M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Laurence Rossignol, ministre. La protection des mères et des enfants doit être assurée pendant la séparation : dans ces situations, la médiation familiale pour fixer l’exercice de l’autorité parentale a été interdite par la loi de modernisation de la justice du XXIsiècle.

La protection sera également garantie après la séparation : l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires, l’ARIPA, assurera l’intermédiation. Cette agence jouera un rôle contre les violences physiques, mais aussi économiques faites aux femmes, puisque le non-paiement des pensions alimentaires relève de ce type de violence. Les espaces de rencontre seront consolidés. Des espaces de rencontre protégés et une mesure d’accompagnement protégé seront expérimentés. J’ai signé ce matin en Seine-Saint-Denis une convention à cet effet.

Une nouvelle catégorie insuffisamment prise en compte par les plans précédents est celle des jeunes femmes de dix-huit à vingt-cinq ans, particulièrement exposées aux violences dans leurs relations avec les hommes et sur internet. Elles mobilisent pourtant peu les dispositifs existants, ne se sentant pas concernées. En effet, elles associent la violence conjugale à celle qui s’exerce dans un couple installé, qui représente à leurs yeux la conjugalité.

Afin de faciliter l’identification et la révélation des violences, une meilleure visibilité des lieux d’accueil de proximité est nécessaire pour ces jeunes femmes. Pour leur proposer une protection et un accompagnement adapté, cent solutions d’hébergement spécialisées dans la prise en charge des dix-huit à vingt-cinq ans sans enfants seront créées.

Par ailleurs, les jeunes femmes sont davantage exposées à une nouvelle forme de violence, le cybersexisme, qui va du harcèlement en ligne au partage de photos à caractère intime. Si la loi sanctionne désormais mieux ces violences, il est nécessaire de rappeler aux victimes que le droit les protège. Un guide sera publié à cet effet et une liste des commissariats dans lesquels les enquêteurs et enquêtrices sont formés à la lutte contre les violences sur internet sera diffusée.

Il est une autre catégorie de femmes insuffisamment soutenues ; je veux parler des femmes vivant en milieu rural.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Dans les territoires ruraux, les dispositifs peuvent être moins nombreux et moins accessibles. Il est clair qu’on ne pourra pas couvrir l’ensemble des territoires et des cantons avec des associations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il convient donc de trouver un autre angle d’accès.

Nous nous sommes appuyés sur ce qui existait dans les territoires ruraux, à savoir une présence associative. Des permanences d’écoute seront créées dans les maisons de services au public, sur la base de conventions signées avec les centres d’information sur les droits des femmes et des familles, les CIDFF, présents en zones rurales. L’idée est assez simple : il s’agit de former, dans les zones rurales, au repérage des violences faites aux femmes.

Par ailleurs, la mobilité sera facilitée par la prise en charge des transports : l’expérimentation de « bons taxis » sera menée dans vingt-cinq départements.

Des actions concrètes visent également à renforcer l’accès aux droits des femmes handicapées, qui sont victimes de violences spécifiques, des femmes résidant dans les territoires d’outre-mer et des femmes étrangères.

Enfin, en lien avec le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme, nous continuerons d’attaquer collectivement le problème à la source. Nous sommes toutes et tous concernés. Chaque prise de position, chaque initiative prise en ce sens, est précieuse.

La semaine dernière, j’ai participé au lancement d’une charte sur le traitement journalistique des violences faites aux femmes, dénoncé par le collectif Prenons la Une. Pour rendre compte des affaires de violences conjugales, elle recommande notamment de bannir l’usage des termes « drame familial » ou « crime passionnel ». Quand un homme tue sa femme et ses enfants, ce n’est pas un drame familial comme peut l’être un drame de la route en cas d’accident mortel. Il y a un assassin et des victimes, que les termes « drame familial » font disparaître, comme si tous étaient acteurs. Quant à l’expression « crime passionnel », elle n’a rien à faire dans la description des violences. Comment peut-on laisser entendre que l’amour et la passion auraient quelque chose de compatible avec la violence ? Or les mots « crime passionnel » laissent entendre que la violence et l’amour pourraient cohabiter.

Cette démarche engage les rédactions à ne plus utiliser un tel vocabulaire. En matière de violences faites aux femmes, tout est important, car il s’agit de s’attaquer à des représentations inacceptables tendant à la banalisation ou à l’humour en matière de violences. C’est donc avec ce type d’actions que nous avançons collectivement.

Vous le voyez, il n’y a aucune résignation ni aucun découragement de notre part, bien au contraire. Laurence Cohen a évoqué la nécessité de mobiliser les pouvoirs publics, mais aussi les associations et le mouvement social dans la rue. Le nombre de femmes victimes de violences étant évalué à 230 000, on peut penser que chacun en connaît au moins une, dans son quartier ou sur son lieu de travail. La mobilisation collective, c’est aussi la compréhension et le repérage des « signaux faibles », qu’il convient d’apprendre à identifier. Il faut savoir quoi dire à une femme qu’on pense être victime de violences, pour l’accompagner ensuite vers des professionnels qui la prendront en charge.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de ce rapport, qui m’est fort utile en tant que ministre chargée de lutter contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales.

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Nomination des membres de deux commissions d'enquête et deux missions d'information

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d’enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l’avenir de l’espace Schengen.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Pascal Allizard, Michel Billout, Jean Bizet, François-Noël Buffet, Olivier Cigolotti, René Danesi, André Gattolin, Mmes Pascale Gruny, Gisèle Jourda, MM. Philippe Kaltenbach, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jacques Legendre, Didier Marie, Rachel Mazuir, Cédric Perrin, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Jean-Louis Tourenne, Yannick Vaugrenard et Jean-Pierre Vial membres de la commission d’enquête.

Je rappelle également que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisations et leur suivi dans la durée.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Gérard Bailly, Jérôme Bignon, Gérard César, Roland Courteau, Ronan Dantec, Michel Delebarre, Mme Évelyne Didier, MM. Daniel Gremillet, Jean-François Husson, Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-François Longeot, Hervé Poher, Rémy Pointereau, Mme Sophie Primas, MM. André Trillard, Raymond Vall et Alain Vasselle membres de la commission d’enquête.

Par ailleurs, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ».

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Jacques Bigot, Philippe Bonnecarrère, Mme Corinne Bouchoux, MM. Henri Cabanel, Pierre Camani, Mmes Agnès Canayer, Karine Claireaux, MM. Pierre-Yves Collombat, René Danesi, Mme Catherine Di Folco, M. Daniel Dubois, Mme Nicole Duranton, M. Christian Favier, Mme Corinne Féret, M. Michel Forissier, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Gatel, Catherine Génisson, MM. Alain Gournac, Didier Mandelli, Mmes Colette Mélot, Danielle Michel, MM. Robert Navarro, Cyril Pellevat, Michel Raison, Mme Sylvie Robert et M. Bernard Vera membres de la mission d’information.

Je rappelle également que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame M. Michel Amiel, Mme Aline Archimbaud, M. Jacques Bigot, Mmes Maryvonne Blondin, Françoise Cartron, M. Daniel Chasseing, Mme Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mmes Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, M. Alain Dufaut, Mmes Catherine Génisson, Corinne Imbert, Anne-Catherine Loisier, M. Pierre Médevielle, Mmes Marie Mercier, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Marie-Françoise Perol-Dumont, Christine Prunaud, M. Jean-François Rapin, Mme Stéphanie Riocreux, M. René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger et M. Henri Tandonnet membres de la mission d’information.

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Nomination d'un membre d'une commission

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée, et je proclame Mme Gélita Hoarau membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de Paul Vergès, décédé.

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Nomination d'un membre d'une délégation sénatoriale

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée, et je proclame M. François Bonhomme membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Louis Pinton, décédé.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Retrait d’une question orale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question orale n° 1556 de M. Daniel Chasseing est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques
Discussion générale (suite)

Normes agricoles et politique commerciale européenne

Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires européennes et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de la proposition de résolution européenne sur l’inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Michel Magras et plusieurs de ses collègues (proposition n° 65, rapport et texte de la commission nos 127, rapport pour avis n° 102).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier le président de notre délégation à l’outre-mer, Michel Magras, de m’avoir cédé le temps de parole qui lui était dévolu en qualité de premier signataire de la proposition de résolution européenne.

La proposition de résolution que j’ai l’honneur, avec mes collègues Michel Magras, Catherine Procaccia, Jacques Gillot et Gisèle Jourda, de soumettre à l’approbation du Sénat est très directement issue des travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Elle reprend une partie des préconisations destinées aux instances européennes du rapport de la délégation sur la nécessaire adaptation des normes agricoles outre-mer, rendu public au mois de juillet dernier. Elle comprend également un volet consacré aux effets des accords commerciaux, volet qui poursuit notre action en faveur d’un rééquilibrage des négociations européennes. Ces deux sujets, celui des normes agricoles et celui des accords de libre-échange, sont intimement liés, comme nos débats récents sur les traités commerciaux avec le Canada et avec les États-Unis le démontrent à l’envi.

Les agriculteurs et les éleveurs ultramarins sont confrontés à une hypertrophie normative ; ce ne sont pas les seuls… Si notre proposition de résolution met la focale sur la situation en outre-mer, c’est aussi, et surtout, parce que les problèmes d’inadéquation des normes à la réalité concrète y sont exacerbés et se manifestent dans toute leur absurdité. C’est également parce que les conséquences de la « mal-norme » sont particulièrement douloureuses dans des territoires ultramarins fragilisés par la crise, frappés par un chômage endémique et menacés par la concurrence des pays tiers voisins, jusque sur leurs propres marchés locaux.

Cette inadéquation des normes appelle des solutions d’acclimatation et de régulation différenciées selon les territoires. Si nous parvenons à faire bouger les lignes à l’échelon européen pour défendre les intérêts de nos outre-mer, qui sont bel et bien pour la France des intérêts nationaux, c’est l’ensemble du secteur agricole dans l’Hexagone qui bénéficiera de nouvelles souplesses et de nouvelles simplifications. C’est notre conviction.

Notre proposition de résolution européenne intervient dans un contexte très particulier, marqué à la fois par la multiplication des projets d’accords de libre-échange et par des projets de modification des règlements européens de 2007 sur la production biologique et de 2009 sur les pesticides. Nous devons profiter de cette fenêtre d’action pour faire avancer nos positions dans les cercles bruxellois. C’est pourquoi notre texte vise à dénoncer l’inadéquation du cadre réglementaire phytosanitaire et de la politique commerciale de l’Union et à demander une réorientation au service du développement endogène des RUP, les régions ultrapériphériques.

Depuis plusieurs années, les filières agricoles des outre-mer ont consenti de très importants efforts pour faire face à la concurrence internationale en modernisant leur outil de production et en revoyant leur stratégie de commercialisation. Les gains de compétitivité réalisés ne sont pas dus à une baisse quelconque des standards sociaux et environnementaux. Bien au contraire, les outre-mer se sont engagés dans une politique vertueuse de mieux-disant social et environnemental, marquée notamment par une réduction drastique de l’emploi des herbicides, fongicides et pesticides, avec d’ailleurs le soutien financier de l’Union européenne.

Ces efforts d’adaptation sont toutefois menacés d’être réduits à néant par des politiques européennes inadaptées et incohérentes entre elles. En effet, l’architecture de la réglementation phytosanitaire européenne est faite pour les conditions tempérées de l’Europe continentale, qui s’accompagnent d’une moindre pression de maladies et de ravageurs. Elle ne tient pas compte des caractéristiques de l’agriculture en milieu tropical. Les RUP restent ainsi dans l’angle mort.

Cela contribue fortement à la prégnance des usages orphelins dans les outre-mer. Ainsi, 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les RUP françaises sont couverts ; la moyenne nationale française s’établit à un taux de couverture de 80 % des besoins.

Les filières de diversification sont très impactées, mais les grandes cultures de la banane et de la canne ne sont pas épargnées, car elles sont à la merci d’une perte d’homologation d’une poignée de produits absolument indispensables à la survie même des plantations. Les procédures d’homologation sont directement responsables de l’indisponibilité de solutions phytopharmaceutiques dans les RUP, alors même que celles-ci existent dans les pays tiers concurrents qui exportent leurs productions vers l’Union européenne.

Les RUP subissent la concurrence des pays tiers à l’export sur le marché européen pour leurs produits phares que sont la banane, le sucre et le rhum. Ils la subissent aussi sur leurs marchés locaux pour les produits issus des filières de diversification végétale et animale.

La porosité des outre-mer aux importations légales et illégales des pays tiers est avérée : la Guadeloupe vis-à-vis de la Dominique, notamment en exploitant les failles du contrôle à Marie-Galante, la Martinique face à Sainte-Lucie, la Guyane vis-à-vis du Suriname et du Brésil, Mayotte face aux Comores et La Réunion à l’égard de Madagascar.

Cette porosité contribue à enfermer les économies ultramarines dans un cercle vicieux. Plus la concurrence sur le marché local est rude, plus les filières de diversification végètent et ne peuvent ni résoudre le problème des usages orphelins ni s’engager dans des démarches de labellisation ou d’agriculture bio. Les économies des outre-mer restent éminemment dépendantes des grandes cultures de la banane et de la canne. Or celles-ci sont elles-mêmes fragilisées par le changement climatique – salinisation, sécheresse, épisodes violents – et surtout touchées de plein fouet par la multiplication des accords de libre-échange. L’Union européenne troque trop facilement les productions agricoles tropicales des RUP contre l’ouverture putative des marchés industriels et de services des pays tiers. La seule réponse de l’Union européenne est de prévoir des compensations financières via le POSEI, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité.

Cela ne fait que miner les capacités de développement endogène des RUP et accroître leur dépendance aux subventions. Les outre-mer ont besoin d’un cadre normatif adapté, propice à la mise en valeur de leur potentiel agricole. Ils ont aussi besoin d’une politique commerciale qui leur permette de lutter à armes égales avec leurs concurrents.

Aujourd’hui, seuls les outre-mer disposant de la maîtrise normative, comme la Nouvelle-Calédonie, paraissent bénéficier d’un corpus normatif et de systèmes de contrôle adaptés à leurs besoins de développement des activités agricoles.

Les membres de la délégation à l’outre-mer n’ont eu de cesse d’alerter le Gouvernement et les autorités européennes sur la nécessité de prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques. Nous avons ainsi fait adopter des résolutions sur la banane, sur la politique de la pêche, sur la fiscalité du rhum et, encore cette année, sur les sucres spéciaux pour infléchir les termes de l’accord commercial avec le Vietnam. Elles n’ont pas été vaines, puisqu’elles ont contribué à arracher à la Commission européenne soit des prorogations de dispositifs de protection, soit des inflexions des équilibres négociés avec des pays tiers. Il n’en reste pas moins que la Commission européenne n’a pas encore modifié en profondeur et de manière pérenne son approche des outre-mer.

J’en veux pour preuve l’adhésion prochaine de l’Équateur à l’accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou conclu au mois de décembre 2012. L’Équateur est déjà le premier exportateur de bananes sur le marché européen. L’abaissement des droits de douane après son adhésion à l’accord de libre-échange provoquera inévitablement un afflux d’importations qui frappera durement nos planteurs. Ce pays traite ses bananes quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Par comparaison, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.

C’est dans cette politique inéquitable que réside le nœud du problème. Il paraît aberrant de procéder simultanément à l’abandon des tarifs douaniers et au démantèlement des protections non tarifaires. C’est pourquoi nous estimons indispensable que les autorités communautaires garantissent la cohérence entre elles des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union européenne. Nous invitons en particulier la Commission européenne à acclimater les normes en matière d’agriculture et d’élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités de la production en milieu tropical.

Il reste beaucoup à faire, en particulier à l’échelon européen, pour défendre les intérêts de nos territoires, trop facilement oubliés. L’adoption de notre proposition de résolution permettra d’associer l’ensemble du Sénat à notre action et de soutenir très directement les efforts de nos collègues parlementaires européens, non seulement français mais aussi espagnols et portugais, pour faire reconnaître les spécificités des régions ultrapériphériques.

Pour conclure, permettez-moi de revenir brièvement sur le rapport qui a donné naissance à notre proposition de résolution. Son élaboration nous a donné l’occasion de découvrir une autre facette de la richesse des outre-mer.

Nous avons appris à connaître toute une gamme de champignons, bactéries et ravageurs. Je mentionne par exemple le papillon piqueur des agrumes et le citrus greening, la lucilie bouchère, dont le nom latin signifie « mouche mangeuse d’hommes », ou encore la fourmi manioc. Nous avons aussi découvert avec intérêt combien l’inventivité de nos chercheurs était inépuisable et leur contribution irremplaçable. Ils ont mis au point en particulier des méthodes de synchronisation de la floraison des ananas par charbon enrichi à l’éthylène et des techniques de piégeage de masse du charançon de la patate douce par confusion sexuelle ; je ne vous expliquerai pas tout en détail. (Sourires.) Tous ces noms évocateurs vous laissent imaginer l’étendue de notre champ d’investigation.

Nous souhaitons ardemment que ces efforts et ces trésors de créativité soient récompensés. Nous entendons, par le truchement de la présente proposition de résolution européenne, faire entendre la voix des outre-mer à Bruxelles et vaincre les obstacles qui entravent le développement de leur agriculture. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Magras, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crains qu’il n’y ait quelques redites dans mon intervention – je vous prie de m’en excuser par avance –, mais le sujet l’impose.

Nos agriculteurs ultramarins veulent produire et exporter en se positionnant sur des secteurs haut de gamme. C’est un combat honorable et difficile, face à une concurrence impitoyable et alors que les acteurs ne jouent pas à armes égales.

Au début de l’année 2016, nous sommes intervenus par voie de résolution pour rappeler que l’Union européenne avait très opportunément financé la modernisation de la filière canne à sucre ultramarine et son positionnement sur les sucres roux. À l’unanimité, nous avons estimé absurde de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement le marché des sucres spéciaux à des pays où le coût de la main-d’œuvre était dix-neuf fois moins élevé. Il s’agissait en l’occurrence du Vietnam, qui risquait de se voir offrir un boulevard pour se positionner sur ce segment.

Notre démarche a été couronnée de succès – cela vient d’être rappelé –, puisque l’accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux. Partant de 20 000 tonnes indifférenciées, on en est finalement arrivé à une limitation spécifique de 400 tonnes pour les sucres roux. Cela change tout !

Madame la ministre, je tiens à vous remercier, ainsi que l’ensemble du Gouvernement, de votre mobilisation sur ce dossier. Je vous invite à prêter une attention toute particulière au sort réservé aux productions ultramarines dans les mandats de négociation. En effet, le caractère flou du mandat confié à la Commission européenne, comme dans le cas du traité transatlantique, peut être extrêmement préjudiciable.

Ainsi que cela avait été alors annoncé, je vous présente aujourd’hui un texte plus général, même s’il répond aussi à une préoccupation immédiate concernant le secteur de la banane. La version initiale de ce texte a été cosignée par cinq membres de la délégation à l’outre-mer : Éric Doligé, que vous venez d’entendre, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia et moi-même. La commission des affaires européennes a pleinement souscrit à ce travail, puisqu’elle a adopté la proposition de résolution sans modification et à l’unanimité. Comme son intitulé l’indique, ce texte comporte deux volets : les normes agricoles européennes et la politique commerciale de l’Union.

Le thème des normes agricoles a été abordé par notre commission des affaires économiques au milieu de l’année 2016, mais principalement sous l’angle hexagonal. Dans son excellent rapport d’information, notre collègue Daniel Dubois constate que l’avalanche de réglementations handicape l’agriculture métropolitaine, qui est pourtant l’une des plus performantes du monde, et il invite à retrouver le chemin du bon sens avec seize propositions.

Nous sommes ici aujourd’hui pour rappeler que la situation est encore bien pire pour les outre-mer. Cela ressort du rapport d’information élaboré par la délégation sénatoriale à l’outre-mer. En 300 pages, qui rendent compte des nombreuses auditions effectuées auprès des acteurs de terrain, nous démontrons que les dispositifs phytosanitaires conçus pour l’Europe continentale s’imposent dans les régions ultrapériphériques en ignorant totalement les caractéristiques de l’agriculture en zone tropicale, tant et si bien que cette application uniforme conduit à une véritable impasse agricole.

Un seul exemple parmi tant d’autres : la fameuse fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane, est capable de détruire, en vingt-quatre heures seulement une culture de patates douces, d’ignames ou d’agrumes. Or aucune solution efficace ne peut être utilisée aujourd’hui sur des cultures de plein champ. En bref, la sécurité des récoltes ultramarines n’est pas garantie. Comme cela a été rappelé, 29 % des « usages phytosanitaires », c’est-à-dire les moyens de défense contre les attaques des ravageurs, sont couverts dans les départements d’outre-mer, contre 80 % en métropole. Pourtant, les produits existent, et ils sont utilisés par nos concurrents. Mais, en Europe, les procédures d’homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Le marché ultramarin est trop étroit pour amortir le coût des formalités administratives.

Quand les produits sont autorisés, c’est leur mode ou leur fréquence d’utilisation qui fait l’objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l’Équateur, pays déjà mentionné, qui est le premier exportateur de bananes, traite ses cultures quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Pendant ce temps, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.

Nous ne demandons évidemment pas à abuser des produits phytopharmaceutiques. Nous voulons simplement être traités de manière équitable face aux concurrents qui, comme nos régions ultrapériphériques, ont droit d’accès sur le marché européen.

Voilà pour vous donner un aperçu de la situation inextricable que nous connaissons face à une concurrence sans merci !

Pour réduire ces handicaps, la délégation à l’outre-mer a énoncé vingt recommandations. C’est le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution. J’en résume ici les trois axes.

Premièrement, adapter les normes, ainsi que les processus d’homologation pour garantir la sécurité des récoltes. Sortons du labyrinthe des procédures en dressant une liste positive de pays dont les procédures d’homologation sont équivalentes à celles de l’Union européenne.

Deuxièmement, mieux contrôler les échanges pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs.

Troisièmement, promouvoir une stratégie de labellisation des produits ultramarins pour orienter les productions vers le haut de gamme et les marchés de niche.

L’autre grand volet de la proposition de résolution porte sur les accords commerciaux et concerne plus particulièrement le secteur de la banane.

Je rappelle que, conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l’Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l’Union européenne seront passés de 176 euros à 75 euros par tonne entre 2009 et 2020. Les volumes importés ont bondi, et la perte de parts de marché qui en résulte pour nos producteurs concernés met en péril l’avenir de la filière.

Sur le papier, des mécanismes de protection sont prévus en cas d’augmentation excessive des importations de bananes depuis les pays partenaires. Dans la pratique, jamais depuis 2013 la Commission européenne ne les a activés, alors que l’évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.

En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère un déclenchement quasi automatique dès que les seuils de déclenchement prévus sont atteints. Elle demande également la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de 2020. Il faut aussi disposer de mesures fiables des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des outre-mer. La résolution appelle enfin, comme nous l’avons déjà demandé à plusieurs reprises, à la réalisation systématique d’études d’impact préalables sur les outre-mer des accords commerciaux passés par l’Union européenne.

Tous ces éléments démontrent le caractère crucial des enjeux pour nos outre-mer et l’importance des initiatives prises par le Sénat en la matière. Aussi notre commission des affaires économiques vous invite-t-elle à approuver la présente proposition de résolution, qui repose sur un objectif de rationalisation des politiques européennes actuellement contradictoires, sur le principe d’une plus grande loyauté de la concurrence internationale et sur une stratégie de montée en gamme des produits agricoles ultramarins. (Applaudissements.)