Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de résolution sur les contrats de ressources présentée par M. Hervé Poher et plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Je souhaite rappeler en préambule quelques éléments de contexte.

Je veux préciser tout d’abord – mais vous l’avez tous rappelé – que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et que son usage appartient à tous. Lors du débat sur l’eau qui s’est tenu le 19 octobre dernier, nous avions d’ailleurs insisté sur la nécessité de protéger cette ressource.

L’article L. 210-1 du code de l’environnement rattache ainsi l’eau au régime juridique de la chose commune, au sens du code civil. Une collectivité ne saurait être a priori propriétaire des eaux pour la seule raison qu’elles se trouvent sous ou sur son territoire.

La loi donne néanmoins la possibilité aux collectivités organisatrices des services d’eau de mobiliser des ressources en eau et d’en assurer la protection en application d’actes de déclaration d’utilité publique, qui constituent le lien juridique entre le prélèvement autorisé, les mesures de protection et la définition des bénéficiaires de l’adduction d’eau.

Mme Jouve a évoqué le problème de la dégradation des champs captants. Je rappelle que la Conférence environnementale de 2014 a retenu le principe de 1 000 captages prioritaires, lequel s’est traduit dans les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux adoptés fin 2015. Des travaux sont en cours ; le processus est donc bien en place.

La protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine s’appuie sur des dispositifs réglementaires et volontaires.

Les périmètres de protection des captages, les PPC, sont établis autour des sites de captages d’eau destinée à la consommation humaine. L’objectif est de réduire les risques de pollutions ponctuelles et accidentelles de la ressource. Ils ont été rendus obligatoires pour tous les ouvrages de prélèvement d’eau d’alimentation depuis la loi sur l’eau de 1992.

Depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la prise en compte des problématiques de pollutions diffuses s’est traduite par un dispositif visant à mettre en place des mesures de protection sur tout ou partie de l’aire d’alimentation du captage. Si ces démarches sont prévues par le SDAGE et nécessaires pour l’atteinte du bon état des masses d’eau, elles ne sont pas une obligation légale pour les collectivités.

Les collectivités se sont organisées depuis des décennies pour mutualiser les actions de mobilisation de la ressource et de sa préservation, notamment lorsque la ressource était rare ou difficile à mobiliser. Mme Didier et M. Raynal ont rappelé que différentes organisations existaient, notamment dans les collectivités qui s’étaient portées volontaires. Elles ont, par exemple, constitué des syndicats de production d’eau, qui mutualisent entre tous les bénéficiaires cette production – et incidemment la protection de la ressource qu’elle implique – et les coûts de ces opérations.

Vous avez cité, monsieur Poher, des cas concrets – et évoqué de façon vibrante votre action locale ! Vous le savez, lorsque les altérations de la qualité des ressources conduisent à la fermeture d’un captage, compte tenu du dépassement des normes en vigueur, une collectivité se voit dans l’obligation de se reporter vers des solutions de transfert d’eau et de vente d’eau entre services.

Par la vente d’eau, une collectivité productrice, qui a investi dans la protection de la ressource, peut mettre à contribution les nouveaux bénéficiaires de cette ressource, y compris pour les mesures de protection afférentes. Les coûts seront alors répartis sur l’ensemble des usagers.

Vous l’avez fort bien dit, ces situations ne peuvent conduire à ce qu’une collectivité en retire un profit au détriment d’une autre collectivité. En effet, si la possibilité de ventes d’eau entre services doit être appréciée au regard des textes déclarant les ressources concernées d’utilité publique, il convient également de considérer le droit de la concurrence et les dispositions relatives à la fourniture de biens essentiels.

C’est notamment en application de ces dernières dispositions que, dans un arrêt du 29 juin 1998, la cour d’appel de Paris, se prononçant sur une décision du Conseil de la concurrence, a enjoint au maître d’ouvrage d’une unité de production d’eau potable de communiquer aux tiers qui en feraient la demande un prix de production de l’eau potable en gros qui soit établi de manière transparente, objective et excluant tout coût étranger à la production. Il s’agit en effet de ressources essentielles qui n’ont pas d’alternatives substituables en coûts et dans des délais raisonnables.

Vous avez tous parlé, mesdames, messieurs les sénateurs, de la transparence du coût de production de l’eau potable. Celui-ci dépend, bien entendu, des conditions locales, de la qualité de l’eau prélevée et des traitements nécessaires pour respecter les normes sanitaires en vigueur.

Toutefois, compte tenu de la diversité des ressources pouvant être mobilisées, les coûts de production d’eau potable et de protection de la ressource sont très hétérogènes. Pour atténuer cet effet, de nombreux mécanismes existent.

Je ne reviendrai pas sur le sujet des agences de l’eau, qui vient d’être évoqué par M. Pointereau, car nous avions pu constater, le 19 octobre dernier, nos divergences quant à l’analyse de leur situation. Quoi qu’il en soit, les soutiens financiers, notamment ceux de ces agences, aident les collectivités dans leurs investissements et contribuent à limiter les écarts de coûts restant à la charge des usagers.

Vous l’avez rappelé, monsieur Raynal, dans certains cas des syndicats départementaux ont été constitués en fédérant les collectivités qui ont la compétence eau potable, afin de mutualiser les ressources disponibles, d’unir les efforts pour leur protection et d’assurer la péréquation du prix de l’eau.

Pour autant, des collectivités peuvent prélever de l’eau dans des territoires distincts des zones de distribution d’eau potable. C’est souvent le cas des agglomérations de taille importante, comme celle de Dunkerque, capable de prélever de l’eau à 40 ou à 50 kilomètres.

Les territoires où l’eau est prélevée peuvent se sentir restreints dans leur capacité de développement et avoir l’impression qu’ils réalisent des investissements pour le bénéfice d’un autre territoire, de taille plus importante. Il faut néanmoins rappeler que les coûts liés à la déclaration d’utilité publique ou aux mesures de protection des captages sont supportés par la collectivité qui en bénéficie et que d’autres investissements, conduisant à préserver ou reconquérir de façon générale la qualité de l’eau, sont cofinancés par les agences de l’eau. Une commune ne peut donc se retrouver seule à supporter l’ensemble des investissements.

Le contexte institutionnel de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine a déjà amorcé une évolution de fond s’agissant de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine.

La loi NOTRe organise un transfert de la compétence eau potable à l’échelon des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à l’horizon 2020, soit une échéance assez proche. Ces transferts ne remettent en cause ni les syndicats départementaux évoqués plus haut ni le principe du financement des coûts des services d’eau par les usagers de ces services, hors subventions.

L’enjeu, vous le savez, est de mettre en place la solidarité entre territoires. En accroissant le périmètre des collectivités compétentes en eau potable, la loi NOTRe devrait conduire à limiter les situations dans lesquelles une collectivité fournit de l’eau à une collectivité sur un autre territoire, en dehors des secours ponctuels.

Lorsque la mutualisation sera réalisée, via les EPCI, et que les collectivités auront réfléchi ensemble à la préservation de la ressource, se posera la question du prix.

Les conclusions du rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, le CGEDD, intitulé Eau potable et assainissement : à quel prix ? apportent des éclairages sur les évolutions de prix qui pourraient résulter des transferts de compétences organisés par la loi NOTRe.

Certaines évolutions pourraient certes conduire à la hausse du prix de l’eau en milieu rural du fait d’une amélioration des niveaux de services rendus, en particulier en matière de surveillance et de qualité sanitaire de l’eau distribuée. Néanmoins, le rapport indique que ces évolutions devraient être compensées par la mutualisation des prestations à grande échelle, y compris entre secteurs urbains et ruraux, et la capacité renforcée des autorités organisatrices, une fois regroupées, à négocier des gains de productivité de leurs opérateurs, publics ou privés. En outre, la convergence tarifaire au sein d’une collectivité devra être atteinte dans un délai de cinq ans après l’extinction des contrats, ce qui permettra, le cas échéant, d’étaler l’éventuelle hausse dans le temps afin qu’elle puisse être compensée par des gains de productivité.

Cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à généraliser le contrat de territoire, conduirait donc à la création d’un nouveau dispositif réglementaire de contrat de ressources, obligatoire, qui viendrait s’ajouter à tous ceux qui existent. Nous sommes tous attachés à rendre, au niveau des collectivités locales, les dispositifs plus lisibles et à ne pas accumuler les strates. Est-ce le bon moment pour proposer une telle approche, dans la mesure où la réforme territoriale portée par la loi NOTRe se met actuellement en place ?

Je partage votre point de vue : lorsque les mesures expérimentées sur le terrain « viennent d’en bas », pour reprendre les termes que vous avez employés, il faut leur permettre d’irriguer l’ensemble du territoire. J’approuve d’autant plus cette idée que j’étais, avant de prendre mes fonctions de secrétaire d’État, députée-maire de Vaulx-en-Velin, où se trouvent les champs captants qui alimentent, à hauteur de 95 %, l’ensemble de la métropole lyonnaise. Il s’agit donc de sujets dont j’ai eu à connaître.

La réforme territoriale portée par la loi NOTRe devrait permettre d’approfondir ces questions de mutualisation. À ce titre, le Gouvernement a demandé aux préfets coordonnateurs de bassin de définir, en associant étroitement les collectivités locales, des stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau, les SOCLE.

Ces stratégies, précédées d’inventaires des compétences exercées, permettront incidemment d’identifier les situations dans lesquelles des collectivités contribuent à la protection des ressources en faveur d’autres collectivités.

Enfin, il pourrait être envisageable d’identifier dans la facture d’eau les frais liés à la protection de la ressource en eau. Cela aurait un caractère pédagogique et mettrait en lumière une part trop méconnue, mais combien essentielle – vous le disiez, monsieur le sénateur, en montrant votre facture d’eau –, de l’activité des collectivités compétentes en eau potable.

Vous l’aurez compris, monsieur le sénateur, ce n’est pas sur le fond que le Gouvernement reste peut-être réservé à l’égard de votre proposition de résolution, puisqu’il partage votre volonté d’améliorer la mutualisation et la protection de la ressource. Il nous semble cependant que la loi NOTRe prévoit d’ores et déjà les dispositions permettant de répondre à l’essentiel de vos préoccupations.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la Charte de l’environnement, notamment ses trois premiers considérants,

Vu la résolution du 28 juillet 2010 de l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme »,

Vu les objectifs fixés par la directive 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau,

Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques,

Rappelant que l’eau est un bien commun, non renouvelable, à la base du vivant ;

Considérant dès lors que la gestion de l’eau doit être guidée par les impératifs de cohérence, d’équité et d’efficacité ;

Soulignant la forte implication des collectivités territoriales et de leurs groupements tant dans la gestion des eaux de surface, gestion maintenant adossée sur la compétence GEMAPI, que dans la protection et la gestion des eaux en profondeur ;

Observant toutefois que les coûts des travaux de protection des champs captants sont trop souvent supportés par la seule collectivité, le seul établissement public de coopération intercommunale ou syndicat mixte les ayant réalisés quand bien même d’autres territoires en bénéficieraient ;

Affirmant qu’une répartition équitable de ces coûts est de nature à promouvoir un développement de ces infrastructures, leur entretien régulier et, partant, la préservation des ressources en eau ;

Invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires afin de généraliser la pratique des contrats de ressources, mécanisme de péréquation par lequel les coûts sont mutualisés et équitablement répartis entre les territoires ayant financé les travaux de protection du champ captant et ceux en bénéficiant.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 203
Pour l’adoption 20
Contre 183

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à généraliser les contrats de ressources
 

9

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 7 décembre 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par le Premier ministre, de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la transparence et à la modernisation de la vie économique.

Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, je voudrais faire une rectification à propos du scrutin n° 73 sur l’article unique de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. MM. Jacques Genest et Mathieu Darnaud, qui ont été comptabilisés comme ayant voté contre, souhaitaient en fait s’abstenir.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
Discussion générale (suite)

Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (proposition n° 304 [2015-2016], texte de la commission n° 163, rapport n° 162).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous allons débattre tend à supprimer toute publicité autour des programmes de la télévision publique destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans. Elle vise à préserver les plus jeunes de la pression des messages publicitaires.

Le sénateur André Gattolin, que je salue, a déposé cette proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

Dans un premier temps, le Gouvernement avait émis des réserves sur ce texte, pour plusieurs raisons que je vais rappeler.

France Télévisions a déjà pris des engagements forts pour réduire l’exposition des enfants à la publicité. Ainsi, les programmes destinés aux enfants de trois à six ans diffusés dans l’émission « Les Zouzous » sur les antennes de France 5 et de France 4, ainsi que sur internet, ne contiennent pas de messages publicitaires.

Une corégulation associant l’ensemble des professionnels concernés et dans laquelle France Télévisions a pris toute sa place a été mise en œuvre ces dernières années.

Cette démarche a conduit à la signature en 2009 d’une charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014. Elle réunit le mouvement associatif, les industriels de l’agroalimentaire, les professionnels du secteur audiovisuel et ceux de la publicité, ainsi que les pouvoirs publics.

Le mérite de cette charte, dont six ministères sont signataires, est d’envisager le sujet dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de la régulation du contenu des spots publicitaires par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, des campagnes de prévention de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, ou des messages sanitaires apposés sur les spots publicitaires alimentaires, mais également et surtout de la création et de la diffusion d’émissions faisant la promotion d’une saine hygiène de vie.

Les professionnels ont donc montré une volonté d’engagement. La publicité autour des programmes jeunesse était donc déjà encadrée par cette régulation professionnelle, sous l’égide des pouvoirs publics.

Le Gouvernement s’était, lors de la première lecture, montré opposé au texte pour une deuxième raison, majeure : son impact potentiel sur le financement de l’animation française. On pouvait craindre qu’une mesure telle que l’interdiction prévue par cette proposition de loi, qui n’avait pas été anticipée lors de la première lecture, puisse fragiliser la situation financière déjà dégradée de France Télévisions et remettre en cause ses investissements dans l’animation française.

Vous le savez, le groupe public est le premier préfinanceur européen de l’animation. Il investit en moyenne 29 millions d’euros par an dans la production de films et de séries d’animation.

Or, si la protection des enfants de la pression publicitaire est une préoccupation réelle, la diversité et la qualité des programmes qui leur sont proposés constituent des enjeux majeurs en matière éducative et culturelle. On ne peut pas traiter un sujet et ignorer l’autre.

La France peut s’enorgueillir d’une production d’animation riche et de très grande qualité, qui rencontre le succès auprès du jeune public. Ainsi, en 2015, la part de la production française dans l’offre totale d’animation diffusée à la télévision était de 45 %, contre 33 % pour la production américaine, 10 % pour la production européenne et 12 % pour la production issue d’autres pays.

Cette situation est unique en Europe et dans le monde, si l’on excepte le cas particulier du Japon. C’est en quelque sorte la marque de l’animation française, qui est l’une de nos filières d’excellence.

De même que nous avons pour objectif d’avoir une part de marché national forte dans le cinéma, il est important que les enfants de France puissent se retrouver dans les valeurs, les talents et l’imaginaire de la création française et européenne. Quelle que soit la valeur des productions américaine ou japonaise, nous ne pouvons leur livrer nos écrans, et donc l’imaginaire en construction de nos enfants. Les auteurs, animateurs, producteurs français reflètent ou du moins intègrent dans leurs projets la situation des enfants d’ici et d’aujourd’hui.

Outre ce succès national, l’animation française est également très performante à l’étranger. Elle représente près de 30 % des exportations de programmes audiovisuels français et constitue de loin le premier genre à l’export. Le secteur compte au total une centaine d’entreprises et emploie près de 5 500 personnes réparties de façon assez équilibrée sur tout le territoire.

Le soutien à l’animation est donc un enjeu fort, culturel, éducatif et industriel, et le Gouvernement ne peut accepter que ce secteur soit fragilisé.

Deux évolutions m’amènent néanmoins aujourd’hui à lever les réserves exprimées en première lecture.

S’agissant des chaînes privées et du secteur de l’animation, plusieurs d’entre vous, notamment André Gattolin, ont fait part de leur volonté de ne pas déstabiliser cette économie.

Le dispositif de l’article 1er me paraît souple, en ce qu’il permet au Gouvernement d’intervenir, en tant que de besoin seulement, par la voie réglementaire, en complément de la démarche d’autorégulation et pour tenir compte des préconisations du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. Le décret du 27 mars 1992 comporte déjà des prescriptions en la matière.

S’agissant de France Télévisions, depuis l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, le Gouvernement et l’entreprise publique ont négocié un contrat d’objectifs et de moyens. Celui-ci prévoit un vaste plan d’investissement dans la création, se traduisant notamment par le relèvement à 420 millions d’euros du montant annuel minimal d’investissement dans la production audiovisuelle. Nous avons donc fait en sorte que le groupe public dispose de moyens supplémentaires pour la création. Son plan d’affaires tire les conséquences financières du dispositif de cette proposition de loi, en prévoyant une augmentation des ressources publiques de l’entreprise, qui lui permettra de confirmer son engagement dans l’animation.

Dans ces conditions, cette démarche équilibrée, qui distingue le service public des chaînes privées, pourra être mise en œuvre. Il faudra néanmoins rester très vigilants sur ses conséquences pour le secteur de l’animation et examiner de façon régulière l’évolution des financements des productions destinées à la jeunesse.

Pour conclure, cette éviction de la publicité, recette privée à laquelle se substitue un financement public, nous oblige collectivement – Gouvernement et représentation nationale – à veiller au dynamisme de la recette affectée à l’audiovisuel public, pour permettre la modernisation de celui-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, « démarche équilibrée » et « vigilance » : ces maîtres mots me conviennent.

Il y a maintenant un an, le Sénat et sa commission de la culture ont ouvert un chemin vers une évolution majeure pour l’audiovisuel public et son entreprise la plus importante, France Télévisions.

Nous avons adopté le principe selon lequel les programmes de la télévision publique prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages de prévention. Afin de « sanctuariser » ces programmes, l’interdiction s’applique aussi quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes. Il faut noter que cette restriction s’applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet des diffuseurs publics.

L’interdiction que nous avons adoptée est à la fois ciblée, complète, mesurée et adaptée au service public de l’audiovisuel.

Elle est ciblée parce qu’elle concerne les enfants de moins de douze ans. Les adolescents, qui disposent déjà d’un esprit critique, ne sont pas visés.

Elle est complète parce qu’elle vise à la fois le linéaire, le délinéaire et le numérique. Le service public deviendra ainsi un espace de confiance pour les parents, ce qui devrait constituer pour lui un avantage comparatif et compétitif essentiel. Cette proposition de loi n’est donc pas contre le service public ; au contraire, elle vise à renforcer son identité et sa spécificité.

Cette interdiction est, au final, adaptée, puisqu’elle ne concerne pas les chaînes privées, qui sont pour leur part soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA, comme le précise l’article 1er. À ce sujet, je tiens à répondre aux craintes qui se sont fait jour : il n’y a pas, dans cette proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par la commission, de disposition visant à interdire la publicité sur les chaînes privées, pour cette raison simple qu’une telle interdiction aurait pour effet de faire disparaître les programmes jeunesse de ces chaînes, puisque c’est la publicité qui les finance, ou de nous conduire à leur attribuer une part de contribution à l’audiovisuel public, puisqu’elles s’apparenteraient alors à des chaînes de service public.

Je souhaite prendre un instant pour revenir sur la philosophie de cette proposition de loi, car des craintes, légitimes ou moins légitimes, ont pu apparaître. Notre position n’est pas que toute publicité est forcément condamnable et que certains produits sont à exclure. Les choses sont beaucoup plus nuancées que cela.

Je reconnais volontiers que la consommation d’une barre chocolatée ou d’un verre de boisson pétillante de temps en temps ne constitue pas, en soi, une menace grave pour la santé, lorsque les parents sont attentifs à ce que cela ne devienne pas une habitude.

Le problème est que, dans certaines familles, de tous milieux, les enfants sont laissés devant la télévision pendant des heures sans surveillance et deviennent des objets de convoitise pour les grands industriels.

N’oublions pas non plus que les entreprises qui font de la publicité aux heures d’audience importante sont de grandes multinationales, qui ont les reins très solides. Nos PME et nos artisans sont, au contraire, souvent victimes du rouleau compresseur des techniques de marketing.

Dans ces conditions, l’objectif de la proposition de loi est de proposer aux familles un espace sanctuarisé, affiché comme tel, un espace de confiance où l’on est certain que les enfants seront protégés contre les stratégies des industriels qui, comme les fabricants de tabac, ne font pas de sentiment et ne reculent devant rien pour vendre leurs produits.

Où en sommes-nous aujourd’hui, après la lecture à l’Assemblée nationale ? Deux éléments sont à retenir.

Premièrement, l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi en janvier 2016 et a adopté conforme l’article 2, relatif à l’interdiction de la publicité dans les émissions jeunesse de France Télévisions. Elle a en outre modifié la rédaction de l’article 1er, relatif à l’autorégulation.

Deuxièmement, l’État et le groupe France Télévisions ont tiré toutes les conséquences de cette adoption conforme dans le projet de contrat d’objectifs et de moyens du groupe public : les recettes de publicité passeront certes de 334,7 millions d’euros en 2017 à 314,7 millions d’euros en 2018, mais cette différence de 20 millions d’euros est intégralement compensée par une hausse de 17 millions d’euros de la subvention publique et par une baisse de 3 millions d’euros des prélèvements sur les recettes brutes.

Que doit-on penser de ces deux évolutions ?

Les réserves émises lors de la première lecture concernaient d’abord le financement de la production audiovisuelle. Or, comme je l’ai indiqué, les craintes exprimées à cet égard n’ont plus lieu d’être : je le dis notamment à l’intention des producteurs de films d’animation, qui n’ont aucune inquiétude à avoir sur le financement de leur filière.

La deuxième lecture se présente donc aujourd’hui de manière très différente. L’article 2 ayant été adopté conforme par les députés, il ne nous reste plus à examiner que l’article 1er, qui a été modifié par l’Assemblée nationale.

Je le dis très nettement, je ne crois pas que cet ajout était nécessaire, car l’autorégulation sous le contrôle du CSA doit être poursuivie. Par ailleurs, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, il existe déjà un décret en Conseil d’État, en date du 27 mars 1992, qui réglemente les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. Dans notre esprit, le plus simple serait de considérer que le décret mentionné par l’article 1er est, en réalité, celui de 1992.

Nous aurons peut-être un débat sur l’article 1er, mais, ne nous y trompons pas, modifier cet article reviendrait d’abord à rendre inopérant l’article 2, qui constitue le cœur du dispositif, puisqu’il n’est pas envisageable de poursuivre la navette, du fait notamment du calendrier parlementaire.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a le soutien de l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, et des associations de familles catholiques, ainsi que celui de plusieurs professions médicales.

L’Organisation mondiale de la santé a publié le mois dernier un rapport pour dénoncer le marketing numérique agressif des industriels. L’opinion publique est derrière nous, 87 % des Français étant favorables à l’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions destinées aux enfants sur les chaînes publiques. L’année dernière, ce pourcentage était de 71 % : une augmentation de seize points, ce n’est pas rien !

Mes chers collègues, nous avons l’occasion d’envoyer un message de confiance aux familles et de démontrer l’utilité de l’action de notre assemblée pour protéger les enfants. Il me semble donc qu’un vote le plus large possible de notre assemblée en faveur de l’adoption de ce texte permettrait de renforcer l’image du Sénat comme force de proposition et d’action au service de nos concitoyens, notamment des plus jeunes d’entre eux. Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du RDSE et du groupe Les Républicains.)