Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous pourrions nous féliciter de l’efficacité d’un arsenal législatif important contre les violences conjugales, la lecture de ce rapport ainsi que les cas de violence auxquels nous sommes tous confrontés dans nos territoires témoignent que le combat est loin d’être achevé.

Force est de constater que ces violences engendrent un contentieux atypique puisqu’il s’agit d’un phénomène d’ampleur, à la fois indifférent aux catégories sociales ou à la géographie de nos départements, et qu’il n’existe finalement que peu de données fiables dans la mesure où il relève du huis clos et de l’intime.

Dans les Alpes-Maritimes, nous sommes particulièrement confrontés aux violences conjugales puisque mon département est tristement classé parmi les trois plus meurtriers chaque année – treize morts en 2015…

Cette problématique fait donc l’objet d’une attention particulière afin d’apporter une réponse locale cohérente avec une mobilisation des associations, des élus et des services de l’État pour accompagner au mieux les femmes en grande détresse. La métropole Nice-Côte d’Azur, le conseil départemental, les communes et les associations spécialisées ont ainsi passé plusieurs conventions afin de créer un véritable réseau opérationnel centré sur l’hébergement, la prévention et l’accompagnement dans les procédures de droit commun.

À Nice, afin de répondre à une prise en charge sans délai des victimes et faire en sorte qu’elles bénéficient d’une protection, des places d’accueil d’urgence existent. Un centre d’accueil de jour, labellisé par l’État, a également été créé pour leur assurer un accueil pérenne et un soutien personnel. Cette structure est très précieuse, car ses partenariats institutionnels et associatifs démontrent le rôle considérable et essentiel de la concertation locale dans le parcours d’orientation des victimes. Plus de 200 femmes y ont été prises en charge en 2015. Elles y parviennent après avoir été dirigées par les hôpitaux, les assistantes sociales, les commissariats, les élus ou le centre d’hébergement et de réinsertion sociale de la ville.

En outre, renforcer le parcours d’orientation des femmes victimes de violences passe aussi par une maîtrise locale des données. À côté du rôle prépondérant joué par les associations, qui fournissent une remontée d’informations importante, nous avons créé un observatoire local des violences conjugales, en cours d’extension au niveau de la métropole, ce qui permettra de mieux cerner l’ampleur des violences conjugales sur un territoire de quarante-neuf communes et un bassin de vie de plus de 550 000 habitants.

Concernant la prévention, comme dans douze autres départements depuis 2014, les Alpes-Maritimes ont expérimenté le téléphone grave danger – malheureusement, ce dispositif de téléprotection a prouvé son efficacité… – en coordination avec une association départementale, l’HARJES, les services de police et le procureur de la République. Je partage donc la recommandation de la délégation visant à augmenter les attributions de TGD sur l’ensemble du territoire.

En matière judiciaire, je tiens à souligner les efforts menés à l’échelle de mon département, notamment depuis la reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes grande cause nationale par le gouvernement de François Fillon en 2010.

Il faut bien reconnaître que les services de police et de justice ont longtemps considéré, par le passé, que ces violences relevaient de la sphère privée, dans laquelle il convenait de ne pas s’immiscer. Une convention locale relative au traitement des dépôts de plainte a donc été élaborée pour harmoniser le traitement de la parole des victimes, avec une attention toute particulière dès la première prise en charge.

De plus, avec un protocole passé entre les deux tribunaux de grande instance des Alpes-Maritimes, les services de police et de gendarmerie, les associations labellisées d’aide aux victimes et la ville de Nice, la réponse judiciaire est particulièrement concertée.

Toutefois, les victimes soulignent un certain nombre de difficultés personnelles persistantes qui rejoignent celles relevées dans le rapport en matière de détection des violences par l’environnement extérieur, de dépôt de plainte en l’absence de blessure, d’autonomie financière et d’emploi et, enfin, de logement. Sur ce dernier point, en ma qualité de présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je rappellerai que les femmes victimes de violences conjugales figurent déjà parmi les cinq publics prioritaires dans la loi pour l’attribution d’un logement social.

L’élargissement aux victimes de « violences familiales » – recommandation n° 6 du rapport – ne pourrait malheureusement pas être suivi d’effet dans un territoire tendu comme les Alpes-Maritimes, puisque le nombre de logements sociaux serait insuffisant pour répondre à l’ensemble des besoins.

Pourtant, la question du domicile est effectivement le cœur du problème. Je partage donc la volonté de voir l’ordonnance de protection, qui permet d’évincer du domicile conjugal le concubin violent, fonctionner à l’avenir comme une mesure de protection immédiate. Dans la plupart des cas, paradoxalement, ce sont les victimes qui quittent le domicile pour leur sécurité, se retrouvant ainsi en situation de grande précarité.

Cependant, les victimes doivent bénéficier du logement, à la stricte condition qu’il soit un lieu de sécurité et de protection. Sans éloignement immédiat du logement de l’auteur des violences, une forme d’injustice sociale vient s’ajouter aux souffrances des victimes, l’ordonnance de protection restant alors au stade de vœu pieux.

Toutefois, ces obstacles ne sauraient nous faire douter que le combat n’avance jamais assez vite. Tant qu’il persistera un espace de souffrance et de violence, c’est à nous, parlementaires, qu’il incombe non seulement de voter les évolutions législatives nécessaires, mais aussi de porter, de communiquer et d’offrir une visibilité accrue aux mesures existantes et qui fonctionnent déjà dans nos territoires pour endiguer ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Christine Prunaud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les violences faites aux femmes représentent une atteinte grave aux droits fondamentaux. Nous avons tous, dans cet hémicycle, la volonté de faire cesser ce fléau. À cet égard, je remercie nos collègues de la délégation aux droits des femmes de leur travail.

Depuis l’introduction dans le code pénal d’un délit spécial de violences commises au sein du couple en 1994, de nombreuses avancées doivent être soulignées et saluées. En effet, l’arsenal juridique pour prévenir et lutter contre les violences conjugales s’est affiné. Je pense, par exemple, à l’ordonnance de protection, mise en place par la loi de 2010, puis améliorée par la loi de 2014, qui en a prolongé la durée.

Pour autant, nous restons extrêmement mobilisés sur ce sujet, conscients du chemin qu’il nous reste à parcourir, notamment pour tous les Français et Françaises établis hors de France. Il est important que nos ressortissants, où qu’ils soient, sachent que la France s’engage dans la lutte contre les violences faites aux femmes par-delà les frontières.

Les chiffres restent plus qu’alarmants : en février 2016, l’Observatoire national des violences faites aux femmes estimait qu’au moins 200 millions de femmes et de filles, dont 44 millions âgées de moins de quinze ans, ont subi une mutilation sexuelle dans trente pays. En 2014, 4 % des femmes immigrées vivant en France et 2 % des filles d’immigrés nées en France, âgées de vingt-six à cinquante ans, ont subi un mariage non consenti. Selon l’UNICEF, environ 250 millions de femmes dans le monde ont été mariées avant l’âge de quinze ans. Vous serez d’accord pour convenir qu’il s’agit bien d’une violence.

Mme Claudine Lepage. Afin de renforcer la protection de nos ressortissantes résidant hors de France, j’avais interrogé Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, notamment chargé des Français de l'étranger, sur la mise en place de « référents violences faites aux femmes » dans les consulats.

Avoir un interlocuteur bien formé, qui parle votre langue, est extrêmement important lorsque vous êtes victime de violences à l’étranger. Je me réjouis donc de la réponse de Matthias Fekl, qui m’a indiqué qu’un « travail de recensement des structures locales susceptibles d’accueillir à l’étranger les victimes des mariages forcés et de violences en général a été engagé » et que « l’ensemble des agents consulaires sont formés à ces thématiques au sein de l’institut de formation des agents à l’administration consulaire ».

Par ailleurs, madame la ministre, lors de votre audition par la délégation, vous m’avez confirmé que l’action internationale – c’est-à-dire dans les consulats – serait renforcée dans le cadre du cinquième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes qui doit être dévoilé dans quelques jours.

L’ampleur, la gravité et le caractère protéiforme des violences faites aux femmes, qui ne sont pas que conjugales, supposent une lutte sans relâche. Ce travail passe par un renforcement des dispositifs de protection des victimes. C'est la raison pour laquelle je regrette vivement que certaines mesures, comme le dispositif anti-rapprochement dont l’expérimentation était prévue par la loi de 2010, n’aient pu être mises en place ou que la proposition de prolongation du délai de prescription de l’action publique du délit d’agression sexuelle n’ait pas abouti. Il est pourtant insupportable d’envisager qu’un agresseur ne soit pas traduit devant les tribunaux. Une réflexion devrait être engagée sur ce sujet afin que les personnes ayant subi des agressions sexuelles – pas seulement au sein du couple – puissent être reconnues comme victimes par la justice. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier très sincèrement les membres de la délégation aux droits des femmes, en particulier sa présidente et les rapporteurs, pour leur travail de grande qualité sur ce sujet particulièrement complexe et douloureux pour de nombreuses familles.

La lutte contre les violences conjugales s’inscrit dans un contexte sociétal global, notamment en termes d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes. Il est aujourd’hui indispensable de développer les structures d’accueil et de garde d’enfants pour permettre aux femmes de ne plus subir le travail à temps partiel qui nuit à leur carrière, entraîne des disparités salariales avec les hommes et ne leur ouvre qu’une petite retraite.

Je m’associe bien évidemment aux treize recommandations du rapport, en insistant sur les besoins en logements d’urgence, sur la formation à l’écoute et sur la prise en charge des femmes battues par les partenaires juridiques et sociaux et par les personnels de gendarmerie et de police qui les reçoivent.

L’éducation nationale a un rôle considérable à jouer dans la lutte contre les stéréotypes. Il s’agit de faire en sorte que les femmes ne s’interdisent pas certaines professions.

De même, le congé parental doit être partagé entre conjoints pour éviter que seules les femmes ne s’arrêtent de travailler.

Il convient également de soutenir les actions de sensibilisation à l’éducation sexuelle et à la contraception au collège, dès la classe de sixième, afin d’éviter les IVG traumatisantes.

La Journée défense et citoyenneté pourrait être un lieu d’échange pour sensibiliser les jeunes aux valeurs d’égalité et de respect que nous défendons toutes et tous.

La tâche reste immense. Nous devons consacrer les moyens humains et financiers nécessaires. Le budget consacré aux violences faites aux femmes est malheureusement bien faible.

La mobilisation de tous les acteurs est indispensable : l’ensemble des administrations et services de l’État, qu’il s’agisse de l’intérieur, de la santé, des affaires sociales, de la justice, de l’éducation nationale, des collectivités territoriales, ou des associations – je rends hommage à tous ces bénévoles. Nous sommes en effet tous concernés, en secteur urbain comme en secteur rural.

Ne baissons pas les bras ! Ce combat passe par l’affirmation sans relâche de l’égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens moi aussi à saluer le travail réalisé par vos rapporteurs. Le travail de la délégation aux droits des femmes est pour moi une source précieuse d’étude, de recherche, d’exploration et d’innovation. En l’occurrence, la mobilisation transpartisane que vous avez mise en place est remarquable et plus que jamais nécessaire pour faire face à ce phénomène insoutenable – souvent –, révoltant – toujours – et tenace que constituent les violences faites aux femmes.

Je veux d’abord revenir sur le titre du rapport : 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. Voilà dix ans, le gouvernement lançait le premier plan d’actions contre les violences faites aux femmes ; quatre ans après, en 2010, était rédigée l’ordonnance de protection, qui est encore un dispositif phare de la protection des femmes victimes de violences conjugales et, désormais également, de violences sexuelles. Ces dix années consacrent l’intensification de l’action publique dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Les moyens mobilisés n’ont cessé d’augmenter et les politiques publiques se sont structurées autour des différents plans successifs, permettant une action interministérielle efficace et ambitieuse.

Votre éclairage est d’autant plus important que je lancerai demain le cinquième plan triennal de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, avec pour perspective la journée internationale du 25 novembre.

Cela a été dit, chaque année, 223 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Tous les deux jours et demi, une femme décède sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Selon mes chiffres, 122 femmes en sont mortes l’année dernière et 100 depuis le début de l’année 2016. Même si nos chiffres ne sont pas exactement identiques, ils disent la même chose, ce qui me paraît le plus important. Quant aux enfants, ils sont les victimes directes de ces meurtres.

Ces violences sont insupportables, car elles signifient que, pour des milliers de femmes, la vie constitue un grand danger. Être une femme, c’est vivre à risque pour nombre d’entre elles. Toutefois, personne ne peut dire exactement combien de femmes décèdent sous des coups mortels.

M. Roland Courteau. Sans compter les suicides !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, c’est l’un des sujets sur lesquels il faudra travailler et affiner l’expertise. On peut en effet présumer que de nombreux suicides de femmes sont liés aux violences conjugales.

Ces violences interpellent d’autant plus que le foyer familial est, dans notre idéal collectif, synonyme de protection et de solidarité. Les avancées législatives et les campagnes de sensibilisation permettent de bousculer ces certitudes et, surtout, de mieux reconnaître les violences qui s’exercent au sein du couple.

Aujourd’hui, les violences conjugales sont certainement la forme la plus connue des violences faites aux femmes. Mais il est important de souligner que les violences ne se traduisent pas seulement par des coups portés par un époux. Nous parlons de violences au pluriel, celles-ci s’exerçant sous différentes formes – sexuelles, physiques, psychologiques ou économiques –, dans des espaces divers – au travail, dans l’espace public, à l’école, à l’université – et pouvant potentiellement toucher toutes les femmes, quels que soient leur situation ou leur niveau de vie. Dans la grande majorité des cas, les victimes connaissent l’auteur des violences, qu’il s’agisse du conjoint, d’un membre de la famille ou d’un proche.

À la source de toutes ces violences, on retrouve un seul et même phénomène : le sexisme, le machisme. Les violences constituent la forme la plus exacerbée de la domination masculine. Ce sexisme qui se banalise justifie la domination physique, psychologique et symbolique des hommes sur les femmes.

Les différentes manifestations du sexisme se nourrissent entre elles. Tous les comportements et les propos qui stigmatisent, infériorisent, délégitiment les femmes constituent le terreau des violences faites aux femmes. Diffuser à longueur de journée des publicités et des clips dans lesquels les femmes sont immanquablement représentées comme des objets, multiplier les blagues et les propos déplacés adressés aux femmes autour de la machine à café, renvoyer sans cesse les femmes à leurs moindres compétences : tout cela fonde l’existence des violences et participe à leur banalisation et à leur légitimation. C’est pourquoi je conçois le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme que j’ai lancé le 8 septembre dernier comme un outil de prévention à part entière des violences faites aux femmes. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Vous l’avez dit, nous sommes dans une dynamique de progrès. Les nouvelles dispositions législatives et les mesures du quatrième plan Violences ont permis de créer de nouveaux outils non seulement pour mieux protéger et accompagner les femmes victimes de violences, mais aussi pour mieux les prévenir.

Nous pouvons l’affirmer avec assurance, jamais le droit n’a été aussi complet qu’aujourd’hui. Dès août 2012, nous avons rétabli le délit de harcèlement sexuel. Vous vous souvenez sans doute de la question prioritaire de constitutionnalité, qui avait conduit le Conseil constitutionnel à abroger le délit de harcèlement sexuel. Petite anecdote, l’homme poursuivi pour harcèlement qui avait déposé cette question prioritaire de constitutionnalité vient d’être condamné. Bien mal acquis ne profite jamais !

La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 a renforcé les dispositifs de lutte contre les violences : généralisation du téléphone grave danger, éviction du domicile du conjoint violent, stages de responsabilisation pour les auteurs et renforcement de l’ordonnance de protection.

Cette année, la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a été adoptée par le Parlement. Ce texte historique reconnaît enfin la prostitution comme une violence en soi.

Le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, en cours d’examen, comporte également une série de mesures en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Une fois le cadre juridique posé, il est absolument nécessaire de garantir l’application de la loi et l’accès au droit des femmes victimes. C’est pourquoi le quatrième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a été lancé, en 2014, autour d’axes et de mesures que vous connaissez toutes et tous parfaitement.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié ce matin l’évaluation de ce quatrième plan. À la veille du lancement du nouveau plan triennal, je tiens donc à partager avec vous ces derniers éléments d’évaluation, qui viennent compléter le travail que vous avez mené dans le cadre votre rapport.

Les moyens spécifiques consacrés aux violences faites aux femmes ont été doublés sur toute la durée du quatrième plan, pour atteindre 66 millions d’euros sur trois ans. C’est non seulement une condition essentielle de réussite, mais aussi une priorité de l’action de mon ministère, puisque la lutte contre les violences faites aux femmes représente près de 75 % du budget alloué au ministère des droits des femmes.

Je le précise, dans la mesure où le projet de loi de finances ne sera pas discuté ici, ce budget augmentera de 8 % en 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il aura enregistré une hausse de 50 % depuis le début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Éliane Giraud. Très bien ! Bravo !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Une très large partie de ce budget est directement attribuée aux associations, qui mènent un travail tout à fait remarquable sur le terrain en prenant à bras-le-corps des situations complexes, délicates et bien souvent dangereuses, y compris pour les bénévoles. C’est pourquoi, dans le cadre du quatrième plan, douze associations ont bénéficié d’une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens pour près de 4 millions d’euros.

Le quatrième plan a permis de déployer des dispositifs de repérage, de protection et d’accompagnement sur l’ensemble du territoire. La dénonciation des violences a ainsi pu être mieux accompagnée.

Le 3919, numéro unique pour orienter les femmes victimes de toute violence, a été renforcé et rendu plus visible. Les intervenants et intervenantes du 3919 ont ainsi été en mesure de répondre à un véritable besoin, puisque ce sont plus de 50 000 femmes par an qui sont écoutées, contre seulement 25 000 avant le quatrième plan. Ce chiffre a donc doublé. Voilà un indicateur tangible de la libération de la parole des femmes sur les questions de violence.

De nouveaux lieux d’écoute de proximité ont également été ouverts. Le quatrième plan a permis de renforcer leur présence sur l’ensemble du terrain, puisque dix nouveaux départements ont pu être couverts. Nous disposons aujourd’hui de 327 lieux d’accueil dans la quasi-totalité des départements.

Toutefois, seulement 10 % des femmes victimes portent plainte. Or, comme le souligne votre rapport, la plainte permet de mobiliser tous les outils de protection et de sanction prévus par le droit pénal. C’est pourquoi le protocole « plainte » a été établi : il s’agit de réaffirmer le principe du dépôt de plainte et d’améliorer la réponse apportée à toute femme qui révèle une situation de violences auprès de la police ou de la gendarmerie. Désormais, quatre-vingt-dix ressorts de tribunaux de grande instance sont couverts et cinq supplémentaires le seront prochainement.

Pour que la victime puisse trouver, dès sa première visite en commissariat ou en brigade, les réponses utiles susceptibles de la rassurer sur l’hébergement, la prise en charge des enfants ou l’accompagnement judiciaire, social et sanitaire, 260 intervenants sociaux – soit une augmentation de plus de 40 % en trois ans – sont désormais présents dans les commissariats et brigades de gendarmerie, dans la quasi-totalité des départements.

De nouveaux dispositifs ont également été déployés pour mieux protéger les femmes victimes. Ainsi 1 550 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence ont-elles d’ores et déjà été créées. Nous atteindrons donc l’objectif fixé par le Président de la République de 1 650 nouvelles places en 2017. Je le précise, 40 % d’entre elles sont situées dans des établissements spécialisés dans la prise en charge des femmes victimes de violences, tandis que 60 % sont situées dans le parc généraliste.

En outre, 1 737 ordonnances de protection ont été prononcées en 2015, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2014. Même si de plus en plus de magistrats mobilisent cette ordonnance, sa mise en œuvre est très inégale selon les différents territoires, comme le souligne votre rapport.

Nous avons également généralisé le téléphone grave danger. Depuis septembre 2014, 530 TGD ont été déployés et attribués à plus de 600 femmes. Pour 89 % des alertes, il s’agissait d’une demande d’intervention. Dans 28 % des cas, l’alerte a conduit à l’interpellation de l’agresseur.

Par ailleurs, 160 espaces de rencontre existent désormais et permettent la continuité des relations entre l’enfant et son père, sans nouvelle mise en danger des enfants ou du parent victime.

Afin de responsabiliser les auteurs de violences au sein du couple, de prévenir la réitération des actes de violence, des stages de responsabilisation ont été expérimentés dans dix services pénitentiaires d’insertion et de probation. On dénombre quatre-vingt-quatre dispositifs dans cinquante-huit départements. Le décret qui permettra la généralisation de ce dispositif sur l’ensemble du territoire sera publié en janvier 2017.

Le bilan du quatrième plan le montre, les départements qui se sont lancés tôt dans l’expérimentation des différents dispositifs sont ceux qui se sont le mieux mobilisés. C’est par exemple le cas pour le téléphone grave danger : 89 TGD ont été déployés ces deux dernières années dans le Bas-Rhin ; 93 en Seine-Saint-Denis et 48 à Paris. Mais ces trois départements étaient précurseurs en la matière ! Quand on regarde la liste de la répartition des téléphones grave danger, on identifie précisément les départements dans lesquels ces téléphones ne constituent pas encore un outil dont les magistrats se sont suffisamment emparés.

La formation des professionnels, qui constitue un axe important du quatrième plan, sera également un volet essentiel du cinquième plan. Elle est primordiale, car en permettant aux professionnels de s’approprier les dispositifs existants, que nous élaborons au Parlement et que vous votez, nous nous assurons que ces derniers sont véritablement mobilisés. Elle permet d’améliorer le repérage, l’accompagnement et la protection des victimes.

Au terme du quatrième plan, ce sont plus de 300 000 professionnels qui auront été formés par la MIPROF. Dans les services d’urgence, nous avons formé des référents. Issus de 483 établissements de soins, ils sont au nombre de 575. Nous développons progressivement un formidable réseau de travailleurs sociaux, magistrats ou professionnels de santé, qui ne sont pas des spécialistes exclusivement dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, mais sont formés, alors qu’ils exercent des disciplines diverses, à intégrer dans l’exercice de leur métier le repérage et l’accompagnement des femmes victimes de violences.

Malgré ces efforts, le phénomène des violences faites aux femmes reste massif. Faut-il pour autant se résigner, considérer l’action publique comme vaine et les violences comme une fatalité ? C’est, à mon sens, tout le contraire ! Il convient à la fois de mesurer les progrès réalisés et d’observer le maintien des violences à un haut niveau. Nous sommes face à une culture de la violence envers les femmes. Cela ne se résout pas uniquement par des lois et des dispositifs.

Nous disposons aujourd’hui d’outils concrets qui font leurs preuves lorsqu’ils sont mobilisés. Notre enjeu, désormais, est de tout mettre en œuvre pour permettre aux femmes d’accéder à leurs droits.

Plutôt qu’un combat « inachevé », je dirai que la lutte contre les violences faites aux femmes est un combat qui doit continuer d’être mené sans relâche. Un jour, je l’espère, celui ou celle qui sera à ma place ou à la vôtre, madame la présidente de la délégation, pourra dire que le combat est achevé. Malheureusement, cet horizon n’est pas encore accessible.

Pour le moment, nous avons la conviction qu’il ne faut jamais relâcher la lutte contre les violences faites aux femmes. Plusieurs de vos recommandations rejoignent les orientations du cinquième plan, notamment en ce qui concerne la formation des professionnels et la meilleure prise en charge des enfants victimes de violences conjugales.

Je révélerai au conseil des ministres qui se tiendra demain le contenu de ce cinquième plan. Je peux d’ores et déjà vous dire que nous consoliderons les dispositifs qui ont fait leurs preuves dans le cadre du quatrième plan, et cela grâce à une augmentation du budget alloué, qui a été multiplié par deux par rapport à 2014.

Afin de faciliter davantage la révélation des violences, le 3919 et le dispositif des intervenants sociaux dans les commissariats et brigades de gendarmerie seront consolidés, la formation des professionnels – médecins, policiers, gendarmes et, c’est nouveau, sapeurs-pompiers – qui constituent le premier recours des femmes victimes de violences sera systématisée.

Afin de mettre les victimes à l’abri, parfois dans l’urgence, les lieux d’écoute de proximité seront renforcés grâce à une plus grande amplitude horaire. L’offre d’hébergement d’urgence sera amplifiée pour parvenir à 2 000 places dédiées aux femmes victimes de violences et les dispositifs de protection dans l’urgence seront davantage et mieux mobilisés.

Afin de permettre la reconnaissance des violences subies et la condamnation des conjoints violents, les autorités judiciaires seront systématiquement informées des faits déclarés, le constat de preuve sera facilité et les professionnels de justice seront formés.

Afin d’accompagner les victimes vers une réelle autonomie, une offre de soins psychotraumatiques sera développée. Là encore, nous avons un effort de formation à mener, car nous ne disposons pas des ressources humaines nécessaires pour répondre aux besoins. Ce sera incontestablement l’un des sujets centraux de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, évoqué la question du viol conjugal. Pour révéler les violences, encore faut-il les identifier comme telles ! Nous lancerons demain une campagne sur les réseaux sociaux visant à déconstruire les stéréotypes associés aux violences. Pour la première fois, nous évoquerons dans une campagne officielle de communication publique le viol conjugal. Le slogan est le suivant : « Même si c’est sa femme, si elle ne veut pas, c’est un viol. »

Les enfants témoins de violences sont des victimes. Assister aux violences commises par le père sur la mère a des conséquences sur les enfants : en tant que témoins, ils deviennent des victimes. Un mari violent n’est pas un bon père, contrairement à ce qu’on entend encore parfois dans un certain nombre de professions.