M. Philippe Dallier. Formidable !

M. Jacques-Bernard Magner. … après une progression de près de 12,7 % sur les cinq dernières années.

L’école, c’est le premier budget de la Nation.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques-Bernard Magner. C’est notre priorité absolue. Or, vous le savez, il a fallu à la fois rattraper les années de casse du gouvernement précédent (Mais oui ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) – je vous rappelle les 80 000 suppressions de postes – et refonder l’école de la République. (M. Antoine Lefèvre sourit.)

De grands chantiers ont déjà été entrepris durant les cinq dernières années. J’en cite quelques-uns : la création de 60 000 postes d’enseignants ; la construction d’une véritable formation des enseignants ; la mise en place d’une nouvelle organisation du temps scolaire ; la lutte contre le décrochage scolaire, qui permet aujourd’hui de passer sous la barre de 100 000 décrocheurs ; la mise en œuvre d’une école inclusive, avec les moyens qui s’y rattachent ; la lutte contre les violences et les inégalités en milieu scolaire ; le développement de l’éducation artistique et culturelle à l’école.

Madame la ministre, aujourd’hui, vous mettez l’accent sur un autre chantier, tout aussi important à nos yeux : l’orientation et l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Marc Daunis. Majeur !

M. Jacques-Bernard Magner. À ce sujet, vous venez de prendre plusieurs initiatives dans le cadre de la semaine École-Entreprise qui se déroule actuellement dans notre pays. Pouvez-vous nous en préciser le contenu ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Aline Archimbaud et Hermeline Malherbe ainsi que M. Alain Bertrand applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question.

M. Philippe Dallier. Téléphonée !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Bien sûr, l’école doit apporter aux élèves des connaissances, des compétences et une culture commune. Cependant, dans le même temps, elle doit toujours veiller à les préparer à leur insertion professionnelle. Elle ne peut pas se dédouaner de cette mission, qui, je le rappelle, est inscrite au code de l’éducation. En conséquence, elle doit entretenir des liens étroits avec l’entreprise, avec la sphère économique, avec le monde professionnel.

En réalité, en cette semaine École-Entreprise, je n’annoncerai pas de nouveaux chantiers : je ferai le point sur tout ce qui a été accompli, en la matière, depuis le début de ce quinquennat. Ces initiatives n’ont jamais fait les gros titres des journaux. Pourtant, elles sont absolument essentielles. En voici quelques exemples.

Tout d’abord, les élèves devaient jusqu’à présent attendre la classe de troisième pour faire leur première expérience du monde professionnel, sous la forme du stage d’observation que tout le monde connaît. Depuis l’année dernière, nous proposons ce que nous appelons le parcours Avenir.

Ainsi, depuis la classe de sixième, en continu, chaque année et systématiquement, les élèves bénéficieront de visites d’entreprise ; des professionnels viendront à leur rencontre au sein de leur classe ; les élèves eux-mêmes pourront créer des mini-entreprises. Parallèlement, le stage de troisième sera conservé.

Ensuite, nous avons décidé d’agir en faveur de ceux qui, précisément, ne parvenaient pas à trouver leur stage de troisième. Cette situation était insupportable. Elle constituait une première expérience de la discrimination. Depuis cette année, et ce sur ma demande, 330 pôles de stages ont été créés sur l’ensemble du territoire. Constituées à l’échelle des bassins d’emploi, ces brigades ont pour mission d’obtenir des stages aux jeunes qui n’en ont pas trouvé par eux-mêmes.

Enfin, nous nous sommes penchés sur les problématiques d’orientation. Pour être bien vécue, celle-ci doit être choisie par les élèves. Les enfants choisissent leur orientation en troisième. Grâce aux dispositions que je viens d’indiquer, ils seront mieux éclairés durant leur scolarité au collège. En outre, cette année, s’y ajoutera la nouveauté suivante : lorsqu’ils arriveront en seconde professionnelle, les élèves pourront, jusqu’aux vacances de la Toussaint, changer d’orientation s’ils estiment que celle-ci ne leur convient pas.

Monsieur le sénateur, voilà quelques exemples des nouveautés mises en œuvre par le Gouvernement. J’en suis persuadée, ces mesures resserrent les liens entre l’école et le monde professionnel. Ainsi, elles améliorent l’orientation de tous les élèves ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Aline Archimbaud et Hermeline Malherbe ainsi que M. Alain Bertrand applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 16 novembre dernier prennent effet.

5

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

6

Candidatures à deux commissions d'enquête et deux missions d'information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres :

- d’une part, de la commission d’enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l’avenir de l’espace Schengen, créée sur l’initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement ;

- d’autre part, de la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisations et leur suivi dans la durée, créée sur l’initiative du groupe écologiste en application du même droit.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats établies par les groupes ont été publiées.

Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

L’ordre du jour appelle la désignation des membres :

- d’une part, de la mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 », créée sur l’initiative du groupe UDI-UC en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement ;

- d’autre part, de la mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, créée sur l’initiative du groupe du RDSE en application du même droit.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, les listes des candidats établies par les groupes ont été publiées.

Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

7

Candidature à une commission

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de Paul Vergès, décédé.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Louis Pinton, décédé.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

9

2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales

Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, le débat sur les conclusions du rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales (rapport n° 425, 2015–2016).

La parole est à Mme la présidente de la délégation. (Applaudissements.)

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un honneur d’ouvrir ce débat, même si je dois commencer mon propos par deux tristes constats.

Premièrement, les statistiques relatives aux violences conjugales ne se sont pas substantiellement améliorées au cours des dernières années. En 2010, 146 femmes et 28 hommes sont morts sous les coups de leur conjoint. En 2014, le nombre des victimes s’élève encore à 143, et même 200 personnes si l’on tient compte des suicides consécutifs et des enfants victimes.

Deuxièmement, la révélation des faits est toujours aussi difficile. Chaque année, les enquêtes recensent environ 200 000 femmes victimes de violences conjugales. Mais moins de 14 % d’entre elles portent plainte. À l’évidence, les victimes ont encore peur, elles ont encore honte et elles se taisent toujours.

Voilà le constat qui a conduit la délégation, à l’unanimité, à se poser une question simple : dix ans après la loi 2006, au terme du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, et après dix années de parfaite continuité des politiques publiques, quelles que soient les majorités en place, pourquoi les violences conjugales ne reculent-elles pas plus fortement ?

L’unanimité des groupes représentés au sein de la délégation ont concouru à ces travaux. En outre, signe que cette question est, à nos yeux, cruciale, tous les groupes ont nommé un corapporteur au titre de ce rapport, qui, au demeurant, a été adopté à l’unanimité le 11 février dernier.

Je tiens à remercier l’ensemble de mes collèges du travail qu’ils ont accompli dans un délai relativement court : non seulement Roland Courteau, qui est engagé de très longue date sur ce sujet, mais aussi Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, qui sont très investies dans le fonctionnement de notre délégation, quels que soient les débats auxquels elle se consacre.

À quelques jours de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, et à la veille de la discussion budgétaire, nous engageons ici un débat crucial et significatif sur l’état de notre société. En effet, la place des femmes et la protection des plus faibles sont les marqueurs du degré de civilisation d’une société.

J’en viens au contenu du rapport. Son seul intitulé est éloquent : « 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales ». En d’autres termes, malgré une véritable mobilisation des pouvoirs publics et des autorités politiques, malgré des outils toujours plus nombreux – le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ou HCE, vient d’ailleurs de dresser le bilan du dernier plan mis en œuvre –, la situation ne s’améliore pas suffisamment : à nos yeux, les progrès ne sont pas assez substantiels.

Au terme de ce travail, nous avons adopté treize recommandations, que je regroupe par facilité en quatre axes : la réponse judiciaire ; la gouvernance ; les violences sur les enfants ; et la prise en charge des conséquences psychotraumatiques. Je précise que je n’évoquerai pas toutes nos préconisations, mais seulement les principales d’entre elles.

Le premier axe est celui de la réponse judiciaire.

À ce titre – je le répète –, notre constat est simple : les victimes ont toujours peur. Elles ont peur de porter plainte, car leur protection n’est pas encore suffisamment assurée. Nous avons notamment voulu tirer le bilan de l’ordonnance de protection. Adopté en 2010, ce texte est un très bon outil. Malheureusement, son bilan est mitigé et variable selon les départements. Le principe n’est pas en cause, mais la procédure mérite d’être améliorée : dans ce cadre, il est nécessaire de se mettre à la place des victimes.

Nous recommandons notamment que les auteurs présumés de violences soient convoqués pour comparaître devant la justice non plus par courrier recommandé, qu’ils oublient parfois de retirer, mais par huissier de justice.

Nous recommandons que les victimes bénéficient immédiatement de l’aide juridictionnelle, sans que celle-ci soit conditionnée à la délivrance d’une ordonnance de protection.

En outre, nous soutenons bien évidemment la généralisation, sur l’ensemble du territoire, du dispositif de téléprotection « grave danger « 

. Il faut veiller à ce que ces fameux boîtiers ne fassent jamais défaut.

À l’inverse, nous émettons un message de prudence quant aux conséquences parfois négatives de la médiation pénale en cas de violences familiales, même quand la victime a manifesté son accord. Il peut être absolument désastreux de remettre en contact le bourreau et sa victime, notamment lorsque le couple a des enfants.

Naturellement, pour atteindre ces objectifs, il est essentiel d’assurer une parfaite coordination locale entre les magistrats. À cet égard, j’attire votre attention sur l’initiative déployée à Paris : la création d’un conseil de juridiction réunissant les magistrats du siège et du parquet, la police et les services municipaux pour élaborer un schéma départemental des violences. Il nous semble bon que cette expérience puisse être reproduite dans d’autres départements. Il s’agit manifestement d’un dispositif efficace.

Le deuxième axe est celui de la gouvernance, dont cette dernière recommandation pourrait également relever.

Dans ce domaine, force est de poser une question qui, j’en conviens, est assez classique : celle des moyens accordés aux associations. Ces dernières accomplissent un immense travail. Malheureusement, et comme d’habitude pour ce qui concerne les femmes en général, on a un peu trop tendance à partir du principe que cette action relève du bénévolat – je me permets de vous renvoyer à un autre rapport établi par le HCE.

Des efforts budgétaires sont donc nécessaires pour soutenir les associations dans la durée. J’ajoute que ces moyens ne sont pas démesurés au regard du coût colossal des violences conjugales : je rappelle que leur coût est estimé à 3,5 milliards d’euros.

De plus, pour apporter des réponses parfaitement adaptées, il est crucial d’améliorer encore la connaissance statistique des situations de violence. À ce titre, nous avons été favorablement impressionnés par l’observatoire de Seine-Saint-Denis, lequel est placé sous la présidence très efficace d’Ernestine Ronai. Cette initiative devrait, elle aussi, être généralisée à d’autres départements.

Le troisième axe renvoie à une question absolument centrale, que nous avons tenu à mettre en lumière via notre rapport : le sort réservé aux enfants.

En la matière, les chiffres font froid dans le dos. En 2014, 35 enfants sont morts par suite de violences au sein d’un couple, et 110 autres sont devenus orphelins. En outre, en 2014, 140 000 enfants vivaient dans un foyer où leur mère était victime de violence.

La question est simple : comment ces enfants peuvent-ils se construire ?

Je ne reprendrai pas le débat très pertinent mené il y a quelques années par Michèle Meunier et Muguette Dini. Leurs travaux avaient conclu à la nécessité de privilégier l’intérêt de l’enfant par rapport au maintien de la cellule familiale.

Pour notre part, nous nous sommes interrogés sur le retrait de l’autorité parentale, notamment en cas de meurtre de l’un des deux parents. Si nous n’avons pas tranché ce débat, je ne vous cache pas que je m’interroge. Comment laisser l’autorité parentale à un père qui vient de tuer la mère de son enfant ?

En revanche, nous avons été unanimes à recommander que l’exercice du droit de visite en cas de violences conjugales s’effectue dans un cadre très sécurisé. Nous recommandons ainsi la généralisation de la mesure d’accompagnement protégé, ou MAP, qui permet précisément un droit de visite dans des espaces neutres et protégés.

Nous considérons également que les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment creusé la question de la prise en charge des auteurs de violences. Si les intéressés ne font pas l’objet d’un suivi, ils récidiveront ! À ce propos, nous avons été assez favorablement impressionnés par diverses structures que nous avons visitées à Lens ou à Arras. Ces structures sont dédiées à la prise en charge des auteurs de violences. Elles aussi mériteraient d’être déployées sur l’ensemble du territoire.

Enfin, quatrième axe, la délégation s’est particulièrement inquiétée de l’insuffisante prise en charge des victimes.

Sur ce sujet, je tiens à insister sur deux points.

Premièrement, les conséquences psychotraumatiques que ces violences infligent aux victimes sont insuffisamment prises en charge. C’est probablement la principale lacune du dispositif actuel. Nous recommandons par conséquent de généraliser les cellules d’urgence médico-psychologique interdisciplinaires, comme c’est le cas, là aussi, en Seine-Saint-Denis.

Deuxièmement, la victime ne peut pas mener à bien une reconstruction personnelle, elle ne peut pas commencer une seconde vie si elle n’a pas accès à un nouveau logement lui permettant de s’éloigner de son bourreau.

C’est là une dimension essentielle de la lutte contre les violences conjugales. Bénéficier d’un logement, à la suite d’un jugement et plus encore en cas d’urgence, est crucial pour permettre à la victime et à ses enfants de recommencer sa vie. Aussi, nous demandons que les violences conjugales soient un motif prioritaire d’attribution d’un logement social. Nous souhaiterions que le ministère en charge du logement nous communique, chaque année, des données quantifiées sur ce sujet.

Mes chers collègues, je le répète : depuis plus de dix ans, tous les gouvernements et la grande majorité des partis politiques se sont clairement engagés dans la lutte contre les violences conjugales. De nombreux outils juridiques ont été créés, de nombreux dispositifs existent.

Reste maintenant à se donner les moyens de ses ambitions.

Reste maintenant à afficher une intransigeance absolue, une tolérance zéro face à toutes les violences faites aux femmes.

Bien entendu, nous distinguons ces différents sujets, pour lesquels les curseurs sont différents. Mais il n’en est pas moins vrai que toutes les violences faites aux femmes, que ce soit la traite, la prostitution, les mutilations sexuelles, les viols, le harcèlement ou les violences conjugales, relèvent toutes d’un même sujet.

Si, comme je le disais en ouvrant mon propos, la place des femmes est le marqueur d’une société civilisée, il nous reste encore beaucoup du chemin à parcourir ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui a demandé l’organisation de ce débat parlementaire dix ans après le vote de la loi du 4 avril 2006, a publié un rapport-bilan de la décennie 2006-2016, dont le titre vaut constat : Un combat inachevé contre les violences conjugales.

Permettez-moi de citer en introduction de mon propos les articles 212 et 213 du code civil lus par les officiers d’état civil célébrant un mariage : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » ; ils « assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. » Le respect mutuel est ainsi rappelé aux futurs mariés, tout comme l’autorité parentale à l’article 371-1 dudit code. Pourtant, comme l’a rappelé notre présidente Chantal Jouanno, les statistiques des violences conjugales sont toujours aussi cruelles. Nous pouvons donc être fiers que notre délégation ait contribué, depuis sa création, à l’émergence d’un droit nouveau, reconnaissant les violences conjugales comme un délit au même titre que toutes les violences.

En 2010, j’ai eu l’honneur de rédiger un rapport consacré à la violence au sein des couples – quels qu’ils soient, préciserai-je – sujet encore tabou, réalité occultée, le plus souvent perpétrée dans le huis clos familial avec un très faible taux de révélation. En effet, 90 % des victimes n’osent pas porter plainte par peur de perdre leur logement ou la garde des enfants. Pour éviter que le domicile conjugal ne devienne lieu de non-droit, nos travaux avaient conclu à de sages recommandations. Pour n’en citer que deux, je rappellerai l’ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement, y compris psychologique.

La loi de 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, traduisant une prise de conscience collective à la fois sociale, judiciaire et législative. Dans son article 11, elle modifie le code pénal en faisant émerger le délit de viol entre époux. Si, en 1810, le « devoir conjugal » était une obligation qui rendait le viol inconcevable entre époux, ce n’est plus le cas aujourd’hui bien que les obstacles restent encore nombreux pour prouver cette infraction. La présomption de consentement a été supprimée par la loi de 2010, et toute relation sexuelle forcée par un conjoint constitue désormais un viol aggravé, puni de vingt ans d’emprisonnement aux termes de l’article 222-24 du code pénal.

Le volet législatif ayant trait aux violences conjugales ne cesse donc de se construire, délivrant un message clair à la fois aux auteurs et aux victimes des comportements anormaux qu’ils infligent ou qu’elles subissent.

À l’issue du bilan de cette décennie, nous avons formulé de nouvelles recommandations s’inscrivant dans la continuité des recommandations formulées en 2010.

La délégation salue la montée en puissance de l’ordonnance de protection et indique, par exemple, que la formation des magistrats doit aussi se faire au plus près de leur juridiction avec un réseau national de référents spécialisés, afin de mieux prendre en compte les victimes et les conséquences traumatologiques des violences subies. Les référents « violences » sont un maillon essentiel dans les tribunaux, les cours d’appel, les commissariats de police ou les brigades de gendarmerie, le domaine de la santé et le secteur médico-social. Il me semble également nécessaire que des référents « violences » soient nommés dans les écoles.

La délégation déplore que le financement des hébergements d’urgence reste encore trop fragile, tout comme l’accès au logement social.

Les boîtiers de téléprotection « grave danger » ayant fait leurs preuves, elle invite à les généraliser.

Enfin, les experts auditionnés ont insisté sur les dangers pour les victimes de recourir à la médiation pénale, même avec leur accord, dans les cas de violences familiales.

En 2010, j’avais souhaité mettre l’accent sur la formation des personnels à la prise en charge des victimes. Aujourd’hui, je pense que la priorité doit être donnée à la protection des enfants exposés aux violences physiques et psychologiques, dont le sort a trop longtemps été passé sous silence. Nous devons aller encore plus loin, les répercussions des violences conjugales sur l’enfant vulnérable étant désormais mieux connues et reconnues : syndrome de stress post-traumatique, retards dans le développement physique, troubles du comportement, conduites à risque, dépression, désinvestissement de la scolarité, brutalités à l’égard des autres, voire de la mère.

Ne perdons pas de vue que la majorité des séparations traitées par le juge aux affaires familiales sont conflictuelles. L’enfant est alors confronté à des questionnements de loyauté face à ses deux parents, et il devient ainsi objet de chantage.

En guise de conclusion, je tiens à réaffirmer que les violences conjugales sont illégales comme toute forme de violence. Elles s’inscrivent dans un rapport de domination par lequel l’un des conjoints s’assure le pouvoir sur l’autre. Les motifs qui justifient le passage à l’acte ne sont que des prétextes pour garantir le pouvoir recherché dans un rapport d’inégalité entre les deux parents.

La destruction par un autre de la capacité d’agir d’un sujet est l’objet même de la violence et de l’emprise comme l’affirme Édouard Durand, magistrat et membre du Haut Conseil à l’égalité entendu par la délégation le 17 novembre. Ce paradigme ne doit pas être supporté par les enfants. Il faut les aider à en sortir le mieux ou le moins mal possible, pour retrouver sécurité et stabilité, repères affectifs, éducatifs et sociaux.

Pour que le domicile conjugal ne soit plus un lieu de non-droit, les dispositions législatives ne suffisent pas. Elles doivent être accompagnées non seulement d’un effort de subvention aux associations de terrain, mais aussi de formation, d’éducation transversale et volontariste ainsi que, bien sûr, d’information à l’intention du grand public. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la première pensée qui me vient à l’esprit est qu’un tel débat ne devrait pas avoir lieu. Nous ne devrions pas, en France, au XXIe siècle, avoir à traiter la question des violences conjugales. Nous ne devrions pas voir à la une des journaux des femmes ayant subi, pendant des années, parfois des décennies, les coups de leur mari – des cas inverses existent également, même s’ils sont bien plus rares. Ces situations devraient appartenir aux siècles passés, lorsque la femme n’était pas considérée comme l’égale de l’homme.

Pourtant, mes chers collègues, le débat qu’organise la délégation aux droits des femmes est important, essentiel, car les violences conjugales font toujours partie du quotidien de très nombreuses femmes. La désignation d’un rapporteur par groupe est le gage d’une réelle prise en compte de cette problématique par le Sénat, et je la salue vivement.

« Un combat inachevé » : le choix du titre du rapport de la délégation est évocateur. Depuis une quinzaine d’années, nous avons voté des lois – quatre grandes lois – et le Gouvernement a mis en œuvre quatre plans interministériels pour lutter contre ces violences. Les services concernés sont mobilisés, compétents, dévoués. Pourtant, comme le rappelait Chantal Jouanno, aujourd’hui encore, en France, une femme meurt en moyenne tous les trois jours victime de violences conjugales. Et c’est sans compter les nombreuses victimes de troubles psychologiques qui découlent d’années de haine et de violence !

Qu’est-il encore possible de faire pour lutter contre ce fléau ?

Lors des nombreuses auditions de la délégation, plusieurs intervenants ont appelé à une pause législative. Le rapport ne propose donc pas de nouvelle loi, mais plutôt une amélioration des procédures et des outils existants avec le cadre législatif en place. Je le souligne, car nous avons malheureusement trop souvent la tentation de recourir à la loi pour traiter toutes les questions auxquelles nous sommes confrontés.

Les procédures et outils que sont l’ordonnance de protection, le téléphone grave danger, ou TGD, et les mesures d’accompagnement existent et se développent. À ce titre, je voudrais revenir sur l’exemple du département de la Seine-Saint-Denis.

En tant qu’élue centriste, je suis particulièrement sensible aux expérimentations menées au sein des collectivités locales. Les outils que les structures locales développent sont le fruit d’un travail de terrain, d’une réflexion entre plusieurs acteurs, d’une véritable coordination visant l’efficacité concrète.

Ainsi, dans le cadre de l’observatoire départemental des violences envers les femmes, l’ensemble des acteurs concernés a mis en œuvre plusieurs expérimentations : la mise en place du dispositif de protection pour les femmes victimes de violences, le TGD, que je mentionnais à l’instant ; la montée en puissance des ordonnances de protection ; la prise en charge de la mesure d’accompagnement protégé des enfants ; la prise en charge des enfants mineurs orphelins lorsqu’un des parents a été tué par son conjoint.

L’ensemble de ces dispositifs fait l’objet d’une convention entre les acteurs, notamment l’observatoire départemental, le procureur de la République, le tribunal de grande instance, la direction de la sécurité de proximité, la direction centrale de la sécurité publique, des associations, la région, la préfecture.

Si ces mesures concernent avant tout la prise en charge de situations d’urgence, le département expérimente également la prise en charge des victimes sur le long terme via des consultations de psychotraumatologie. Je veux ici redonner les chiffres mentionnés dans le rapport : en 2014, 567 personnes, dont 444 femmes, 97 enfants et 26 hommes, ont pu bénéficier de cette prise en charge. Nous devons nous inspirer de ces initiatives et ne pas sous-estimer le mal-être résultant de violences antérieures ainsi que les troubles psychologiques qui en découlent.

La deuxième étape consiste à renforcer la cohérence judiciaire. À ce titre, les résultats variables de l’application de l’ordonnance de protection d’un département à l’autre démontrent la nécessité d’une formation de tous les acteurs en même temps.

La réponse judiciaire, pénale, est extrêmement importante, mais elle n’est pas à elle seule suffisante.

Je suis particulièrement sensible à la question de l’emprise à laquelle ont été confrontées les victimes de violences conjugales. Ces violences laissent très souvent des séquelles qui empêchent d’aller de l’avant et conduisent à ce qu’on appelle l’engrenage des violences, par lequel les victimes deviennent à leur tour auteurs. Cela peut être évité par une prise en charge psychologique sur le long terme. À ce titre, la prise en charge de l’enfant est essentielle. Quels que soient le degré et le niveau de violence, l’enfant est toujours victime.

Les conséquences des violences conjugales peuvent également être perpétuées par l’attitude de l’ex-conjoint s’agissant de la pension alimentaire. Permettez-moi de souligner à ce sujet la création d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous venons d’adopter en première lecture.

J’ai été saisie, à l’occasion de l’examen de ce texte, d’une demande que je tenais à porter à votre connaissance s’agissant de la pension de réversion. Conformément au droit en vigueur, la pension de réversion est égale à 50 % de celle du fonctionnaire et elle est attribuée quels que soient l’âge et le montant des ressources du bénéficiaire. Ainsi, un conjoint violent, même condamné, peut bénéficier d’une pension de réversion. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur une évolution possible des conditions d’attribution d’une pension de réversion au regard de condamnations pénales pour violences conjugales.