Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, Eutelsat n’est pas une agence de l’Union européenne, même si son histoire est liée à la construction européenne.

Je pense comme vous qu’une telle organisation, qui a bénéficié d’un soutien européen et de fonds publics, même si c’est une entreprise privée, se doit de respecter les valeurs européennes.

La décision que vous mentionnez est tout à fait préoccupante. En effet, dès lors qu’il y a gestion d’un système satellitaire pour la diffusion de chaînes d’information, sauf à ce que ces chaînes contribuent de façon parfaitement établie à une propagande terroriste ou diffusent des messages de haine et de violence, il n’y a aucune raison d’accepter que leur signal soit brouillé ou interdit par une organisation comme Eutelsat.

Nous n’avons pas de pouvoir direct sur cette question, mais vous soulevez là un vrai sujet. Il faut que le conseil d’administration et les actionnaires de cette organisation aient une discussion franche avec l’ensemble des partenaires, dont l’un est la Turquie, sur les valeurs des chaînes de télévision, y compris kurdes, diffusées par Eutelsat.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le secrétaire d'État, quel soutien financier supplémentaire la France et l’Union européenne entendent-elles apporter à la Jordanie, qui accueille plus de 1 300 000 réfugiés ?

Ce pays, seul territoire de paix au Moyen-Orient, se trouve déstabilisé par cette charge très importante au moment où ses approvisionnements en énergie ont été interrompus et où ses ressources en eau sont notoirement insuffisantes.

La même question pourrait être posée pour le Liban.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, compte tenu de la charge que représente pour ce pays l’accueil de plus d’un million de réfugiés syriens, la Commission a annoncé un « compact », un dispositif de partenariat spécial pour la Jordanie comprenant une aide financière pour les camps dans lesquels les réfugiés sont accueillis, en particulier pour financer la scolarisation des enfants de ces réfugiés. S’ils souhaitent retourner dans leur pays d’origine, ces réfugiés vont probablement demeurer dans ces camps pendant plusieurs années et il importe qu’une génération entière ne soit pas sacrifiée. Ce dispositif comporte aussi des aspects économiques, notamment avec l’ouverture vers l’Union européenne des productions d’entreprises jordaniennes implantées dans ces camps, permettant ainsi à des réfugiés de travailler et de vivre d’un salaire.

Évidemment, c’est un accord très sensible, car nous veillons – on vient de parler de la politique commerciale – à ce qu’il ne porte pas atteinte aux intérêts de l’Union européenne. Mais c’est aussi une extension d’accords commerciaux préexistants, et qui continuent à exister, entre la Jordanie et l’Union européenne, visant à apporter un soutien à l’économie jordanienne alors qu’elle est particulièrement affectée par la crise syrienne puisque la Jordanie est l’un des pays de la région, comme le Liban et la Turquie, qui accueillent le plus de réfugiés.

En proportion de sa population, avec le Liban, elle accueille notamment beaucoup plus de réfugiés que la Turquie, alors que son économie n’est pas aussi forte. Elle mérite donc une aide et une solidarité particulières de l’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Monsieur le secrétaire d'État, le 27 octobre, au cours d’un sommet entre l’Union européenne et le Canada, doit être signé un accord commercial connu sous le nom de CETA.

Le gouvernement français – vous-même, monsieur le secrétaire d'État – se réjouit de cet accord. Le Premier ministre est même allé jusqu’à le qualifier de « judicieusement équilibré » dans une tribune publiée dans le Financial Times, et le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur a assuré le Sénat que cet accord était bon pour notre agriculture puisque 42 indications géographiques protégées françaises – certes, les plus vendues – sur les 196 existantes seront protégées par cet accord.

En qualité de président du groupe d’études Élevage au Sénat, cet accord m’inquiète, comme il inquiète nombre des éleveurs de la filière viande, tout particulièrement ceux de viande bovine.

Le contingent de viande bovine à droits de douane nuls que cet accord prévoit d’accorder aux Canadiens est particulièrement élevé : 50 000 tonnes qui s’ajouteront aux 15 000 tonnes octroyées dans le cadre d’anciens contingents. Ce sont donc 65 000 tonnes qui arriveront sur le segment de marché de l’aloyau allaitant, alors que ce segment de marché est estimé à seulement 400 000 tonnes en Europe et qu’il est, comme vous le savez tous, mes chers collègues, le plus rémunérateur pour les éleveurs français de viande bovine.

J’ajoute que le Brexit va vraisemblablement rendre le problème encore plus criant, car il sera beaucoup plus difficile pour l’Europe d’aborder ces 65 000 tonnes à vingt-sept qu’à vingt-huit, d’autant plus que le Royaume-Uni constitue actuellement le principal débouché européen des viandes canadiennes.

Monsieur le secrétaire d'État, les éleveurs français sont en détresse. Ils traversent actuellement l’une des plus graves crises de leur histoire : alors que le marché de la viande bovine en France est déjà saturé, il a, de surcroît, tendance à diminuer d’année en année, comme certains d’entre nous ont pu le constater encore cet après-midi lors d’une visite du Salon international de l’alimentation.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Gérard Bailly. Dans un tel contexte, il est donc malheureusement certain qu’un tel afflux portera gravement préjudice à nos éleveurs.

Pensez-vous que les éleveurs français pourront faire face à une telle concurrence ? La question est d’autant plus criante qu’il s’agit d’une concurrence que je qualifie de déloyale, car nos élevages bovins sont très différents des élevages canadiens, où les bovins sont engraissés au maïs OGM, consomment des antibiotiques, alors que les nôtres sont élevés sur nos herbages. Cela revient à ouvrir notre marché à des viandes qui sont en parfaite inadéquation avec les attentes des consommateurs français tant sur le plan sanitaire que sur celui du bien-être animal ou de la traçabilité.

Je pense que le Gouvernement passe par pertes et profits l’élevage bovin français, acceptant de le sacrifier sur l’autel de cet accord CETA,…

Mme la présidente. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !

M. Gérard Bailly. … de même qu’il semble peu se soucier des attentes qualitatives des consommateurs et de l’entretien de nos paysages ruraux assuré grâce au pâturage.

Aussi, je souhaite savoir si la viande bovine peut être exclue de cet accord ou, à défaut, comment, une fois l’accord signé, le Gouvernement français sera encore en mesure de préserver et de protéger les élevages bovins français, qui, pourtant, font la qualité de nos paysages. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’insiste une nouvelle fois sur l’importance qui s’attache au respect des temps de parole impartis.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bailly, je peux vous assurer que le Gouvernement sera évidemment très attentif à ce que l’élevage français et européen ne soit absolument pas affecté négativement par l’accord conclu avec le Canada.

Vous l’avez mentionné, les indications géographiques protégées, très importantes pour notre agriculture, sont inscrites dans l’accord – c’est la première fois que de telles indications figurent en aussi grand nombre dans un accord commercial.

Pour ce qui est de l’élevage, je sais que certaines fédérations professionnelles ont récemment exprimé une inquiétude en lien avec le Brexit. Les contingents établis dans l’accord tenant compte de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, la sortie de ce pays entraînerait un risque de les voir augmenter, mais nous ferons évidemment en sorte que l’accord prenne en considération la sortie du Royaume-Uni qui sera opérée dans les conditions qui ont été rappelées, lorsque l’article 50 du traité sur l’Union européenne aura été négocié, et à la suite de discussions qui dureront environ deux ans. Les contingents seront alors ajustés pour tenir compte de la sortie du Royaume-Uni, dont on peut d’ailleurs supposer qu’il passera son propre accord commercial avec le Canada, comme avec d’autres partenaires commerciaux de l’Union européenne.

Nous restons bien entendu à votre disposition, monsieur le sénateur, et nous procéderons, avec la Commission européenne, à toutes les évaluations d’impact nécessaires, mais soyez assuré que les différentes catégories de l’élevage français et européen ne seront pas affectées négativement par cet accord, qui va permettre davantage d’échanges commerciaux, y compris davantage d’exportations de nos productions vers le Canada. Mais ces échanges doivent se faire de façon équilibrée.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous rassurer ?

Alors que la France a annoncé vouloir mettre un terme aux négociations entre l’Union européenne et les États-Unis concernant le TAFTA, en raison d’un déséquilibre évident, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré, le mercredi 5 octobre, qu’il fallait poursuivre aussi longtemps que possible ces négociations, en dépit de l’hostilité suscitée par le projet dans de nombreux pays européens, comme la Slovaquie, l’Autriche, ou encore la France. Nous sommes choqués par cette position, mais seulement à demi surpris, car nous n’avons pas oublié que c’est l’industrie allemande qui est historiquement à l’initiative des discussions transatlantiques, dont elle pensait avoir tout à gagner.

Aujourd’hui, il semblerait que la Commission européenne continue de mener des négociations sur ce partenariat transatlantique.

Les négociations sur le TAFTA vont-elles se poursuivre dans les mois à venir, monsieur le secrétaire d’État ? Quelle sera l’action de la France lors du prochain Conseil européen sur ce dossier d’une importance extrême ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Courteau, vous avez raison de souligner que la France a engagé un débat sur le TAFTA, ou le TTIP – les deux sigles désignent le même accord avec les États-Unis –, et que les appréciations divergent selon les États membres. Beaucoup d’autres pays de l’Union européenne nous ont toutefois rejoints pour considérer que, compte tenu de l’état de la discussion après de nombreux rounds de négociations, le compte n’y était pas. Le déséquilibre paraît beaucoup trop fort entre l’offre européenne, qui, sur la base du mandat de négociations qui avait été établi, proposait un certain nombre d’ouvertures du marché européen, et l’offre américaine, qui restait très faible dans de nombreux domaines, notamment l’ouverture des marchés publics, sans compter que les Américains ont très mal et très peu répondu aux principales demandes de l’Union européenne et très peu tenu compte des lignes rouges que nous avions tracées, parmi lesquelles figuraient la protection des indications géographiques, que nous avons obtenue dans l’accord avec le Canada, mais aussi un mécanisme de règlement des différends autre que l’arbitrage privé.

Nous considérons qu’il faut repartir sur de nouvelles bases ; d’autres États membres estiment qu’il faut continuer les négociations. Nous avions indiqué qu’il nous semblait absolument néfaste et de toute façon irréaliste de vouloir accélérer à tout prix les négociations, quitte à obtenir un petit accord, dont le contenu serait faible, mais qui serait négocié et signé avant la fin l’année, terme du mandat de l’actuelle administration américaine. Ce ne sera pas le cas, tout le monde l’a compris : il n’y aura pas d’accélération précipitée du calendrier.

Au-delà, et en dépit des différences d’appréciation actuelles, il ne peut pas y avoir d’accord sur le TTIP sans la France, et un éventuel accord devrait bien entendu être ratifié par le Parlement français. Tout le monde le sait et, par conséquent, aucune négociation ne se mènera sur des positions qui ne seraient pas acceptables pour la France.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi de saluer une nouvelle fois la qualité des débats, et je note que c’est désormais une constante dans ce type de réunions auquel nous sommes conviés à la veille de chaque Conseil européen.

Monsieur le secrétaire d’État, j’en profite pour compléter la réponse que vous venez d’adresser à notre collègue Gérard Bailly. L’accord CETA avec le Canada est globalement extrêmement équilibré, mais il est vrai que les 50 000 tonnes, qui viennent s’ajouter aux 15 000 tonnes actuelles, sont de nature à déstabiliser la filière viande bovine, car elles concernent aussi des morceaux nobles.

À la suite du déjeuner de travail que nous avons eu récemment, comme avant chaque Conseil européen, avec M. Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, je puis vous l’assurer : il est parfaitement clair que la quote-part de la Grande-Bretagne sera déduite de ces 65 000 tonnes.

Ensuite, comme je l’ai souvent dit à la Fédération nationale bovine, il faudra revoir la segmentation du marché. Il n’est pas normal que l’on mélange au cours des négociations commerciales internationales les morceaux nobles et ceux qui ne le sont pas, car les conséquences sont très différentes.

Sachez que je me ferai l’avocat de tous ceux qui se préoccupent de cette question, notamment lorsque j’accompagnerai, le 14 novembre prochain, le président Gérard Larcher pour une rencontre avec Jean-Claude Juncker au sujet de la réforme de la PAC. J’ajoute aussi qu’il serait pertinent, surtout par les temps qui courent, de réfléchir à la solution d’un certain nombre de problèmes, précisément de la filière bovine, à travers l’aide alimentaire. Le Farm Bill américain, analogue de la PAC, résout de nombreuses difficultés de cette manière : 80 % des subventions américaines, qui sont bien supérieures aux subventions européennes, concernent en effet l’aide alimentaire. Nous aurions donc tout intérêt à jouer cette carte, et je le dis en accord avec la Fédération nationale bovine.

Malheureusement, un certain nombre d’entre vous, mes chers collègues – je ne parle pas de la position de notre collègue du Front national –, n’ont pas tout à fait la bonne lecture des accords commerciaux internationaux. Ces derniers servent d’exutoire à l’inquiétude de nos concitoyens, qui considèrent à tort la mondialisation comme la cause de tous leurs maux.

Ces accords donnent aussi souvent l’occasion à des commentateurs de la vie politique nationale ou à des représentants de certaines officines – je pense notamment à MM. Hulot ou Bové – de s’exprimer avec une malhonnêteté intellectuelle, qui mérite d’être soulignée.

J’appelle pour ma part de mes vœux une autre approche des négociations commerciales internationales qui consisterait à saisir ex ante les parlements pour qu’ils définissent précisément les lignes rouges que la Commission, à travers son mandat, ne devrait pas dépasser. Ce serait beaucoup plus sain et cela permettrait d’éviter certaines dérives d’interprétation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.

9

Eau et milieux aquatiques

Débat sur les conclusions de deux rapports d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d’information Eau : urgence déclarée, demandé par la délégation sénatoriale à la prospective, et sur les conclusions du rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, demandé par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Rapports d’information nos 616 et 807, 2015-2016.)

La parole est tout d’abord aux orateurs de la délégation et de la commission qui ont demandé ce débat.

La délégation sénatoriale à la prospective a souhaité utiliser les deux écrans situés de part et d’autre de l’hémicycle pour projeter une présentation illustrant les interventions de ses représentants – c’est une première dans l’hémicycle, mes chers collègues !

La parole est donc à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est sans doute normal d’innover pour la délégation à la prospective, mais j’espère surtout que le système fonctionne ! (Sourires.)

Au-delà, je voudrais vous faire part du choc que nous avons ressenti au sein de la délégation lorsque nos collègues Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach ont présenté leurs conclusions.

À première vue, en France, l’eau ne paraît pas constituer un problème essentiel. À cet égard, on évoque plutôt l’énergie, la pollution, les transports ou d’autres sujets encore. Nous avons généralement le sentiment que la France n’est pas un pays désertique, même si nous pouvons connaître des périodes de sécheresse. Pourtant, au fil des ans, les déséquilibres climatiques, l’utilisation renforcée de l’eau et l’épuisement de la ressource sont à l’origine d’un certain nombre de difficultés, que les rapporteurs vont naturellement évoquer devant vous, et qui commencent à relever de l’urgence.

Des textes sur l’eau ont déjà été adoptés et je n’imagine pas une nouvelle loi dans les mois qui viennent. Pourtant, il va bien falloir, de nouveau, prendre à bras-le-corps le problème de l’eau, car, aujourd’hui, ce sujet est insuffisamment traité.

Je n’en dirai pas plus, si ce n’est pour regretter que le débat se déroule à une heure si tardive. J’aurais préféré qu’il soit organisé en fin d’après-midi, ce qui aurait permis à un plus grand nombre de collègues d’y assister. Mais ainsi va l’actualité du Sénat, et je ne doute pas que, entre les images projetées sur les écrans et les propos des rapporteurs, les sénateurs présents ce soir seront in fine aussi inquiets que nous de l’avenir de l’eau en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Henri Tandonnet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Je remercie tout d’abord le président Roger Karoutchi d’avoir accepté que la délégation à la prospective étudie le sujet de l’eau, sous l’angle de l’adaptation au changement climatique et des conflits d’usage.

Notre rapport est un signal d’alarme que nous voulons actionner pour attirer l’attention sur une évolution plus que préoccupante.

En effet, le dérèglement climatique emporte des conséquences extrêmes dans le domaine de l’eau. Qui dit crise climatique, dit crise aquatique. Le niveau des mers s’élève et les sécheresses sont de plus en plus fréquentes.

La France n’est pas épargnée par ce phénomène. On le constate déjà dans le Sud-Ouest : l’Aquitaine n’est plus le pays des eaux. Les relevés de températures témoignent d’une progression de deux degrés par rapport aux années soixante-dix, et il est à prévoir une hausse globale comprise entre deux et cinq degrés à l’horizon 2100.

Il en résultera un effet de ciseaux, c’est-à-dire une hausse de la demande en eau et une réduction de la ressource.

De nombreuses activités requièrent des quantités d’eau importantes, au premier rang desquelles l’agriculture et la production d’énergie. Suivent ensuite l’industrie, la consommation des ménages, ou encore les loisirs. Ces usages entrent en compétition avec la ressource, mais aussi avec le maintien du bon état écologique des cours d’eau.

Pour ces usages, l’eau est alors retirée de son milieu naturel. La ressource va diminuer et les conflits d’usage vont se cristalliser.

Le risque d’une pénurie durable et générale d’eau sur l’ensemble du territoire peut être écarté, mais pas celui d’une baisse notable de la ressource à certains moments et dans certaines zones. Nous ferons face à des périodes de fort stress hydrique, mais aussi à des inondations de plus en plus fréquentes. Plus que de conflits, nous pouvons parler de pics d’usage.

C’est pourquoi nous devons anticiper pour ne pas subir, et trouver des pistes pour préparer l’avenir.

Aujourd’hui, la politique de l’eau reste marquée par une vision très écologiste, autrement dit par le souci constant de la préservation du bon état des eaux et du bon écoulement de celles-ci. Cet aspect qualitatif est certes essentiel, mais il est grand temps de prendre en compte l’aspect quantitatif, qui est lié à cette qualité. La simple gestion de la ressource existante ne suffira pas à répondre aux périodes de crise qui vont s’accentuer, et aux conflits d’usage.

Nos propositions doivent, d’abord, donner la priorité à toutes les actions de gestion économe de l’eau, et, ensuite, garantir des quantités d’eau pour couvrir nos besoins supplémentaires.

L’une de nos priorités absolues concerne la population : les eaux domestiques et l’alimentation.

Notre indépendance alimentaire est strictement liée à la disponibilité d’eau pour l’agriculture, les besoins en matière d’irrigation étant liés à ceux de l’alimentation. En cela, il ne faut surtout pas opposer les ménages et l’agriculture qui ont des intérêts communs au maintien du bon état de la ressource.

Les consommateurs doivent prendre conscience que les aliments représentent des quantités d’eau importantes, du point de vue tant de l’élevage que des productions agricoles. Sans eau, pas de nourriture !

Nous pouvons appeler cela de l’eau virtuelle : c’est la quantité nécessaire pour produire des biens de consommation, sans que le consommateur final, souvent, en connaisse l’ampleur.

La France est aujourd’hui virtuellement importatrice d’eau. En 2007 – seules les données de cette année sont actuellement disponibles pour l’établissement de ce calcul complexe –, 8,4 milliards de mètres cubes d’eau ont été importés de l’étranger, de pays souvent fragiles, eau qui est nécessaire pour produire les biens et services importés par la France.

Rien ne sert de se priver de nos ressources pour l’agriculture si nous devons importer d’autres pays plus fragiles des produits pour satisfaire nos besoins alimentaires. L’incidence écologique est alors encore plus pénalisante.

Dans ce contexte, et pour toutes ces raisons, il me paraît plus qu’urgent de ne pas penser que la meilleure gestion de l’existant suffira et de créer des réserves destinées à capter l’eau lorsqu’elle est abondante, sans risque pour l’écosystème, pour la restituer pendant les périodes de crise, et d’encourager la recherche.

Notre rapport est une alerte face à l’urgence de s’adapter au changement climatique. Si nous réagissons, l’eau sera non pas le problème, mais plutôt la solution à la crise climatique. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de ce travail commun mené avec Henri Tandonnet, je veux à mon tour souligner le fait que notre pays, contrairement à ce que sa situation géographique laisse à penser, est, lui aussi, exposé au risque de pénurie d’eau.

Il est temps de se montrer réaliste. Aujourd’hui, n’en déplaise à certains, le dérèglement climatique n’est plus contestable, l’élévation des températures moyennes est sans équivoque et l’ère du climato-scepticisme est révolue. Nous savons d’ores et déjà que la France métropolitaine ne sera pas épargnée.

Les études montrent que notre pays devrait connaître des étés affichant jusqu’à cinq degrés supplémentaires d’ici à la fin du siècle et souffrir plus souvent d’épisodes climatiques extrêmes, du type inondation ou tempête.

À cet égard, balayons ensemble un certain nombre d’idées reçues. Ce ne sont pas les régions méditerranéennes qui seront les plus touchées, car elles peuvent compter sur les milliards de mètres cubes stockés, notamment par les grandes retenues constituées, voilà longtemps, dans les Alpes. Plus préoccupante, en revanche, est déjà la situation du Midi aquitain, notamment du bassin Adour-Garonne, en raison de la disparition des glaciers des Pyrénées et du faible nombre d’ouvrages de retenue. On nous dit aussi que le bassin Seine-Normandie, qui alimente des millions de nos concitoyens, serait particulièrement vulnérable.

Devant la gravité de la situation, si la prise de conscience des élus, en particulier des élus locaux, va croissante, grâce aux récentes études de prospective, celle de la population reste insuffisante, voire quasi nulle. À l’évidence, il y a urgence à mener un effort de pédagogie et de sensibilisation pour promouvoir une politique d’économie d’une ressource qui constitue un bien commun. Rappelons en effet une réalité qui s’impose à nous, mais que nous oublions souvent : la ressource en eau ne se crée pas, elle se gère.

Et l’on peut agir ! Par exemple, une source de gaspillage avérée résulte de la déperdition d’eau dans les réseaux d’adduction : de 20 % du débit en moyenne, cette déperdition peut dépasser les 40 % en milieu rural. Renforcer la surveillance et l’entretien des réseaux de distribution serait déjà œuvre utile. De même, et les membres de la délégation y ont été sensibles, prenons la mesure de l’incidence, sur la consommation d’eau, de l’implantation des canons à neige ou de l’arrosage des golfs dans les zones où la ressource est comptée.

Sensibiliser la population est un impératif, mobiliser la recherche, tant publique que privée, en est un autre.

Avec Veolia, Suez environnement, ou bien encore la Saur, nous avons la chance que des entreprises françaises, réputées mondialement, et qui réalisent une grande partie de leur chiffre d’affaires à l’international, investissent massivement en matière de recherche et développement sur l’eau.

Car, oui, il est possible d’accroître la ressource en mobilisant une eau que l’on pensait perdue. Je pense notamment à la technique de réalimentation des nappes phréatiques, ou bien encore à la réutilisation des eaux usées traitées, à laquelle d’autres pays ont recours, y compris pour la consommation humaine ou animale, mais qui soulève, chez nous, il est vrai, des résistances particulières. Quelle est votre position à ce sujet, madame la secrétaire d’État ?

Bien sûr, toutes ces solutions ont un coût, ce qui suppose d’opérer des choix politiques dans le contexte de redressement des comptes publics que nous connaissons. J’en viens donc à la question suivante : quelle gouvernance voulons-nous pour l’eau ?

Si l’on dénonce souvent le millefeuille territorial, qui complexifie nos politiques, la gestion de l’eau, en France, en constitue une parfaite illustration.

Historiquement, elle a été l’une des premières politiques publiques vraiment décentralisées. L’organisation en agences de bassin reste pertinente, mais force est de constater que sa mise en œuvre révèle de singuliers paradoxes. À vouloir mettre tout le monde autour de la table, ce qui est louable, on aboutit à une technocratisation des structures, du type comités de bassin et agences de l’eau, dans lesquelles l’on parle beaucoup, mais où l’on décide peu. Nous péchons presque par excès de démocratie locale, les élus locaux finissant par être dépossédés des décisions qui les concernent. Se produit ainsi, de manière insidieuse, une sorte de recentralisation rampante. Ce sont souvent les techniciens qui ont les commandes, et non les élus.

L’effort de sensibilisation et la volonté de mobilisation passeront par une réflexion sur l’organisation. Dans le respect du cadre européen, la problématique de l’eau doit pouvoir être intégrée dans des projets de territoire, pour promouvoir les procédures participatives, concertées et efficaces, dont nous, et plus encore les générations futures, avons besoin. (Applaudissements.)