de leur contrôle se pose, notamment dans un cadre multilatéral et européen. En effet, une fois le Brexit achevé, la France demeurera l’unique puissance militaire au sein de l’Union européenne. C’est sur notre pays que portera prioritairement le poids des responsabilités stratégiques de l’Union européenne. Pour autant, la contribution de nos partenaires européens et de l’Union à nos efforts se limite bien souvent à la mise à disposition de moyens logistiques symboliques.

Aussi, dans l’attente d’une hypothétique défense européenne, demandons une juste reconnaissance de notre rôle de pivot dans la défense de l’Europe. Cette reconnaissance pourrait prendre la forme d’une participation au financement des OPEX d’intérêt fédéral ou d’une déduction annuelle de notre contribution au budget de l’Union européenne – je rappelle que la France est, avec l’Italie, le seul pays à ne bénéficier d’aucun rabais européen d’aucune sorte. Cela faciliterait l’atteinte de l’objectif OTAN de 2 % du PIB dédié à la défense et donnerait du contenu à la tenue d’un débat annuel, conformément à l’article 4 de la dernière loi de programmation militaire.

À travers notre discussion, nous observons le cheminement d’un important questionnement sur le droit interne et européen de la guerre. Les membres du groupe UDI-UC ne peuvent que souhaiter voir ce débat aboutir à un meilleur contrôle parlementaire et, par conséquent, à un encadrement constitutionnel en phase avec la réalité contemporaine des crises internationales. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – M. Jacques Gautier, Mme Bariza Khiari et MM. Daniel Reiner et Jean-Claude Requier applaudissent également.)